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Full text of "Bulletin hispanique"

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imv.  or 

[ORONTD 


ANNALES    DE    LA    FACULTÉ    DES    LETTRES    DE    BORDEAUX 


BULLETIN  HISPANIQUE 


.1  FD.    l\'  Sluiu.  —  Bull.  /uV/ya/t.,  \,  i.jo.i,  i. 


Bjrdcaiix.  —  Imprimerie  G.  Gou.nouiuou,  rue  Guiraude,  g-  ii . 


Annales  de  la  FacuHé  des  Lettres  de  Bordeaux 

et  des  Universités  du  Midi 

QUATRIÈME   SÉRIE 

CuiiiDiUlio  aux  Luiversités  d'.Aix,  Uordeuux,  Montpellier,  Toulouse 

XXVe   ANNÉE 


BULLETIN  HISPANIÛL'E 


Paraissant  tous  les  trois  mois 


TOME   V 
1903 


Bordeaux  : 

FERET  &  FILS,  ÉDITEURS,   i5.  COURS  DE  L'IINTENDAINCE 

Lyon:  Henri  GEORG,  36-42,  passage  de  l'Hôtel-Dieu 

Marseille:  Paul  RUAT,  54,  rue  Paradis    Montpellier:  C.  GOULET,  5,  Grand'Rie 

Toulouse  :    Edouard    PRIVAT,    i4.    rue    des    Arts 

Madrid  :  MURILLO,  Alcalâ,  7 

Paris  : 

Albert  FOISTEMOING.  A,  rue  Le  Goff 


éûô/ 

6é    , 


Vol.  V.  Janvier-Mars  1903  N°  1. 


ISIS 

TERRE -CUITE  DU  MUSÉE  BALAGUER,  A  VTLLANUEVA  Y  GELTRU 

(Planche  I) 

J'ai  choisi  dans  les  vitrines  où  Victor  Balaguer  avait  réuni 
quelques  souvenirs,  trop  rares  à  son  gré,  de  l'Antiquité  clas- 
sique, un  curieux  fragment  de  figurine  en  terre  cuite  que  j'ai 
pu  étudier  à  loisir  et  photographier  grâce  à  Pamitié  de 
D.  JuanOliva  Mila,  notre  correspondant,  conservateur  du  Musée 
de  Villanueva.  L'originalité  môme,  la  singularité,  devrais -je 
dire,  de  l'objet  prouve  combien  était  éveillée  la  curiosité  de 
D.  Victor,  et  quel  large  éclectisme  présidait  à  l'accroissement 
de  son  trésor. 

Par  malheur,  M.  Oliva,  malgré  ses  recherches,  n'a  pu  me 
dire  exactement  dans  quelles  conditions  ce  débris  est  entré  au 
Musée.  11  est  probable  qu'il  a  fait  partie  de  la  collection  rap- 
portée d'Egypte  par  D.  Eduardo  de  Toda,  et  libéralement  offerte 
à  l'Institut  Balaguer;  mais  cela  n'est  que  probable,  parce  que 
les  objets  provenant  de  ce  don  sont  exposés  dans  des  vitrines 
spéciales,  et  que,  d'ailleurs,  si  la  terre-cuite  a  certainement 
rapport  à  l'Egypte,  comme  cela  saute  aux  yeux,  rien  ne  prouve 
qu'elle  y  ait  été  trouvée,  ni  même  fabriquée. 

C'est  la  partie  supérieure,  haute  de  o'"  i5,  tête  et  torse,  d'une 
statuette  de  femme.  Encore  ai-je  quelque  hésitation  à  employer 
ce  mot  de  statuette,  n'étant  pas  sûr  qu'il  convînt  à  la 
figure,  s'il  était  possible  de  la  restituer  dans  son  état  primitif; 
car  le  cou  et  la  tête  émergent  d'une  sorte  de  gaine  très  serrée, 
sans  que  l'on  voie  se  dessiner,  sous  l'étoffe  qui  enveloppe  les 
épaules  très  peu  larges  et  la  poitrine  très  peu  saillante,  la 
moindre  forme  de  bras.  Quoi  qu'il  en  soit,  si  l'on  admet  que 
l'on  a  devant  les  yeux  le  reste  d'une  image  de  femme  étroite- 
ment drapée,  voici  comme  il  convient  de  la  décrire. 


2  Btl.LETl^    IIISPAMQUE 

Le  visage,  d'un  modelé  rond  et  mou,  où  les  yeux  se  voient 
à  peine  entre  de  grosses  paupières  mal  entr'ouvertes,  où  le  nez 
et  la  bouche  sont  dessinés  sans  finesse,  où  le  menton  s'empâte 
lourdement,  le  visage  a  vaguement  une  expression  de  dignité 
matronale,  et  sans  doute  la  maquette  qui  a  servi  de  modèle 
avait-elle  en  ce  sens  quelque  valeur.  Mais  lépreuve  de  Yilla- 
nueva  y  Geltrù  provient  d'un  moule  déjà  usé;  elle  est  sortie 
floue,  et  le  coroplaste  n"a  pas  daigné  en  aviver  le  dessin  par 
quelques  retouches. 

Les  cheveux  se  divisent  sur  le  haut  du  front,  qu'ils  rétré- 
cissent, en  deux  bandeaux  ondulés  qui  viennent  passer  derrière 
les  oreilles.  De  là  se  détache,  de  chaque  côté  du  cou,  et  pend 
presque  sur  l'épaule  une  épaisse  papillotte  en  torsade.  Les 
oreilles  portent  de  grosses  boules  en  pendants.  Au-dessus  de 
cette  chevelure,  dont  les  séries  régulières  montrent  le  soin 
élégant  du  peigne,  est  placée  une  Stéphane  en  forme  de  crois- 
sant renversé,  comme  celle  de  Junon  ou  de  Diane.  Cette 
Stéphane  est  surmontée  de  ce  haut  ornement  qu'on  est  convenu 
d'appeler  la  coiffure  isiaque,  et  qui  se  compose  de  divers  attri- 
buts diversement  choisis  et  groupés  selon  les  cas.  Ici  l'on  voit 
tout  juste  au  milieu  une  palmette  derrière  laquelle  se  dresse, 
comme  un  plumet  rigide,  une  gerbe  d'épis.  La  palmette  et  la 
gerbe  sont  flanquées  symétriquement  de  deux  touffes  rigides 
aussi,  où  je  crois,  sans  en  être  sûr,  reconnaître  des  plumes. 
Ces  ornements  semblent  appliqués  sur  le  devant  d'une  haute 
tiare  arrondie  par  en  haut,  que  recouvre  un  voile  tombant  sur 
le  dos  et  les  épaules. 

La  description  est  plus  difficile  en  ce  qui  concerne  le  corps. 
La  femme  paraît  vêtue  d'une  robe  dont  on  voit  l'épaisseur  à  la 
naissance  de  la  gorge,  et  qui  est  serrée  à  la  taille  par  une  cein- 
ture ;  par-dessus  cette  robe  il  semble  que  le  voile  tombant  de  la 
tiare  vienne  s'appliquer  pour  envelopper  le  torse,  cachant  sans 
doute  les  bras  sous  son  étoffe.  Mais,  au  lieu  de  faire  des  plis 
libres  et  variés,  comme  il  convient  à  une  draperie  même  un 
peu  étroite  et  collante,  l'étoffe  plaque  sur  la  poitrine  en  dessi- 
nant une  très  régulière  volute  dont  l'œil  correspondrait  à  la 
pointe  du  sein.  Du  moins  est-ce  là  ce  que  l'on  distingue  très 


ISIS,    TEKKK-CLITK    Ul     Ml  SKE    HAI.AGLIiK  3 

clairement  du  côté  droit,  car  le  côté  gauche  est  détruit  depuis 
l'épaule  jusqu'à  la  taille;  mais  il  semble  si*u',  d'après  la  direc- 
tion et  la  forme  même  de  la  cassure,  que  la  figurine  était 
exactement  symétrique  des  deux  côtés.  Ce  qui  reste  à  droite 
de  la  taille,  amincie  un  peu,  semble  indiquer  une  ceinture. 

La  terre-cuite  est  plate  par  derrière  ;  des  stries  transversales, 
peu  profondes,  indiquent  seules  que  l'auteur  a  eu  l'inlenlion 
de  représenter  une  étoil'c  drapée  sur  le  dos.  L'objet,  d'ailleurs, 
est  creux  et  formé  de  deux  plaques  estampées  accolées  par 
les  bords  au  moyen  de  barbotinc.  C'est  une  technique  bien 
connue,  sur  laquelle  il  est  inutile  d'insister. 

11  convient,  enfin,  de  noter  avec  soin  les  couleurs  dont  la 
figurine  est  couverte,  et  qui  sont  assez  bien  conservées.  Le  cou 
et  le  visage  sont  blancs;  aucune  teinte  noire  ou  brune  ne  vient 
aviver  les  yeux  ni  les  lèvres.  Mais  les  cheveux  autour  du  front 
et  la  Stéphane  sont  peints  en  jaune;  la  tunique,  y  compris  la 
ceinture,  est  rose,  tandis  que  les  volutes  du  voile  sont  d'un 
vert  tirant  sur  le  bleu;  cette  même  nuance  se  trouve  sur  l'épi 
dressé  en  aigrette. 

Pour  ma  part,  je  ne  connais  aucune  œuvre  antique  qui 
ressemble  à  cette  terre-cuite  et  permette,  par  rapproche- 
ment, de  la  compléter  ni  de  l'expliquer  de  façon  suffisante. 
Un  fait  n'est  pas  douteux  :  c'est  là  une  figurine  isiaque, 
comme  le  dénotent  clairement  le  voile  et  l'aigrette  formée 
d'épis  et  de  plumes.  De  plus,  il  est  infiniment  probable  que 
cette  Isis  est  l'isis  si  souvent  assimilée  à  Déméter,  et  considé- 
rée comme  déesse  de  la  terre  et  déesse  des  moissons.  On 
a  plusieurs  fois  relevé  la  liste  des  représentations  de  cette 
déesse  égypto-grecque  ;  on  a  souvent  étudié  son  caractère  i,  et 
je  n'ai  pas  à  refaire  ce  travail.  Mais  je  dois  remarquer  que 
l'on  n'a  pas  noté  encore,  que  je  sache,  une  représentation  de  la 
coiffure  isiaque  où  le  symbole  lunaire  soit,  comme  ici,  une 
simple  Stéphane  (un  croissant  renversé),  ni  une  tète  dlsis- 
Déméter,  où  ces  attributs  spéciaux,  les  épis  et  les  plumes,  soient 
plaqués  sur  la  tiare  ou,  pour  mieux  dire,  sur  le  polos  de  la 

I.  Voyez  Lafayo,  Histoire  du  culte  des  divinités  d'Alexandrie.  —  Dictionnaire  des 
antiquités,  art.  Isis.  —  Rosclicr,  Ausf.  Le.ricon  fiir  <trieck.  und  [iivm.  Mytholo<jie,ar[.  Isis. 


/|  lîLLLETIX    HISPAMQUE 

grande  déesse.  Toujours,  je  crois,  ces  ornements  symboliques 
se  dressent  comme  un  plumet  au-devant  du  front.  Donc  le 
syncrétisme  est  ici  plus  complet  et  plus  significatif. 

Surtout,  je  n'ai  jamais  noté  de  figurine  où  le  corps  soit  ainsi 
transformé  en  une  sorte  de  mannequin  habillé,  et  je  n'ai 
jamais  vu  d'exemple  de  cette  manière  de  stylisation  des  plis 
dune  draperie,  ni  des  plis  arrangés,  comme  ceux  du  voile 
de  cette  Isis,  en  spirale  ou  en  volute  purement  géométrique. 

Cette  étrange  disposition  du  corps  et  du  vêtement  porte 
à  se  demander  ce  qu'était  vraiment  l'objet,  que  je  n'ose  plus 
appeler  une  statuette.  Si  la  partie  inférieure  avait  été  conservée, 
sans  aucun  doute  la  destination  de  la  terre-cuite  aurait  nette- 
ment apparu;  mais,  actuellement,  j'avoue  n'avoir  trouvé 
aucune  explication  satisfaisante. 

Peut-être,  d'ailleurs,  n'est  il  pas  absolument  nécessaire  de 
s'arrêter  longuement  à  ce  problème.  Si  l'on  considère  le  type 
et  le  style  du  visage,  aussi  bien  que  la  combinaison  des  attri- 
buts symboliques,  si  l'on  remarque  l'empâtement  et  la  mol- 
lesse des  traits,  le  mélange  des  idées  grecques  et  des  idées 
égyptiennes  traduites  par  le  rapprochement  d'éléments  plasti- 
ques tout  à  fait  hétérogènes,  on  n'hésitera  pas  à  affirmer  que 
la  terre -cuite  du  Musée  Balaguer  est  une  œuvre  de  l'époque 
et  de  l'école  alexandrine.  On  sait  tout  ce  que  l'alexandrinisme 
a  tenté  et  osé  aussi  bien  en  art  qu'en  littérature,  et  les  fan- 
taisies pleines  de  hardiesse  auxquelles  il  se  complaisait.  Aucune 
création  mythologique  n'a  donné  lieu  à  plus  de  variantes  que 
celle  de  l'Isis,  qui,  simple  divinité  locale  à  l'origine,  est 
devenue  l'Isis  Panthea.  Il  n'est  donc  pas  surprenant  qu'appa- 
raissent de  temps  en  temps  des  images  encore  inconnues 
de  cette  déesse  polymorphe.  Celle  dont  je  viens  de  parler  me 
semble  des  plus  curieuses  et  non  des  moins  instructives. 

PlERIlE  PARIS. 


LA  NODRIZiV  DE  D^  BIANCA  DE  CASTILLl 


Del  matrimonio  de  Alfonso  Mil  de  Castilla,  llamado  el 
^oble  y  el  Bueno,  con  Dona  Leonor  de  Inglalerra  (i  170)  nacie- 
ron,  segun  el  eruditîsiiuo  P.  Fierez,  doce  hijos,  de  los  cuales 
seis  fueron  hembras. 

De  dos  de  estas  hijas,  D"  Constanza  y  D"  Mofalda,  hay  pocas 
noticias;  ambas  muiieion  sin  casar,  siendo  la  primera  monja 
en  las  Huelgas  de  Burgos.  Olra  hija,  D' Leonor,  fué  rcina  de 
Aragon;  y  las  reslantes  D''  Berenguela,  D"  Urraca  y  D'  Blanca, 
llamadas  tambicn  a  cefiir  respectivamente  las  coronas  de  Léon, 
de  Portugal  y  de  Francia,  son  bien  conocidas  de  todos,  no 
mas  por  el  relieve  de  su  personalidad  historica,  con  ser  grande, 
(jue  por  las  virtudes  que  en  ellas  resplandecieron. 

D"  Berenguela  nacio  en  11711,  segun  unos  (P.  Florez)  en 
Burgos,  segun  otros  (Golmenares)  en  Segovia.  Cuidaron  de  su 
crianza  dos  nodrizas  a  lo  que  parece  :  una  llamada  D  '  Estefania 
y  olra  D^  Elvira.  D"  Estefania  fué  recompensada  en  1181  por 
Alfonso  VIII  con  heredades  en  S"  Pedro  y  en  Fitero»;  y 
D"  Elvira  recibio  algunos  anos  después,  en  1189,  otra  donacion 
semejante  en  Fuente  PeraP. 

D"  Urraca  nacio  en  1 187  ^.  Fué  su  nodriza  una  senora  llamada 
D*  Sancha,  a  quien  el  rey  premio  con  heredad  para  dos  yugos 
de  bueyes  en  Castroverde,  a  8  de  Abril  de  i2o3^. 

De  D""  Blanca,  la  tercera  de  las  hijas  de  Alfonso  VllI  y  madré 

1.  Nunez  de  Castro,  Cronica  de  los  seFiores  reyes  de  Castilla,  Don  Sancho  el  Descado, 
Don  Alonso  el  Octavo,  etc.  Madrid,  iG65,  cap.  XXXVIII. 

2.  A  mi  pareccr,  estos  hcredamientos  corresponden  â  los  pueblos  llamados  hoy 
Itero  de  la  Vega  é  Itère  del  Gastillo,  situados  en  las  mârgenes  opuestas  d('l  ri'o  Pisuerga, 
en  los  limites  de  las  provincias  de  Paleacia  y  Burgos,  de  donde  séria  natural  probablc- 
mente  D"  Estefania.  El  privilcgio  en  que  consta  esta  donacion  lo  publiée  integro 
U.  Manuel  de  Miguel  Rodriguez  en  sus  Memorias  de  Fernando  lll,  Madrid,  iSoo,  pag.  329. 
Se  lialla  otorgado  en  Burgos,  i"  Mayo  ii8i.  Nufiez  de  Castro,  Crônica  de  Alf'  VIII,  â 
quien  signe  Florez  (Fteynas,  pâg.  Sgi),  dan  equivocadamente  â  este  documento,  que  per- 
tenecio  al  Hospital  del  Rey  de  Burgos,  una  fecha  de  tm  aiio  anteriôr,  ô  sea  ii8o.  El 
documento  alude  â  la  conquistadeCuenca,  cuyosucesotuvo  lugar  el  21  de  septiembrc 
de  1 177,  diciendo,  anno  quinlo  ex  quo  serenissimus  Rex  prefatus  A.  Concliam  fidei  xptiane 
subiugavit.  No  tiene  duda,  pues,  que  la  fecha  exacta  del   diploma  corresponde  â  1181. 

3.  Bcrganza,  ^;i<iguerfarfesrfe£spario,  tonio  II,  pâg.  119.  Los  hcredamientos  relatives 
â  esta  donacion  deben  corresponder  â  Peral  pcqueîio,  pucblo  â  orillas  del  Arlanza 
(Palencia)  cerca  de  Palenzuela. 

'i.  Florez,  Rey  nos  Catholicas,  pâg.  .^90. 
5.  Florez.  Ibidem,  pâg.  '|o3. 


6  BULLETIN    HISPANIQUE 

de  San  Luis,  solo  se  sabi'a  que  habia  nacido  en  Palencia  en 
1188  antes  del  k  de  Marzo,  segiin  probaron  JNuûez  de  Castro  y 
el  P.  Florez  con  un  privilégie  del  Archivo  de  Arlanza,  que 
lleva  aquella  fecha  seguida  de  estas  palabras  :  cmno  qiio  nata  est 
Paleniiae  Infantisa  Blonca  de  Regina  Alienor.  Se  ignoraba  hasta 
hoy  el  dctalle  no  Irascendental,  pero  si  curioso  é  interesante, 
de  quien  bubiera  cuidado  de  esta  infanta  durante  su  nifiez;  y 
V  iene  a  llenar  este  pequeno  vacio  en  la  biogralia  de  esta  inuger 
esclarecida  el  privilegio  que  copio  a  continuacion  (v.  pi.  II). 

(Crismon)  Presentibus  et  futuris  notum  sit  ac  manifestum  quod 
EGO  ALDEFONSUS  DEI  GRATIA  REX  casteUe  et  toleli  una  cum 
uxore  mea  Alienor  regina  et  cum  filio  meo(2)ferrando  facio  cartam 
donationis  concessionis  et  stabilitatis  uobis  sancie  lupi  dilecte  nutrici 
lilie  mee  nomine  blanca  et  coniugi  uestro(3)martino  garsiede  rusione 
uobis  et  filiis  ac  filiabus  uestris  et  posteris  et  omni  successioni  uestre 
perpétue  valituram.  Dono  itaque  uobis  et  conce(3)do  duos  uillares 
heremos  uidelicet  fontemsaldaniam  et  uillatriz  sitos  inter  saldaniam 
et  carrionem  cum  terris  uineis  aquis  riuis  mo(4)lendinis  piscariis 
pratis  pascuis  fontibus  et  nemoribus  et  defensis  et  cum  omnibus 
directuris  et  pertinentiis  suis  iure  hereditario  in  (5)  perpetuum  habendos 
et  irreuocabiliter  possidendos  ad  faciendum  de  eis  quicquid  uolueritis 
dando  uendendo  impignorando  concambiando  seu  quidlibet  aliud 
faciendo  (6).  Si  quis  uero  banc  cartam  infringere  uel  diminuere  pre- 
sumpserit  iram  dei  omnipotentis  plenarie  incurrat  et  régie  parti  .c. 
aureos  in  coto  persoluat  et  dampnum  quod  uobis  intulerit  duplatum 
(7) restituât.  Facta  carta  apud  burgis  Era  .M^  cc\  xxviir.  vi"  kalendas 
iulii.  Tercio  anno  postquam  serenissimus  A.  rex  castelle  et  toleti 
A.  regem  legionensem  cingulo  milicie  accinxit  (8)  et  ipse  A.  rex 
legionis  osculatus  est  manum  dicti  A.  régis  castelle.  Et  consequenter 
paucis  diebus  elapsis  sepe  dictus  A.  illustris  rex  castelle  et  toleti 
romani  imperatoris  filium  conradum  (9)  nomine  in  nouum  militum 
accinxit  et  ei  filiam  suam  berengariam  tradidit  in  uxorem.  Et  ego 
rex  A.  regnans  in  castella  et  toleto  banc  cartam  manu  propria  roboro 
et  confirme.  (10)  Gundissaluus  toletane  ecclesie  arcbiepiscopus  et 
hispaniarum  primas  confirmât.  (Dentro  del  signo  rodado)  SIGNUM 
ALDEFONSl  REGIS  CASTELLE.  (Al  rededor  del  signo)  Rodericus 
gutterrez  maiordomus  curie  régis  cf.  Didacus  lupi  alferez  régis  cf. 
(Cohimna  de  la  derecha)  Martinus  burgensis  episcopus  cf.  Ardericus 
palentinus  episcopus  cf.  Gundissaluus  secobiensis  episcopus  cf.  Cornes 
Petrus  cf.  Gomes  Ferrandus  nunii  cf.  Comes  Ferrandus  de  gallecia  cf. 
(Colamna  de  la  izquierda)  Gomez  garsie  cf.  Ordonius  garsie  cf.  Petrus 


L\    NODUIZA    UE    ir    BI,  VNCV    DE    CASTlLLi  - 

roderici  de  caslro  cf.  Petrus  roderici  de  guzmin  cf.  Willelmus  gundi- 
ssalui  cf.  Lupus  diaz  mcrinus  régis  in  castella  cf. 

Magisler  mica  Régis  nolarius.  Gutterrio  roderici  exislente  cancellario 

SCRIPSIT. 

Este  privilégie  ha  permanecido  inédito  hasta  hoy  y  parecerâ 
extrano  que  en  el  movimiento  de  investigacion  documentai 
del  siglo  xvni,  que  tantes  frutos  produjo  para  las  ciencias  his 
toricas,  pasara  desapercihido  :  por  lo  cual  voy  a  dar  brève 
cuenta  de  como  ha  llegado  u  mis  manos  y  como  pudo  escapar 
para  les  analislas  del  sigio  antécédente. 

Como  verân  los  amables  lectores  el  documente  en  cueslion 
es  una  donacion  de  Alfonso  YIII  y  de  D'  Leoner  a  Sancha 
Lopez,  dilecle  nutrici  fdie  mee  nomine  Blanca,  y  a  su  maride 
Martin  Garcia  de  Rusicjn  de  dos  heredades  en  Fuente  Saldana 
y  Villatriz,  situadas  entre  Saldana  y  Carrion  de  los  Condes. 
Esta  otorgada  el  26  de  junio  de  1190,  de  quince  a  diez  y  ocho 
meses  después  de  nacida  D"  Blanca.  Dicho  diploma  se  halla 
en  mi  poder  y  bajo  mi  custodia  hace  très  anos.  Recorrîa  yo 
entonces  la  hermosa  vega  del  rio  Carrion  y  me  detuve  à  con- 
templar  las  ruinas  del  monasterio  cisterciense  de  S'"  Maria 
de  la  Vega,  situadas  cabalmente  en  la  mitad  del  camino  que 
conduce  de  Carrion  a  Saldana.  AUi  supe  que  en  un  pueblecito 
cercano  existîa  algo  digno  de  ser  visitado,  y  alli  me  trasladé, 
bien  ajeno  de  sospechar  que  el  fruto  de  aquellas  investiga- 
ciones  habîa  de  ser  la  adquisicion  de  todo  el  archive  del 
monasferio  que  encontre  en  poder  de  un  vecino  de  aquel 
pueblo.  Por  las  circunstancias  del  caso,  que  no  referiré  en  este 
sitio,  me  convencî  de  que  tal  archive  se  hallaba  alli  por  lo 
menés  desde  principios  del  siglo  xix,  6  quizâs  antes.  Invo- 
cando  mi  cualidad  de  secretarie  de  la  Comision  provincial  de 
Monumentos  y  estimulado  por  mi  deber  para  que  aquel 
archive  ne  se  extraviara,  logré  adquirirle  en  conjunto  de 
mas  de  neventa  diplomas  expedidos  en  su  mayer  parte  desde 
fines  del  siglo  xn  hasta  mediados  del  xv. 

De  este  archive  extraigo  para  publicarle  por  primera  vez  el 
diploma  que  motiva  estas  lineas;  y  rindo  un  tribute  de  cortesia 
a  mi  excelente  amigo  M.  Pierre  Paris,  reservande  parael  Boletin 


8  BtJLLETIN    HISPAMQUE 

Hispdnico  que  dirige  las  primacîas  en  la  publicacion  de  un 
documento,  que  aun  refiriéndose  a  una  iluslre  dama  castellana 
pertenece  en  realidad  u  los  biografos  de  una   reina  francesa. 

Mas  volviendo  al  privilégie,  sâbese  por  él  que  crio  a  esta 
reina  una  sefiora  llamada  Sancha  Lopez,  natural,  segun  todas 
las  conjeturas,  de  la  Serna  (Palencia)  en  las  riberas  del 
Carriôn,  lugar  en  el  cual  recibe  heredades;  por  donde  résulta 
que  esta  reina  francesa  naciô  en  Palencia  y  una  mujer  de 
tierra  tambien  palentina  la  amamantô  y  crio. 

No  me  ha  sido  fâcil  determinar  que  heredades  fueron 
aquellas  a  que  se  refiere  el  diploma.  Presumo  que  Villatriz  es 
un  lugar  entre  Carriôn  y  Saldana  llamado  boy  Yillaturde;  y 
con  mas  fundamento  sospecho  6  mejor  dicho  sostengo  que 
Fuente  Saldana  es  algiin  despoblado  inmediato  a  la  Serna. 
Me  fundo  para  créer  esto  en  la  circunstancia  de  vivir  en  este 
pueblo  (entre  Carriôn  y  Saldana,  muy  cercano  al  monasterio 
de  la  Vega),  en  i234,  dos  hijos  de  Sancha  Lôpez  :  uno  llamado 
Don  Diego  Martinez  casado  con  una  D*  Mencia,  y  otra  llamada 
D"  Maria.  Consta  esto  en  otro  documento  del  mismo  archivo 
que  posée  tambien  la  Comisiôn  de  Monumentos;  este  docu- 
mento es  la  venta  que  otorgan  los  citados  hijos  de  Sancha 
Lôpez  al  monasterio  de  la  Vega,  en  septiembre  de  1284,  de 
todas  las  heredades  que  tenîan  en  la  Serna  y  que  sus  padres 
habian  ganado  del  Rey.  No  tiene  duda  que  estas  heredades 
eran  las  mismas  donadas  por  Alfonso  YIII,  puesto  que  se 
obligan  a  entregar  a  los  monjes  compradores  la  carta  de  dona- 
ciôn  regia.  Con  esta  aclaraciôn  se  explica  fâcilmente  la  exis- 
tencia  de  este  diploma  en  el  monasterio  de  S'"  Maria  de  la  Vega. 

Prescindo  de  ocuparme  en  senalar  la  gran  importancia  de 
este  privilégie  por  los  sucesos  con  que,  segùn  la  costumbre  de 
aquellos  tiempos,  senalaban  la  data,  sucesos  de  no  escasa 
trascendencia  histôrica,  porque  no  he  tenido  otro  propôsito 
que  utilizar  en  favor  del  pùblico  francés  el  dato  que  contiene 
relativo  a  D"  Blanca  de  Castilla. 

Fbancisco  SIMON  y  NIEïO, 

Correspondiente  de  la  Academia  de  la  Uistoria. 
Palencia,  20  de  noviembre  de  1902. 


ÀTE  RELEGÂTÂ  ET  MINERVA  RESTITUTÀ 


COMÉDIE     DE    COLLÈGE     REPRESENTEE     A     ALCALÂ     DE     HE.NARES 
EN     1009    OU     l54o 

Dans  une  page  du  Aolunie  consacré  au  théâlre  de  l'Huma- 
nisme et  de  la  Renaissance  de  sa  belle  histoire  du  drame 
moderne,  M.W,  Greizenach  a  récemment  appelé  l'attention  sur 
une  petite  comédie  latine  de  circonstance,  intitulée  Aie  relegaUi 
et  Minerva  restitiita,  qui  fut  représentée  à  Alcala  de  Henares 
devant  le  prince  héritier  Philippe,  soit  en  lôog,  soit  seulement 
en  i54o'.  Le  sujet  de  cette  pièce  est — sous  l'allégorie  du 
triomphe  de  Minerve  sur  la  méchante  Ate  et  le  médisant 
Momus  —  la  réconciliation  de  l'Université  d'Alcala  avec  son 
patron,  le  cardinal  archevêque  Juan  Tavera.  Le  manuscrit  qui 
nous  l'a  conservée  porte  le  n"  8762  du  fonds  latin  de  la  Biblio- 
thèque nationale  de  Paris;  c'est  un  cahier  de  4i  feuillets  du 
format  petit  in-A",  qui,  outre  VAte  relegaki,  contient  une  partie 
des  Suppositi,  comédie  latine  fle  Juan  Pérez  de  Tolède  imitée 
de  l'Arioste,  et  quelques  vers  latins  en  l'honneur  du  prince 
Philippe.  Il  semble  bien  que  ce  manuscrit  soit  autographe,  car 
les  corrections  qu'on  y  note  font  tout  l'effet  de  corrections 
d'auteur  2.  Pourquoi  tout  le  contenu  du  manuscrit  ne  serait-il 
pas  de  Juan  Pérez?  A  première  vue,  cela  semble  assez  probable 
et  ce  que  nous  savons  de  la  carrière  de  cet  humaniste  parle 
en  faveur  de  cette  attribution. 

Lorsque  l'Université  d'Alcala  se  décida,  vu  la  grande  afïlucuce 
des  élèves,  à  dédoubler  la  chaire  de  rhétorique  du  successeur 
de  Nebrija,  Juan  Ramîrezdc  Tolède,  dont  l'enseignement  avait 
obtenu  un  vif  succès,  le  recteur  et  les  professeurs   portèrent 

I.  Geschichte  des  neneren  Drainas,  Halle,  M.  Niemeyer,  1901,  t.  II,  p.  80. 

3.  En  tout  cas,  le  manuscrit  est  d'une  main  espagnole,  comme  l'indiquent  les 
graphies  bibrarem  (vibrarem),  explevil  (explebil).  obscrbans  (observans),  virisitudo  (vicis- 
situdo),  discesi  (disressi),  pertaessum  Cperlaesuiu),  J^etat,  (Jlectal),  etc. 


10  BLLLETIN    IllSPAMQUE 

leur  choix  d'abord  sur  Juan  Fernândez  de  Séville,  qui  passa 
bientôt  à  l'université  de  Coïmbre,  puis  sur  Juan  Pérez  de  Tolède  : 
«  Hœc  [altéra  cathedra  rhetoricae]  primum  loanni  Fernandio 
Hispalensi,  cuius  nunc  doctrina  Conimbricensis  Academia 
permultum  iuvatur,  deinde  lo.  Petreio  Tolekmo  commissa 
est,  iuveni  ingeniosissinio,  qui  non  ita  pridem  Complutum 
venerat,  »  nous  dit  Alvar  Gomezi.  En  quelle  année  cette  nomi- 
nation eut-elle  lieu?  Alvar  Gomez  ne  l'indique  pas,  mais  il  va 
de  soi  qu'elle  ne  saurait  être  postérieure  à  l'année  lôSy  : 
Gallardo  cite,  en  effet,  un  discours  de  rentrée  manuscrit  de  Juan 
Pérez  conservé  à  l'Escurial  qui  porte  ce  titre  :  Joanis  Petreii 
Toleiaiii,  Rhetoris  Complutensis,  Oratio  Complutis  (sic)  in  Studio- 
rum  initio  habita,  anno  1537 -^.  Juan  Pérez  mourut  jeune,  à  l'âge 
de  trente-trois  ans,  comme  nous  l'apprend  une  note  accompa- 
gnant le  distique  que  lui  composa  Luis  de  la  Cadena,  chance- 
lier de  l'Université  et  abbé  de  San  Justo  y  Pastor,  et  qui  se 
trouve  parmi  les  pièces  préliminaires  des  Comœdiœ  quatuor 
de  Juan  Pérez  imprimées  à  Tolède  en  lôy/i-  Le  distique  et  la 
note  se  lisent  comme  suit  dans  l'édition  : 

Ejusdem  [Ludovici  Cathenae]  Distichon,  foribus 
templi  affixum,  duni  idem  ejferretur. 

Effertur  iuenis  suijra  qui  se  extulit  omnes, 
Ingenio  iuvenes  eloquioque  senes. 

Mortem  obiit  anno  ciitatis  suse  trigesimo  teiiio3. 

h' A  te  retegata  a  dû  être  composée  quelque  temps  après  la 
mort  de  l'impératrice  Isabelle  (i"  mai  i539);  cela  ressort  d'un 
passage  de  la  comédie  où  Minerve,  s'adressant  au  prince 
Philippe,  lui  dit  :  «  Gratulor  sanctissimae  matris  memoriae,  » 
puis  de  deux  pièces  de  vers  latins  in  memoriam  insérées  dans  le 

1.  De  rébus  gestis  Francisco  Ximeiiio,  CisneriOf  Archiepiscopo  Toletano  Ubrioclo,  Alcalà, 
1669^  fol.  2a3. 

2.  Ensayo  de  una  Bibliotheca  espanola,  n"  34 ig. 

3.  Il  est  question  de  la  mort  de  Pérez  dans  une  lettre  de  Luis  de  La  Cadena,  sans 
adresse  et  non  datée,  qu'a  publiée  D.  Adolfo  Bonilla:  Claroruin  Hispaniensium  Epistolae 
ineditac,  Paris,  1901,  p.  40  (cf.  Bulletin  hispanique,  t.  IV,  p.  27C).  A  cette  lettre  sont 
jointes  la  copie  du  distique  et  celle  d'une  épitaphe  qui  figure  également  dans  l'édition 
des  Comœdiœ  quatuor. 


ATE  RELEGATA  ET  MIXERVA  UESTITUTA  1  I 

manuscrit  de  Paris  immédialcmeiit  après  la  comédie,  dont  la 
première  porte  l'adresse  :  u  Principi  Sercnissimo  obitum 
D.  matris  lugenti,  »  Or,  en  i53g,  Juan  Pérez  exerçait  son  pro- 
fessorat, puisque  ses  Progymnasmata  Artis  Rheloricae,  imprimés 
à  Alcala  par  Juan  Brooar,  sont  datés  du  mois  d'avril  lôSg».  Il 
vécut  encore  quelques  années  :  en  i542  et  en  lô^^i,  nous  le 
voyons  signer  une  épître  et  des  vers  latins  en  recommandation 
d'un  traité  de  rhétorique  et  d'un  ouvrage  de  théologie  sortis 
des  presses  d'Alcala-;  en  i5'44  aussi,  il  termine  son  poème  en 
l'honneur  de  sainte  Marie-Madeleine  dont  l'explicit  du  quatrième 
et  dernier  livre,  rédigé  par  lui-même  ou  par  son  frère  Antonio, 
est  ainsi  conçu  :  «  loannes  Petreius  Toletanus  miro  studio  ac 
piclate  erga  Divam  Mariam  Magdalenem,  hoc  Poëma  de  eius 
laudibus  aggressus,  anno  telatis  sua>  \XV,  mense  XI,  sœpe 
deinde  intermissum  ac  sa^pe  repctitum  absolvit  tandem  anno 
sua;  œtatis  XXXII  eodemque  ab  orbe  redcmpto  MDXLIIII, 
YII  Kalen.  Septem.,  idque  vouet  ac  dcdicat  eidem  Sanctiss. 
Diuae,  hoc  qualiscunque  (sic)  munusculo  sibi  cam  apud  Ghris- 
tum  Opt.  Max.  patronum  adoptatam  unice  cupiens^.  »  Cette 
déclaration,  combinée  avec  le  renseignement  fourni  par  Luis  de 
laCadena,  nous  enseigne  donc  que  Juan  Pérez  mourut  en  i545  : 
par  cela  même  il  est  bien  démontré  qu'il  a  pu  cinq  ou  six  ans 
auparavant  prendre  la  parole  au  nom  de  l'Université  d'Alcala 
dans  une  circonstance  solennelle. 

Au  surplus,  l'impromptu  joué  en  présence  du  prince  héritier 
répond  tout  à  fait  à  certain  côté  du  talent  de  Juan  Pérez.  On 
sait  qu'il  imita  en  latin  trois  comédies  de  l'Arioste  et  une  de 
Piccolomini  que  son  frère  Antonio  publia  à  Tolède  en  1574 '», 

1.  Gallardo,  Eiisayo,  n"  31 15,  et  Juan  Catalina  Garcia,  Ensayo  de  una  tipografia 
complutensc,  Madrid,  1S89,  n°'  i(j5. 

2.  Juan  Catalina  Garcia,  livr.  cité,  n°"  178  et  201. 

3.  Ce  passage,  ainsi  que  le  distique  de  Luis  de  La  Cadcna,  ont  été  reproduits  par 
D.  Grcgorio  Mayans,  dans  sa  notice  sur  Juan  Itérez  (Specim.cn  Bibliothecae  Hispano- 
Majansicmae...  ex  museo  Davidis  Cleinentis,  Ilannovre,  lyôS,  p.  117).  D.  Rarnôn  Menéndcz 
Pidal  a  bien  voulu  coUationner  les  deux  textes  sur  les  éditions  originales,  qui  n'existent 
pas  à  Paris.  Mayans,  dans  sa  notice,  dit  qu'Alvar  Gômez  a  parlé  de  notre  Juan  Pérez 
dans  une  lettre  adressée  à  Pedro  Rua,  que  lui  Mayans  se  proposait  de  publier.  Il  ne 
semble  pas  qu'il  ait  donné  suite  à  ce  projet. 

II.  Voyez  la  description  de  ce  volume  assez  rare,  dans  Pérez  Paslor,  La  imprenta-en 
Toledo,  Madrid,  1887,  n"  3i-.  Dans  sa  dédicace  au  recteur  et  aux  professeurs  d'Alcald, 
Antonio  Pérez  dit  qu'il  publie  ces  quatre  comédies  «  ex  multis  quas  nostcr  Petreius 
uobis  rcliquerat,  in  Academiaquo  Complutensi  edidcrat  ». 


12  BULLETIN    IIISPAMQUE 

et  Alvar  Gomez,  sans  préciser  autrement,  nous  apprend  quil 
égayait  souvent  l'Université  par  ses  compositions  comiques  : 
«  Laetam  ssepenumero  Academiam  fecit  facetissimis  comœ- 
diarum  argumentis.  »  Il  possédait  aussi  des  aptitudes  remar- 
quables d'improvisateur  :  «  Eius  tam  prompta  erat  et  cxtem- 
poralis  ad  dicendum  facultas,  tam  amœno  amne  et  perenni 
fluens  tamque  liquido  et  minine  turbido,  ut  medio  in  Latio 
natus  et  eruditus,  iudicio  etiam  Italorum,  qui  illum  audierant, 
videretur,  »  ajoute  encore  Alvar  Gomez  i.  Un  autre  de  ses  col- 
lègues, professeur  de  rhétorique  aussi,  Alfonso  Garcia  de  Mata- 
moros,  mentionne  à  son  tour  l'extrême  facilité  de  Juan  Pérez  à 
improviser  sur  n'importe  quel  sujet  :  «  Nec  illi  defuit  extempo- 
ralis  facultas,  vel  ultro  et  ex  consuetudine  declamanti,  vel  saepe 
etiam  adventu  procerum  et  virorum  nobilium  intercluso  ;  ubi 
non  paratum  aliquid  et  praemeditatum  recitabat,  sed  de  omni 
re  proposita,  quam  modo  intellexisset,  ornate  et  copiose,  et 
incredibili  quadam  suavitate  disserebat^.  »  Cela  étant,  il  ne 
serait  point  surprenant  que  ses  collègues  l'eussent  choisi  pour 
souhaiter  la  bienvenue  au  prince  Philippe  et  composer  à  cette 
occasion  une  sorte  de  divertissement  littéraire,  destiné  à  recon- 
quérir au  profit  de  l'Université  les  bonnes  grâces  du  cardinal- 
archevêque  Juan  Tavera.  Ce  personnage,  outre  ses  fonctions 
archiépiscopales,  remplissait  celles  de  Grand  Inquisiteur,  et 
Charles -Quint  l'avait  investi,  au  moment  de  partir  pour  les 
Pays-Bas,  en  octobre  iSSg,  de  la  charge  de  gouverneur  des 
royaumes  de  Castille  et  de  Léon  :  Tavera  se  trouvait  donc  à  la 
tête  de  l'administration  et  du  gouvernement,  il  remplaçait 
l'Empereur.  En  partant,  Charles-Quint  lui  ordonna  d'habiter  le 
palais  royal  avec  le  prince  Philippe  et  lui  laissa  des  instruc- 
tions avec  les  pleins  pouvoirs  qu'il  avait  coutume  de  laisser  à 
l'Impératrice.  Pendant  les  deux  années  que  dura  cette  régence, 
nous  dit  son  biographe,  Pedro  de  Salazar  y  Mendoza,  le  cardinal 
ne  sortit  pas  une  heure  de  son  diocèse  ;  il  séjourna  toujours 
soit   à   Tolède   même,  soit  à  Alcalâ,  soit  à  Madrid  ou  dans 


1.  De  rébus  geslis,  etc.,  fol.  aaS. 

2.  De  adserenda  Hispanorum  eruditione,  dans  Hph.  Garsiae  Malamori  Opéra  oinnia, 
éd.  de  Madrid,  17C9,  p.  5'i. 


ATi:    RELEG.VTA    ET    MINERVV    KESTITUTA  l3 

quelques  autres  localités  de  rarchevêché  i.  Ayant  auprès  de  lui 
et  sous  sa  garde  le  Prince  héritier  de  la  couronne,  qui  avait 
alors  une  douzaine  d'années,  on  conçoit  qu'il  ait  eu  l'idée  de 
lui  montrer  l'un  des  plus  grands  centres  d'études  de  l'Espagne,  la 
splendide  fondation  de  Cisneros.  J'ai  dit  plus  haut  que  la  visite 
pouvait  se  placer  en  lôSg:  j'ajouterai  ici  qu'elle  eut  lieu,  en 
tout  cas,  après  la  nomination  de  ïavera  au  poste  de  gouverneur 
des  royaumes,  qui  est  du  commencement  d'octobre,  et,  comme 
l'indique  un  passage  de  VAte  relegata,  très  peu  de  temps  après 
cette  nomination  :  «  Nostine,  »  dit  Minerve  à  Mercure,  «  virum 
notissimuni  omnibus,  merito  suo  praesulem  optimum  archiepi- 
scopum  Tolctanum,ç«em  modo  Caesar  regni  summae praefecil?» 
A  la  rigueur,  le  Cardinal  et  le  Prince  ont  pu  ne  venir  ensem- 
ble, pour  la  première  fois,  à  Alcala,  que  dans  les  premiers 
mois  de  i5/|0,  et  nous  savons  qu'ils  y  sont  venus  en  effet,  à 
cette  époque,  par  une  lettre  du  précepteur  du  Prince,  Juan 
Martinez  Siliceo,  datée  du  19  mars  i54o,  011  ce  dernier  rend 
compte  à  Charles-Quint  des  progrès  du  royal  élève  : 

En  lo  que  loca  a  la  enscùanza  dcl  Principe,  digo  que  en  latin  va  inuclio 
adelanlado.  y  anlcs  de  medio  ano,  como  crco,  podni  pasar  por  si  todos  los 
hisloriadores  que  han  cscrito,  por  dificullosos  que  sean,  â  lo  menos  con 
poca  ayuda  de  maestro  ;  en  el  hablar  latin  ha  arto  aprovechado,  porque  no 
se  habla  otra  lengua  en  todo  el  tiempo  del  estudio,  y  el  uso  le  harà  doto  en 
el  hablar  tanto  y  mas  que  la  leccion.  El  escribir  en  latin  se  ha  comenzado; 
tengo  esperanza  que  le  sucedeni  mucho  bien.  Los  dias  pasados  estiivo  su 
AUeza  en  Alcalâ  y  visité  ;i  todos  los  letores.  y  oyô  lo  que  leian,  y  pucdc  créer 
V.  M.  que  â  todos  los  entendio,  si  no  fué  al  que  leia  llebrayco,  y  holgô  tanto 
en  los  oir  y  entender  lo  que  decian  que  ningun  trabajo  le  fué  todo  el 
tiempo  que  los  oyô,  que  serian  mas  de  très  horas-. 

Comme  Siliceo  ne  dit  rien  d'une  comédie  qui  aurait  été 
représentée  ou  récitée  devant  Philippe,  il  faut  croire  que  ce 
n'est  pas  lors  de  cette  visite  que  VAte  relegala  fut  produite  par 
son  auteur  :  elle  le  fat,  ou  un  peu  plus  tut,  ou  un  peu  plus  tard. 

L'intérêt  de  la  [composition,  que  je  crois  devoir  juscju'à 
preuve  du  contraire  attribuer  à  Juan  Pérez,  réside  surtout  dans 
les  allusions  aux  affaires  intérieures  de  l'Université,  aux  rap- 
ports de  ses  membres  avec  l'archevêque  de  Tolède  dont  dépen- 

1 .  Chronico  de  el  cardenal  Don  Juan  Tavera,  Tolède,  i6o3,  p.  aaS. 

2.  Modesto  Lafucnte,  Ilistoria  gênerai  de  Espaha,  t.  XII  (Madrid,  f853),  p.  38i. 

Bull,  hispau.  ■, 


lA  BLLLETIN    HISPANIQUE 

dait  très  étroitement  la  création  de  Cisneros.  Les  archevêques 
de  Tolède  étaient  seigneurs  au  temporel  et  au  spirituel  d'Alcala, 
ils  nommaient  le  Gorregidor  et  le  Vicaire  général;  mais,  d'autre 
part,  les  privilèges  considérables  que  Cisneros  avait  obtenus 
de  l'autorité  pontificale  en  faveur  de  sa  fille  chérie,  l'Univer- 
sité, suscitaient  des  querelles  incessantes  non  seulement  entre 
les  étudiants  et  les  représentants  de  l'Archevêque,  mais  entre 
ceux-ci  et  les  membres  du  clergé  qui  à  un  titre  quelconque 
pouvaient  se  réclamer  de  la  juridiction  du  Recteur.  Si  un  clerc 
immatriculé  encourait  l'excommunication  du  Vicaire  général, 
il  s'adressait  au  Recteur,  lequel  faisait  intervenir  les  Conserva- 
teurs apostoliques  de  l'Université,  et  ceux-ci  excommuniaient 
le  Vicaire  pour  avoir  attenté  contre  les  privilèges  de  l'Univer- 
sité. Bref,  c'était  un  conflit  permanent  :  fuero  universitaire, 
d'un  côté,  droits  souverains  des  archevêques,  de  l'autre.  L'his- 
toire de  ces  luttes,  souvent  fort  vives,  sous  les  premiers  succes- 
seurs de  Cisneros,  a  été  contée  en  détail  par  Alvar  Gomez  dans 
le  livre  VIII  de  sa  biographie  du  Grand  Cardinal  et  a  été  résumée, 
d'après  cet  ouvrage,  par  D.  Vicente  de  la  Fuente,  dans  le 
tome  II  de  son  Hisloria  de  las  wiiversidades  (Madrid,  i885). 
Tavera,  ayant  succédé  à  Alonso  de  Fonseca  sur  le  siège  de 
Tolède  en  i534,  voulut  rétablir  l'autorité  assez  ébranlée  de  son 
prédécesseur,  qui  avait  beaucoup  bataillé  avec  les  universitaires 
et  tenté,  à  ses  dépens,  de  tirer  parti  des  rivalités  entre  étu- 
diants ultramontains  et  cismontains,  c'est-à-dire  entre  Castillans 
et  Andalous.  Homme  intègre,  laborieux  et  consciencieux,  mais 
d'un  esprit  étroit,  intransigeant  et  assez  intéressé,  plus  même, 
dit  Alvar  Gomez,  qu'il  ne  convenait  à  un  prélat  de  son  rang,  le 
nouvel  archevêque  Tavera  n'était  pas  d'humeur  à  se  laisser 
faire  la  loi  par  un  recteur  de  collège.  Son  austérité  ne  s'accom- 
modait pas  non  plus  des  fredaines  des  étudiants  dont  Fonseca, 
homme  du  monde  et  de  mœurs  faciles,  ne  s'était  guère  inquiété, 
et  que  Cisneros  lui-même  avait  souvent  tolérées  et  pardonnées. 
Il  menaça  l'Université  de  lui  donner,  comme  à  Salamanque,  un 
maestrescûelas  pour  la  ramener  dans  l'ordre.  Ce  projet  et  d'au- 
tres causèrent  un  gros  émoi  parmi  les  professeurs  ;  on  discuta 
beaucoup  des  deux  côtés,  et,  dans  la  chaleur  de  ces  controverses, 


ATE    llEI.l-dATA    El     Ml>EUVA    HESTITLT.V  10 

Tavera  laissa  échapper  parfois  des  paroles  assez  blessantes  et 
dures  :  «  Cisneros  n'a  jamais  rien  fait  de  plus  préjudiciable  à  la 
dignité  du  siège  de  Tolède  qu'en  fondant  cette  Université,  «  ou 
bien  :  «  Si  vous  voulez  quitter  Alcalu  :  à  votre  aise  ;  la  ville  ne 
s'en  portera  pas  plus  mal,  et  moi  je  n'en  demeurerai  pas  moins 
archevêque  de  Tolède  et  primat.  »  Les  universitaires  alors  cher- 
chèrent un  appui  à  Rome,  mais  le  vieux  cardinal  continua  avec 
opiniàlielé  à  défendre  ses  prérogatives,  nolammenl  en  ce  qui 
concernait  la  jnridiclion  de  l'ordinaire  sur  les  clercs  :  il  aurait 
peut-être  obtenu  gain  de  cause,  lorsqu'une  lièvre  l'enleva  le 
I"  août  i54o.  «  Eius  morte  Acadcmia  respiravit  et  velufi  longa 
tempcslate  iaclalis  lumen  quoddam  affulsisse  visum  est,  »  écrit 
avec  une  salisfaclion  non  tlissimulée  Alvar  Gomez.  L'Université, 
ajoute-t-il,  eut  en  lui  un  terrible  adversaire,  car  ses  qualités  de 
probilé  et  de  sagesse  donnaient  lieu  de  croire  qu'il  jugeait  plus 
équilablemcnt  et  voyait  mieux  ce  qui  était  à  faire  que  les  autres. 
L'Aie  relegalu  est  d'avant  la  période  aiguë  de  la  lutte;  elle  a  été 
écrite  précisément  au  début  de  ces  querelles.  Le  Cardinal  a  déjà 
manifesté  des  intentions  inquiétantes,  mais  il  est  permis  d'espé- 
rer que  de  bons  procédés  et  des  compliments  bien  tournés  le 
ramèneront  à  des  sentiments  plus  doux;  la  paix  peut  être  conclue 
sous  les  auspices  d'un  prince  royal,  il  faut  en  profiter.  Voilà  ce 
que  devait  penser  l'improvisateur  en  composant  son  Dialogus, 
dont  je  reproduirai  le  prologue,  qui  donne  le  canevas  de  la  pièce. 

.Vtc.noxac'  et  maleficii  doa.Miiicrvae  invidens,  quani  in  Gomphitensi  Aca- 
dcmia lionorifice  collocalani  vidcbat,  ut  cain  inde  excludal  dat  opcrani,  con- 
fcrt  cum  Monio,  nialcdiccnliae  dco,  consilia,  ut  ambo  cominuni  opère  illi 
apud  patronos  struant  calumniani  et  persuade[a]nt  illam  esse  Cardinali  Tole- 
tano  infestani.  Id  cgre  ferentem  Miuervam  recréai  Mercurius,  detectis  insi- 
diis,  et  ambo  illam  iniuriam  ulcisci  destinant  et  de  sceleralis  pœnas  sumcrc. 
Adest  Apollo  qui  a  love  nuncium  pcrfert,  ut  Ate  in  Turcas  cl  Barbares  rele- 
gctur.  Ea  relcgata,  in  Momum  etiam  saevire  volentibus  Vulcanus  adest,  a  love 
cum  mandatisid  fieri  probibens.  Fit  mentio  de  nuptiis  Minervae  cum  Nter- 
curio,  quod  postquam  illa  diu  dctrcctaverit,  tamdcm  ea  ratione  convincitur, 
ut  Mercurius  illam  apud  Cardinalem  commendet  diligenter.  Ad  illum  eun- 
libus  ofTert  se  Princeps  Serenissimus.  Ex  opinato  ^  ac  mutato  consilio  illum 
adeunt,  illum  salutant,  illi  gratulanlur,  productis  etiam  Gratiis  ad  actio- 
nem  graliarum.  Claudit  totam  aclioncm  Vulcani  convivium. 

I.  J'ai  parlout  remplacé  les  e  ccdilli's  par  ae. 

•i.  Ex  opinato,  expression  empruntée  à  un  mauvais  texte  de  Qulntilicn;  il  faut 
ex  inopinato  (voyez  Forcellini,  s.  v,  opiiiatum). 


l6  BULLETIN    HISPANIQUE 

La  première  scène  se  passe  entre  Minerve  et  Mercure.  La 
sage  déesse  paraît  fort  mécontente  et  très  agitée.  Après  de 
longues  pérégrinations,  elle  avait  enfin  et  à  grand'peine  décou- 
vert un  séjour  où  elle  pouvait  se  promettre  une  vie  heureuse 
et  tranquille,  et  voici  qu'on  la  regarde  de  mauvais  œil,  que 
l'on  conspire  contre  son  repos.  A  Mercure,  qui  se  présente  à 
sa  vue  et  qui  s'étonne  de  cette  mauvaise  humeur,  elle  raconte 
ses  infortunes.  Depuis  son  départ  forcé  d'Athènes,  cité  livrée 
maintenant  aux  Barbares,  elle  a  erré  de  côté  et  d'autre;  sa 
visite  aux  Brahmanes  et  Gymnosophistes  de  l'Inde  lui  a  causé 
une  première  déception,  et  elle  en  veut  beaucoup  à  ces  men- 
teurs de  Strabon  et  de  Philostrate  de  lui  avoir  tant  vanté  cette 
sagesse  orientale,  qui  est  une  pure  farce.  Puis,  confiante 
dans  la  rumeur  publique,  qui  proclamait  que  la  philosophie 
avait  élu  domicile  en  France,  elle  s'est  rendue  à  Paris  *:  elle 
n'y  a  entendu  que  des  bavards  parlant  un  jargon  inintelli- 
gible. Trompée  de  nouveau,  elle  a  pris  la  route  de  l'Italie;  là, 
subsistaient  bien  quelques  vestiges  du  beau  temps  des  lettres, 
mais  la  guerre  et  le  bruit  des  armes  l'emportaient  sur  tout  le 
reste,  et  Minerve  comprit  qu'elle  ne  serait  honorée  en  ce  lieu 
que  comme  déesse  guerrière.  Ce  fut  alors  qu'on  l'informa  de 
ce  que  venait  d'instituer  en  Espagne  ce  héros  digne  de  l'im- 
mortalité, le  créateur  du  collège  d'Alcalâ,  vrai  temple  de 
Minerve.  Aussi  y  est-elle  accourue,  et  la  réception  qui  lui  fut 
faite  dépassa  toutes  ses  espérances,  a  Je  resterai  donc  ici  quelque 
temps,  »  se  dit-elle.  Tout  ce  récit  est  d'un  tour  assez  agréable 
et  spirituel. 

Mercariiis.  Quas,  quaeso  te,  adivisli  nalioiies?  —  Minerva.  lam  scies.  Audie- 
ram  prinium  nescio  quos  Braginanos  et  Gimnos.ophislas  apud  Indos  qui 
philosopliarentur  mirabililer  de  tota  rerum  natura.  Eo  igitur  ubi  me  contu- 
llssem,  reperi  omnia  meras  fabulas,  ut  maie  saepe  sim  precata  Straboni  et 
Philostrato  et  reliquis  fabulatoribus  qui  me  suis  mcndaciis  eo  perpuleruut. 
—  Mer.  Hinc  tantum  itineris  frustra  emensa? — Min.  Imo  vero  remensa, 
nam  excepit  me  quidam  rumor  omnia  studia  philosophica  ad  Gallos  demi- 
grasse  ibique  Lutetiae  Parisiorum  enatas  ipsas  Athenas.  Ego  cupidilate 
incensa,  citatissimo  cursu  eo  contcndi,  promittens  mihi  omnem  illam  anti- 
quam  fœlicitatem.  —  Mer.  Quid  igitur?  An  non  invenisti?  —  Min.  Inveni 
genus  quod[d]am  philosophorum  inauditum  mihi,  o  Mercuri,  garrulum 
quidem,  loquax  et  obstreperum,  sed  quorum  linguam  non  magis  quam 
ranarum  intelligerem.  Latine  seilli  loqui  dicebant.  Ego  si  bene  olim  Roma- 


VTE    RF.I.EGAÏA    ET    MINEHVA    UESTITUTA  I7 

nos  novi,  non  magis  latine  loqucbantur  quam  graece.  Ilaquc  cum  intcUigcrc 
non  posscm  linguani,  inde  disces[t<]i  maie  me  habens.  —  Mer.  Atqui,  aiunt, 
nunc  ibi  el  graeca  et  lalina  studla  florere,  si  unquam  alias  fœlicissimc.  — 
Min.  Aiiiiit,  sed  ego  scmcl  delusa  non  ausim  repetere.  Itaque  inde  cxclusa 
decrcvi  Italiam  invisere  ipsamque  urbem  Romam.  si  quao  slarent  \estigia 
lilerarum.  Inveni  quidom  nonniliil  quod  me  remorari  posset,  sed  cum 
omiiia  bellis  slropcrenl  alquo  aiinis  infesfarentur,  magis  me  colebant  ea 
parle  qua  bellis  pracsum  quam  lilteiis.  inlerea  natus  est  ille  héros  immor- 
talilate  dignissimus  qui  hoc  Complutense  liceum  ercxit,  qui  hanc  domum 
mihi  sacravit  totaïuquc  istam  molem  instruxit  magnifico  literarum  omnium 
apparatu.  Ego  continuo  ubi  id  rescivi,  hue  advolo  summa  alacritate.  Ueperi 
omnia  ex  sententia,  exceijta  sum  humanissime,  culta  honorillcentissime  et 
ab  illo  heroe  supeditata  sunt  omnia  copiose;  nam  et  compluics  reperi  alum- 
nos  meos  Airos  cgregios,  sum[m]a  cruditione  praedilos,  doctrinis  omnibus 
excultos.  Itaque  perlubens  hic  mansi  aliquandiu. 

«  Eh  bien,  dit  alors  à  Minerve  le  messager  des  dieux,  puisque 
tu  es  maintenant  satisfaite  et  que  tu  vis  dans  un  milieu  où  l'on 
te  vénère,  que  te  manque-t-il  et  pourquoi  témoignes-tu  cette 
inquiétude?  —  Tu  connais,  n'est-ce  pas,  l'éminent  prélat,  l'ar- 
chevêque de  Tolède,  auquel  César  vient  de  remettre  le  gouver- 
nement de  ces  royaumes?  —  Sans  doute,  j'habite  constamment 
dans  sa  demeure,  et  quand  je  considère  la  vigueur  de  son 
esprit,  j'ai  honte  de  moi-même.  Mais  as-tu  donc  affaire  à  lui? 
—  Ah!  Mercure,  on  me  dit  qu'il  m'est  hostile.  —  Comment? 
Et  qui  t'a  dit  cela?  —  Ate  et  Momus.  —  De  jolis  garants!  Ne 
te  souvient-il  pas  qu'Ate  a  révolutionné  le  ciel,  que  Jupiter,  la 
saisissant  par  les  cheveux,  l'a  précipitée  sur  la  terre?  Ne  sais-tu 
pas  que  Momus  trouve  toujours  de  qui  médire  et  que  Jupiter 
lui-même  n'est  pas  à  labri  de  ses  traits? —  Oui,  lu  dois  avoir 
raison;  ces  méchants  m'ont  trompée,  il  faut  que  je  me  venge. 
Cherchons-les  et  faisons-leur  payer  cher  leurs  méfaits.  » 

La  scène  II  est  un  monologue  de  Momus,  et  c'est  l'un  des 
meilleurs  morceaux  de  la  pièce.  Momus  s'ennuie,  voilà  six  ans 
qu'il  rôde  autour  du  Collège,  épiant  ce  qui  pourrait  servir  de 
pâture  à  sa  médisance,  et  rien  ne  lui  est  apparu.  Que  faire  ? 
«  Mais  ce  grand  prélat  n'offrirait -il  pas  quelque  morceau  à 
mordre?  Sa  sobriété  excessive,  sa  dureté  envers  lui-même,  son 
travail  acharné  :  voilà  bien  des  défauts.  A  table,  voyez-le, 
comme  il  boit  peu,  et  encore  ce  peu  n'est-il  que  du  vin  dilué. 
Je  hais   ces  abstinents,  ces  buveurs  secs.  Est-ce  là  une  table 


10  nLM,r/n>'  hispanique 

archiépiscopale?  Ailleurs,  je  vois  des  évoques  qui  festoyenl 
comme  il  convient.  Sainte  abstinence,  dira-ton;  non,  je  dis 
moi  :  pure  hypocrisie...  Mais  j'y  réfléchis,  en  critiquant,  je 
loue.  Cette  vie  n'était-elle.pas  celle  des  premiers  pères  dont 
on  nous  prêche  l'exemple?  Allons,  il  faut  chercher  autre  chose. 
J'ai  trouvé.  Les  grands  personnages  comme  celui-ci  doivent, 
on  le  sait,  s'entourer  d'une  nombreuse  clientèle  de  gens  du 
monde,  de  brillants  parasites,  de  flatteurs,  d'histrions,  d'oisifs 
qui  leur  font  cortège  et  sur  lesquels  ils  répandent  leurs  faveurs. 

11  n'y  a  que  l'avare  qui  choisit  ceux  qu'il  gratifie;  le  propre  du 
grand  seigneur  consiste  à  répandre  au  hasard  ses  bienfaits. 
Or,  celui-ci  n'a  dans  son  entourage  que  des  hommes  sembla- 
bles à  lui-même  :  sages,  sérieux,  modestes...  Je  fais  encore 
fausse  route;  je  cherche  à  le  ridiculiser,  et  c'est  de  moi  qu'on 
rirait.  Attention,  j'aperçois  un  côté  faible  par  où  je  pourrai  le 
happer.  Il  consacre  tout  son  temps  aux  affaires  publiques,  au 
gouvernement  de  l'État,  au  Conseil,  à  l'examen  d'une  infinité 
de  questions  épineuses.  Ne  ferait-il  pas  mieux  de  se  donner 
des  loisirs,  de  vivre  pour  lui-même,  après  avoir  tant  vécu  pour 
les  autres  ?...  Oui,  mais  je  fais  ici  l'éloge  de  la  paresse,  et  l'on 
trouvera  plus  de  gens  pour  admirer  ses  excès  de  travail  que 
pour  l'en  reprendre.  J'enrage,  j'étouffe.  Avoir  tant  cherché  en 
vain!  Mais,  ô  bonheur!  voici  venir  Ate,  la  déesse  de  la  dis- 
corde, mon  amie  bien  chère,  qui  sait  toujours  fournir  des 
sujets  à  ma  raillerie.  Ces  jours  derniers,  elle  m'a  dit  qu'elle  se 
proposait  d'expulser  Minerve  d'Alcahi  et  qu'elle  avait  décou- 
vert le  moyen  de  la  brouiller  avec  le  Cardinal.  » 

Momus.  Quis  unquam  Momo  defuturum  putaret  quod  reprehenderet  ?  Sex 
iam  totos  annos  inhis  aedibus  versor  aliquid  aflectans,  inhians,  observans  quod 
reprehendam.  iNihil  occurrit  nisi  frigidum,  fictum,  ineptum  denique  quod 
me  pudeat  rei^rendere.  Atqui  solebam  ego  facile  reperire  quod  morderem, 
quod  subsanarem,  quod  lacerarem,  praescrtini  in  aulis  principum,  quae  res 
mihi  dabat  ad  lisus  et  san[n]as  argumentum  amplissimum;  sed  quoniam 
nihil  aliud  licet,  reprehendam  profeclo  vel  sandalium  Veneris.  Licebit  invenire 
colorem  aliquem.  Quid .'  Iste  ponlifex  tam  parvo  ulitur  victu,  tam  tenui.  Quid  ? 
Tarn  sobriusin  se  ij^sum  est  defraudans  genium  suum  seque  duriter  tractans, 
negotiis  totos  dies  confectus.  Ubi  ad  prandium  ventum  est,  sorbilat  vini 
haustulum  eumque  dilutissimum.  Odi  istos  abstemios  atque  potores  semper 
sobrios,  semper  siccos.  Sane  non  habet  ille  caenam  pontifîciam.  Video  ego  alios 
episcoposlauteepulantesetsplendide.  Hipocresisistaest.nonsanctimonia.  Sod, 


AIE    KELKGATA    ET    MINEUVA    UESTITITA  I  () 

miserum  me!  non  satis  quadrat  hoc  malediclum.  Sic  magis  laudo  duni  vitu- 
porare  conor,  nam  hic  erat  victus  priscorum  patrum  quorum  nos  oporlcl 
iuK  m)itatores  esse.  Invesligandum  est  aliud.  Habeo  oplimum.  Oportet  viros 
principes  atqueprimarios  nobiles  familiam  habere  referlam  lautis  hominibus. 
olegantibus  parasitis,  asscntatoribus,  mimis,  saltaloribus  ociosis  qui  subser- 
viantad  ostentationem,  magnificentiam,  apparatum,  in  quos  vel  Icmere  pro- 
fundat  opes  suas  et  pascat  innumeram  turbam.  Avaritia  est  deligere  cui  bene- 
lacias  ac  non  passim  temere  dissipare  pecuniam.  Hic  autem  omnes  habet  sui 
siiniles,  cordatos,  graves,  modestos.  Quanto  satins  erat  esse  multos  qui  loque- 
renturad  gratiam,  a  quibus  suas  laudes  audiret?  Sed  nihil  agis,  Mome,  desipis 
profecto  dum  nimium  alTectas  quod  rideas.  Te  ipsum  ridendum  praebes; 
sed  non  potest  efTugere.  Inveni  quod  rodam.  Totos  dies  impendil  publicis 
negotiis,  administrandae  reipublicae,  habendo  senatui,  cognoscendis  innu- 
nieris  causis.  Non  oportebat  illum  vacare  sibi  aut  ocium  aliquando  agere 
aut  sibi  vivere,  cum  hactcnus  vixerit  omnibus?  Sed,  miserum  me!  haec 
ociosorum  est  vita  et  eorum  qui  sub  praetextu  contemiîlationis  consulunt 
voluptatibus  suis.  Quanto  satins  est  homines  hominum  causa  natos 
esse  iuvandae  et  instituendae  reipublicae  gratia  nullum  laborem  detrcctare  ! 
Magis  est  mirandum  quod  ferre  tolum  onus  possit,  quam  reprehendendum 
quod  velit.  Crucior,  dirrumpor;  dolet  tantum  laboris,  lantum  insidiarum 
frustra  insumptum.  Alio  mihi  dimigrandum  est.  Vellem  nunc  habere  ubi 
exerceam  dentés  ;  sed  ego  hue  deam  Atim  venientem  video.  O  charum  caput 
qua  nulla  mihi  benevolentius  convenit,  nuUa  est  amicior  !  Dea  est  illa  discor- 
diae,  calumniae,  delationum,  rixarum,  hanc  egregie  charam  ut  oculos  habeo, 
nam  sug[g]erit  mihi  seniper  quod  rideam,  dum  alios  inter  se  odiis  et  litibus 
committit  et  usque  ad  sanguinem  pugnas  conscrit.  Modo  mihi  dixit  nescio 
quid  se  instruere  quo  Minervam  ex  hoc  Complutensi  domicilio  extruderet. 
ubi  illa  impense  delectatur,  atquc  ad  eam  rem  viam  reperisse  commodis- 
simam,  utCardinalisanimum  quantum  posset  alienaretab  ea  atque  irritaret; 
sed  vereor  ut  possit  facere.  Sed  per  me  non  stabit,  quoniinus  illi  omnem 
meam  commodem  operam.  Hic  tamen  prius  lubet  illam  paulisper  audire 
maledicentem,  nam  ea  mihi  sum[m]a  est  voluptas. 

Après  un  court  monologue  d'Ate,  les  deux  fauteurs  de  dis- 
corde se  mettent  à  converser.  Ate  explique  à  son  complice 
pourquoi  elle  est  venue  à  Alcalâ.  La  réconciliation  de  l'Empe- 
reur et  du  Roi  Très  Chrétien  a  ruiné  ses  projets;  elle  comptait 
sur  le  voyage  de  Charles  à  travers  la  France  pour  susciter  des 
troubles,  exaspérer  les  haines  anciennes,  mais  tout  a  tourné 
contre  elle,  les  deux  souverains  sont  maintenant  amis,  et  le 
Génie  de  César  qu'elle  a  rencontré  à  Paris,  après  l'avoir  dure- 
ment apostrophée,  l'a  saisie  par  sa  chevelure  et  lancée  par- 
dessus les  Pyrénées  :  a  C'est  pourquoi,  dit-elle  à  Momus,  tu  me 
vois  boiter.  »  Ate,  en  Espagne,  n'a  pas  perdu  son  temps  ;  elle 
a  vite  flairé  un  nouveau  motif  de  discorde.  C'est  elle  qui 
a  persuadé  Minerve  que  le  Cardinal  lui  en   voulail  :   il   faut 


20  BULLETIN    HISPANIQUE 

maintenant  exciter  le  Cardinal  contre  l'Université.  «  Et  com- 
ment t'y  prendras  tu?  dit  Momus.  —  Je  lui  prouverai  que  toutes 
ces  affaires  universitaires  sont  indignes  de  lui,  que  tout  ce 
qu'on  enseigne  à  Alcala  est  inepte,  que  la  dialectique  et  la 
philosophie  ne  servent  à  rien,  que  la  théologie  est  passée  de 
mode,  que  l'étude  des  langues  présente  de  grands  dangers.  — 
Et  tu  crois  qu'un  homme  comme  lui  se  laissera  convaincre  par 
tes  raisons i>  —  J'ajouterai  que  l'importance  prise  par  l'Univer- 
sité, ses  richesses  et  ses  privilèges  vont  à  l'encontre  des  droits 
de  l'Archevêque,  que  cette  Université  n'est  plus  qu'un  asile 
pour  les  scélérats  et  les  contempteurs  des  lois.  —  Gomment, 
parce  que  trois  ou  quatre  étudiants  ont  été  punis  par  leur  rec- 
teur, tu  parles  du  mépris  des  lois?  11  importe  au  bon  fonction- 
nement des  universités  et  aux  intérêts  des  gens  de  bien  qu'elles 
aient  leurs  privilèges  et  leurs  statuts  particuliers.  Quelles  lois 
a-ton  violées,  quels  homicides,  quels  sacrilèges  a-t-on  com- 
mis? Quoi,  parce  que  quelques  clercs  auront  coupé  des  choux 
ou  cueilli  des  pommes  dans  le  jardin  d'autrui,  on  dira  que 
l'ordre  public  est  menacé  !  Les  universités  ne  doivent  pas  être 
régies  par  des  magistrats  du  dehors,  même  si  de  cette  entorse 
au  droit  commun  devaient  résulter  quelques  inconvénients. 
—  Eh  bien  !  je  tâcherai  de  provoquer  sa  jalousie,  en  lui  mon- 
trant que  la  splendeur  de  l'Université  obscurcit  la  sienne 
propre.  —  Tu  ne  réussiras  pas  ;  il  n'est  pas  de  ceux  qui 
souffrent  de  la  gloire  des  autres.  —  On  dirait  vraiment  que  tu 
cherches  à  me  contrecarrer  en  tout!  —  Non,  je  voudrais  seu- 
lement l'éviter  de  fausses  démarches.  Je  ne  désire  rien  plus 
que  d'avoir,  grâce  à  toi,  des  sujets  d'exercer  ma  moquerie  sar- 
castique.  Au  surplus,  éloignons-nous  d'ici;  l'endroit  n'est  pas 
propice.  Mêlons-nous  à  la  foule  de  ces  beaux  seigneurs  qui  se 
croient  au-dessus  de  l'humanité  :  ceux-là  excitent  toujours  ma 
verve.  —  Mais,  que  vois-je?  Minerve  et  Mercure,  accompagnés 
d'Apollon,  viennent  à  nous.  Préparons-nous,  Momus,  aide-moi 
et  sers  mon  dessein.  »  Voici,  dans  le  texte  latin,  les  passages 
les  plus  curieux  de  cette  scène  : 

Momus  ...Quid  illi  [Cardinali]  dices?  Qua  oratione  uteris?  —  Ate.  Primum 
liapc  omnia  Complutcnsia  sordida  essp  et  \ilia  ot  indigna  cjuod  ille  prove[h]at. 


VIE    UELEG.VTV    ET    MINEKVA    RESllTUTA  21 

suo  favorc;  nam  nil  aliud  sont  quain  nugamcnta  quaedam  dialeclica  el  lîhi- 
losopliica  inopla  et  sine  uUo  usu  in  vita.  Tum  Uicologicis  sludiis  minime  est 
opus,  consenuit  iam  islhaec  disciplina  et  minime  grata  est  vulgo,  tum  linguac 
suspectae  sunt  et  intérim  perniciosae.  Donique,  ila  rem  traclabo,  ut  veris- 
sima  videalur.  —  Mo.  Quasi  vero  is  ilie  est  qui  facile  verbis  capiatur  ac  non 
norit  calumniam  a  vcritate  distingucre!  Ego  tibi  nunc  pro  illo  respondeo  : 
omnem  islam  orationem  experientia  réfutât,  nam  videmus,  postquam  haec 
gimnasia  erecta  sunt,  barbaricm  pulsam  ex  Mispania,  sacrarum  lilcrarum 
llorere  sludia  (uberrimum  sacrae  doclrinae  pabulum),  cum  vix  antea  unus 
aut  aller  reperiretur  qui  plebem  instrueret,  tum  linguae  ita  excolunlur  ut 
nuncpueri  in  utraque  lingua  praestent  quod  mircntur  senes.  Quid  habes  ad 
haec  quod  respondeas  ?  —  Ate.  Sine  me  progredi.  Addam  non  expedire  nec  esse 
tutuuï  satis  eius  gloriae  aut  nomini  tantas  hic  opes  in  medio  coalescere,  cxul- 
tare  illos  impune  el  in  aliéna  ditione  exercere  imperium,  nam  hic  nihil  aliud 
quam  asyluin  nefariis  hominibus  erectum  qui,  contemptis  legibus  el  magis- 
tratibus,  in  publico  grassentur.  —  Mo.  Qua  de  causa?  Quod  Ires  aut  quat- 
luor  scolastici  a  suo  magislralu  puniantur,  quae  hic  violantur  leges  cuius 
dignitas  aut  imperium  imminuitur?  Haec  fuit  bonorum  immunitas  et  stu- 
diorum  libertas  ut  haberent  privatas  leges  lorivataque  institula,  etiam  si 
nonnulli  facinorosi  ac  sediciosi  homines  reperircntur.  Tamcn  hi  in  studio- 
rum  et  bonorum  gratiam  suis  erant  dedendi  magislralibus,  sed  quam  multos, 
quaeso  te,  huius  inodi  reperisti  ?  Quos  vidisti  excitatos  tumultus?  Quas  leges 
violatas?  Quam  rempublicam  eversam?  Quae  homicidia?  Quae  sacrilegia? 
Quae  stupra?  Quod  teneros  caules  alicni  fregerit  horti  '  quispiam  aut  poma 
decerpseril,  haec  sunt  nefaria  illa  et  in  quae,  si  non  animadvertatur,  actum 
sil  de  republica  ?  Nescis  dis[s]ol\i  conventus  studiorum  si  alienis  magistratibus 
liceat  in  ipsa  exercere  imperium,  etiam  si  quis  in  ipsis  paruin  dignus  repeiua- 
tur?  Quam  multi  mali  bonorum  gratia-tollerantur  ! 

De  la  rencontre  d'Ate  et  de  Momus  avec  les  dieux  naît  un 
conflit  des  plus  vifs.  Minerve,  au  paroxysme  de  la  colère, 
interpelle  Apollon  :  «  J'espère  bien,  lui  dit-elle,  que  Jupiter  t'a 
chargé  de  précipiter  Ate  dans  le  Tartare. —  Elle  y  ira  sans  doute, 
mais  un  peu  plus  lard;  Jupiter  veut  d'abord  qu'elle  travaille 
au  triomphe  du  christianisme,  il  veut  qu'elle  se  rende  chez  les 
Turcs  et  les  Barbares  pour  y  semer  la  discorde,  et  les  amener 
à  se  détruire  eux-mcmes.  Après,  l'Empereur  n'aura  plus  qu'à 
monter  au  ciel,  laissant  au  prince  Philippe,  délices  du  genre 
humain,  la  charge  de  maintenir  les  glorieuses  conquêtes  de 
son  père  et  de  régir  ses  peuples.  »  Mais  Minerve  ne  s'apaise 
pas,  et,  apercevant  Ate,  elle  s'élance  sur  elle,  lui  déchire  le 

I.  Souvonir  des  vers  d'Horace  (Satires,  I,  3,  v.  1 15-117)  : 

Nec  vincet  ratio  hoc,  tantiindcm  ut  porrot  idemqup. 
Qui  teneros  caules  alieni  fre(jcril  liorti 
Et  qui  uocluruus  sacra  divum  Icg-erit. 


22  BULLETIN    HISPANIQUE 

visage  et  la  traîne  par  les  cheveux  sur  le  sol  :  «  Langue  impu- 
dente, qui  as  calomnié  le  Cardinal  en  nous  le  représentant 
comme  notre  ennemi,  tu  expérimenteras  aujourd'hui  que  la 
colère  de  la  fille  vaut  celle  du  père.  »  Les  autres  dieux  applau 
dissent,  et  Apollon  célèbie  sur  la  lyre  la  défaite  et  le  châti- 
ment d'Ate.  Reste  Momus;  mais,  au  moment  où  les  dieux 
s'apprêtent  à  lui  infliger  la  peine  qu'il  mérite,  voici  qu'appa- 
raît Vulcain,  qui  leur  enjoint,  au  nom  de  Jupiter,  d'épargner 
le  médisant  :  Momus,  de  par  la  volonté  du  maître  de  l'Olympe, 
doit  aller  à  Rome,  où  il  trouvera  de  quoi  se  repaître.  Jupiter 
estime  que  les  mortels  ont  besoin  d'un  censeur  malveillant, 
d'un  critique  acerbe  pour  les  rappeler  de  temps  à  autre  à 
l'ordre  :  la  crainte  de  la  médisance  est  chose  salutaire.  Momus 
saute  et  danse  de  joie,  il  devient  jovial  :  «  Dis  donc,  Minerve, 
pourquoi  n'épouserais-tu  pas  Mercure  ?  Ce  serait  la  consom- 
mation de  votre  triomphe. —  Ne  vous  l'ai-je  pas  dit?  riposte  la 
déesse,  tant  que  ce  chicaneur  sera  là,  nous  ne  pourrons  pas  être 
tranquilles.  — Eh,  dit  Apollon,  Momus  n'a  pas  si  tort,  —  Plût 
aux  dieux,  s'écrie  Mercure,  qu'il  parlât  sérieusement!  »  Et  les 
plaisanteries  d'aller  leur  train.  Minerve,  après  avoir  traité  ses 
interlocuteurs  d'impudents,  finit  par  s'adoucir;  elle  prête 
l'oreille  aux  raisons  d'Apollon  :  «  Faut-il  donc,  dit  le  dieu, 
que  la  sagesse  demeure  stérile,  ne  vaut-il  pas  mieux  qu'elle 
procrée?  Et  de  plus,  s'il  t'arrivait  malheur,  si  lu  mourais  sans 
postérité,  Jupiter  serait  contraint  d'extraire  une  nouvelle 
Minerve  de  son  cerveau.  »  L'argument  de  Mercure  semble 
aussi  la  toucher  :  «  Je  t'épouse  sans  dot.  »  Elle  se  décide  enfin, 
mais  sous  la  condition  que  Mercure  la  réconciliera  avec  le 
Cardinal.  Mercure  y  souscrit  d'autant  plus  volontiers  qu'il 
sait  à  quel  point  le  prélat  est  bien  disposé  :  <(  S'il  en  veut  ici 
à  quelques-uns,  tu  es  hors  de  cause.  Comment  le  plus  lettré 
des  hommes  ne  s'entendrait-il  pas  avec  la  protectrice  des 
lettres?  »  Il  est  décidé  que  tous  iront  présenter  leurs  homma- 
ges au  Cardinal,  et  déjà  les  dieux  l'aperçoivent  couvert  de  sa 
pourpre  et  assis  sur  son  trône.  Mais  qui  est  auprès  de  lui? 
«  C'est,  disent  Mercure  et  Minerve,  le  Prince  sérénissime.  Oh 
imprévoyants  que  nous  sommes!  Nous  n'avons  rien  préparé, 


ATi;    lŒLF.fJATA    KT    MINEUVA    UIÎSTITLTV  30 

pas  le  moindre  discours,  pas  le  plus  petit  compliment  qui 
soit  digne  d'une  telle  personne.  —  Ne  vous  tourmentez  pas, 
répond  Apollon;  vous  avez  une  excuse  toute  prête,  vous 
n'étiez  pas  prévenus.  » 

Après  cette  scène,  nous  avons  une  série  de  discours  adressés 
par  Minerve,  par  Mercure,  par  Apollon,  \  ulcain  et  Momus  au 
Prince  et  au  Cardinal,  qui  n'offrent  pas  grand  intérêt.  Toute 
cotte  prose  oratoire,  toutes  ces  protestations  de  dévouement  et 
de  fidélité,  tous  ces  panégyriques  très  enguirlandés  de  fleurs 
de  rhétorique,  ne  contiennent  aucune  allusion  à  des  détails 
précis  du  différend  entre  le  prélat  et  l'Université.  Il  suffit  de 
dire  que  la  députation,  à  laquelle  se  joignent  trois  Grâces,  im- 
plore la  protection  des  deux  hauts  personnages  et  les  invite 
à  présider  aux  noces  de  Minerve  et  de  Mercure,  qui  coïncide- 
ront avec  la  réconciliation  des  universitaires  avec  leur  patron. 
En  revanche,  la  fin  du  Dialogus  est  assez  divertissante.  Vwlcain 
veut  que  la  fête  se  termine  par  une  copieuse  libation,  il  veut 
faire  déguster  par  ses  compagnons  les  crus  renommés  de  San 
Martin  I  et  de  Santorcaz%  bien  supérieurs,  à  son  avis,  au  nectar 
divin. 

Minerva.  Et  \obis  quidem,  o  Gratiae,  agimus  gratias  pro  isthac  tam  bene- 
vola  opéra  et  ofïîciosa  ;  sed  nunc  quid  reliquum  est.' —  Apollo.  Quid  aliud 
quam  ut  huic  nubas  et  in  cœlum  redeamus,  ut  ibi  nuptiae  celebrentur 
opulentissime? —  Valcanus.  Imo  vero  hic  sedebitis  paululum,  nam  anirnus 
est  vos  omnes  potione  recreare  iucundissima,  quam  si  degustetis,  dicetis 
omne  nectar  prae  bac  esse  contemnendum.  Scitis  quam  slm  egregius 
pocilator  et  patinarum  instructor.  —  Momus.  Quid  vult  sibi  Vulcanus,  quid 
lautiab  hocexpectarepossumus? —  Val.  Sedete,  dii  festivissimi,  diiamicissimi, 
sede,  tu  Minerva,  atque  istum  omitte,  sede,  tu  Mercuri,  et  tu  Apollo.  Vos 
deinde,  virgines  bellissimae.  Tu  Morne,  sedeto,  sed  vide  ne  quid  perturbes. 
Gustabitis  potionem  omnium  suavissimam,  ac  primum,  lu,  o  Minerva, 
quae  nova  nupta  es  eademque  bellatrix,  accipe  ne  pudeat.  —  Mi.  Accipio  ne 
tuum  videar  non  exhilarare  convivium.  O  Jupiter  pater,  quid  hac  potione 
potest  esse  suavius?  Nos  dii  cum  simus  hac  caremus  voluptate.'  Quidnam 
istud  est,  o  Vulcane  ?  —  Vul.  Haec  est  potio  qua  utuntur  mortales,  vinum 
appellant.  —  Mi.  0  liquorem  divinum.  et  non  poterit  in  cœlum  importari  ? 

1.  II  s'agit  du  vin  de  .San  Martin  de  Valdeiglesias  (province  de  Madrid),  qu'on 
appelait  par  excellence  vino  del  sanlo.  Voyez  des  allusions  à  ce  cru  citées  par 
Clemencin  dans  son  Don  Quijotc,  t.  IV,  p.  aSo,  et  qu'il  serait  facile  de  multiplier. 

2.  Le  sanctus  Torquatus  du  texte  désigne  évidemment  Santorcaz,  bourg  du  district 
judiciaire  d'Alcalâ,  où  les  archevêques  de  Tolède  possédaient  un  palais  et  peut-être 
des  vignes. 


34  BULLETIN    HISPANIQUE 

—  Viil.  Non.  Corrumpitur  in  via.  Accipe,  tu  Mercuri;  hoc  te  poculum 
reddct  dissertiorem  quam  es.  —  Mer.  Et  lubens,  tametsi  saepe  alias  bibi,  nam 
quolies  me  lupiter  mittit  in  terras  aut  a  terris  redeo  in  cœlum,  semper 
iter  delecto  ad  salutandum  divum  Martinum  quem  tu  bene  nosli.  — 
Vul.  O  nomen  mihi  gratissimum,  sed  sanctum  Torquatum  cur  praetermittis? 
Age,  bibe,  tu  ApoIIo,  rubicundior  eris,  âge.  —  Apo.  lam  diu  est  quod  non 
gustaram  ex  quo  in  terris  exulebam,  sed  memini  me  dum  servarem  pecus 
Admeli  régis  oves  et  boves  vino  commutasse.  Nunc  minime  miror  si  poetae  istud 
bibentes  in  furorem  agantur  poeticum.  —  Mo.  Non  immerito,  o  Vulcanc. 
tibi  lupiter  hoc  dédit  muneris,  ut  in  convivio  pocula  ministrares,  qui  ita  sis 
ad  oinnem  civilitatem  inslitutus,  ut  nunquam  non  genu  fle[c]tas.  —  Vul.  Tu 
nondum  potus  incipis  essedicax?  Non  ego  tibi  ministrabo  telum  contra 
me,  nam  si  vinum  biberis,  quis  te  feret,  cum  sobrius  sis  tam  maledicus? 
Agite  vos,  virgunculae.  —  Eufrosina.  Apage.  —  Vul.  Bibendum  est  vobis.  — 
Ea.  Minime,  o  Vulcane.  —  Vul.  Fieri  non  potest  aliter.  —  Eu.  Emoriemur 
citius.  —  Vul.  Vel  pharmacum  putatc  quod  vobis  devorandum  sit.^  — 
Eu.  Quis  feret  improbitatem  tuam  ?  Degustabimus.  —  Vul.  Hoc  appellas 
degustare  quae  ciathum  exhauseris?  Vos  deinde  sequimini.  Tu,  Momc, 
quaere  qui  tibi  propinet.  —  Mo.  Malefacis,  Vulcane,  nam  si  ebrius  in  te 
dixero,  tribuetur  ebrietati.  —  Vul.  Nolo  te  irritare,  imo  vero  quo  mihi 
parcas  propinabo.  Ego  posthac  decrevi  offîcinam  meam,  quae  in  Sicilia  est, 
hue  transferre  in  monticulum  aliquem  vicinum  Sancto  Martino,  ne  toties 
mihi  tantum  spatii  percurrendum  sit,  dum  sitiens  anhelansque  ab  usque 
Aetna  monte  hue  propero.  Nunc  quid  reliquum  est  quam  ut,  refectis  iam 
viribus,  iter  agrediamur  quod  nobis  restât  longissimum?  Ego  intérim  hune 
ciathum  exhaurio,  nam  ad  iter  hoc  uterculo  utcunque  ero  satis  instructus. 

—  Mer.  Discedamus.  —  Mo.  Omnia  haec  vestra  mihi  videntur  praepostera, 
o  Mercuri,  nain  oportebat  has  alas  et  talaria  Vulcano  claudicanti  commo- 
dares.  —  Mer.  Facetum  habemus  in  via  comitem.  Nos  properemus.  Tu  vero, 
Princeps  serenissime,  Aale;  vos  reUqui,  valete  et  plaudite. 

Cette  scène  bachique  termine  fort  joyeusement  la  comédie, 
qui  comme  toutes  les  comédies  de  collège  a  de  temps  à  autre 
des  passages  assez  languissants  et  ternes;  ceux  que  j'ai  repro- 
duits permettront,  je  pense,  d'apprécier  suffisamment  le  talent 
de  l'auteur,  dont  l'ouvrage,  tout  de  circonstance,  ne  mériterait 
guère  d'être  publié  en  entier.  La  comédie  latine  n'est  ni  très 
abondamment  ni  très  brillamment  représentée  dans  la  littérature 
espagnole  '  :  raison  de  plus  peut-être  pour  ne  pas  omettre  d'en 
décrire,  au  moins  en  passant,  les  spécimens  les  mieux  réussis. 

Alfred  MOREL-FATIO. 


I.  Voyez,  à  ce  sujet,  une  note  de  D.   Adolfo  Bonilla,  dans  J.  Fitzmaurice  Kelly, 
Historia  de  la  Uteialura  espanola,  p.  229. 


MARÏÀNO   JOSE    DE   LÂRUl 


I 

El  romanticismo,  que  alla  por  el  ano  de  i83o  comienza  en 
EspaTia  a  imponer  sus  formulas  y  doctrinas;  que  renovo  brillan- 
temenle  el  arte  literario  y  entre  muchos  poêlas  lîricos  y  dra- 
muticos  produjo  artistas  de  tanto  valor  como  Espronceda, 
Rivas,  Garcia  Gutiérrez,  Hartzenbusch  y  Zorrilla,  solo  cuenta 
entre  sus  prosistas  a  Larra  como  escritor  de  primer  orden,  y 
Larra  por  desgracia  vivio  muy  poco,  pues  murio  a  los  veinti- 
ocho  afios  de  edad,  gasto  lo  mejor  de  su  ingenio  improvisando 
de  un  dia  para  otro  articulos  de  periodico,  literarios  6  de  cos- 
tumbres,  en  los  cuales  sin  embargo  se  funda  la  importancia  de 
sus  obras  ante  la  posteridad,  la  parte  principal  de  la  reputacion 
que  muy  mcrecidamente  conserva. 

Entre  los  romanticos  ocupa  y  llena  él  solo  un  momento 
importante  de  la  historia  de  la  escuela  en  su  pais  ;  fué  un 
iniciador,  abrio  el  primero  caminos  por  donde  los  demàs 
siguieron.  Su  Macfas  es  el  primer  drama  romantico  en  verso 
y  con  métros  variados  que  aparecio  en  Espana,  y  durante 
mucho  tiempo  se  represento  con  aplauso  en  los  tealros  de  su 
patria  y  de  la  America  espanola.  Su  novela  El  Doncel  de  don 
Enriqiie  el  Doliente,  en  que  sirve  también  el  mismo  Macîas  de 
protagonista,  es  la  mas  interesante,  la  mejor  trabajada  imita- 
cion  de  Walter  Scott  que  se  hiizo  en  lengua  castellana.  Como 
crîlico  dramatico  no  tuvo  rival  en  su  tiempo,  ni  dcspués  ha 
habido  quien  le  supere;  sus  juicios  del  Trovador  de  Garcia 
Gutiérrez^  de  los  Amanles  de  Teriiel  de  Hartzenbusch,  son  lioy 
todavîa  lo  mas  exacto,  justo  y  completo  que  se  escribio  sobre 
esas  dos  obras  capitales  en  cl  desarrollo  del  romanticismo 
espaùol.  En  fin,  sus  articulos  de  costumbrcs,  los  cuadros  sali- 


26  bl-lli;ti>  iiispamqle 

ricos  en  que  tan  vigorosamente  pinta  los  hombres  y  los  suce 
SOS  polîticos  de  su  época,  son  pequenas  obras  maeslras  que 
reproducen  con  tanla  gracia  y  pénétrante  observaciôn  como  el 
mismo  Cervantes,  y  con  dosis  extraordinaria  de  amarga  fran- 
queza  ademas,  la  vida  pûblica  y  privada  de  Espana  en  aquel 
periodo  verdaderamente  critico,  cuando  con  Fernando  VII 
agonizaba  el  régimen  opresor  de  absolutismo  y  predominio 
teocratico,  y  con  su  hija  Isabel,  todavia  entonces  en  la 
infancia,  crecfa  y  se  ensayaba  otro  régimen  de  monarquîa 
limitada  y  libertad  relativa.  Pero  antes  de  fenecer  lo  uno  y  de 
afirmarsc  i:n  tanto  lo  otro,  debia  mediar  un  espacio  confuso, 
incierlo,  borrascoso,  de  sinsabores  y  tristezas  infinitas.  Dentro 
de  él  precisamente,  durante  sus  siete  ù  ocho  afios  mas  revueltos 
y  sombrîos,  empieza  y  acaba  la  vida  literaria  de  Mariano  José 
de  Larra. 

Yino  al  mundo  en  Madrid  el  a  no  de  1809,  hijo  de  un  médico 
militar,  que  a  pesar  del  odio  tan  extendido  entre  los  espaùoles 
contra  el  invasor,  se  mantuvo  al  servicio  de  las  tropas  del 
emperador  Napoléon.  Cuando  el  ejército  francés  comenzo  en 
1812  la  retirada  final  de  la  penînsula,  entraron  también  padrc 
é  hijo  en  Francia.  ^o  volvio  Larra  à  su  pais  hasta  1817,  y 
volvio  sin  saber  hablar  bien,  como  era  natural,  ni  el  castellano' 
ni  el  francés,  aunque  un  poco  mejor  el  segundo  que  el  primero. 
Con  motivo  de  la  profesion  del  padre  no  tuvo  al  principio 
domicilio  fijo,  después  intentô  en  varias  universidades  el 
estudio  del  derecho  con  objelo  de  hacerse  abogado  :  asi  lo  dice 
el  autor  de  la  biografîa  que  précède  a  la  edicion  madrileaa  de 
las  llamadas  Obras  Complétas.  Segun  las  Mcmorias  de  un  seten- 
lôn  de  Mesonero  Romanos,  era  medicina  lo  que  estudiaba  en  la 
Universidad  de  Madrid'.  Pero  la  fortuna  escasa  de  la  familia, 
el  carâcler  poco  manso  y  poco  dùctil  del  joven  y  las  aficiones 
literarias  que  desde  el  principio  mostro,  le  hicieron  desistir  de 
ese  primer  proposito,  y  establecido  después  en  la  capital,  con 
un  pequeno  empleo  del  gobierno,  no  suficientc  para  darle  lo 
necesario  para  vivir,  mayormente  desde  que  cometio  la  locura 

I.  Lo  supongo  crror  de  Mesonero.  En  otro  lugar  dice  cqiiivocadamente  que  Larra 
muriô  âlos  treintay  tin  anos  {Memorias de  un Selenton,'S\d,ûvïd,  1881,  t.  II,  pâgs.  53  y  85). 


MAIUANO    JOSE    DE    LARK.V  37 

de  casarsc  a  los  veiiile  afios  en  pleno  desacuerdo  con  su 
familia,  se  eiitrego  por  fin  al  cullivo  de  las  letras,  «  recurso 
casi  siempre,  dicc  en  uno  de  los  numéros  del  Pobrecito  liabla- 
dor,  del  que  no  ha  lenido  otro.  »> 

Engolfado  en  el  movimiento  literario  de  la  capital,  comenzo 
entonces  la  vida  de  café,  de  leatro.  de  redacciones  de  periodico, 
escribiendo  sin  césar,  arreglando  del  fiancés  y  haciendo  repre- 
sentar  dramas  y  comedias,  reuniéndose  en  el  café  del  Principe, 
el  Parnasillo,  como  le  Uamaban,  con  los  principales  escritores 
y  artistas  de  la  época,  aunque  ninica  llego  a  crearse  entre  ellos 
vcrdaderas  simpatias,  a  causa,  segûn  Mesonero,  de  «su  innata 
mordacidad  ».  A  medida  que  iba  creciendo  su  reputacion  y  se 
pagaban  mejor  los  productos  de  su  pluma,  entraba  mas  y  mas 
en  el  gran  mundo  madrileno,  donde  su  juventud,  su  talento, 
su  porte  élégante  y  sus  maneras  corteses,  predisponîan  desde 
luego  en  su  favor.  Alli  se  formé  relaciones  de  todo  género, 
anudo  intrigas  amorosas,  una  de  ellas  tan  véhémente  y  con- 
trastada  que  lo  arrastro  al  suicidio,  disparàndose  una  pistola 
en  la  sien  en  su  propio  aposento,  al  lado  de  la  pieza  en  que  se 
hallaban  su  esposa  y  sus  très  hijos.  Triste,  penoso  fin,  mas 
irrémédiable,  falalmente  inévitable;  la  entrevista  tragica  con 
la  mujer  amada,  que  precedio  inmediatamente  al  desenlace, 
no  hizo  mas  que  precipitarlo.  Basta  leer  la  série  de  opusculos 
admirables  escritos  por  Larra  en  los  ûltimos  seis  meses  de  su 
vida  para  quedar  dolorosamente  convcncido  de  que  sucedio  lo 
que  por  fuerza  ténia  que  suceder,  lo  que  ningiin  recurso 
humano  hubiera  podido  evitar. 

En  estas  pocas  lîneas  esta  rcsumida  toda  la  historia  de  su 
vida,  lo  que  de  ella  importa  saber  para  comprendcr  bien  sus 
escritos.  Podemos  ahora  irlos  siguiendo  paso  à  paso. 

Cuando  à  los  veinte  anos  se  hallo  en  Madrid,  desconocido, 
con  cargas  de  familia  y  forzado  a  buscar  el  sustento  por  medio 
de  su  pluma,  puso  naturalmente  en  el  teatro  su  principal  espe- 
ranza  de  fortuna.  No  era  cosa  bien  retribuida  la  ocupacion  de 
autor  dramatico,  pero  éralo  de  todos  modos  mejor  que  cual- 
quieraotra.  De  ella  vivian  ya  Breton  de  los  Herreros  y  Gil  y 
Zarate,  ambos  mayores  que  él  pues  nacieron  en  1796,  y  habian 


28  BULLETIN    HISPANIQUE 

hecho  ya  représentai'  comedias,  que  si  no  muy  buenas,  no 
son  de  las  peores  entre  las  suyas,  como  A  Madrid  me  vuelvo 
del  primero  y  Un  afïo  después  de  la  boda  del  segundo.  También 
Ventura  de  la  Yega,  que  era  casi  de  la  misma  edad  que  Larra, 
se  ejercitaba  ya  entonces  en  esas  traduccioncs  y  arreglos  del 
fiancés  en  que  tan  especialmente  llego  a  distinguirsc.  Para 
ganar  algo  era  preciso  trabajar  mucho,  porque  la  tarifa  de 
precios  era  bien  baja  ;  los  que  mas  caro  se  pagaban  obtenîan 
de  los  empresarios  por  cada  pieza  y  por  toda  remuneracion 
una  suma  de  trescientos  a  cuatrocientos  francos,  y  luego  del 
editor,  por  la  propiedad  absoluta  de  la  obra,  no  mas  de  ciento 
Ycinte  y  cinco  :  eso,  segùn  el  mismo  Mesonero  Romanos,  fué 
lo  que  Breton  y  Gil  recibieron  por  las  dos  comedias  citadas 
arriba,  a  despecho  del  buen  acogimiento  que  merecieron. 
Empresarios  y  editores,  de  acuerdo  en  ello  con  el  pûblico, 
daban  tan  poca  importancia  a  la  Question  de  arte,  sentîan  tan 
reducida  confianza  en  la  imaginacion  y  valor  propio  de  los 
autores,  que  pagaban  suma  igual  por  las  piezas  traducidas  y 
por  las  originales  I.  Asi  se  comprende  que  hubiese  Ventura  de 
la  Vega  trabajado  durante  veinte  afios  y  traducido  mas  de 
setenta  piezas  del  francés,  antes  de  producir  la  primer  obra 
exclusivamente  suya,  El  Homhre  de  mwido,  estrenada  en  i845. 

Dio  a  luz  Larra  sin  éxito  alguno  su  primer  trabajo  periodis- 
tico  en  1828,  a  los  diez  y  nueve  afios;  él  mismo  reconocio  la 
debilidad  de  ese  ensayo  precoz,  que  en  forma  de  cuadernos  a 
intervalos  irregulares  publico  bajo  el  nombre  de  El  Duende 
satirico,  no  incluyéndolo  en  la  primera  coleccion  de  sus  arti- 
culos  formada  en  i835. 

El  27  de  Abril  de  i83i  se  estreno  con  gran  favor  en  el 
teatro  una  comedia  en  cinco  actos  titulada  No  mas  mostrador. 
Muchos  la  han  creîdo  siempre  obra  original  de  Larra;  cl 
Marqués  de  Molins,  contemporâneo  y  amigo  particular  suyo, 
la  ténia  por  tal  todavia  medio  siglo  después,  y  asi  lo  afirma 
en  su  interesante  biografia  de  Breton  de  los  Herrerosa.  iSo  lo 
es  en  realidad,  aunque  se  encuentren   en  ella  pedazos  ente- 

!.  Mesonero  Romanos,  op.  cit.,  t.  II,  pâg.  05. 

2.  Breton  de  los  Ilerreros...  por  cl  Marqués  de  Molins.  Madrid,  i883,  pâg.  i55. 


MARIANO    JOSÉ    DE    I.ARHA  29 

lamenle  suyos,  ademus  de  que  en  la  armazon  gênerai  do  la 
pieza  se  reqnerîa  una  tarea  de  ajuste,  cooidinacion  y  reileno, 
que  Larra  muy  bien  desempeno. 

Sobre  dos  originales  franceses,  el  vaudeville  en  un  aclo  Les 
adieux  au  comptoir  de  E.  Scribe  y  la  comedia  en  très  que 
el  2  de  Fructidor  del  ano  X  de  la  repûblica  francesa  hizo 
repiesentar  en  el  teatro  Louvois  M.  Micliel  Dieulafoy  con  el 
titulo  de  Le  portrait  de  Michel  Cervantes,  estan  construidos  los 
cinco  actos  de  No  mas  mostrador. 

La  piececita  de  Scribe  suministra  la  materia  del  primer 
acto  y  mitad  del  scgundo  en  la  comedia  de  Larra.  Sugiere 
ademas  el  desenlace,  idéntico  en  ambas.  Tratase  de  un  malri- 
monio  de  comerciantes  enriquecidos  :  la  mujer,  dona  Bibiana, 
llena  de  afectacion  y  aspiraciones  nobiliarias,  prétende  que  su 
marido,  don  Deogracias,  abandone  la  tienda  y  se  preste  a 
alternar  eon  ella  en  la  buena  sociedad  y  buscar  algun  partido 
brillante  para  su  hija  Julia.  El  bonachon  de  marido  quiere 
por  su  parte  casarla  con  el  hijo  de  uno  de  sus  corresponsales, 
a  lo  cual  la  obstinada  y  dominante  mujer  resueltamente  se 
opone.  Scribe  desenvuelve  y  desenlaza  esta  situacion,  vulgar  y 
mil  veces  explotada,  con  su  habituai  maestria  y  compone 
en  suma  un  vaudeville  à  couplets  ligero  y  amable.  La  accion 
en  él  se  anuda  inventando  don  Deogracias  que  el  novio 
por  él  preferido  se  haga  pasar  ante  dofia  Bibiana  como  un 
Conde  de  titulo  conocido  y  protolipo  de  elegancia  madrilefia. 
Ello  se  aclara  en  seguida  y  todo  acaba  bien. 

Larra,  deseoso  de  beneficiar  mayor  terreno  extendiéndose 
hasta  cinco  actos,  toma  de  la  comedia  de  Dieulafoy  '  la  idea  de 
hacer  aparecer  en  carne  y  huoso  al  susodicho  Conde,  el  cual  a 
su  vez  por  una  série  de  combinaciones  que  no  importa  recordar. 
asume  el  nombre  y  la  situacion  del  primer  pretendiente,  y  de 

1 .  La  comedia  esta  bastante  bien  escrila  y  la  acciôn  se  supone  pasar  cl  dia  mismo  de 
la  muerte  de  Miguel  de  Cervantes.  Alguien  proponc,  como  un  episodio,  hacia  cl  fin 
del  segundo  acto,  al  protagonista,  que  es  un  pintor  llamado  Morillos,  la  cspecu- 
laciôn  de  hacer  cl  rotralo  del  «  pobre  diablo  >>  que  acaba  de  fallecer,  porque  desdcnado 
en  vida  no  podrfa  menos  la  gente  de  querer  poscer  después  de  niuerto  su  vcrda- 
dera  eligie,  pues  nosehabîa  hecho  antes  otro  relrato.  De  ahi  el  titulo.  Résulta  de  ello 
simplcmcnte  una  série  de  juegos  de  escena  y  falsas  rcprcsentaciones  del  supuesto 
cadâver,  pcro  del  verdadero  Cervantes  no  se  trata  mâs. 

Bull,  hispnii.  3 


3o  BULLETIN    HISPA.MQUE 

uno  en  otro  quid  pro  quo,  alguno  bien  foi'zado  é  inverosimil. 
se  arriba  languidamente  al  termine  del  quinto  acto,  renuncia 
dona  Bibiana  a  sus  ridîculas  nociones,  pide  perdon  a  su  marido 
y  compendia  este  la  moral  casera  de  la  obra  con  estas  palabras 
antes  de  caer  el  telon  :  ((  Gasaremos  a  nuestra  hija  y  nos  honra- 
remos  con  el  trabajo,  que  si  algo  hay  vergonzoso  en  la  vida,  no 
es  el  ganar  de  corner,  sino  el  no  hacer  gala  cada  uno  de  su  pro- 
fesion,  cuando  es  honrosa.  »  Moraleja  bien  llana  y  vulgar,  pero 
no  mucho  mas  que  la  proclamada  por  don  Diego  al  finalizar  el 
Si  de  las  ninas  :  «  Esto  résulta  del  abuso  de  la  autoridad,  de  la 
opresion  que  la  juventud  padece...  » 

El  argumento,  como  se  ve,  no  es  ni  bastante  original  ni 
muy  interesante,  y  a  partir  del  segundo  acto  el  andar  de  la 
pieza  no  es  todo  lo  râpido  que  debiera.  El  éxito  que  alcanzD 
se  explica  ûnicamente  por  sus  méritos  de  forma,  la  viveza  del 
diâlogo  y  la  transparente  elegancia  del  lenguaje;  sin  duda  por 
eso  se  conserve  mucho  tiempo  en  el  répertorie  usual  de  las 
companîas  de  comicos  trashumantes  en  Espafia  y  America. 

Hasta  los  dîas  de  Moratîn  no  se  encuentran  en  la  moderna 
literatura  espanola  comedias  en  prosa  bien  escritas.  La  prosa 
castellana  se  presta  dificilmente  al  género  cômico.  Jovellanos 
en  el  Delincuenie  honrado  y  otros,  siguiendo  huellas  de  Diderot 
6  de  Sedaine,  escribieron  con  buen  estilo  dramas  en  prosa, 
pero  en  cuanto  a  comedias  la  gran  tradiciôn  francesa  del 
siglo  xvm,  que  va  del  Turcaret  de  Lesage  pasando  por  Marivaux 
hasta  llegar  al  ingeniosîsimo  Beaumarchais,  apenas  tuvo  en 
Espana  seguidores.  Breton,  es  verdad,  escribio  en  prosa  su 
primera  comedia,  A  la  vejez  viraelas,  y  tradujo  otras  del  fran- 
cés,  todo  antes  que  Larra;  pero  el  talento  de  Breton  no  brilla 
mas  que  en  verso.  Su  prosa  es  siempre  cualquier  cosa,  mien- 
tras  que  su  facilidad  de  versificar  es  una  perenne  mara villa. 

Moratin  es  discipulo  declarado  de  Molière;  entre  sus  come- 
dias se  encuentran  cuatro  en  prosa,  dos  originales  y  dos  tra- 
ducidas,  prosa  excelente,  de  intachable  correcciôn,  llena  a 
menudo  de  verdad era  gracia  comica,  pero  en  el  Si  de  las  ninas 
hay  poco  para  hacer  reir;  es  una  comedia  sentimental,  casi  un 
drama,  excepte  el  desenlace.  De  los  dos  unices  actes  de  El  Café 


MAUIANO    JOSÉ    DE    LARBA  3l 

6  La  Comedia  Nueva  el  segundo  carece  enteramente  de  interés 
dramatico,  y  en  el  primero,  a  pesar  del  vigor  satîrico  con  que 
pone  en  ridîculo  los  poetastros  de  la  época,  dehilitan  su  cfecto 
las  tiradas  de  don  Pedro,  el  personaje  por  cuva  boca  habla 
Moralin  mismo,  que  es  siempre  pesado,  de  una  severidad 
antipatica,  aunque  no  sea  esta  evidentemenle  la  intencion  del 
autor.  De  sus  dos  traducciones  de  Molière,  el  Médico  a  palos, 
ûnica  que  siempre  se  représenta  con  aplauso,  es  un  sainete 
en  très  actos,  no  una  verdadera  comedia;  un  fin  de  fiesta, 
«  una  farsa  muy  alegre  y  muy  bufa,  cual  las  demanda  el  gusto 
vulgar.  »  como  de  ella  dijo  Voltaire. 

Los  discipulos  6  continuadores  de  Moratin,  es  decir,  Goros- 
tiza  y  Martinez  de  la  Rosa  primero,  luego  el  fecundo  Breton, 
escribieron  en  verso,  si  no  todas,  las  principales  de  sus  obras. 
La  buena  comedia  en  prosa  puede  considerarse  relegada  al 
olvido  y  nada  hubo  entonces  en  Espana  que  revelara  esfuerzo 
serio  de  cultivar  el  género  que  ha  cubierto  a  Francia  de  gloria 
en  el  siglo  xix. 

Larra.  que  no  aspira  a  tanto  como  acercarse  a  Molière,  que 
tiene  mas  bien  algo  de  Beaumarchais,  del  Figaro  a  quien  luego 
habîa  de  tomarle  el  nombre,  no  llega  ciertamente  a  la  perfec- 
ciôn  de  forma  caracteristica  en  Moratin;  tampoco  lo  busca.  Su 
estilo  mas  suelto,  mas  animado,  no  produce  la  impresion  de 
frialdad,  de  durcza,  de  pulimento  excesivo  que  conserva  la 
prosa  de  Moratin.  Manejada  por  Larra  la  lengua  castellana  se 
adapta  mas  fâcilmente  al  efecto  teatral,  asi  como  se  presta 
mejor  a  un  estudio  profundo  de  caractères,  a  la  punzante 
amargura  de  una  salira  que  va  mucho  mas  lejos  que  la  de  su 
ilustre  predecesor.  Pârrafos  como  el  siguicnte,  llenos  de  frases 
brèves,  expresivas,  transparentes,  que  imprimen  desde  luego 
todo  su  efecto  en  el  cspectador,  son  raros  en  Moratin.  Hallase 
en  la  primera  escena,  la  exposicion  de  la  comedia,  y  no  se 
encuentra  nada  parecido  en  el  vaudeville  de  Scribe  : 

«Mira,  mujer.  Bibiana  Gartucho|eras  cuando  me  enamoré 
de  ti,  por  mi  mala  estrella  ;  con  Bibiana  Cartuclio  me  casé,  que 
ojalâ  fuera  mentira,  para  purgar  mis  pecados  en  este  mundo  ; 
y  para  mi  Bibiana  Garhicho  bas  sido,  ères  y  seras  hasta  que 


52  BULLETIN    HISPANIQUE 

me  muera  ;  y  si  te  mueres  tu  aiites,  en  tu  lapida  he  de  poner  : 
aqui  yace  Bibiana  Cartuclio,  y  nada  mas.  »  He  conocido  en  mi 
ninez  muchos  aficionados  al  teatro  que  sabian  de  memoria  esas 
lineas,  hoy  ya  completamente  olvidadas. 

Gon  mas  confianza  ahora  en  sus  propias  fuerzas  y  apoyado 
en  la  notoriedad  que  a  su  nombre  habia  dado  el  éxito  de  la 
comedia,  emprendio  en  Agosto  de  iSSa  la  publicacion  de  El 
Pobrecito  Hablador,  Revista  satirica  de  costumbres,  etc.,  por  el 
bachiller  don  Juan  Pérez  de  Mangala,  que  a  inlervalos  irregu- 
lares,  como  el  Duende  satirico  anterior,  estuvo  apareciendo  hasta 
el  mes  de  Marzo  dcl  ano  siguiente.  La  confianza  del  editor  era 
sin  embargo  moderada,  cual  convenia  a  un  joven  de  veintitres 
anos  que  se  érige  en  censor  de  costumbres,  se  propone,  como 
dijo,  «  la  sâtira  de  los  vicios,  de  las  ridiculeces  y  las  cosas  » 
y  anuncia  en  el  articulo-prospecto  que  la  publicacion  no  sera 
siempre  original,  que  publicaiâ  materiales  traducidos,  arre- 
glados  6  refundidos,  algo  asi  como  «  una  capa  con  embozos 
nuevos  » .  En  virtud  de  este  sistema,  mas  comodo  que  plau- 
sible, es  el  primer  artîculo  del  primer  numéro  una  simple 
adaptacion  a  costumbres  espafiolas  de  otro  del  escritor  francés 
Jouy,  tan  célèbre  en  los  tiempos  del  primer  Imperio  bajo  el 
nombre  de  «  El  Ermitano  de  la  Chaussée  d'Antin  ».  Pero  no 
tarda  el  Pobrecito  en  soltar  los  andadores  y  casi  todo  el  resto 
de  la  série  es  original. 

Mesonero  Romanos  descubre  en  sus  Memorias^  particular 
empeno  de  hacer  constar  que  la  publicacion  de  Larra  comenzo 
en  Agosto  de  1882  y  que  sus  articulos  de  costumbres,  luego 
reunidos  bajo  el  titulo  de  Panorama  Matritense,  aparecian 
desde  Enero  del  mismo  aîio  en  las  Cartas  espanolas.  Vano 
empeno  ciertamente.  Como  cuestion  de  forma  articulos  de 
costumbres  insertos  en  periodicos  no  habîan  de  constituir  un 
nuevo  géiiero  literario  solo  por  ser  espanolas  las  costumbres 
retratadas,  pues  antes  y  después  de  Jouy,  que  publico  a  prin- 
cipios  del  siglo  las  Observaciones  de  su  Ermitano,  se  trazaron 
cuadros  satiricos  del  mismo  modo.  En  cuanto  al  fondo,  jamas 
ha  habido  algo  entre  si  mas  desemejante  que  los  articulos  de 

I.  Mesonero  Homanos,  op.  cit..,  i.  II,  pâg.  «S'i. 


Luira  y  las  Escenas  Matrilenses.  Sin  salir  delPobrecilo  IJablacior, 
muy  inferior  a  todo  lo  que  después  produjo  Larra  con  el  seu- 
donimo  de  Figaro,  nunca  fuc  Mesonero  capaz  de  llegar  al 
grado  de  agudeza  y  de  vigor  que  hay  en  trabajos  como  el  Cas- 
lellano  viejo,  Emperlos  y  desempenos  6  Vuelva  Vd.  manana,  artî- 
culos  ya  notables,  aunque  sin  la  superioridad  de  pensamiento 
ni  la  tragica,  elocuente  misantropîa  de  los  ùltimos  escritos  de 
su  eminente  conlemporaneo.  El  estilo  asî  como  la  observacion 
del  Curioso  Parlante  tienden  al  suelo  por  su  propio  peso,  son 
de  una  llaneza  exceslva,  mientras  que  la  frase  de  Figaro  se  viste 
de  alas  y  colores  que  naluralmente  la  elevan  y  abrillantan. 

Cansado  de  luchar  contra  la  censura  suspendio  Larra  la 
publicacion  de  sus  follclos,  a  pcsar  de  recibidos  por  el  piiblico 
con  algun  favor,  éxito  bien  de  apreciarse  en  aquellos  dîas 
en  que  el  mismo  Pobrecito  Hablador  nos  cuenta  que  no 
pudo  llegar  a  averiguar  si  eu  el  pais  no  se  leîa  porque  no  se 
escribîa,  6  no  se  escribîa  porque  no  se  leia.  Un  rayo  inesperado 
de  luz  en  medio  de  las  tinieblas  del  ominoso  reinado  de  Fer- 
nando VII  vino,  gracias  a  la  ûltima  esposa  del  monarca,  a  ilu- 
minar  por  brève  término  el  horizonte  en  1882  é  infundir  la 
esperanza  de  un  poco  de  libertad  para  las  letras,  del  derecho 
siquiera  de  escribir  todo  aquello  que  en  nada  lastimase  los  inte- 
reses  permanentes  del  trono  y  de  la  iglesia.  Ya  Larra,  con 
objeto  de  conciliarse  la  censura,  habîa  quemado  hasta  inmode- 
radamente  incienso  a  los  pies  de  Fernando  en  uno  de  los  prime- 
ros  numéros  del  periôdico,  dando  gracias  a  tan  benévola 
Majestad  por  una  série  de  beneficios  que  enumera,  entre  otros 
por  haber  mandado  sustituir  el  suplicio  del  garrote  al  de  la 
borca  para  las  frecuentes  condenaciones  a  muerte  que  entonces 
ocurrian. 

Pero,  con  incienso  6  sin  incienso,  el  resultado  habîa  de  ser 
el  mismo.  La  vislumbre  de  esperanza  se  desvaneciômuypronto. 
El  régimen  no  aflojaba  las  férreas  trabasy  el  Pobrecito  Hablador 
murio  porque  donde  quiera  que  vol  via  los  ojos  encontraba  «  una 
pared  que  fuera  locura  pretender  derribar  ».  Suspendio  pues 
la  publicacion,  advirtiendo  para  descargo  de  su  conciencia  que 
«  si  numéros  enteros  han  sido  dedicados  à  objetos  de   poca 


34  BULLETIN    HISPANIQUE 

importancia,  no  hasido  porquefuese  tal  nuestra  intencion,  sino 
por  la  naturaleza  de  las  cosas  que  nos  rodean  »,  con  lo  cual 
aludia  a  la  inexorable  censura  de  la  manera  velada  en  que 
era  posible  hacerlo. 

II 

El  romanticismo  entro  priniero  en  Espana  por  medio  de 
Walter  Scott,  de  sus  traductores  franceses,  niejor  dicho  : 

((  Me  he  ajustado  con  un  librero  para  traducir  del  francés  al 
castellano  las  novelas  de  Walter  Scott,  que  se  escribieron  ori- 
ginalmente  en  inglés,  y  algunas  de  Gooper...  Doce  reaies  me 
viene  a  dar  por  pliego  de  imprenta,  y  el  dia  que  no  traduzco, 
no  como.  «  Estas  palabras  pone  el  Pohrecito  Hablador  en  boca 
de  un  «  autor  de  todos  conocido,  que  es  hombre  de  mérito». 

La  filiacion  por  lo  tanto  es  directa  y  légitima.  Walter  Scott 
tradujo  al  inglés  en  su  juventud  el  primer  drama  de  Goethe  y 
la  Leoiior,  balada  famosa  de  Burger,  obras  que,  en  cierto  modo, 
puede  decirse,  despertaron  en  él  nuevo  ardor  poético  y  lo 
encaminaron  por  nuevas  sendas  literarias.  Francia  tradujo  al 
novelista  escocés  y  a  su  imitador  americano,  y  de  Francia 
pasaron  a  despertar  tambien  en  Espana  la  afici(jn  a  la  nueva 
literatura.  No  olvido  que  la  Francia  estuvo  en  contacto  por 
otros  rumbos  con  Alemania,  pero  aqui  liablo  solo  de  Espana, 
adonde  ni  el  libro  de  la  baronesa  de  Staël  ni  las  traducciones 
de  Goethe  y  Schiller  llegaron  hasta  mucho  mas  adelantado 
el  siglo. 

Durante  los  ùltimos  anos  de  Fernando,  hasta  su  muerte 
en  i833,  los  rigores  de  la  censura  se  ejercian  por  igual  sobre 
escritos  espanoles  y  sobre  los  que  se  importaban  del  extranjero. 
No  penetraban  fâcilmente  en  Madrid  las  primeras  obras  de  los 
românticos  franceses,  sospechosas  desde  luego  por  su  proce- 
dencia,  su  carâcter  innovador  y  el  poco  respeto  que  las  infor- 
maba  hacia  la  dignidad  real,  tal  como  en  Espana  se  comprendîa  ; 
y  si  bien  Larra,  que  conocîa  perfectamente  el  francés,  lograria 
probablemente  leer  las  novedades  de  Francia,  de  seguro  que 
muy  pocos  en  Espaiîa  pudieron  poseer  y  saborear  los  libros  de 
Victor  Hugo  y  demâs  românticos,  hasta  que  espiro  el  monarca 


MAKIANO    JOSE    DE    LAHK  V  O.) 

y  comenzo  a  levantarse  la  densa  niebla  que  cubiîa  el  pais.  En 
ese  ano  ullimo  y  sombrio  de  la  vida  del  monarca  acopiô  los 
maleriales  y  compuso  Larra  su  novela  El  Doncel  de  don  Eurique 
el  Doliente,  publicada  a  principios  de  183/4. 

Tiene  enteramente  la  apariencia  de  una  novela  de  Scott  ;  el 
mismo  corte,  el  mismo  andar  lento  de  la  narracion,  dialogos 
largos,  capitulos  sin  tîtulo,  siempre  precedidos  de  un  epîgrafe 
en  verso,  tomado  generalmente  de  alguna  balada  6  romance 
antiguo,  y  al  principio  de  la  obra  una  râpida  ojeada  sobre  la 
historia  y  las  costumbres  de  la  época  en  que  pasa  la  escena. 
Pero  la  semejanza  real  ahi  termina;  argumento,  personajes, 
episodios,  todo  lo  demas  es  enteramente  espafiol,  aunquc  haya 
juicios  de  Dios  como  en  Ivanhoe,  pasadizos  que  se  rompen 
como  en  Kenilwor/h  y  algun  otro  detalle  que  recuerde  al 
novelista  escocés. 

La  leyenda  de  la  vida  y  muerte  tràgica  de  Macias  el  Enamo- 
rado  era  popularîsim.a  en  toda  Espafia,  desde  Galicia,  donde 
nacio  el  porfiado  amador  en  torno  de  cuyo  nombre  se  han 
adberido  multitud  de  noticias  fabulosas^  hasta  los  opuestos 
confines  de  la  peninsula.  En  el  siglo  xv,  en  la  época  en  que 
era  Dante  el  inspirador  de  toda  una  provincia  de  las  letras 
espafiolas,  casi  no  hubo  escritor  que  dejase  de  componer  un 
Infierno  mas  6  menos  imitado  directamente  de  la  Divina 
Comedia;  todos  en  él  cantaron  y  Uoraron  su  desastrado  fin.  El 
Marqués  de  Santillana  reproduce  débilmente  el  Nessun  maggior 
dolore  de  Francesca  para  ponerlo  en  boca  de  Macias  : 

La  mayor  cuyta  que  avei- 
Puede  ningiiu  amador 
i  Es  membrarse  del  placer 

En  el  tiempo  del  dolor. 

Pero  Larra  no  cuida  de  seguir  puntualmente  los  pormenores 
de  la  leyenda,  taies  como  por  primera  vez  aparecen  reunidos 
y  completados  por  Argote  de  Molina  en  su  .\obleza  del  Anda- 
luzia.  El  argumento  ejerce  sobre  él  una  especial  atraccion,  pues 
lo  trata  dos  veces,  primero  como  novela,  luego  como  drama. 
Ambas  obras  sin  embargo  solo  tienen  de  comun  el  nombre  del 
protagonista,  la  pasion  adultéra  y  el  desenlace  sangriento,  este 


36  BULLETIN    HISPANIQUE 

mismo  diferente  por  los  detalles  en  uno  y  otro  caso.  Las  demâs 
escenas  son  en  ambas  muy  distintas. 

Demuestra  el  autor  haber  estudiado  con  algùn  cuidado  la 
historia  gênerai  de  Espaîïa  y  de  Europa,  durante  los  primeros 
anos  del  siglo  xv  y  ùltimos  del  anterior,  al  trazar  el  fondo  de 
su  cuadro.  Hay  un  esfuerzo  real  de  reproducir  con  aproximada 
exactitud  el  periodo  especial  en  que  encierra  su  pintura.  Es 
verdad  que  de  Macîas,  el  protagonista,  apenas  se  sabe  cosa 
alguna  con  certeza,  ni  la  fecha  de  su  nacimiento  ni  la  de  su 
muerte,  casi  nada  mas  que  su  condicion  de  enamorado  à 
outrance  y  las  cinco  composiciones  que  le  atribuye  el  Cancio- 
nero  de  Baena  y  que  artîsticamente  valen  poco.  Los  otros  per- 
sonajes,  principalmente  don  Enrique  de  Villena  y  su  esposa 
Maria  de  Albornoz,  que  en  la  novela  hacen  gran  papel,  fueron 
en  realidad,  segùn  las  cronicas  y  las  historias,  bastante  dife- 
rentes  de  como  Larra  los  describe  y  présenta,  habiéndose  con 
razon  creido  dueîio  de  acomodarlos  a  su  fantasia. 

Las  costumbres,  la  indumentaria,  los  mil  detalles  de  la  vida 
privada,  no  se  ajustan  bien,  conforme  opinion  gênerai  de  los 
crîticos,  a  la  verdad  estricta;  el  mas  reciente,  Menéndez  y 
Pelayo,  en  las  Observaciones  preliminares  del  tomo  X  de  las 
Obras  de  Lope  de  Vega,  dice  :  «  El  que  buscara  en  su  obra 
colorido  arqueologico,  se  Uevaria  solemne  chasco.  »  El  juicio 
me  parece  severo  en  demasia.  Larra  sin  duda  no  era  arqueologo 
ni  coleccionador  de  curiosidades  como  Scott,  pero  da  pruebas 
de  haber  leido  con  cuidado  en  busca  de  detalles  los  poetas, 
cronistas  y  escritores  de  la  época,  de  haber  visitado  con  aten- 
cion  museos  de  armas  y  antigûedades,  de  haber  seguido  con 
mucho  cuidado  textos  antiguos  como  el  Libro  de  Monteria,  y  la 
impresion  del  lector  comùn,  al  acabar  la  novela  después  de 
haber  aprendido  multitud  de  cosas  poco  sabidas,  no  concuerda 
con  la  de  los  criticos.  Lo  que  en  ella  falta  considerada  bajo 
este  aspecto  no  creyo  probablemente  Larra  que  era  muy  nece- 
sario,  y  se  abstuvo  de  anadir,  como  Scott  mismo  y  otros  en 
casos  anâlogos,  notas  y  referencias  al  final  para  darla  a  no 
gran  costa  de  erudito.  Eso  hizo  el  Duque  de  Rivas  en  su  Moro 
Expôsito,  novela  en  verso  del  género  de  las  de  Scott,  y  logro 


MAniA>0    JOSÉ    DE    I.VKKV  3" 

liacer  créer  a  criticos  del  peso  de  Alcalà  Galiano  y  Enrique  Gil 
que  era  el  poema  del  mas  exacto  y  admirable  colorido  local. 
Iloy  es  imposible  poner  fe  en  la  erudicion  del  Duque  ;  auto- 
ridad  tan  compétente  como  D.  R.  Menéndez  y  Pidal  nos  afirma 
que  completamente  desconocîa  la  Edad  Media  espaiïola».  Ni 
siquiera  hay  que  liar  en  la  exactitud  de  las  listas  de  autoridades 
de  las  dos  grandes  notas  finales,  pues  cita  autores  que  ni  aun 
tratan  del  asunto  a  que  se  refiere^ 

Puede  hoy  todavia  ser  leido  con  gusto  y  provecho  el  Doiicel 
de  don  Enrique;  si  no  despierta  el  palpitante  interés  de  Iva/ihoe 
6  Quintin  Durivard,  no  es  en  conjunto  inferior,  por  ejemplo,  al 
Cinq-Mars  de  Alfredo  de  Vigny,  una  de  las  très  mejores  novelas 
del  género  historico  en  Francia  durante  el  perîodo  romantico. 
Las  otras  dos,  como  es  sabido,  son  la  Crônica  del  tiempo  de  Carlos  IX 
por  Mérimée  y  Notre-Dame  de  Paris.  Vigny  imita  también  mucho 
y  muy  de  cerca  a  Walter  Scott,  es  indudablemente  mas  poêla 
que  Larra,  y  los  personajes  de  su  novela,  Richelieu,  Luis  XIII, 
Ana  de  Austria,  el  padre  José,  tienen  para  todo  el  mundo  una 
importancia  que  no  puede  compararse  con  las  figuras  del  triste 
y  pàlido  periodo  de  la  historia  de  Castilla  escogido  por  el 
novelista  espafiol.  En  Cinq-Mars,  como  en  las  célèbres  novelas 
de  Scott,  que  acabo  de  citar,  la  naturaleza  del  argumente  hace 
((  desaparecer  las  pasiones  particulares  y  privadas  ante  inte- 
reses  mas  générales  é  importantes  »  ^.  Pero  Larra  mantiene  viva 
una  fuente  de  interés  que  atrae  y  fascina.  La  intriga  amorosa 
que  en  Cinq-Mars  es  débit  y  artificiosa,  en  el  Doncel  constituye 
el  asunto  mismo,  y  hay  tanta  sinceridad  de  pasion  en  Elvira 
y  en  Macias  que  el  efecto  gênerai  es  singularmente  conmo- 
vedor.  El  ùltimo  capitulo,  con  el  epigrafe  del  Conde  Claros 
dispuesto  como  para  producir  un  efecto  misterioso  que  no 
tiene  por  cierto  en  el  romance  original,  es  de  una  profunda  y 
dolorosa  melancolîa. 

El  puesto  de  la  obra  ademâs  en  la  literatura  de  Espana  del 

1.  Ramon  Menéndez  Pidal,  La  Leyenda  de  los  Infantes  de  Lara.  Madrid,  1S9G, 
pâg.    169. 

2.  Obras  complétas  de  don  A.  de  Saavedra,  Duque  de  Bivas,  Madrid,  1897,  tomo  III, 
pdg. 546. 

3.  Le  Boman  historique....  par  Louis  Maigron,  Paris,  1898,  p.  ariS. 


38  BULLETIN    HISPANIQUE 

siglo  pasado  es  ùnico.  Al  que  pidiera  una  novela  historica  del 
perîodo  romântico  no  se  le  podria  ofrecer  hoy  mas  que  el  Doncel 
de  don  Enrique,  y  sin  embargo  en  ese  género  probaron  sus 
fuerzas  Martinez  de  la  Rosa,  Espronceda,  Escosura,  Villalta, 
Enrique  Gil  y  algiin  otro.  El  Senor  de  Bembibre  de  Gil,  novela 
publicada  mucho  después,  en  i844,  cuyo  argumento  lecuerda 
un  poco  el  de  La  Novia  de  Lammermoor,  se  aleja  y  a  mucho  de 
la  senda  que  siguieron  Scott  y  sus  discipulos  y,  aunque  obra 
apreciable,  sobre  todo  carece  de  la  entonacion  viril  y  el  movi- 
miento  dramâtico  que  distinguen  a  las  buenas  novelas  de  la 
escuela  del  autor  de  Waverley. 

III 

El  Macias,  «  drama  historico  en  cuatro  actos  y  en  verso,  « 
representado  en  Madrid  «  con  grandes  aplausos  »,  segùn  nos 
cuenta  Hartzenbusch ',  el  i[\  de  Setiembre  de  i834,  no  es  tal 
vez  como  obra  de  arte  tan  interesante  cual  la  novela  sobre 
el  mismo  asunto,  pero  en  la  historia  de  la  literatura  drama- 
tica  ocupa  posicion  mas  importante  y  su  influencia  fué  mas 
extensa  y  mas  fecunda. 

Era  una  gran  novedad,  aunque  en  cierto  modo  alguien  ya 
habîa  tratado  de  emprender  el  mismo  camino.  Las  nuevas 
ideas  estéticas  y  las  reglas  menos  estrictas  que  desde  el  afio 
de  1829  habîan  empezado  a  tomar  posesion  de  la  escena 
francesa,  suprimiendo  casi  todas  las  trabas  y  limitaciones 
impuestas  à  la  tragedia  clâsica,  ejercieron  por  primera  vez 
influencia  en  el  teatro  espaûol  el  dîa  del  mes  de  Abril  de  i83/i 
en  que  se  représenté  La  Conjuraciôn  de  Venecia,  «  drama 
historico  »  de  Martinez  de  la  Rosa,  primer  ejemplo  aplaudido 
de  la  nueva  escuela.  Larra,  que  ténia  ya  sin  duda  completo  el 
plan  de  su  Macias,  redactaba  entonces  la  crîtica  de  teatros 
en  la  Revista  Espanola  de  Garnerero,  asistiô  a  la  represen- 
tacion,  aprobo  con  viva  simpatîa  y  le  dedico  en  el  periodico 
un  muy  favorable  articulo. 

El  éxito  de  ese  feliz  y  tîmido    ensayo    de    algo    nuevo    le 

I.  Obras  escogidas  de  don  A.  Garcia  Guliérrez,  Madrid,  186G;  Prolôgo,  p.  xv. 


M.VUIANO   JOSÉ    DE    LARRA  3y 

mostraba  el  camino  que  contaba  seguir,  aiinque  la  verdad 
era  que  Martînez  de  la  Rosa  poco  recordaba  los  dramas  de 
Dumas  y  mucho  menos  los  brillantes  poemas  en  verso 
de  Victor  Hugo;  era  en  realidad  mus  bien  un  Delavigne 
espanol.  El  tono  gênerai,  el  meticuloso  cuidado  de  no 
excederse,  de  mantenerse  en  el  término  medio  y  el  colorido 
gris  de  oscenas  a  menudo  demasiado  desleîdas,  traîan  inevi- 
tablemente  a  la  memoria  el  autor  de  Mari  no  Faliero  6  las 
Visperas  sicilianas.  Pero  esta  vez  al  menos  se  veia  en  Espana 
una  pieza  bien  construida,  un  cuadro  historico  vigorosamente 
trazado  a  grandes  pinceladas  :  el  panteon  de  la  familia  Moro- 
sini,  masas  de  pueblo  circulando  por  la  plaza  de  San  Alarcos 
iluminada,  cada  uno  diciendo  lo  que  la  situacion  requerîa, 
seriamente,  sin  gracioso  inûtil  ni  lirismo  exagerado.  Luego 
una  conjuracion  que  estalla  en  pleno  carnaval,  la  repùblica 
que  triunfa,  y  en  el  acto  ùltimo  la  sala  de  audiencia  del 
inexorable  tribunal  de  los  Diez  con  las  negras  colgaduras 
y  las  funèbres  inscripciones,  el  Présidente  que  cae  desplomado 
al  reconocer  su  hijo  en  el  acusado.  los  otros  jueces  que  sin 
piedad  condenan  y  mandan  a  la  muerte  en  presencia  de  la 
mujer  idolatrada.  Todos  los  elementos  del  mas  patibulario 
melodrama,  por  desgracia  no  realzados  por  la  versificacion, 
pero  iluminados  de  tiempo  en  tiempo  por  expresiones  magnî- 
ficas,  patéticas,  en  una  lengua  élégante  y  sobria,  y  el  conjunto 
en  fin  levantado  sobre  una  base  historica  grandiosamente 
concebida. 

Larra,  que  era  menos  poeta  que  Martînez  de  la  Rosa,  que 
versificaba  laboriosamente,  pero  que  ayudado  por  su  buen 
gusto  y  su  inspiracion  de  artista  se  sentia  capaz  de  ir  mas 
alla  que  ese  irresoluto  innovador,  aspiré  a  [componer  un 
drama  que  fuese  de  amor  é  historico  juntamente,  valerse, 
como  sus  antecesores  del  siglo  xvn,  de  la  mas  compléta 
libertad  en  el  métro  y  en  los  movimientos,  al  mismo  tiempo 
que  aplicaba  a  sus  ideas  y  sentimientos  la  franqueza,  el  calor 
y  la  energîa  de  las  piezas  romanticas  francesas.  El  intento  no 
podia  ser  mejor,  pero  él  también  al  emprender  el  nuevo 
rumbo  no  tuvo    energia  para    ir    bastante    lejos,   quedose    a 


4o  BULLETIN    HISPANIQUE 

medio  camino  y  otros  vinieron  detrâs  que  sin  miedo  corrieron 
hacia  adelante  y  se  acercaron  mas  a  la  meta  deseada. 

Carece  en  efecto  Macias  de  la  riqueza  de  accion,  de  la 
realidad  pintoresca  y  animada,  de  la  novedad  de  arte,  que 
eran  razon  de  ser  del  drama  romantico  :  es  demasiado  seco, 
demasiado  escueto  como  accion.  Aventajando  tan  notable- 
mente  a  Martinez  de  la  Rosa  en  lo  poético  de  la  forma  y  en  la 
intensidad  del  sentimiento,  faltale  la  amplitud  del  cuadro 
historico,  la  variedad  de  interés  de  la  Conjuraciôn  de  Vcnecia. 
El  drama  mismo  que  consagro  Lope  de  Vega  a  la  leyenda  de 
Macias  con  el  titulo  de  Porjîar  hasta  morir,  que  Larra  en  nada 
imito,  que  consta  solo  de  très  actos,  apenas  puede  decirse  que 
contenga  menos  materia,  aun  descontândole  todo  lo  que  hay 
de  inùtil  en  la  parte  del  gracioso. 

El  argumento  del  drama  y  el  de  la  novela  de  Larra  son 
entre  si  muy  diferentes.  En  aquél  sabe  el  espectador  desde 
la  primera  escena  que  Macias  y  Elvira  se  conocen  y  aman  de 
antemano,  que  son  esposos  prometidos,  que,  como  en  la 
historia  de  los  Amantes  de  Teruel,  hay  un  plazo  fijado  y  que 
si  él  se  présenta  antes  de  su  vencimiento,  es  fuerza  otorgarle 
la  mano  de  su  amada.  Este  naturalmente  desfigura  y  débilita 
la  tradicion,  quitando  al  amor  violento  y  adiiltero,  a  «  la 
porfia  »  del  hombre,  el  caracter  fatal  de  la  leyenda  y  su  efecto 
terrifico.  Detenido  Macias  lejos  de  Andùjar,  ciudad  donde 
pasa  la  escena,  por  intrigas  de  un  rival  y  el  malquerer  de  su 
sefior,  que  es  Villena  y  no  el  rey  doliente,  no  puede  llegar 
precisamente  a  tiempo,  aunque  acude  presuroso  el  dia  mismo 
en  que  el  plazo  expira.  Desde  muy  temprano  se  ha  precipi- 
tado  el  matrimonio  de  Elvira  con  Fernân  Pérez.  Cuando  al 
aparecer,  hacia  el  medio  del  segundo  acto,  demanda  Macias 
a  su  senor  el  cumplimiento  de  la  promesa,  lo  contiene  este 
hasta  el  instante  en  que  vuelve  de  la  iglesia  el  cortejo  nupcial, 
pues  temiendo  su  venida  se  ha  celebrado  prontamente  la 
ceremonia.  Elvira  cae  desmayada  al  reconocer  â  su  amante, 
que  creia  desleal  â  su  palabra,  y  Macias  desesperado  se  arroja 
a  los  pies  de  Villena  gritando:  «  Senor!  6  muerte  6  venganza!  » 
—  La   escena   es   rapidisima,   esta  vigorosamente  escrita,   se 


MARIANO    JOSE    DE    LARKA  4l 

oyen  solo  frases  brèves  que  cierran  dramàticamente  cl  acto. 
Logra  introducirse  Macîas  en  la  habitacion  de  su  rival 
afortunado,  allî  encuentra  a  Elvira  vestida  lodavia  con  el 
traje  de  boda.  En  el  duo  apasionado  que  pone  el  poeta  en  boca 
de  los  amantes,  alegando  el  uno  los  derechos  de  su  amor, 
la  otra  los  deberes  de  su  nue  va  situacion,  se  oye  resonar  en 
verso  algo  niuy  parecido  a  la  moral  del  autor  de  Antony  : 

Los  amantes  son  solos  los  esposos. 

Su  lazo  es  el  amor:  ^cual  hay  mâs  santo? 

Su  templo,  el  univeiso  :  dondc  quiera 

El  Dios  los  oye  que  los  ha  juntado. 

Si  en  las  ciudades  no,  si  entre  los  hombres 

Ni  fc,  ni  abrigo,  ni  esperanza  hallamos, 

Las  fieras  en  los  bosques  una  cueva 

Cedcrân  al  amor... 

La  influencia  de  Dumas  se  siente  demasiado  en  todo  este 
acto  tercero.  Los  amantes  son  sorprendidos  allî  mismo, 
Macias  frenético,  desesperado,  al  ver  que  Elvira  se  humilia 
hasta  implorar  para  él  perdon  de  don  Enrique,  quien  lo 
manda  encerrar  en  una  prision,  lanza  una  invectiva  violenta, 
declamatoria,  pero  muy  en  situacion  y  de  una  energîa  en  la 
expresion  por  momentos  admirable.  El  actor  Valero  la  hizo 
durante  mucho  tiempo  aplaudir  con  furor  por  toda  Espana. 

A  esta  peripecia  sucede  una  escena  que  parecc  direclamente 
venir  del  Enrique  III  y  su  corle  del  viejo  Dumas.  Fernan  Pérez, 
el  nuevo  esposo,  ciego  de  celos,  amenaza  matar  à  Elvira 
blandiendo  su  punal,  ella  aguarda  impasible  el  golpe,  en  lo 
cual  crée  él  ver  la  prueba  de  su  immenso  amor  por  el  otro, 
y   exclama  : 

Le  ama,  6  cielos,  de  tal  modo 
que  ya  preflere  â  su  olvido 
la  muerte... 

Mal  haya  el  que  tan  amado 
supo  ser!.. 

como  el  duque  deGuisa  después  de  prueba  idéntica  prorrumpe  : 
Vous  l'aimez  bien,  madame!  Malédiction  sur  lui  qui  est  tant  aimé! 
—  Fernan  prétende,  también  como  Guisa,  forzarla  a  dar  una 
cita  al  amante  para  perderlo  y  al  negarse  ella  la  ase  del  brazo 
con   furor,   la  obliga  a  gritar  :    u  Por   piedad,   me    lastimais, 


42  BULLETIN    HISPAMQLE 

senor!  »  del  modo  mismo  que  la  duquesa  de  Guisa  al  sentir 
su  brazo  lastimado  por  el  guantelete  de  acero,  dice  :  Vous  me 
faites  bien  mal,  Henri,  horriblement  mal! 

Por    ùltimo,    ante  la  obstinacion  de  Elvira,  llama  aparté 
Fernân  a  un  servidor  para  decirle  : 

Alvar,  cualro  hombres  buscadme... 
me  entendeis! 

no  tan  claro,  pero  con  las  mismas  siniestras  intenciones  con 

que  Guisa  en  otra  parte  del  drama  grita  :  Saint-Paul,  qu'on  me 

cherche  les  mêmes  hommes  qui  ont  assassiné  Dugast! 

El  cuarto  y  ùltimo  acto  del  drama   de  Larra  es  bastante 

corto.  Elvira,  adivinando  lo  que  trama  su  marido,  corre  a  la 

prision  para  prevenirlo.  Después  de  un  segundo  diio  de  amor, 

mas  bello  que  el  anterior,  y  ambos  al  unisono  en   el  senti- 

miento  esta  vez,  es  ya  tarde  para  que  logre  Macias  salvarse  de 

Fernân   y  sus   sicarios.  Apenas  sale  a  su   encuentro  vuelve 

mortalmente  herido.  Elvira  se  hiere  con  la  daga  de  su  amante 

que   él   ff  alarga    débilmente  »    y    muere    ella   diciendo   estos 

versos  : 

Llegad...  ahora...  llegad...  y  que  estas  bodas 
alumbren...  vuestras...  teas...  funerales. 

Y  si  bien  estas  lineas  y  la  naturaleza  de  la  catâstrofe  y  su  colo- 

rido  poético  recuerdan  algo  el  final  de  Hernani,  las  palabras 

siguientes  de  Fernân  Pérez  nos  vuelven  otra  vez  a  la  influencia 

de  Dumas  : 

Me  vendian. 
Ya  se  lavô  en  su  sangre  mi  deshonra. 

Calderôn,  que  mas  de  una  vez  puso  en  escena  maridos  que 
lavan  en  sangre  su  deshonra,  no  concentraba  asi  en  brève 
frase  final  la  catâstrofe  de  sus  tragedias.  Fué  Dumas  quien 
desde  i83i  puso  de  moda  esas  clâusulas  lapidarias  :  Elle  me 
résistait,  je  l'ai  assassinée  ! 

Dije  antes  que  no  era  Larra  tan  poeta  como  Martînez  de  la 
Rosa,  y  basta  poner  al  lado  una  de  otra  las  elegîas  que  ambos 
compusieron  con  motivo  de  la  muerte  de  la  Duquesa  de  Frias 


MARIANO    JOSÉ    DE    LA.RRA  43 

para  compreiidcr  la  diferencia.  Carecîa  Larra  sobre  todo  de 
sentimiento  en  la  exprcsion,  hay  sicmpre  en  él  algo  de  seco, 
de  duro,  de  profiindamente  agriado  y  lastimado  por  los 
hombres  y  las*  cosas  ;  llega  fâcilmente  a  la  elocuencia,  pero 
donde  se  requière  ternura,  lagrimas  en  la  voz,  emocion 
comunicativa,  fracasa  casi  siempre.  Sus  pasiones  son  reaies 
y  las  expresa  con  sinceridad.  pero  suele  haber  en  ellas  tanto 
de  orgullo,  de  vanidad,  como  de  amor  6  simpatîa. 

Sabîa  también  hacer  buenos  versos,  y  con  su  gusto  culti- 
vado,  su  grande  instruccion,  la  précision  de  su  Icnguaje  y  el 
natural  vigor  de  su  estilo  lleyo  a  componerlos  excclentes. 
como  abundantemente  se  encuentran  en  el  Macias.  El  teatro 
exige  principalnriente  energia  y  claridad  en  la  expresiôn^ 
y  pasajes  como  éstos,  llenos  de  esas  dos  cualidades,  siempre 
sertîn  apreciados  y  aplaudidos  : 

Yo  le  maté,  diras  :  tu  esposo  en  zelos 

arderà,  temeroso  de  que  al  cabo 

le  vendas  como  â  mf,  y  hasta  tus  besos 

mentiras  créera.  Cierto;  y  serânlo. 

Ella,  Fernân,  me  amô,  y  volverâ  a  amarme: 

si  constancia  te  jura  es  solo  engano, 

también  à  mi  me  la  jurô,  y  mentia. 

La  poesia  de  fondo  y  forma  que  aqui  faite  esta  compensada 
por  la  fuerza  y  la  brillante  concision.  Esto  sucede  no  solo  en 
los  endecasîlabos,  también  los  octosilabos  son  à  menudo 
admirables  en  el  Macias,  que  tiene  séries  de  redondillas 
rotundas  y  perfectas,  dignas  de  todo  encomio, 

IV 

Macias  abrio  el  camino,  tras  él  llego  ya  completamente 
armado  el  drama  romantico  espafiol,  «  historico  6  caballe- 
resco,  »  como  al  principio  se  le  llamaba.  El  Trovador  de  Garcia 
Gutiérrez  y  los  Amantes  de  Tevuel  de  Hartzenbuscli,  ricas  pri- 
micias  del  talento  de  quienes  iban  a  ser  de  los  mas  renombra- 
dos  y  afortunados  entre  los  vates  de  Espana,  se  estrenaron, 
uno  aiio  y  medio,  el    otro  dos  anos,   después  del  drama   de 


44  BULLETIN    HISPAINIQUE 

Larra.  Hasta  se  cuentai  que  Hartzenbusch,  llevando  ya  en  la 
mente  su  obra  cuando  se  représenté  el  Macias,  tuvo  que  alterar 
el  plan  ya  formado,  porque  accidentalmente  coincidian  en 
puntos  esenciales,  lo  que  no  era  extrano,  pues  Larra  tomo  por 
antécédente  de  su  argumente  la  idea  de  un  plazo  fijado_,  detalle 
esencial  de  la  leyenda  de  la  historia  de  Diego  Marsilla. 

En  el  intervalo  que  sépara  el  Macias  de  los  dos  dramas 
mencionados  aparecio,  no  hay  que  olvidarlo,  el  Don  Alvaro  del 
Duque  de  Rivas,  inspirado  en  parte  por  la  novela  de  Mérimée 
Las  aimas  del  Purgatorio,  la  misma  que  sugirio  a  Dumas  su 
Don  Jaan  de  Marana  y  de  rechazo  a  Zorrilla  su  Don  Juan  Tenorio. 
El  Don  Alvaro f  escrito  durante  la  emigracion  del  autor  en 
Francia,  en  nada  se  parece  al  drama  de  Larra.  Parece  conce- 
bido  de  proposito  para  atropellar  juntas  todas  las  reglas  y  tradi- 
ciones  del  arte  clàsico,  mas  sin  poner  mucho  équivalente  en 
su  lugar,  pues  carece  de  pasion  dramâtica,  de  estudio  de  carac- 
tères y  de  poesia  profunda  en  la  ejecucion.  Escrito  sin  embargo 
con  fuego  a  veces  y  siempre  con  viveza,  con  animacion,  atrajo 
y  entusiasmo  a  las  masas,  en  virtud  de  sus  grandes  y  enérgicos 
brochazos  a  la  manera  de  una  pintura  en  tron^ipe-l'œil,  trazada 
para  producir  efecto.  Las  escenas  populares  en  prosa,  que 
forman  contraste  con  lo  terrible  de  la  trama  principal  :  el 
aguaducho  del  primer  acto,  el  meson  del  segundo  y  la  porterîa 
del  convento  de  los  Angeles  son  admirables  en  su  género, 
cuadros  realistas  de  costumbres  bien  reproducidas,  pero  del 
todo  independientes  de  la  accion  principal. 

No  tenemos  la  opinion  de  Larra  como  critico  de  teatros 
sobre  la  obra  del  Duque  de  Rivas,  en  cambio  poseemos  dos 
notables  articulos,  uno  sobre  el  Trovador  y  otro  sobre  los 
Amantes  de  Teruel.  Nunca  se  ha  juzgado  con  mayor  simpatîa  y 
mas  talento  la  produccion  de  rivales  afortunados.  Todos  los 
méritos  estân  en  esos  articulos  seiîalados  con  verdadera  frui 
cion.  los  defectos  sobria  y  exactamente  indicados.  Ambos 
dramas  son  en  verso  y  prosa.  Larra  no  reprueba  la  idea,  pero 


I .  Apuntes  para  una  biblioteca  de  escritores  espanoles  contemporâneos,  por  Don  Eugé- 
nie de  Gchoa,  Paris  (s.  a.),  t.  II,  pâg.  80.  Véasc  también  :  Ferrer  del  Rio,  Galeria  de  la 
Literatura  Espahola,  Madrid,  i8i0,  pâg.  i63. 


MARIANO    JOSÉ    DE    LAHK.V  ^5 

la  considéra  una  dilicultad  mas  que  el  poeta  volimtariamente 
adopta,  y  que  no  puede  decirse  siempre  vcncida  al  dccidir  el 
autor  cuales  esccnas  producen  mejor  su  efccto  en  esta  6  aquella 
forma.  Garcia  Gutiérrez  y  Hartzenbusch,  cediendo  al  parecer 
del  benévolo  critico,  corrigieron  en  ediciones  posteriores  los 
def'ectos  senalados  y  renunciaron  del  lodo  a  la  prosa.  El  Tro- 
vador  refundido  es  sin  embargo  en  conjunto  inferior  a  la  pri 
mera  version;  no  asî  la  refundicion  de  los  Amantes  de  Teruel, 
mas  igual  y  armonica  que  en  la  primera  forma,  y  es  la  incluida 
por  el  autor  en  la  coleccion  defînitiva  de  sus  obras. 

Nadie  durante  todo  el  siglo  xix  ejercio  en  Espana  la  critica 
desde  las  columnas  de  los  periodicos  con  tanta  superioridad, 
nadie  ni  antes  ni  después  llego  a  reunir  tanta  autoridad,  tanta 
instruccion  y  tan  elevada  é  inaltérable  imparcialidad.  Des- 
pierta  un  sentimienio  de  lastima  leer  hoy  esos  articulos, 
improvisados  a  veces  de  la  noche  a  la  manana  por  escritor  de 
tal  ilustracion  y  tan  buen  gusto  ;  que  conservan  todavia  casi 
lodo  su  valor  y  serîan  joyas  inestimables  si  se  hubiese  dado  al 
autor  tiempo  y  ocasion  de  acabarlos  mas  despacio.  Los  mas 
de  ellos,  los  mcjores,  fueron  reunidos  en  coleccion  después 
de  su  muerte  y  ni  siquiera  estân  corregidas  las  erratas  de  la 
primera  impresion.  En  todos  se  descubre  bien  marcado  un 
acento  de  amargura  y  desolacion,  como  impucsto  por  el  con- 
vcncimiento  de  la  inutilidad  de  la  tarea,  por  la  supina  igno- 
rancia  del  pùblico  que,  en  aquellos  agitados  dias  de  guerra 
carlista,  Estatuto  malogrado  6  constitucion  del  ano  doce,  ape- 
nas  se  curaba  de  algo  que  no  fuese  la  politica  en  su  forma 
mas  opresiva  y  angustiantc. 

Manifesté  Larra  siempre  el  mas  vivo  interés  por  el  arte 
dramatico  é  hizo  los  mayores  esfuerzos  por  levantarlo  y  soste- 
nerlo.  Esc  género  mismo  tan  socorrido  y  facilmente  popular 
se  consumîa  ante  la  indiferencia  universal;  el  teatro  «sin 
actores  y  sin  piiblico  »  era  simple  «  sucursal  de  la  Opéra», 
como  dijo  en  uno  de  sus  ùltimos  trabajos,  confesando  que  él 
también  participaba  ya  de  esa  indiferencia,  desesperado  en 
medio  «  de  la  noche  oscura,  tempestuosa  en  que  nos  encon- 
tramos,  luchando  en  vano  con  la  deshecha  borrasca  que  ira 

Bull.  Iiispau.  !t 


A6  BtLLETIN    HISPANIQUE 

dando  al  viento  vêla  tras  vêla  y  desmantelando  la  barca  palo 
por  palo  » . 

Tanto  como  de  las  piezas  espanolas  de  teatro  trataba  en  sus 
crîticas  de  las  novedades  del  arte  dramâtico  francés  a  medida 
fjue  iban  traduciéndose,  y  hacialo  siempre  con  el  cabal  conoci- 
miento  que  tenîa  de  la  moderna  literatura  francesa'.  Si  el 
pùblico  de  Madrid  lo  hubiese  ayudado  un  poco,  mostrando 
mas  inleligente  aprecio  del  arte  teatral  y  la  crîtica  literaria, 
habrîa  él  llegado  a  ser  algo  mas  que  un  Janin  6  un  Sarcey 
espaîiol,  pues  al  grau  saber  anadîa  peregrino  talento  de  artista; 
serian  sus  articulos  reunidos  algo  asî  tan  util  y  tan  bueno 
como  la  Dramaiurgia  de  Hamburgo  de  Lessing.  La  suerte  no  lo 
quiso. 

Lleno  del  espiritu  de  su  época  estudiaba  siempre  la  antigua 
y  brillante  literatura  de  su  pais  y  sabla  apreciarla  con  absoluta 
independencia,    sin  atenerse   a  opiniones  de  otros  ni   cegarse 
por  ese  falso  patriotismo  que  inspira  tantos  errores,  trasmitidos 
luego  por  la  rutina  de  generacion  en  generacion  y  de  tratadista 
en  tratadista.  Su  empefio  principal  era  aligerar  un  tanto  el  peso 
excesivo  de  la  Iradiciôn  para  encaminar  por  rumbos  nuevos  la 
nueva  literatura.  Estudiar  los  autores  del  siglo  de  oro  es  util, 
es  necesario,  para  comprender  y  admirar  el  genio  de  la  raza  y 
su  maravillosa  historia,  para  experimentar   el  vivo  placer  de 
analizar  y  saborear  lo  que  fué  y  siempre  sera  hermoso,  pero 
muy  poco  de  ellos  liay  que  imitar  en  nuestros  dias.  En  un  buen 
artîculo,  titulRdo  Literatura,   rapida  ojeada   sobre  su    historia 
y   su  îndole   gênerai  en   Espana,    reconoce    que    superpuesta 
la  tiranîa  politica  a  la  tiranîa  religiosa  después  de  la  pérdida 
de  lo  poco  que  de  la  libertad  nacional  quedaba  en  el  primer 
cuarto  del  siglo   xvi,   la  literatura,   que  en  seguida  florecio, 
habîa  nacido  condenada  a  ser  fenomeno  prodigioso,  pero  esen- 
cialmente  transitorio,  sin  posible  desarrollo  fecundoy  dilatado. 


I.  Admirc)  grandcmenle  â  Dumas  como  autor  dramâtico  y  en  cinco  exlensos 
articules  analiza  cuatro  de  sus  obras,  Teresa,  la  Tour  de  Nesle,  Catalina  Howard  y 
Antony.  De  Victor  Hugo,  cuyo  Hcrnani  juzga  muy  alinadamente  con  motivo  de  la 
traducciôn  en  verso  de  Ochoa,  dice  que  es  «uno  de  los  mayores  poetas  que  han  visto 
los  tiempos  »,  opinion  que  en  Francia  entonces  estaba  muy  lejos  de  aceptar  la  mayoria 
de  los  literatos,  que  le  ponia  encinia  â  Bcranger  y  Lamartine. 


VCARIANO    JOSK    l)K     LAHKA  47 

Explica  porqué  no  hubo  en  Espana  entonces  lo  que  llama  escri- 
^ores  razonados,  y  porqué  brillaron  solo  con  dcslumbrante 
fulffor  el  arte  de  la  no  vêla  y  el  arte  del  teatro,  frutos  ambos  de 
la  poderosa  imaginacion  de  la  raza,  mientras  la  prosa  séria 
quedo  confinada  a  los  escritores  mîsticos  6  tcologicos,  de  los 
que  (agrega  Larra)  a  podemos  présentai'  una  biblioleca  anligua 
desgraciadamente  mas  compléta  que  ninguna  olra  nacion  »,  y  a 
los  historiadorcs  como  Mariana  y  Solis,  mas  bien  «  columnas  de 
la  lengua  »,  destituidos  de  espiritu  critico,  autores  de  grandes 
novelas  historicas,  que  se  abstuvieron  de  prestar  atencion 
alguna  al  «  movimiento  de  su  época  »  niperciben  el  mas  ligero 
eco  de  lo  que  fuera  de  Espaùa  ocurria  y  transformaba  la  marcha 
de  lacivilizacion.  A  esa  lileratura,  que  tan  rapidamente  decayo, 
sucedio  en  el  siglo  xvni  la  imitacion  francesa,  preconizada  y 
practicada  por  un  grupo  reducido  de  literaios,  que  sin  prepa- 
raci(3n  «  se  agregaron  al  movimiento  del  pueblo  vecino,  adop- 
tando  sus  ideas  laies  cuales  las  encontraban,  y  entonces  nos 
hallamos   en   el  término   de  la  Jornada  sin  haberla  andado  n. 

Esta  nueva  reforma  resulto  estéril  también,  porqué  las  des- 
gracias de  la  patria  atajaron  pronto  el  escaso  impulso  que 
llevaba.  Rechazaba  igualmente  Larra  con  energîa  el  arte  que 
privaba  en  sus  dias,  «  esa  literatura  reducida  a  las  galas  del 
decir,  al  son  de  la  rima,  n  y  luchaba  por  el  advenimiento  de  otra, 
(i  hija  de  la  experiencia  y  de  la  historia,  estudiosa,  analizadora, 
filosôfica,  profunda,  pensândolo  todo,  diciéndolo  todo,  en 
prosa,  en  verso,  expresiôn  en  fin  de  la  ciencia  de  la  época,  del 
progreso  intelectual  del  siglo  ». 

Le  impacientaba  en  extremo  ese  empefio  de  escribir  calcando 
el  lenguaje  antiguo,  ese  afan  del  purismo,  que  desde  el  siglo 
anterior  habian  ya  puesto  de  moda,  unos  por  medio  de  saliras 
como  Iriarte  6  Gadalso,  olros  por  medio  del  ejemplo  como 
Huerta  6  Moralîn.  «  Marchar  en  ideologîa,  decîa  Larra,  en 
metafisica,  en  ciencias,  en  polîlica,  aumenlar  ideas  nuevas,  y 
pretender  estacionarse  en  la  lengua  que  ha  de  ser  la  expresion 
de  esos  progresos,  perdonennos  los  senores  purislas,  es  haber 
perdido  la  cabeza.  »  Una  cosa  es  caer  en  la  afectacion  de  reme- 
dar  lo  antiguo  y  olra  respetar  en  lo  posible  «  el  tipo,  la  indole, 


40  JiLLLETl-N    UISPAMQLE 

las  fuenles,  las  aiialogîas  de  la  lengua  ».  Esto  escribia  en  i8o5, 
y  esto  mismo  paede  repetirse  hoy,  pues  no  faltan  todavia 
quienes  usen  como  un  conjuro  esos  términos  de  purista  y  de 
castizo,  que  à  menudo  aplican  a  ciegas,  como  tiene  que  ser 
en  un  idioma  cuyos  elementos  no  se  han  fijado  aun  completa- 
mente,  en  el  que  no  se  han  compilado  léxicos  de  la  lengua  de 
sus  grandes  escritores,  ni  siquiera  de  la  de  Cervantes,  y  donde 
la  autoridad  oficial  y  suprema  es  un  Diccionario  en  que  faltan 
muchas  voces  viejas  y  nuevas,  en  que  las  definiciones  son 
defectuosîsimas  y  que  carece  de  ejemplos,  infinitamente  mas 
necesarios  éstos  que  sus  misteriosas  etimologias  en  signos, 
incomprensibles  para  la  inmensa  mayoria  de  las  personas  que 
mas  han  menester  consultarlo.  Littré  mismo,  en  el  cuerpo  de 
su  utilîsimo  diccionario,  tan  rico  en  ejemplos  y  en  otras  cosas, 
que  présenta  las  etimologias  mas  detalladamente  que  la  Aca- 
demia  espanola,  se  abstuvo  del  pedantismo  de  esos  caractères 
arâbigos,  hebraicos  y  sânscritos. 

Larra,  que  no  obstante  su  poco  amor  de  los  puristas,  conocia 
bien  y  estudiaba  constantemente  su  lengua,  que  ténia  com- 
puesto  para  su  uso  particular  un  trabajo  sobre  sinonimos,  hoy 
probablemente  perdido,  hablando  del  diccionario  de  la  Vcade- 
mia  dijo  con  su  gracia  habituai  que  «  todos  le  debemos  respetar 
cuando  acierta  :  es  decir,  que  tiene  la  misma  autoridad  que 
todo  el  que  tiene  razon,  cuando  él  la  tiene  ». 


Es  sabido  que  durante  las  postrimerîas  del  reinado  de  Fer- 
nando Vil  el  principe  don  Carlos,  su  hermano  menor,  se  réfu- 
gié en  Portugal  mostrando  bien  claro  por  lo  que  callaba,  por 
su  actitud  amenazante  y  por  la  especie  de  personas  que  lo 
rodeaba,  el  designio  de  reivindicar  derechos  al  trono,  de  dis- 
putar  por  medio  de  las  armas  la  sucesion  y  desconocer  el 
testamento  real,  invocando  la  antigua  ley  sâlica  y  la  tradicion 
borbonica,  proclamada  antes  mas  de  una  vez  por  el  mismo 
Fernando  como  dogma  de  la  monarquia.  La  hija  del  monarca, 
aclamada  como  reina  en  Madrid  inmediatamente  después  del 


MAIUANO    JOSK    DE    LAKKA  ^9 

fallecimiento  de  su  padre,  tenîa  très  anos  de  edad.  Casi  al 
mismo  tiempo  se  précipité  y  revento  el  nublado  que  venia 
formiindose  en  la  frontera  del  vecino  reino  y  comenzo  la  guerra 
civil,  que  por  espacio  de  siete  anos  iba  a  inundar  de  sangre 
todo  el  norte  de  la  peninsula. 

Aunque  al  principio  esluvomuy  lejoselcarlismo  delapujanza 
militar,  que  después  lleg6  (v  adquirir,  y  muchos  tardaron  en  com- 
prender  lo  que  habîa  de  serio  y  de  grave  en  la  parcialidad  amo- 
tinada  bajo  la  ensena  del  todavîa  ausente  Pretendiente,  temblaron 
todos  al  recuerdo  de  los  horrores,  las  atrocidades  de  una  y  otra 
parte  cometidas  en  los  seis  anos  de  la  lucha  contra  cl  ompera- 
dor  Napoléon.  Los  mismos  hombres  empenados  en  contienda 
que  en  sus  pechos  igualmente  agitaba  las  pasiones  mas  hondas  y 
tenaces,  tenian  por  fuerza  que  seguir  idéntica  conducta.  Milagro 
séria  si  al  cabo  de  tan  violenta  convulsion  no  quedaba  el  pais 
para  siempre  dividido  en  dos  fracciones  irréconciliables. 

No  habia  de  ser  asi;  horizontes  mas  risuefios,  cielo  mas  apa- 
cible  aguardaban  detras  del  desencadenado  huracân  para  los 
que  con  energîa  infatigable  se  aprestaban  a  defender,  junto 
con  los  derechos  mas  o  menos  discutibles,  conforme  al  dogma 
monârquico,  de  la  hija  menor  del  rey,  la  regeneracion  de 
la  patria  y  extirpar  de  su  suelo  el  despotismo  organizado,  que 
por  trescientos  y  tantos  anos  habîa  de  ruina  en  ruina  llevado 
la  nacion  al  estado  misérable  en  que  Fernando  Vil  la  dejaba. 

Muchos  desde  el  primer  momento  comprendieron  y  sin- 
tieron  cuân  vital  era  para  el  porvenir  el  problema  polîtico  que 
las  circunstancias  planteaban.  Larra  fué  uno  de  ellos. 

Por  el  mas  extra  no  encadenamiento  de  causas  y  efectos  esta 
guerra  civil,  atizada  por  el  fanatico  hermano  del  rey  difunto, 
lesulto  ser  una  fortuna  para  Espana.  Entablose  convencidos 
desde  luego  los  combatientes  de  que  no  habîa  términos  posibles 
de  acomodamiento,  que  la  lucha  se  trababa  entre  la  libertad  y 
la  esclavitud,  y  que  por  primera  vez  allî  los  defensorcs  de  la 
teocracia  y  el  absolutismo  polîtico  sucumbirîan  falalmente 
ante  nuevas  generaciones,  resueltas  a  implantar  un  régimen 
en  que  la  voz  de  los  habitantes  legîtimamente  expresada  valiese 
mas  que  la  voluntad  del  monarca. 


r»0  BULLETIN    HlSPAMQtE 

Al  estallar  la  guerra  de  independencia  en  1808  los  hombres 
mas  ilustrados  y  libérales  :  los  viejos  como  Jovellanos  6  Val- 
dés,  los  jovenes  como  Quintana,  Antillon,  Argûelles  y  tantos 
otros,  se  colocaron  del  mismo  lado  que  el  clero,  la  mayor 
parte  de  la  nobleza  y  el  pueblo.  imprimiendo  de  ese  modo  li  la 
lucha  un  caracter  nacional  y  generoso  indiscutible.  Pero  en  la 
hora  del  triunfo  pueblo  y  clero  y  nobles  y  militares  aclamaron 
a  Fernando  como  rey  absoluto,  Irataron  como  vencidos  à  sus 
aliados  libérales,  y  los  enviaron  a  purgar  su  patriotisme  en  el 
destierro  6  en  las  prisiones.  Volvio  Espana  a  lo  que  antes  era  sin 
haber  dado  un  solo  paso  adelante  en  la  escala  de  la  civilizacion. 

Ahora  las  cosas  tenîan  que  marchar  y  resolverse  de  otra 
suerte.  Los  eternos  enemigos  de  la  libertad  habian  corrido  en 
torno  de  don  Carlos,  una  buena  tercera  parte  de  la  peninsula 
lo  saludaba  como  rey,  el  clero  en  ma  sa  hacîa  votos  por  su 
triunfo.  Tocaba  pues  a  los  libérales  declararse  defensores  del 
trono  de  Isabel  II,  hacer  los  derechos  politicos  condicion  de 
su  existencia,  y  sellado  el  pacto  con  sangre  y  mantenido  con 
vigoroso  esfuerzo  era  claro  que  no  se  repetirian  después  de  la 
Victoria  las  escenas  inénarrables  de  perfidia  y  de  crueldad  que 
deshonraron  la  vuelta  de  Fernando  en  181 4. 

Para  Larra  mas  que  para  ningiin  otro  fué  la  muerte  del 
monarca  una  redenciôn.  Guanto  habîa  de  mejor  en  su  talento 
de  escritor,  en  sus  ideas  y  sentimientos,  habrîa  quedado  para 
siempre  ignorado  si  hubiese  continuado  algùn  tiempo  todavîa 
régimen  tan  duramente  opresor.  Era  él  libéral,  profunda  y 
sinceramente  libéral,  querîa  para  el  pueblo  todos  los  derechos 
politicos  y  creia  con  fe  indestructible  en  el  progreso  humano, 
en  la  perfectibilidad  social,  como  lo  explico  en  el  prologo  de 
la  traduccion  que,  con  el  tîtulo  «  El  Tiogma  de  los  hombres 
libres  »,  hizo  de  las  Palabras  de  un  creyente  de  Lamennais.  Este 
libro  famoso,  evangelio  del  socialismo  cristiano,  que  ha  muerto 
literariamentc  a  causa  de  laafectacion  de  su  estilo  calcado  ser- 
vilmente  sobre  la  forma  bîblica,  parecio  en  su  tiempo  una 
mâquina  demoledora  de  la  sociedad;  no  a  Larra,  que  solo 
viô  alli  el  ardiente  amor  del  pueblo  y  de  la  justicia  que  tan 
vivamente  lo  informa,  Lo  tradujo  con  amor.  admirablemente. 


UARIAIMO    JOSE    DE    l.AHHV 


Empero  él  bien  sabla  que  el  pueblo  espafiol  no  eslaba  aun  sufi- 
cientemente  preparado  para  el  ejercicio  de  ciertos  derechos, 
no  olvidaba  que  los  nacidos  y  educados  como  siervos  necesitan 
aprcnder  primero  a  servirse  de  la  libertad.  Por  eso  apenas  vio 
surgir  en  i836  el  monstruo  del  militarismo  con  lodos  sus  ho- 
rrores,  tuvo  miedo  y  desespero  del  porvenir  de  la  patria,  como 
pocos  meses  después  iba  a  desesperar  de  la  vida. 

En  i834  el  problema  no  era  todavia  evitar  el  abuso  posible 
de  la  libertad.  Otro  fantasma  por  el  momento  mas  temible  se 
habia  levantado  en  las   provincias   del  Norte  y  mantenia  los 
ànimos  en  penosa  incertidumbre.  No  se  sinti(j  Larra  como  otros 
bipnotizado  ante  el  abierto  abismo  de  la  guerra  civil  y  empren- 
dio  como  un  deber  la  tarea  de  desnudar  y  exhibir  el  monstruo 
tal  como  en  realidad  era,  no  como  la  imaginacion  6  el  terror 
podian  hacerlo  aparecer.  Cuanlo  hubo  de  grotesco  al  mismo 
tiempo  que  de  errado  y  de  fanatico  en  esa  insurreccion,  urdida 
para  entronizar  un  hombre  «  mas  cortado  para  monje  que  para 
monarca  »,  como  ha  dicho  el  historiador  Lafuente^  esta  babil 
mente  retratado  en  la  série  maravillosa  de  cuadros  del  carlismo, 
que  trazo  en  la  Revisia  Espanola  bajo  el  seudomino  de  Figaro, 
firma  que  desde  entonces  hasta  el  fin  conserve,  y  que  llego  en 
Ëspana  a  ser  mas  conocida  y  popular  que  su  propio  nombre, 
tanto  que  las  colecciones  de  sus  escritos  dicen  todas  en  la  por- 
tada  :  «  Obras  de  Figaro.  »  Recuerdan  esos  artîculos,  que  en 
gran  parte  estan  en  forma  de  dialogo,  las  comedias  de  Aristo- 
fanes  por  la  vigorosa  energia  con  que  van  hasta  el  fondo  de  las 
pretensiones  que  quieren  poner  en  ridîculo,  destruyendo  apa- 
riencias  y  desmenuzando  falsos  pretextos  de  legitimidad  y  de 
piedad  inventados  para  cubrir  sordidas  pasiones,  como  derri- 
baba  en  Grecia  el  célèbre  poeta  comico  los  falsos  idolos  de  la 
demagogia  aleniense.  Mas  décente  y  comedida,  estorbada  ade- 
mas  por  las  trabas  de  la  censura,  tiene  la  satira  de  Larra  fuerza 
y  eficacia  en  algo  parecidas,  aunque  sea  évidente  que  no  pue- 
den  literariamente  parangonarse  articulos  modernos  de  pericV 
dico  y  comedias  en  verso  escritas  por  un  poeta  de  genio  en  la 
época  de  oro  de  la  literatura  griega. 

Ridiculizar  la  guerra  carlistaera  tarea  permitida  \  aplaudida 


i)2  BULLETIN    HISPANIQUE 

en  los  primeros  anos  del  nuevo  reinado,  pero  la  libertad  de 
imprenta  estaba  aun  muy  lejos  de  existir,  y  por  mucho  tiempo 
todavîa  tuvo  Larra  que  principalmente  reduciise  a  articulos  de 
costumbres  y  juicios  literarios.  Sus  crîticas  ganaron  mucho  en 
variedad  y  solidez,  asi  como  su  estilo,  en  los  cuadros  en  que 
tan  agudamente  se  mofa  de  ciertos  rasgos  y  caractères  de  la 
vida  social,  llegando  a  adquirir  tal  flexibilidad,  tanto  donaire 
y  una  tan  élevante  sobriedad,  cual  no  se  han  vuelto  à  encontrar 
reunidas  en  ninguno  de  los  que  después  con  mas  6  menos  fortuna 
han  cultivado  el  mismo  género.  La  lâstiina  era  que,  fuera  de  las 
piezas  de  teatro,  pocos  libros  aparecian  que  diesen  al  talento 
critico  buenas  ocasiones  de  brillar  é  interesar;  aun  entre  las 
primeras  mas  de  una  vez  esgrimio  el  acero  contra  objetos  poco 
dignos  de  su  esfuerzo. 

La  situacion  polîtica  de  dîa  en  dia  se  agravaba  ;  el  carlismo, 
a  pesar  de  que  hombres  como  él  claramente  veîan  su  impoten- 
cia  final,  duraba,  y  al  parecer  se  fortalecîa,  por  la  incapacidad 
de  los  primeros  générales  encargados  de  batirlo  y  la  falta  de 
recursos  en  el  gobierno  de  la  reina.  El  poder  residia  en  manos 
de  hombres  bien  intencionados,  del  tipo  mas  6  menos  de  Mar- 
tînez  de  la  Rosa,  es  decir,  asustadizos  é  irresolutos.  Aunque 
convencidos  de  que  solamente  por  medio  de  ideas  é  institucio- 
nes  libérales  se  podîa  oponer  barrera  inexpugnable  a  los  parti- 
darios  de  don  Carlos,  escatimaban  las  reformas,  propinândolas 
a  dosis  minimas  como  remedio  peligroso,  sin  pensar  que  al  fin 
podrîan  arrancarles  por  la  fuerza  y  en  malas  condiciones  lo 
que  espontâneamente  concedido  hubiera  sido  medicamento 
reconstituyente  y  Salvador. 

Como  abrumado  6  aburrido  de  tanta  contrariedad  quiso 
Larra  dar  un  viaje  por  el  extranjero,  donde  paso  la  mayor 
parte  del  ano  i835.  Salio  en  Mayo  por  la  frontera  de  Portugal, 
pues  los  carlistas  interceptaban  el  paso  por  Yizcaya.  Cual  era 
la  disposicion  de  su  animo  en  el  momento  de  la  partida  puede 
deducirse  de  las  siguientes  lineas  : 

((  El  Caya,  arroyo  que  divide  la  Espana  del  Portugal,  corria 
mansaménte  a  mis  pies  :  tendi  por  la  ùltima  vez  la  vista  sobre 
la  Extremadura  espanola  ;  mil  recuerdos  personales  me  asal- 


MA.RIANO    JOSÉ    DE    LAHIl.V  53 

taron  ;  una  sonrisa  de  indignacion  y  de  desprecio  quiso  des- 
plegar  mis  labios,  pero  senti  oprimirse  mi  corazon  y  una 
làgrima  se  asomo  a  mis  ojos.  Un  minute  después  la  patria 
quedaba  atrâs,  y  arrebatado  con  la  velocidad  del  vienlo,  como 
si  hubiera  temido  que  un  resto  de  antiguo  afecto  mal  pagado 
le  detuviera,  6  le  hicicra  vacilar  en  su  determinacion,  el  expa- 
triado  corria  los  campos  de  Portugal.  » 

Desde  el  extranjero  escribio  poco  para  los  diarios  de  Madrid. 
Volvio  a  los  diez  meses,  atraido,  segiin  escribio  en  el  primer 
artîculo  después  de  su  Uegada,  por  la  noticia  de  que  la  libertad 
de  imprenta  andaba  ya  en  proyecto  :  "jYo,  que  de  Calomarde 
acâ  rabio  por  escribir  con  libertad,  no  habia  de  liaber  vuelto 
aunque  no  hubiera  sido  sino  para  echar  del  cucrpo  lo  mucho 
que  en  estes  anos  se  me  qued(3  en  él,  sin  contar  con  lo  mucho 
con  que  se  quedaron  los  censores  !  » 

Mas  la  libertad  de  imprenta  no  vino  todavîa,  fué  s(j1o  que  se 
aflojaron  un  poco  las  apretadas  trabas.  A  ello  debemos  las  très 
deliciosas  cartas  politicas  :  Figaro  de  vuelta,  Buenas  noches  y 
Dios  nos  asista,  que  como  los  très  articulos  sobre  la  guerra 
carlista  forman  un  conjunto  precioso,  de  interés  historico 
tanto  como  literario,  que  en  todo  tiempo  leeran  con  gusto 
cuantos  conozcan  6  estudien  la  lengua  castellana. 

Pero  el  tono  empieza  a  ser  muy  diferente  y  de  aqui  en  adelante 
la  transformaciôn  va  senalandose  mas  y  mas.  Ya  en  esas  cartas 
apenas  quedan  huellas  del  Larra  festivo  y  burlon  de  los  cuadros 
de  costumbres,  mucho  menos  se  encuentran  en  los  demâs  tra- 
bajos  hasta  su  muerte  ya  proxima.  También  en  ese  ano  i836 
sufrîa  lacosapùblica,  como  ya  indiqué,  la  mas  grave  y  desastrosa 
transformaciôn.  Los  hombres  del  poder,  obstinadamente  empe- 
âados  en  resistir  el  empuje  de  los  que  pedian  mas  libertades,  no 
parecîan  dar  importancia  a  la  agitacion  popular,  a  los  movi- 
mientos  tumultuosos  que  por  varios  lad  os  se  producîan.  Tras  ese 
comienzo  de  anarquia  vino  inmediatamente  la  indisciplina  en  el 
ejército,  sintoma  fatal,  pues  el  ejército,  que  con  bien  désignai 
fortuna  luchaba  contra  la  formidable  faccion  carlista  y  apenas 
bastaba  en  el  resto  del  pais  para  mantener  el  orden,  era  cl 
indispensable  apoyo  del  mal  afirmado  trono  constitucional. 


54  BULLETIN    HISPANIQUE 

El  militarismo  en  su  forma  mas  repulsiva, — la  tropa  armada 
decidiendo  de  la  marcha  de  la  politica,  générales  sin  cscrùpulo 
faltando  a  la  fe  jurada  para  encaramarse  violentamenle  al  poder — 
comenzo  a  imponerse  en  Espana  el  12  de  Agosto  de  i836,  para 
no  interrumpir  durante  cuarenta  anos  su  obra  nefanda.  Enese 
dia  las  tropas  acuarteladas  en  La  Granja,  residencia  de  verano 
de  la  familia  real,  salieron  armadas  a  la  calle  sin  mas  jefes  que 
sus  cabos  y  sargentos,  penetraron  en  palacio  y  forzaron  a  la 
reina  madré  a  proclamar  la  constitucion  de  181 2  y  convocar 
nuevas  Cortes.  Mientras  tanto  caîa  el  gobierno  en  Madrid,  era 
asesinado  el  gênerai  Quesada  y  los  ministres  salvaban  la  vida 
huyendo  6  escondiéndose  :  entre  éstos  figuraba  el  Duque  de 
Rivas,  el  autor  del  Don  Alvaro,  amigo  particular  de  Larra. 

Esa  constitucion  del  ano  doce,  que  en  realidad  poco  6  nada 
habia  regido  antes,  promulgada  dentro  de  los  muros  de  Gadiz 
en  plena  guerra  contra  Francia  y  abolida  por  Fernando  apenas 
ocupo  el  trono,  era  ya  en  concepto  de  Larra  una  antigualla, 
una  memoria  heroica,  digna  de  respeto  solamente  «  como 
Cristo  respeto  el  testamento  viejo,  fundando  el  nuevo  ».  En 
efecto  los  diputados  elegidos  conforme  a  sus  preceptos  resol- 
vieron  inmediatamente  redactar  una  nue  va,  que  Larra  no 
Uego  a  conocer,  pues  no  empezo  a  régir  hasta  mediado  el  afio 
de  1837. 

El  motîn  de  la  guarnicion  de  la  Granja,  que  dividio  por 
siempre  los  defensores  del  trono  de  la  reina  en  dos  fracciones 
opuestas  é  irréconciliables,  dejo  a  Larra  convencido  de  la 
ruina  total  de  sus  esperanzas,  de  que  era  delirio  esperar  la 
regeneracion  de  la  patria  por  medio  de  la  libertad,  cuando  el 
militarismo  tan  insolente  y  victoriosamente  podîa  atropellarlo 
todo.  En  la  original  y  funèbre  fantasia,  el  Dia  de  difuntos  de 
i836,  en  que  describe  la  ciudad  entera  como  un  vasto  cemen- 
terio  cuyos  edificios  pùblicos  son  monumentos  funerarios  con 
inscripciones  como  estas  :  «  Aqui  yace  el  trono,  nacio  en  el 
reinado  de  Isabel  la  Catolica,  murio  en  la  Granja  de  un  aire 
colado.  »  ((  Aqui  yace  la  subordinacion  militar,  »  y  otras  del 
mismo  jaez,  concluye  diciendo  que  su  corazon  también  «  lleno 
no  ha  mucho  de  vida,  de  ilusiones,  de  deseos  »  es  otro  sepul- 


MARIANO    JOSE    DE    LARR\ 


cro  cuyo  letrero  es  :  «  \quî  yace  la  esperanza.  »  Esa  fantasia 
es  un  poema,  una  admirable  salira  lirica  en  prosa,  como  lo 
son  La  JSoche  biiena,  las  Exequias  del  coude  de  Campo-Alanje, 
Haras  de  Invierno  y  alguna  otra.  Un  Larra  mas  misantropo, 
mas  desesperado  que  nunca  se  révéla  en  ellas. 

Ciiando  escribe  las  tristes  lineas  siguientes,  homenaje  al 
joven  Campo-Alanje,  con  motivo  de  su  mucrte  precoz  en  el 
campo  de  batalla,  se  siente  que  no  hayen  ellas  ficcion  ni  decla- 
macion,  que  son  el  grito  sincero  de  su  angustiado  corazon 
deplorando  su  propia  suerte  tanto  como  la  del  amigo  malo- 
grado  : 

«  (jQué  le  esperaba  en  esta  sociedad?  —  Mililar,  no  era 
insubordinado,  a  haberlo  sido  las  balas  lo  hubieran  respe- 
lado.  Hombre  de  talento,  no  era  intrigante.  Libéral,  no  era 
vocinglero.  Literato,  no  era  pédante.  Escritor,  la  razon  y  la 
imparcialidad  presidîan  a  sus  escritos.  ^Qxié  papel  podia  haber 
hecho  en  tal  caos  y  degradacion  ?  »  —  El  hombre  que  a  los 
veintiocho  anos  en  taies  términos  se  expresa,  si  no  miente,  esta 
ya  como  fatigado  octogenario  al  borde  del  sepulcro,  esya  presa 
designada  para  la  mucrte.  Habîale  tocado  vivir  en  el  mas 
infausto  momentode  la  historia  de  su  palria,  pero  elgénero  de 
su  talento  y  la  naturaleza  de  su  carâcter  lo  empujaron  también 
hacia  la  triste  catâstrofe  final. 

Su  natural  sombrio,  reservado,  intratable  a  veces,  fué  em- 
peorando  con  el  tiempo  Mordaz,  cortante  en  la  conversacion, 
se  creaba  facilmente  enemigos,  y  era  demasiado  orgulloso  para 
desagraviar  pronto  à  los  que  ofendia.  No  era  tampoco  feliz, 
segùn  parece,  en  el  hogar  doméstico,  por  efecto  sin  duda  de 
ese  terrible  mal  humor,  que  allî  dejaria  correr  sin  tratar  de 
dominarse.  Hablando  de  los  satiricos  habîa  formulado  esta  con- 
fesion  :  «  Molière  era  el  hombre  mas  triste  de  su  siglo,  entre 
nosotros  dificilmente  pudiéramos  citar  à  Moratîn  como  un 
modelo  de  alegria...  y  si  nos  fuera  lîcito  nombrarnos  siquiera 
al  lado  de  tan  altos  modelos,  confesarîamos  ingenuamente  que 
solo  en  momentos  de  tristeza  nos  es  dado  aspirar  a  divertir 
a  los  demâs.  » 

El   éxito   mismo  de  sus  escritos,   muy  real,  pero  limitado. 


56  BULLETIN    HISPANIQUE 

puede  muy  probablemente  contarse  entre  las  causas  excitantes 
de  la  desazon  constante  de  su  espîritu  ;  él  se  sentîa  lleno  de 
ideas,  capaz  de  grandes  cosas,  y  lo  creîa  inferior  a  sus  mereci- 
mientos,  le  dolîa  verse  reducido  a  improvisar  articules  de 
periodico,  de  que  se  hablaba  veinte  y  cuatro  horas  y  se  olvi- 
daban  pronto,  mientras  que  en  otros  géneros  mas  brillantes  y 
duraderos,  que  hubiera  querido  cultivar,  otros  mejor  dotados 
le  aventajaban,  Honra  por  tanto  a  su  nobleza  el  recordar  que 
en  nada  a  pesar  de  eso  se  altéré  su  imparcialidad,  su  genero- 
sidad  de  critico.  No  cayo,  como  Sainte-Beuve  por  ejemplo,  en 
el  error  de  creerse  humillado  por  la  superioridad  que  en  poesia 
lograron  sobre  él  Lamartine  y  Vigny,  Hugo  y  Musset,  de  con- 
cederles  siempre  algo  menos  de  lo  que  en  justicia  les  corres- 
pondia  y  celebrar  en  cambio  demasiado  a  otros  inferiores. 
Larra  por  el  contrario  saludo,  ya  lo  dije,  con  fervorosa  sim- 
patia  la  aparicion  en  el  teatro  de  dramas  que  por  el  mayor 
interés  del  argumento  y  el  brillo  de  la  versificacion  dejaban 
en  la  sombra  a  su  Macias.  El  juicio  sobre  los  Amantes  de  Teruel, 
escrito  en  Enero  de  1887,  es  una  de  las  ûltimas  cosas  que  dio 
a  luz,  pues  pocos  dias  después  habia  dejado  de  existir.  En  ese 
mismo  perîodo  final  busco  ocasion  de  mencionar  y  celebrar 
rivales  como  Vega  y  Breton,  encomiando  expresamente  la 
traduccion  felicisima  que  este  hizo  de  los  Hijos  de  Eduardo  de 
Delavigne,  asi  como  la  de  Hernani  por  Ochoa. 

Espero  un  instante  ocupar  su  actividad  tomando  parte  en 
las  luchas  de  la  polîtica  y  acallar  6  sofocar  en  el  tumulto  del 
Parlamento  la  inquietud  de  su  espîritu.  Fué  elegido  diputado  a 
Gortes  por  Avila,  pero  el  malhadado  motîn  de  la  Granja  le 
cerro  igualmente  ese  camino  y  las  Gortes  no  se  reunieron.  Todo 
conjuraba  contra  él.  En  esa  exquisita  organizacion  de  artista, 
en  ese  talento  critico  de  primer  orden,  en  ese  satirico  de  tan 
escrutadora  mirada  palpitaba  un  corazon  de  ardiente  y  extre- 
mada  sensibilidad,  un  coraz(3n  de  antemano  preparado  para 
sufrir  mas  terriblemente  que  ninguno  el  dia  que  de  él  hiciese 
presa  alguna  gran  pasion.  Y  la  pasion  vino,  tremenda,  ava- 
salladora,  de  la  especie  que  él  habia  descrito  al  justificar  los 
furores  de  Diego  Marsilla,  el  amante  famoso  de  Teruel,  «  para 


MAR1A>0    JOSÉ    Dli    LARRA  b"] 

la  cual  no  hay  obstâculo,  no  hay  mundo,  no  hay  hombres,  no 
hay  mus  Dios  en  fin  que  ella  misma.  »  La  mujer  que  la  inspiro 
quiso  ariancarla  ella  misma  ciel  corazun  del  hombrc  que  tanto 
la  amaba;  no  imaginaba  quizas  cuân  hondas  eran  sus  raices, 
y  al  tirar  de  ellas  bruscamente  se  llevo  también  la  vida  del 
infortunado  poeta. 

La  nolicia  del  suicidio  causé  en  Madrid  extraoïdinaria  sen- 
sacion.  En  el  curso  de  ese  dîa  i3  de  Febrero  de  1807  muchos 
le  habian  visto  y  hablado  en  diversos  lugares,  sin  notar  cambio 
alguno  en  su  modo  habituai  de  ser.  Mesoneio  Romanos,  que 
lo  tuvo  de  visita  en  su  casa,  lo  hallo  «mas  templado  que  de 
costumbre  ».  El  Marqués  de  Molins  celebro  con  él  larga  cunfe- 
rencia  ;i  proposito  de  una  comedia  que  juntos  habian  empezado 
a  escribir  y  que  debia  tener  a  Quevedo  por  protagonista.  Esa 
tarde  misma  ocurrio   la  catastrofe. 

Los  funerales,  costeados  por  amigos  y  admiradores,  han  de- 
jado  recuerdo  imborrable  en  la  historia  de  las  letras  espanolas. 
La  escena  final  en  el  cementerio,  el  acto  de  encerrar  prematu- 
ramente  en  un  nicho  tanto  talento  y  tanta  juventud,  que  no 
podîa  menos  de  ser  en  todo  caso  profundamente  conmovedor, 
adquirio  particular  importancia  con  la  aparicion  de  Zorrilla, 
a  la  edad  de  diez  y  nueve  anos,  recitando  unos  versos  ante  el 
féretro,  con  la  voz  melodiosa  y  el  ritmo  cantante  que  daban 
siempre  gran  realce  a  todo  lo  que  leia. 

Esa  composicion  juvenil,  désignai,  sin  orden  y  a  veces  sin 
sentido,  no  desmerece  mucho  al  lado  de  otros  versos  liricos  del 
autor  en  plena  madurez,  pues  nunca  en  ese  género  rayô  Zo- 
rrilla a  grande  altura.  El  poeta  renego  de  ella  después  y  de  su 
dramatica  entrada  en  la  vida  pùblica,  pero  sera  siempre  coin- 
cidencia  digna  de  memoria  que  junto  a  la  tumba.del  gran  ini- 
ciador  y  maestro  del  romanticismo  en  Espafia,  surgiese  inespe- 
rado  el  mas  nacional  de  los  poêlas  romanticos  espafioles,  aquél, 
que  sin  imitar  directamente  a  Walter  Scott,  ni  parecérsele 
en  nada,  produjo  leyendas  en  verso  tan  buenas  como  las  del 
insigne  bardo  nacional  de  Escocia. 

Enrique  PINEYRO. 


EL   CiSTELLANO   EN   AMÉRICÂ 

(fin  de  una  polémica)' 


Es  trivial  noticia  para  los  que  hayan  saludado  obras  de  lingiiis- 
tica  que  cuando  un  idioma  se  habla  en  territorios  extensos 
cuyos  habitantes,  separados  por  causas  naturales,  sociales  6 
polîticas,  no  tienen  comunicaciôn  frecuente  ni  obedecen  a  una 
idea  superior  que  los  haga  considerarse  a  si  propios  como 
unidad,  ese  idioma  se  divide  por  fuerza  en  dialectos.  Este 
hecho,  reconocido  por  todos  los  lingûistas,  naluralmente  ha 
dado  ocasion  a  que  se  tenga  por  cierto  que  tal  suerle  cabra 
al  castellano.  Pott,  dando  noticia  en  1877  de  la  2"  edicion  de 
mis  Apuntaciones  criiicas  sobre  el  lenguaje  bogotano  y  después 
de  hablar  de  las  divergencias  que  existen  entre  el  inglés  de  los 
Estados  Unidos  y  el  de  Inglaterra,  preguntaba  :  ^  Podrâ  creerse 
que  las  lenguas  procedentes  del  Lacio,  trasladadas  al  suelo 
americano,  escaparân  al  destine  que  les  imponen  las  leyes 
générales  de  la  naturaleza  ^  ?  Por  ese  tiempo  no  ténia  yo  mayor 
conocimiento  del  estado  del  castellano  en  America,  fuera  de 
mi  patria,  ni  habia  meditado  sobre  el  particular;  asi  que  me 
parecio  infundado  el  pronostico.  Con  mas  noticias  después,  he 
mudado  de  opinion,  y  sobre  todo  viendo  que  cada  dia  se 
acercan  mas  a  su  cumplimiento  los  anuncios  relatives  al 
inglés,  a  pesar  de  las  frecuentîsimas  comunicaciones  que  hay 
entre  los  pueblos  que  en  America  y  Europa  lo  hablan,  y  de 
que  alli  se  hacen  copiosas  y  baratisimas  ediciones  de  los 
mejores  escritores  ingleses  antiguos  y  modernes  ;  solo  porque 
falta  la  cenciencia  de  la  unidad,  esa  fuerza  que  de  varies  miem 
bros  constituye   un  organisme  viviente.    El  lecter  que  baya 

1.  Véase  Bulletin  hispanique,  III,  pp.  35  sgs. 

2.  Es  el  lug-ar  que  indiqué  en  la  nota  2  de  la  p.  Sg  del  Bulletin;  y  repito  la  cita  para 
decir  que  los  mismos  conccptos  expresô  el  sapientisimo  Profesor  en  una  carta  latina 
que  publique  en  la  3' éd.  de  mi  libro  (Bogota,  1881),  y  que  â  esos  prcsa!?ios  atudi, 
conjurândolos,  al  fin  del  prôlogo. 


EL   CASTELLANO    EX    AMERICA  Ôg 

visto  mi  primer  articule,  recordarâ  que  formulé  claramente  el 
problema,  aduciendo  la  comparacion  del  latfn  y  apuntando 
varies  de  los  datos  que  ayudan  a  su  solucion,  en  carta  que 
escribî  al  egregio  poeta  argentine  D.  F.  Soto  y  Calvo;  recor- 
dani  también  que,  desazonado,  D.  Juan  Valera  ataco  destem- 
pladamente  mi  opinion  en  un  articule  de  Los  Lunes  de  El 
Imparcial  de  Madrid.  Rechaz(j  el  Sr.  V.  la  comparacion  con  la 
evoluciôn  del  latin  que  produje  las  lenguas  romances,  ale- 
gando  no  haber  paridad,  porque  alli  intervino  la  invasion  de 
los  «  pueblos  germânices  y  de  otras  razas,  que  dieron  origen  a 
nuevos  estados  y  aun  a  nuevas  nacionalidades  »  ;  y  se  siguio  la 
edad  média,  en  que  la  civilizacion  antigua  c  sul'rio  largo  éclipse, 
é  mas  bien  suene  6  letargo,  del  que  hube  de  despertar  o  de 
renacer  trasfermada  y  muy  etra  de  le  que  era  y  con  otros  modes 
de  expresion  para  manilestar  su  pensamiente  »,  cosas  que  no 
han  sucedide  en  America.  Argumentacion  es  esta  que  se  funda 
en  la  idea  trasnochada  de  que  à  la  vielencia  de  la  invasion 
germanica  y  a  la  influencia  de  los  triunfadores  se  debio  la 
Irasformacion  del  latin  y  la  diferenciaci(jn  de  las  lenguas 
romances',  y  en  el  desprecio,  à  que  también  paso  la  meda, 
con  que  les  filosofos  del  siglo  xvin  miraban  a  la  edad  média, 
juzgandola  cemo  periedo  no  existente,  como  paréntesis  en  la 
vida  social,  politica  y  literaria  de  Eurepa.  A  esto  anadio  otros 
argumentes  que  pudieran  llamarse  de  corrille,  como  el  de 
que  no  en  todas  las  naciones  queformaban  el  inmenso  imperie 
espanel,  se  halla  a  mano  para  desechar  el  habla  de  Castilla 
otra  lengua  viva  aûn  6  algûn  dialecte  que  la  reemplace  ;  6  el 
de  que  no  hay  motive  para  recelar  la  desaparicion  del  caste- 
llano  en  el  nueve  continente,  «  A  no  ser  que  los  actuales  habi- 
tantes 6  ciudadanos  de  las  nuevas  repiiblicas  se  consideren. 
con   humildad  prefundîsima,    tan   pobres   de  ser  prepio  que 

I.  Véase  Diez,  Gramin.  I,  p.  50  (trad.  franc).  Littré  combatiô  en  i85(;â  Max  Millier, 
que  exagcraba  la  influencia  germanica,  dicicndo  que  el  romance  era  latin  haLlado 
por  alemanes  y  afirmando  que  entre  uno  y  otro  no  habia  continuidad  (Hisf.  de  la 
langue  française,  I,  pp.  (jC  sgs.,  éd.  1873).  El  Profesor  de  Oxford,  con  la  ingeriuidad 
propia  de  un  sabio,  adhiriô  â  la  opinion  de  Littré,  copiando  sus  propias  palabras 
(Lectures  on  Ihe  science  of  language,  II,  G  :  p.  ay?  :  N~ueva-York,  1870).  Hoy  nadie  crée 
en  esc  (Grôber.  Grundriss  der  romnnischen  Philologie,  I,  p.  131;  Meycr-Lûbke  ni 
sifjuiera  lo  mcnciona  en  su  EinJ'iilirung  in  das  Studiuin  der  romanischen  Sprarhwissen- 
scliiifl,  l'joi)- 


6o  BULLETIN    HISPANIQUE 

vengan  a  sobreponerse  a  ellos  y  à  hacerles  olvidar  el  habla  de 
sus  padres,  6  bien  los  iiidios  iiidigenas,  6  bien  los  emigrantes 
italianos,  franceseso  alemanes,  que  acudan  en  busca  de  trabajo 
y  de  bienes  de  fortuna  »  ;  6  este  otro,  que  debio  de  parecer  tan 
concluyente  a  su  autor  que  lo  reprodujo  {mutatis  mutandis,  ya 
se  entenderâ)  en  La  Nacion  de  Buenos  Aires,  diciendo  que  por 
no  repetirse  lo  escoge  entre  los  demâs  :  «  Si  en  Espana  no  hay 
mas  que  cuatro  6  cinco  autores,  y  si  para  vivir  vida  intelec- 
tual  tenemos  que  recibirla  de  Francia,  tan  amenazado  como 
en  aquellas  repùblicas  esta  el  castellano  en  esta  desventurada 
y  estéril  metropoli,  donde  solo  Dios  sabe  que  lengua  habla- 
remos,  6  si  dejaremos  de  hablar,  ya  que  nada  propio  y  no 
venido  de  Paris  tenemos  que  decir  en  ninguna  habla'.  » 
Desentendime  por  completo  de  especies  semejantes  en  mi 
anterior  artîculo  por  consideracion  al  Sr.  Y.  y  por  respeto 
a  los  estudios  a  que  me  he  aplicado.  En  contestaciôn  u  ese 
escrito  mio,  en  que  no  hice  sino  extender  los  datos  en  que 
habia  fundado  antes  mi  opinion,  ha  enviado  el  Sr.  Y.  una 
carta  a  La  Tribuna  de  Méjico  en  la  cual,  haciendo  caso  omiso 
de  esos  datos  indispensables  de  la  cuestion,  sostiene  que  a 
fuerza  de  dar  yo  razones  y  deemplear  argumentos  para  démos 
trar  la  instabilidad  de  los  idiomas,  no  pruebo  nada,  porque 
pruebo  demasiado,  supuesto  que  con  los  mismos  argumentos 
y  razones  de  que  me  valgo  para  anunciar  la  inminente  (esto  lo 
dice  el  Sr.  V.,  que  no  yo)  desaparicion  del  castellano  en  los 
que  fueron  dominios  de  Espana,  se  puede  anunciar,  si  los 
aplicamos  al  inglés,  la  desaparicion  de  ese  idioma  en  el 
Canada,  en  los  Estados  Unidos,  en  la  Australia  y  en  no  pocas 
otras  colonias  inglesas  esparcidas  por  el  mundo.  Dejo  aparté 
que  contar  a  los  Estados  Unidos  entre  las  colonias  inglesas 
corresponde  a  la  preocupacion  de  mirar  a  las  naciones  hispano- 

I.  En  La  Tribuna  reaparece  el  argumento  bajo  esta  l'oniia  ad  Icrrorein  :  «  Por 
modeslos  que  seamos,  no  podemos  concéder  que  desde  los  tiempos  de  Ruric  hasta  los 
de  Pedro  el  Grande  6  casi  hasta  fines  del  eiglo  xviii,  se  hayan  escrito  en  ruso  mas 
obras  de  mérito  que  en  castellano.  El  ruso,  no  obstante,  no  ha  desaparecido  :  antes 
bien,  se  ha  cultivado  con  esmero  y  ha  servido  para  que  exprcsen  en  él  sus  altos  pen- 
samientos,  que  por  donde  c[uiera  se  celebran  hoy  y  se  admiran,  Puschkin,  Lermontoff, 
Go"'ol,  Turgueneff  y  muchos  otros  fiiôsofos,  poetas,  novelistas  y  rcformadorcs  socia- 
les. »  Esta  visto  que  el  Sr.  V.  no  quiere  cntender  de  que  se  trata. 


EL    CASTELLA.XO    E>    AMÉlUCV  6l 

umericunus  como  parte  inlegraiile  de  Espana  (de  lo  cual 
hablaré  abajo),  para  decir  que  precisameiite  el  caso  del  inglés 
es  el  argumento  mas  oporluiio  que  puedc  prescntarse  eu 
favor  de  mi  tesis,  y  que  el  afirmarlo  es  cosa  tan  vieja,  por  lo 
meuos,  como  lo  que  yo  pieiiso  del  caslellano'.  Alega  ademas 
que  en  Francia,  en  Inglaterra  y  en  Alemania,  ni  mas  ni  menos 

I.  Cotno  es  de  conjeturarse,  el  caso  del  inglés  en  America  es  anâlogo  al  del 
castellano  :  conserva  voces  y  acepcioncs  de  buena  cepa  que  en  Inglaterra  se  han 
olvidado,  y  lanibién  voces  que,  siendo  provinciales  6  dialéclicas  en  su  origen,  han 
pasado  à  ser  de  uso  gênerai;  otras  han  mudado  de  sigiiilicacion;  ademâs  vocablos 
nucvos,  ora  formados  con  elementos  antiguos,  ora  tomados  de  lenguas  cxtranjeras, 
pronunciacioties  viciosas  y  errores  gramalicales,  asi  en  la  morl'ologîa  como  en  la 
sinlaxis  (Barllelt,  Dictionary  of  Americanisms,  prôl.  :  Boston  iSSy;  Storm,  Englischc 
Philolo(jie'^,  1,  pp.  S.'n-oiS,  donde  se  resumen  y  comentan  sabiamente  los  princi- 
pales trabajos  sobre  la  materia^.  Oigamos  algunos  tcstigos  :  Marsh,  americano,  bata- 
llaiido  ya  con  su  conciencia  de  lilôlogo,  ya  con  sus  aficiones  de  litcrato,  reconoce  las 
muchas  causas  que  obran  para  corromper  cl  inglés  en  su  patria,  pcro  trata  de 
conjurar  los  funestos  presagios,  ponderando  los  inconvenientes  de  la  separaciôn 
dialéctica  y  las  ventajas  de  una  lengua  comûn,  y  anade  :  «  If  we  cannot  prevent  so 
sad  a  calamity,  let  us  not  voluntarily  accelerate  it  »  (Lectures  on  the  English  Language  4, 
XXX,  pp.  GGG  sgs.,  Nueva  York,  1872).  —  Trench,  inglés,  después  de  exponer  las 
razones  por  las  cuales  no  crée  que  el  inglés  haya  de  dividirse  en  dos  lenguas, 
advierte  :  «  .Vt  tlic  same  timc  one  must  OAvn  that  thcre  are  not  wantingsonieominous 
signs.  Uf  latc,  above  ail  since  the  conclusion  of  their  great  Civil  War,  some  writers 
on  the  other  side  of  the  Atlantic  hâve  announced  that  henceforth  America  will,  so 
to  spcak,  set  up  for  herself,  Avill  not  accept  any  longer  the  laws  and  canons  of  speech 
which  may  hère  be  laid  down  as  of  iinal  authority  for  ail  members  of  the  English- 
spcaking  race,  but  travel  in  her  own  paths,  add  words  to  lier  own  vocabulary,  adopt 
idioms  of  lier  own,  as  may  seem  tho  best  to  her.  She  has  a  perfcct  right  to  do  so. 
The  language  is  as  much  hers  as  ours  d  {English  past  und  présents,  p.  Gi,  Londres, 
1873.  ;  Gômo  contrasta  este  modo  de  expresarse  con  cl  de  D.  Leo^joldo  Alas  :  Nosotro.< 
sonios  los  amos  de  la  lengua.').  —  \  ointe  anos  después  escribc  Sweet,  inglés  también  : 
«  Through  the  colonization  of  iiritish  North  America  in  the  iGth  and  17111  centuries, 
the  Ameriean  English  of  the  United  States  and  Canada  is  anothcr  independent 
modilicalioa  of  Standard  English,  though  much  less  arcliaic  than  Irish-English. 
Educaled  American  English  is  now  almost  enlirely  independent  of  Brilish  influence, 
and  dilVors  froiii  it  considerably,  though  as  yet  notenough  to  niake  the  twodialects  — 
American  English  and  British  English  —  mutually  uniiitelligible.  American  English 
itself  is  beginning  to  split  up  into  dialccls.  Australia  and  .N'en-  Zealand  were  colo- 
nized  during  the  présent  century,  and  their  educated  speech  dilTcrs  but  slightly  from 
Brilisli  English...  Thèse  new  dialectal  diilercnces  are  mainly  observable  in  the 
spokcn  language.  Literary  English  still  maintains  its  unity  everywhere,  a  few 
'<  Americanisms  »,  cxcepted...  »  {A  Neiv  EnijUsk  Gramniar,  1,  p.  22/i,  Oxford,  189a). 
M  dicho  de  los  interesados  anadiré  eljuicio  de  un  extrano,  compétente  como  el  que 
mâs,  y  de  la  nias  cumplida  iniparcialidad  cientilica;  hablo  de  Storm,  cuyas  palabras 
traduzco  liclniente  en  obsequio  del  mayor  numéro  :  <<  Peculiar  evoluciôn  del  inglés 
popular  es  el  inglés  que  se  habla  en  los  Estados  Lnidos,  el  que  no  esta  con  el  inglés 
i-n  la  relaciôn  de  dialecto  determinado,  sino  en  la  de  evoluciôn  del  antiguo  inglés 
popular  modilicado  por  dialectos  ingleses  mâs  niodernos.  El  cardcter  peculiar  de  los 
americanos  y  sus  circunstancias  especiales  han  producido  nuevas  y  multiples  evo- 
luciones.  El  habla  inglesa  y  la  amcricana  se  hallan  casi  en  la  misma  relaeiiôn  que  el 
noruego  y  el  danés  :  ningùn  norucgo,  por  purista  que  sea,  puede  6  quiere  escribir 
en  danés  pnro;  si  bien  en  America  no  se  ha  llegado  â  tanto.  El  tipo  es  todavia  el 
inglés  puro,  mas  raros  puristas  lo  hablan  ;  la  generalidad,  sin  exceptuar  â  la  gente 
educada,  habla  un  idioma  especial  que  se  conoce  en  seguida  no  solo  por  la  pronun- 

linll.  hispaii.  b 


•Î2  BLLLETI>    HlSI'A-MQLÈ 

que  en  Espatîa  y  las  que  fueron  sus  colonias  (vuelta  a  la  preo- 
cupacion),  hay  dialectos  y  que  no  por  eso  estan  amenazados  de 
muerte  el  francés,  el  inglés  y  el  aleman  :  el  caso  es  diferenti- 
simo,  porque  (repitiéndome)  la  influencia  politica,  social  y 
llteraria  de  ciertos  centros  tiene  allî  a  raya  las  hablas  locales, 
y  no  podrian  ellas  levantar  cabeza  y  llegar  a  la  categoria  de 
lenguas  literarias  6  exclusivas  de  una  région  sin  césar  antes 
esa  influencia  unificadora.  Para  el  conjunto  de  los  pueblos  que 
hablan  castellano,  por  el  contrario,  faltan  una  administraciôn 
pûblica  comûn,  una  norma  de  todos  aceptada  que  dé  el  tono 
para  el  bien  hablar  en  sociedad,  y  en  fin  una  vida  intelectual 
comûn,  que  mediante  el  trato  constante,  informe  lodas  las 
manifestaciones  del  pensamiento.  En  los  paîses  europeos  los 
dialectos  son  antiguos,  y  el  habla  de  las  capitales  los  va  arrin- 
conando  y  absorbïendo  ;  en  America  las  divergencias  son  poste- 
riores  y  no  hay  influencia  tan  poderosa  que  las  ahogue.  Detreinta 
6  cuarenta  anos  data  en  los  literatos  americanos,  no  en  los  espa 
noies,  la  moda  de  consultar,  si  ocurre  duda,  la  gramatica  y  el 
diccionario  :  çcuànto  durara  la  moda?  écuanto  durara  la  dudai' 

Fuera  de  estas  razones,  tan  poco  concluyentes  como  esta 
visto,  no  hace  el  Sr.  V.  sino  divagar  entreteniéndose  en  cosas 
que  no  vienen  a  cuento.  Pero  hay  très  6  cuatro  puntos  que  ncj 
es  bueno  dejar  sin  recuerdo  6  rectificacion. 

A  lo  que  parece,  no  tiene  el  Sr.  V.  mas  idea  de  lo  que  se 
habla  en  America  que  la  que  le  dan  los  libros  de  sus  admira- 
dores,  los  cuales  se  aventurarân  a  lo  sumo  a  incrustar  en  co- 
rriente  frase  castellana  algunas  voces  indîgenas  en  obsequio 
del  color  local,  a  la  manera  del  conocido 

Llora,  Uora,  ùrutaû, 
En  las  ramas  del  yatay. 

L'iacién  sino  tambiéu  i^or  una  multitud  de  expresiones  y  g'i'os  especiales.  Es  cierto 
que  en  el  estilo  elevaùo  la  lengua  escrita  no  diflerc  mucho;  pero,  con  lodo  eso,  un 
escritor  americano  se  conoce  siempre  por  su  lenguaje,  particularmente  cuando  trata 
asuntos  ordinarios  6  especiales.  Los  buenos  escritores  escoceses  6  irlandeses  procuran 
evitar  los  provinciHlismos,  y  pertenecen  ;t  la  literatura  inglesa;  los  americanos  6  no 
quieren  6  no  pueden  evitar  los  americanismos,  y  tienen  la  idea  de  qnc  su  inglés 
es  tan  bueno  6  mejor  que  el  de  los  ingleses  :  lo  cierto  es  que  es  difercnte  (Storm  es 
quien  subraya),  La  literatura  americana  es  pues  distinta  de  la  inglesa  :  una  y  otra 
ovoluciôn  de  la  lengua  se  inûuyen  sin  duda  mutuamcnte,  pero  son  independientes 
una  de  otra  «  (ubi  supra,  pp.  S'u-?.). 


tL    CASTELLAMO    Ey    AMERICA  (j3 

Por  aquî  se  habru  persuadido  de  que,  en  gênerai  (segun  de 
sus  artîculos  se  colige),  las  Icnguas  no  se  alteran  sino  por  la 
introduccion  de  voces  nuevas,  y  de  que,  en  paiiicular,  el  cas- 
tellano  del  Nuevo  Mundo  no  difiere  del  de  la  Peninsula  sino 
por  haberse  tomado  palabras  referentes  ((  a  especiales  y  locales 
usos,  costumbres,  producciones  naturales,  trajes,  etc.  ».  Pres- 
cindiendo  de  la  evidencia,  dire  que  esta  opinion  se  halla  en 
desacuerdo  con  otra  opinion  que  razonablemente  he  de  tener 
por  bien  recibida  en  la  patria  del  Sr.  Y.  :  entre  las  resoluciones 
del  Congreso  hispanoamericano  de  1892  se  lee  que  «.  conven- 
dria  que  la  juventud  que  visita  a  Europa,  residiese  algûn 
tiempo  en  Espana  antes  de  regresar  à  su  pais,  a  fin  de  estrc- 
char  los  vinculos  fundados  en  la  solidaridad  de  lengua  que 
deben  unir,  en  provecho  de  todos,  a  los  pueblos  de  ambos 
continentes»,  y  ademas  que  «  convendria  se  enviase  à  los 
alumnos  distinguidos.  por  via  de  recompensa,  a  las  escuelas 
normales  de  Espana.  a  fin  de  que  sigan  algunos  cursos 
de  nuestra  lengua  ».  No  es  necesario  ser  lince  para  ver  que 
esto  fue  redactado  y  propuesto  por  espanoles,  y  menos  para 
adivinar  que  el  habla  americana  no  les  parece  muy  catolica,  y 
eso  no  por  tal  6  cual  palabra  que  rarîsima  vez  tendran  ocasion 
de  usar  fuera  de  su  patria.  En  lugar  de  quejarme,  agradezco 
que  se  baya  dado  ese  testimonio  en  favor  de  mi  opinion;  y 
también  sin  quejarme  anadiré  que  varios  paises  de  America 
creen  que  ellos  hablan  con  mas  correcciôn  que  los  demâs  '  ; 
lo  cual  meramente  quiere  decir  que  notan  diferencias  notables 
entre  su  modo  de  hablar  y  el  de  otros  lugares.  Por  manera  que 

I .  Menciona  el  Sr.  Lenz  la  opinion  de  que  el  castellano  de  los  chilenos  bien  educados, 
salvo  la  pronunciaciôn,  es  mas  correcte  y  rico  que  el  de  los  demis  hispanoame- 
ricanos  (Zeitschrift  fiir  roin.  Philologie.  XMl,  p.  21 4).  En  la  l'iltima  sesiôn  del 
Congreso  hispanoamericano  celebrado  en  Madrid  el  ano  de  1900.  el  représentante  de 
\enezuela  «  recabô  para  su  pais  el  privilegio  de  ser  la  naciôn  americana  que  con  mâs 
tidelidad  conserva  el  idioma,  los  usos  y  las  costumbres  de  la  madré  patria»  (Corres- 
pondencia  de  Madrid  en  La  Aaciôn  de  Buenos  Aires,  a'i  de  Diciembre  njoo).  Ignoro 
hasta  que  punto  opiniones  semejantes  estân  basadas  en  el  examen  y  comparaciou 
directa  y  porsonal.  Faltaria  â  la  gratitud  si  omiliesc  el  testimonio  que  en  el  siglo  ivn 
daba  mi  paisano  el  obispo  Picdraliita  en  favor  de  los  habitantes  de  Santa  Fe  de 
Bogota  :  «  Los  que  vulgarmente  se  llaman  CrioUos  son  de  vivos  ingénies  :  hablan  el 
idioma  espanol  con  mas  pureza  castellaiia,  que  todos  los  demâs  de  las  Indias  :  incli- 
nanse  poco  al  esludio  de  las  leyes,  y  medicina,  que  sobresale  en  Lima,  y  Mexico;  y 
mucho  al  de  la  Sugrada  Theologia,  Filosofia,  y  Ictras  humanas»  (Historin  gênerai  de 
(•is  •■onqiiislas  del  Xiievu  Reyno  de  (Jnniada.  ptc.  I,  lih.  VI.  cni).  IV). 


64  BULLETIN    HISPANIQUE 

los  Espaùoles  sienten  que  los  Americanos  iio  hablan  como 
ellos,  y  los  Americanos  sienten  que  su  habla  no  es  idéntica. 
En  vista  de  esto  colijo  que  si  en  America  un  provinciano  va 
a  la  capital  de  su  nacion  y  quiere  probar  que  ha  dejado  el  pelo 
de  la  dehesa,  a  fin  de  parecer  culto  no  pronunciarà  las  zz  a  la 
espafiola  ni  usarâ  frases  6  voces  madrilenas  6  do  otras  capitales, 
porque  se  le  reirian  en  la  cara;  sino  que  se  acomodara  al  uso 
de  la  gente  culta,  por  mas  que  ese  uso  no  parezca  bien  en 
Espana  ni  en  otras  ciudades  de  America.  Si  esto  es  asi,  en  cada 
parte  habrâ  modos  especiales  de  expresarse.  favorecidos  por  la 
buena  sociedad,  y  que  es  probable  se  aumenten  y  aiiaiguen  de 
dîa  en  dîa.  No  se  me  oculta  que  quien  tenga  a  la  visla  libros 
compuestos  é  impresos  en  Madrid,  Méjico,  Lima  6  Santiago, 
necesita  un  acto  soberano  de  fe  para  créer  que  la  unidad  relativa 
de  lenguaje  es  aparente  y  que  bajo  ella  se  esconde  la  disocia- 
cion.  Para  liacer  su  creencia  razonable,  bastarale  recordar  que 
la  causa  primordial  y  caracterîstica  de  la  diferenciacion  dialéc- 
tica,  lo  que  principalmente  dificulta  la  mutua  inteligencia, 
no  réside  en  la  alteracion  del  vocabulario  (como  se  imagina  el 
Sr.  Y.),  sino  en  la  de  la  pronunciacion,  con  todos  los  accidentes 
que  el  acento,  el  tono  y  el  tiempo  elocutorio  acarrean  en  la 
agrupacion  y  enlace  de  las  palabras.  Los  que  hablamos  caste- 
Uano  entendemos  sin  particular  esfuerzo  muchas  frases  \  aun 
periodos  en  un  libro  portugués  ;  pero  es  probable  que  si  oyé- 
semos  conversar  naturalmente  a  dos  portugueses,  acaso  no  dis- 
tinguiéramos  una  sola  de  esas  palabras  que  parecîan  claras  en 
letra  de  molde.  Diferencias  de  esa  indole  son  hoy  perceptibles 
entre  varios  paises  de  America,  y  por  la  mera  entonacion  se 
distinguen  a  veces  los  habitantes  de  ellos  ;  otros  accidentes  los 
separan  todavia  mas.  En  los  dos  versos  de  Guido  Spano  arriba 
citados,  solo  en  no  se  presta  à  divergencias  notables  :  unos 
dicen  llora  y  otros  yora,  unos  pronuncian  con  toda  distincion 
la  6-  de  las  ramas  y  otros  la  oscurecen,  hay  quien  convierta  del 
en  der,  y  aun  la  silaba  inicial  de  la  voz  indîgena  yalay  puede 
variar,  una  vez  que  en  el  Plata  y  en  Méjico  (Veracruz)  la  y  se 
pronuncia  como  la  ./  francesa,  sin  contar  que  en  ârutau  el 
acento    circuntlejo    de  la    primera    //   ha    de   indicar    alguna 


EL    CASTEF.L.\>ô    K>    AMERICA  1)5 

especial  inflexion  que  no  lodos  acertarân;  ademas  no  tienen 
numéro  los  que  en  vez  del  imperalivo  singular  llora  dirîan 
llord.  Para  todos  estàn  escritos  osos  versos  de  un  mismo  modo, 
y  en  diversas  partes  se  leen  difercntemente.  Si  anadimos  la 
multitud  de  voces  nuevas  sacadas  de  las  castellanas  y  las  acep- 
ciones  y  construccioncs  también  nuevas,  que  ni  son  comunes 
ni  iiiteligibles  para  todos,  resultara  que  en  mas  de  très  siglos 
no  se  han  estado  ociosas  en  America  las  causas  que  modifîcan 
y  dividen  los  idiomas. 

«  Que  las  lenguas  tienen  mas  persistencia  en  el  dîa  entre  las 
naciones  rultas  que  la  que  tuvieron  entre  las  nacioncs  burbaras 
en  antiguas  edades  :  «  sea  enhorabuena;  pero  eso  no  quiere 
decir  que  se  estacionen,  como  basta  a  demostrarlo  cualquier 
gramatica  historica.  Fâcilmente  habra  quien  se  imagine  que 
estuvo  fija  la  lengua  castellana  en  su  edad  clasica  por  excelen- 
cia,  desde  las  églogas  de  Garcilaso  hasta  Hado  y  Divisa  de  Calde- 
r(3n;  pero  nada  mas  inexacto.  En  esos  dos  siglos  se  verificaron 
cambios  profundos  en  la  fonética,  en  la  morfologîa  ^  en  la 
sintaxis,  y  ninguno  de  ellos  se  cumplio  sin  que,  para  genera- 
lizarse,  vacilaran  los  escritores,  adelantandose  unos,  quedân- 
dosc  otros  en  zaga,  segùn  los  lugares  6  la  edad.  En  ese  tiempo 
se  vio  desaparecer  la  .9  y  la  z  sonoras  (la  primera  de  las  cuales 
era  la  que  el  francés  pronuncia  en  rose,  zèle),  y  quedaron  solo 
las  sordas  que  hoy  tenemos;  se  confundieron  entre  si  las 
fricativasy  sonora  y  x  sorda  (que  corresponden  a  los  sonidos 
de  la  J  y  ch  francesas),  para  convertirse  luego  en  la  fricativa 
velarj;  hizose  déclinable  quien,  é  indéclinables,  precediendo  a 
un  sustantivo,  excepta,  mediante,  obstante,  embargante ;  las  segun- 
das  personas  de  plural,  que  al  acabar  el  siglo  xv  terminaban  en 
dis,  éis,  is  agudos  (llegâis,  tenéis,  deci'sjyen  ades,  edes  esdrûjulos 
'deciades,  amdrades,  vioiésedes,  qaisiéredes),  se  fueron  igualando 
hasta  parar,  a  fines  del  siglo  xvn,  en  las  formas  hoy  recibidas, 
arrastrando  en  su  movimiento  la  misma  persona  del  pretérito, 
que  antes  era  siempre  en  tes  ;  se  conglutinaron  definitivamente 
los  elementos  del  futuro  y  pospretérilo  de  indicativo,  que 
todavîa  scparaba  Cervantes  (tornaros  he,  amarraros  he);  fijose 
el  posponer  al  infinitivo  los  pronombres,  que  aun  se  hallan 


G(î  nriJ,ETl\    HISPVMQUE 

antepuestos  en  Quevedo  (deseando  no  las  llevarj;  cayeron  en 
desuso  algunas  construcciones  como  advertir  de  encajar,  pro- 
poner  de  hacer,  creo  que  si  viens  que  no  lo  hard;  el  vocabulario 
tampoco  se  vio  libre  de  alteraciones,  aumentos  y  menoscabos  : 
al  paso  que  muchos  vocablos  fueron  acomodados  6  acercados 
a  la  forma  ptimol(jgica  (medecina  :  medicina;  escuro  :  oscuro), 
otros  padecieron  una  trasformacion  inversa,  cediendo  a  la 
accion  de  procediniientos  populares  como  asimilacion,  disimi- 
lacion, acomodacion  analogica, etc.  (intricar: intrincar;  aplacible  : 
apacible:  aparencia  :  apariencia,  a  semejanza  de  ciencia,  obedien- 
cia;  emendar  :  enniendar,  a  semejanza  de  enderezar) ;  cayeron 
en  olvido  mucbas  voces  y  locuciones  que  habian  sobrevivido 
al  siglo  XV,  y  tomâronse  muchas,  ya  del  latin,  ya  del  italiano, 
ya  de  otros  orîgenes,  de  las  cuales  bastantes  estân  hoy  en  uso, 
mientras  que  no  pocas  murieron  al  nacer;  de  una  y  otra 
cosa  dan  ejemplo  las  que  introdujeron  los  culteranos.  Adrede 
he  escogido  este  perîodo  para  poner  de  manifîesto,  primero 
que  ni  los  mas  insignes  escritores  ni  poder  humano  alguno 
son  capaces  de  atajar  el  movimiento  natural  del  lenguaje,  > 
luego  que  la  fuerza  conservadora  y  regeneradora  que,  segiin 
alega  el  Sr.  V.,  tienen  las  lenguas  para  expulsar  lo  que  no  les 
conviene,  no  ha  obrado  en  los  dos  siglos  trascurridos  para 
volver  las  cosas  à  su  estado  anterior.  Si  la  lengua,  pues,  se 
altéra  siempre,  y  de  ordinario  sin  que'intervenga  la  voluntad 
humana,  son  ilusorios  todos  los  consejos  que  se  den  a  espa- 
noles  6  americanos  para  que  la  conserven  intacta  6  para  que 
las  alteraciones  sean  uniformes.  Si  como  aquéllos  y  éstos  lo 
sienten,  hay  diferencia  en  el  castellano  de  uno  y  otro  lado  de 
los  mares,  y  en  el  nuevo  continente  entre  varias  regiones, 
es  obvio  que  las  divergencias  que  han  aparecido  en  el  curso 
de  mas  de  très  siglos,  pueden  aumentarse  de  la  misma 
manera  que  se  han  originado.  Aunque  hoy  no  impidan  el  que 
nos  entendamos,  nada  importa  el  grado  de  un  àngulo  (segiin 
expresion  de  Whitney)  si  las  dos  lîneas  que  lo  forman  han  de 
prolongarse  por  largo  espacio.  Lograrâse  que  los  escritores  se 
ajusten  en  mayor  6  en  menor  grado  a  cierto  tipo  extranacio- 
nal,  como  en  la  edad  média  se  logro  a  veces  que  se  escribiera 


EL   CA.ST£LLA.>0    EN    AMEKiCV 


mejor  latin;  pero  la  Icngua  corriente  de  la  conversacioii 
culta  gozara  en  todas  partes  de  libertad  mayor,  y  como  ella 
es  base  de  la  lengua  literaria,  el  dîa  en  que  las  dos  se 
diferencien  considerablemente,  el  dialecto  popular  invadin'i  al 
literario  :  el  romance  vencera  al  latin.  Los  libros  en  que  se 
registran  las  j)articularidades  del  habla  americana  son  va  bas- 
tantes  y  algunos  voluminosos;  démos  que  los  verdaderos 
provincialismos  quepan  en  la  octava  parte  de  esos  volûmenes  : 
siempre  exigini  no  poco  estudio  y  cuidado  el  evitarlos.  Tengo 
a  la  vista  très  libros  de  très  naciones  americanas  en  uno  de  los 
cuales  se  tacha  como  grave  error  el  empleo  del  verbo  enfermar 
con  un  pronombre  reflejo  (ella  se  enferma)  y  el  galicismo  de 
usar  el  qae  en  frases  por  el  estilo  de  conforme  à  esos  principios 
es  que  debe  procederse,  y  en  el  mismo  libro  incurre  el  autor  en 
esos  defectos;  en  otro  veo  a  un  mismo  tiempo  improbado  y 
varias  veces  usado  el  verbo  solucionar ;  en  cl  tercero  hallo  esta 
frase  :  «  Hasta  que  murio  P.  B.,  ccharon  de  ver  que  habia  sido 
un  insigne  poeta,  »  no  obstante  que  en  su  lugar  oportuno  osIj'i 
advertida  la  incorreccion  de  omilir  el  no.  Si  eso  sucede  a  los 
que  estudian  estas  malerias,  d  que  no  harâ  el  comùn  de  los 
mortales? 

Trae  el  Sr.  V.  a  colacion  el  caso  de  las  regiones  donde 
se  habla  aiîn  la  lengua  griega,  en  las  cuales  «  se  procura 
que  se  borren  las  diferencias  que  el  vulgo  ha  introducido 
por  defectos  de  pronunciaciôn  6  por  ignorancia  de  la  gra- 
mâtica,  y  que  la  lengua  adquiera  en  todas  partes  cierta 
uniformidad  y  mayor  semejanza  con  el  antiguo  y  clâsico 
idioma  ».  Si  alguna  paridad  hubiera  con  el  caso  del  castcUano 
en  America,  por  cierto  que  lo-  que  realmente  pasa  no  favore- 
ceria  a  la  opinion  del  Sr.  Y.  Adquirida  gloriosamente  la  inde- 
pendencia  y  fundada  la  nacionalidad,  nccesilaban  los  griegos 
una  lengua  en  que  se  dieran  las  leyes,se  ensenaran  las  ciencias 
y  las  artes  y  se  encarnaran  las  creaciones  del  ingenio.  Lo 
natural  hubiera  sido  valerse  del  dialecto  corriente  en  el  centro 
de  donde  habia  de  procéder  el  impulso,  y  cultivandolo  y 
ennoblcciéndolo,  hacer  de  él  la  lengua  nacional  ;  y  asi  lo  pen- 
saron  acertadamente  algunos,  como  el  célèbre  Corais,  juzgando 


()^  lU'IJ.F.TlX    HISPANIQUE 

que  iomar  para   vehiculo  de  culture  un  lenguaje  extrano  al 

pueblo  era  tanto  como  privar  de  los  beneficios  de  ella  a  los 

que  mas  los  necesitaban.  Peio  al  mismo  tiempo  se  habîa  conser- 

vado  como  lengua  literaria  un  griego  muclio  mas  arcaico,  y 

poniéndose   de   por  medio  la   vanidad,  dejâronse    llevar  los 

griegos  del  hipo  de  asemejarse  mas  y  mas  a  sus  mayores,  y 

mirando  como  indigno  de  los  libros  el  idioma  de  la  conver- 

sacion,  empezaron   a  introducir   en   aquella  lengua  artificial 

voces  antiguas,  a  eliminar  las  de  origen  foraslero  y  a  reducir 

formas  giamaticales   al  tipo  clasico.  Filologos  entendidos  asî 

on  el  griego  antiguo  como  en  el  moderno  h  an  tenido  por  grave 

desacierlo  la   pretcnsion    de   hacer   que    una   lengua    vuelva 

fragmentariamcnte  algunos  siglos  atrâs,  y  augurado  pioximo 

desengafio  :  quiza  no  van  errados.  Al  paso  que  la  poesîa  lîrica 

y  la  épica  se   mantuvieron  mas  6  menos  fieles  a  la   forma 

popular,  nadie  se  atrevîa  en  la  prosa  âdejar  aquellos  peligrosos 

senderos,  hasta  que  en  1888  publico  el  Sr.  Psichari  su  libro 

Mi  viaje  en  la   lengua  corriente  de  Atenas.  No  le  han  faltado 

seguidores,  y  el  habla  popular  ha  ganado  terreno   en  otios 

géneros,  a  pesar  de  la  resistencia  natural  que  opone  siempre 

la   fradicion,  y  que  recientemente  se  ha   manifestado  en  los 

ruidosos  conflictos  ocasionados  por  la  traduccion  de  la  Sagrada 

KscHtura  en  lengua  vulgar'.  Si  este  movimiento  triunfa,  sera 

nuevo  argumento  de  que  las  lenguas  literarias  no  se  forman 

mediante    restauraciones    arqueologicas,    sino    con    el     sabio 

cmpleo  del  habla  corriente  :  sean  testigos  la  Divina  Comedia, 

la  Celesfina  y  la  Biblia  de  Lutero.  Por  otra  parte,  los  defectos 

de  pronunciacion  y  la  ignorancia  de  la  gramâtica  que  convir- 

tieron  el  griego  de  Platon  y  Sofocles  en  el  de  los  cleftas  y  pali- 

caris,  son  exactamente  los  mismos  que  convirtieron  el  latin  de 

Giceron  y  Virgilio  en  el  romance  que  con  la  lèche   mamaron 

Petrarca   y    Garcilaso  ;    los    mismos    que    han   producido  los 

I.  He  sacado  estas  noticia»  de  los  libros  siguientes  :  Mullach,  Demetrii  Zeni  Para- 
phrasis  Balrachomyomachiae  vulgari  graecorum  sermone  scripta,  pp.  xvii,  i52,  Berlin, 
1887;  G.  Deville,  Elude  du  dialecte  Tzaconien,  pp.  99,  i3i,  Paris,  18OG;  G.  Meyer,  Essays 
und  Studien,  I,  p.  n  1-2,  Berlin,  i885  ;  Thumb,  Handbuch  der  neugriechischen  Volksprache, 
pp.  VII,  VIII,  Estrasburgo,  1890.  Aqui,  como  en  otros  puntos,  cito  algunos  libros  poco 
nuevos,  para  que  consle  que  estas  son  cuestiones  viejas,  dilucidadas  y  resueltas,  hace 
tiempo,  en  sentido  diferente  de  lo  que  ahora  discurre  el  Sr.  V' . 


EL    C\STKI,L\NO    EN    AMÉKICA  G() 

americanisnios  que  alguna  vez  confiesa  el  Sr.  ^  .  le  ofenden 
en  libros  americaiios,  y  los  espaùolismos  que  a  veccs  lambién 
ofenden  à  los  amcricanos  en  libros  espanoles  :  manifcsluciones 
lodas  de  la  evolucion  latal  del  lenguaje,  incoercible  en  todos 
los  tiempos  y  en  todos  los  climas. 

\o  olvidaré  que  la  restauracion  arqueologica  es  pelig^rosa  : 
al  mismo  Gorais  se  le  hizo  ver  que  algunas  de  las  que  él 
intento  eran  erroneas  ;  y  para  hablar  de  casa,  a  los  restaura- 
dores  de  las  letras  espanolas  en  el  siglo  xviii  se  debio  el  uso 
disparatado  de  sendos  que  tanto  ha  dado  que  hacer  a  los  gra- 
mîiticos,  y  el  de  la  forma  verbal  en  -ara  con  el  scntido  de 
pretérito  y  copretérito  de  indicativo,  con  que  nos  han  aburrido 
los  poêlas.  Ni  dejaré  de  indicar  (en  contra  de  lo  que  lambién 
se  me  ha  opucsto)  que  los  monumentos  de  las  épocas  pasadas 
tienen  limitadisima  intluencia  para  uniformar  un  idioma 
(punto  exclusivo  de  que  en  esta  discusion  se  Irata),  y  no  pue- 
den  imitarse  sino  con  suma  discrecion  :  pruébalo  el  efecto 
desagradabilisimo  que  producen  cierlos  escritos  taraceados  de 
antiguo  y  moderno  con  que,  pensando  lucir  bizarrîa  de  len- 
guaje,  nos  regalan  de  cuando  en  cuando  autores  espanoles  y 
americanos.  Cuando  leemos  una  obra  cuyo  vocabulario  6 
fraseologia  discrepan  de  lo  que  diariamenle  cmpleamos,  tradu- 
cimos  luego  mentalmente  esas  discrepancias  (en  cuanto  sean 
intcligibles)  à  nuestro  modo  de  hablar,  haciendo  lo  mismo  que 
al  leer  en  una  lengua  extranjera  antes  de  estar  habituados  a 
pensar  en  ella;  de  manera  que  en  varias  comarcas,  en  tiempos 
diferentes,  la  traduccion  puede  ser  diversa  y  no  alterarse  en 
nada  el  dialecto  a  que  se  hace  :  después  de  recrearse  con  un 
capitulo  de  Cervantes  6  de  Fr.  Luis  de  «Léon,  signe  una  persona 
culta  (cuanto  méis  una  iliterata)  hablando  como  antes.  Me 
parece  que  a  este  acto  psicologico  se  debe  el  que  los  copiantes 
y  c'ajistas  acomoden  instintivamente  a  su  especial  lenguaje  el 
de  libros  antiguos  y  aun  el  de  los  modernos;  si  bien  en  oca- 
siones  obra,  para  producir  igual  resullado,  el  designio  de  faci- 
litar  la  lectura  a  las  personas  a  que  se  destina  la  copia  6 
edicion.  Uno  y  otro  ha  sucedido  en  la  literatura  espaùola, 
segûn  lo  comprobé  en  otra  ocasion;  pero  hay  mas  :  en  nuestro 


70  BULLETIN    HISPANIQUE 

liempo  no  se  han  contentado  algunos  con  esta  parcial  Iraduc 
cion,  sino  que,  a  la  mancra  que  otros  refundieron  las  obras  del 
teatro  antiguo  para  hacer  tolerable  su  representaciôn',  ellos 
han  hecho  también  refundiciones  complétas  de  libros  en 
prosa,  sustituyendo  al  original  una  redaccion  de  di verso  vora- 
bulario  y  estilo^  Vese  pues  que  en  Espana  mismo  hay  quienes 
juzguen    que   no  es   conveniente  ni  posible  proponer   como 

I.  V.  Morol-Fatio,  La  Coinedia  espagnole,  p.  29,  y  la  nota. 

a.  La  ediciôn  de  la  Hisloria  de  los  movimientos  y  separacion  de  Cataluna  y  de  la 
guerra...  por  Melo,  que  imprimiô  Sancha  en  1807  y  que  se  ha  copiado  tantas  veces, 
esta  completamente  modernizada  (empezando  por  el  tîtulo)  :  fuera  de  liaberse 
reducido  muchas  frases  al  gusto  actual,  se  eliminaron  los  inflnitivos  asimilados  en 
aile,  elle,  ille,  con  las  segundas  personas  esdrûjulas  en  âredes.  éredes,  se  anadio  cl 
articulo  â  los  nombres  nacionales  como  franceses,  que  no  lo  llevaban  generalmente 
cuando  signifîcaban  los  fuerzas  militares  (ocupdronla  franceses),  etc.  Lo  mismo  La 
Celestina  publicada  por  Amarita  en  1822,  y  tan  injustamente  alabada  :  léese  en  ella, 
contra  las  ediciones  que  sirvieron  de  base,  cojear  por  eoxquear,  llamadla  como  qui- 
siéredes  por  Uamalda  como  qiiisierdes,  mientras  por  mientra,  traérsela  por  traérgela, 
descender  por  descendu-,  esloy  por  eslô,  trasquilar  por  tresquilar.  las  doce  dan  ya  por 
da,  etc.  Mencionaré  algunas  refundiciones  complétas  :  sea  la  primera  la  de  las  Guerras 
civiles  de  Granada  de  Pérez  de  Hita,  de  las  cuales  daré  una  muestra  escogiéndola  en 
la  segunda  parte,  parque  las  ediciones  do  la  primera,  ya  en  cl  siglo  xvii,  ofrocen 
variedad;  no  asi  las  de  la  otra,  pues  estdn  conformes  las  cuatro  que  tengo  à  la  vista 
(Barcclona  y  Guenca,  1C19;  Madrid,  172,5,  1731).  Es  del  cap.  XIV  : 

(Guenca,   1619,  fol.    190,  V.    Barcelona,        (Amarita,  i833,  II,  p.  289-290;  Bibl.  de 
i6if),  fol.  i58,  v°.)  Riv.,  m,  p.  639".) 

Forluna  no  contenta  con  esto,   quiso  Mas  no  parô  aqui  la  desgracia  :  el  valc- 

passar  mas  adelante   con   su   improspe-  roso   capitân   Géspedes,   por    orden    del 

ridad  :  y  lue  que   el   valeroso   Cespedes  senor  don  Juan  de  Auslria,  estaba  puesto 

cstaua  en  la  puente  de  ïablate  en  pre-  de  presidio  en  la  puente  de  Tablale  para 

sidio,  por  orden  del  senor  Don  luan  de  que  los  moros  de  la  sierra  no  pudiesen 

Austria,  porque  los  moros  de  la  sierra  bajar  â  los  lugares  que  estaban  sobre  el 

no  pudicssen  baxar   a   los   lugares  cer-  camino  de  Granada;  y  habiendo  tenido 

canos,  que  estauan  la  via   de   Granada.  noticia  de  la  derrota  de  los  crislianos  del 

Y  el  valeroso  Capitan  tuuo  noticia  de  la  puerto  de  la  Ragua,  deseoso  de  vengar 

rota    de  los   Ghristianos  del   puerto   de  la  injuria,  subiô  con  su  compailfa  â  lo 

la  Ragua;  y  por  vengar  la  injuria  con  su  alto  de  la  sierra  buscando   al  enemigo. 

compailia,   subiô  a   lo  alto  de  la  sierra  Ciertamente  la   salida  fue  desordenada, 

on  busca  del    enemigo,  confiado    en  su  y  asi  correspondiô  el   éxilo.    Los  moros 

valor.  Esta  salida  fue  a  su  modo,  y  sin  reconociendo  al   instante  la  poca   gonte 

orden,  y  assi  le  sucedio.  Mas  porque  los  que   traia,    le   acoraetieron  con  valor,  y 

moros  reconociendo  la  poca  gente  de  su  â  poco  tiempo  toda  la  compailia  con  su 

bandera,  le  acometieron  tan  brauamente,  capitân  fue  desbaratada,  quedando  esto 

que  el  valeroso  Capitan,  y  su  gente  fue  muerto  en  el  campo  y  su  cuerpo  despucs 

desuaratado,  y  su  bandera  perdida,  y  el  hecho  pcdazos,  pues  por  la  fama  de  su 

muerto    con    mucha    crueldad,    porque  valor  no  hubo  moro  que  no  le  hiciese 

a  la  fama  de  su  valor,  no  auia  moro  que  hcrida;  cogieron  la  bandera,  y  Uevaron 

no  le  diesse  herida  despues  de   muerto,  por  gran  reliquia  el  alfanje  ensangron- 

lleuando   por  gran    reliquia   cl   alfange  tado  de  Géspedes  al  reyecillo.   Sin   em- 

cnsangrontado    do     su    sangrc.     Mas    el  bargo,  Géspedes  vendiô  bien  cara   â  los 

valeroso  Cespedes    vendio    altamente    su  moros    su    vida,    peleando    antes    como 

vida,    peloando    como     varon    fuerlc    y  varon  forlisimo,  porque  se  hallaron  mas 

belicoso,  porque  de  su  mano  se  hallaron  de  cien    moros    partidos  por   su    mano 


El-    GASTELLANO    EN     VMERIC  V 


modelos  las  obras  antiguas  sin  modernizarlas.  ^^o  habrâ,  por 
consigiiientc,  cierta  candidez  en  pretender  que  los  americanos 
nos  ponganios  a  imitai*  lo  que  lantos  espanoles  dan  por  muerlo? 
cHO  séria  aumentar  las  divergencias  que  nos  separanPFuerade 


mas  de  cieii  moros  parlidos  por  modio, 
y  desdo  los  hombros  hasla  la  cinta,  con 
la  luerça  de  su  poderoso  ])raço,  acom- 
panada  de  una  ospada  la  mejor  que 
ténia  el  niundo  Valenciana,  de  mano 
y  média,  hancha  de  très  dcdos,  tan 
fornida,  que  pesaua  catorze  libras.  Yo 
doy  fè  que  la  vide  en  Vora,  y  la  tuueen 
mi  mano,  y  la  vi  pesar.  Pues  boluiendo 
al  caso,  cl  valeroso  Capilan  no  muricra, 
ni  los  suyos  se  pordicraii,  si  don  Antonio 
de  Luna,  que  venia  del  Ucal  de  Orgiua 
le  socorricra,  que  lo  pudiera  hazer  muy 
bien,  por  llcgar  uuiy  ccrca  de  alli,  y  ver 
la  batalla  con  sus  ojos. 


dcsde  los  hombros  hasta  la  cintura  con 
la  fuerza  de  su  poderoso  brazo,  mane- 
jando  una  espada  valenciana  que  era  la 
mejor  del  mundo,  ancha  de  1res  dedo», 
y  tan  lornida  que  pesaba  catorce  libras. 
Doy  fe  de  que  la  vi  en  Vera,  la  luve  en 
mi  mano,  y  presencié  el  acto  de  pcsarla. 
Fuc  tanto  mas  dolorosa  la  pérdida  deste 
valicnlc  capitân  y  los  suyos,  cuanto  que 
don  Antonio  de  Luna,  que  venia  del  real 
de  Orgiva,  pudo  muy  bien  socorrerle 
habiendo  llegado  muy  cerca  de  alli,  de 
modo  que  vio  la  batalla  por  sus  propios 
ojos. 


Daré  otra  muestra  de  una  obra  del  siglo  xvi,  reimpresa  no  ha  muchos  anos,  cuyo 
titulo  y  éditer  callo  por  particulares  respetos  : 


Texto  original 
Pues  advierte  que  aunque  el  Profeta 
santo  dize  en  el  capitule  primero,  que 
eran  qualro  :  en  el  decimo  dize  que  era 
vno.  Este  ténia  rostro  de  leon,  de  aguila, 
de  bezerro,  y  de  hombre.  Por  este  myste- 
rioso  animal  es  sinificado  el  varon  justo, 
ocupado  todo  en  este  espiritual  exercicio, 
que  voy  platicando.  El  quai  como  leon 
se  retira  a  la  soledad  :  como  hombre  se 
humana  y  trata  con  los  hombres... 


Reimpresiôn 
Pues  advierte  que,  auu  cuando  el 
Profeta  santo  dice  en  el  capitulo  pri- 
mero que  eran  cuatro,  en  el  décimo 
expresa  que  era  uno.  Este  tenîa  cara  de 
Icôn,  de  âguila,  de  becerro  y  de  hombre. 
Por  este  misterioso  animal  es  signiflcado 
el  varôn  justo,  ocupado  todo  en  este 
espiritual  ejercicio  de  que  voy  hablando. 
El  cual,  como  leôn,  se  retira  â  la  soledad  ; 
como  hombre,  es  humanitario  y  trata 
con  los  hombres... 


Pues  assi  bas  de  entender  que  passo 
en  Christo  nuestro  Redemplor,  el  quai, 
orando  en  el  huerto  sudo  sangre  en 
abundancia,  no  del  miedo  que  liuvo  a 
los  açotcs,  corona  de  espinas,  bofetadas, 
clavos  y  muerle  (que  si  esso  fuera,  que- 
dara  descolorido,  por  aver  de  acudir 
necessaria mente  la  sangre  a  favorccer  al 
coraçon,  donde  se  siente  y  padece  el 
miedo)  sino  de  la  vehementissima  âpre, 
hension  de  las  afrentas  anexas  a  essos 
mismos  tormcntos,  y  infâme  muerte. 
Y  porquc  no  solo  en  el  rostro,  sino  en 
todo  su  cuerpo  santissimo  avia  de  padccer 
afrenta,  porque  le  avian  de  desnudar  en 
medio  del  dia,  y  de  tan  gran  concurso 
de  gente,  y  gonte  tan  perversa  y  mala, 
acudio  cl  sudor  a  todo  el  cuerpo.  Y  por- 
que esta  afrenta  y  vergucnça  avia  de  ser 
en  estremo  mayor,  que  la  que  han  pade- 


Pucs  asf  bas  de  entender  que  aconteciô 
en  Cristo.  Nuestro  Redentor,  orando  en 
el  huerto,  sudô  sangre  en  abundancia, 
no  por  miedo  que  tuviera  a  los  azotes, 
corona  de  espinas,  bofetadas,  clavos  y 
muerte;  que  si  eso  fuera,  quedara  desco- 
lorido, por  haber  de  acudir  necesaria- 
mente  la  sangre  â  favorccer  al  corazôn, 
donde  se  siente  y  padece  el  miedo,  sino 
â  las  afrentas  consiguientes  a  esos  mis- 
mos tormentos  y  muerte  infâme.  Y  por- 
que no  solamente  en  el  rostro,  sino  en 
todo  su  cuerpo  santisimo  habia  de 
padecer  afrenta,  supuesto  que  habia  de 
ser  desnudado  en  medio  del  dia  y  ante 
una  concurrencia  tan  grande  de  gcntes, 
y  gentes  lan  malas  y  perversas,  se  ori- 
ginô  el  sudor  en  todo  su  cuerpo.  Y  por- 
que esta  afrenta  y  vergiienza  haJJÎa  de 
ser  en  extremn  mayor  que  las  padecidas 


72  BULLETIN    HISPAIVIQUE 

que  nada,  en  gênerai,  es  mas  ocasionado  a  impropiedades  que 
el  prurito  de  dar  a  las  ideas  una  forma  diferente  de  aquella 
en  que  fueron  concebidas  ;  lo  cual  podria  comprobarse  men- 
cionando  obras  de  varios  escritores  nacidos  a  uno  y  otro  lado 
del  mar'. 

Explotando  el  Sr,  V.  lo  que  generosamente  se  le  ha  ocurrido 
achacarme,  hace  rechifla  de  que  yô  lo  haya  leîdo  todo,  desde 
el  poema  del  Cid,  para  sostener  que  es  falso  que  la  construc- 
cion  entrar  d  la  casa  sea  americanismo,  como  lo  han  asentado 
diccionaristas  espanoles,  invocajido  a  ciegas  y  a  bullo  la 
autoridad  de  los  clâsicos;  lo  que,  al  decir  de  mi  agresor,  me 


cido  y  pueden  padecer  los  hombres,  la  y  cuantas  pucdaii  padecer  los  hombrcs, 

imaginacion  délia  fue  tan  poderosa,  que  la  imaginaciôn  de  ella  fue  tan  poderosa. 

no  se  contenté  con  sacar  la  sangre  a  la  que  no  se  limité  con  arrebatar  la  sangre 

tez   del  rostro,  y   cuerpo,   que  es   hasta  al  rostre,  que  es  hasta  donde  suele  llegar 

donde  suele  llegar  el  color  sanguine©  en  el   color  sanguinoo   en   los   que    sufren 

los  que  padecen  afrentas,  sino  que  desa-  afrcntas;  sino  que,  desaforada  como  un 

forada  como  vn  cavallo  desbocado  y  sin  caballo  sin  freno,  no  solo  corrié  â  inyectar 

freno,    no    solo   niojo   cl   cuerpo.   y    las  olros  muchos  pu n los  de  todo  el  cuerpo, 

vostiduras,  sino  que  corriendo  en  tierra,  sino  que  traspasé  la  piel  por  sus  poros. 

le  dexo  hecho  vna  zarpa.  Y  que  mucho  manche  las  vestiduras  y  regé  el  suelo. 

que   passasse  esto   en   Christo,   que   era  ,;¥    que    mucho    que    pasase    esto    con 

Dios  verdadero,  pues  aun  en  los  hombres  Cristo,  que  era  Dios  verdadero,  cuando 

fs  facil  provar  lo  mismo?...  en  algunos  hombres,  y  aunque  en  mo- 

nor  escala,  algunas  veces  se  ha  obser 

vado  lo  mismo?... 


El  cotejo  de  las  redacciones  sucesivas  piiede  ser  util  para  cl  estudio  histérico  de  la 
lengua;  pero  como  uo  se  conozca  sino  una  posterior,  es  facilisimo  incurrir  eu 
errores.  ïomando  yo  como  fiel  el  Melo  de  Sancha,  dije  (flomo/u'a,  XXll,  p.  79)  que 
ese  autor  habîa  empleado  las  formas  sincopadas  de  las  segundas  pcrsonas  de  plural, 
lo  cual  es  falso;  Gessner,  creyendo  â  la  Bibl.  de  Rivad.,  advierte  que  en  la  segunda 
parte  de  las  Guerrns  civiles  prédomina  el  plural  quiencs  y  en  la  primera  qaien,  lo  que 
no  proviene  sino  de  que  esta  fue  menos  modcrnizada  (Zeitschrift  fiir  rom.  Philologie, 
X\  111,  p.  iôa).  Aribau,  hablando  de  la  misma  obra  (por  supuesto  conforme  al  texto 
que  él  publica),  escribe  estas  palabras  risibles  :  «  Una  de  las  singularidadcs  que  mâs 
admiramos  en  Ginés  Pérez  de  Hita  es,  que  si  se  toma  cualquier  pasaje  de  su  obra, 
nos  parecerâ  escrito  modernamente  por  una  dieslra  pluma,  después  que  el  lenguaje 
ha  participado  del  progreso  de  los  conocimientos  en  materias  ideolôgicas.  Parece  que 
adiviné  el  modo  con  que  habian  de  hablar  los  espanoles  mâs  de  dos  siglos  después 
que  él  )>  (Bibl.  de  Riv.  111,  p.  xxxvi).  Por  mi  parte,  después  de  aquél  y  otros  enganos, 
me  he  vuelto  desconfiadisimo  :  los  neologismos  tanto  mâs  cuanto  que,  humanitario, 
inyectar,  en  menor  escala  de  los  pasajes  cotejados  me  pusieron  sobre  aviso,  y  decidî 
averiguar  el  caso.  De  aqui  résulta  que  no  es  prudente  atenerse  â  ediciones  modernas 
cuando  se  trata  de  la  historia  de  la  lengua. 

I.  Ignoro  si  se  ha  aumentado,  y  cuânto,  en  la  generalidad  de  los  espa- 
noles la  aficién  â  leer  sus  clâsicos,  desde  la  época  de  Fernân  Caballero  :  «  Lalour, 
dans  un  de  ses  articles,  avait  écrit  :  '<  Les  Espagnols  aiment  beaucoup  leurs  poètes, 
»  qu'ils  ne  lisent  pas.»  Là-dessus,  Fernân  s'écrie:  «  ;Qué  verdad,  que  verdad, 
»  empezando    por  mil   Pero,  ijquién  lee  tanto,  tanto.  lanlo.^»  (Bulletin  hispanique, 

m,  p.  266. 


EL    CASTELLAJiO    EN    AMERICA  78 

pone  en  contradicciôn  con  mi  teorîa.  Estas  son  sus  palabras, 
en  que  se  dan  la  mano  el  buen  sentido,  el  buen  estilo  y  la 
buena  filologîa  :  «  El  mismo  senor  Don  Rufino  José  Guervo, 
contradiciendo  en  la  prâctica  su  teorîa,  ^:no  nos  da  un  her- 
moso  ejemplo  que  imitai*,  escribiendo  y  publicando  su  Diccio- 
nario  de  co/tstrucciôn  y  régimen  (aquî  los  elogios  de  cajon), 
donde  se  citan  millaies  de  autores  que  esciibieron  una  lengua 
en  que  solo  hay  cuatro  6  cinco  cuya  lectura  pueda  aguantarseP 
Sin  sacar  nada  de  gusto  ni  de  provecho  de  dicha  lectura,  el 
Sr.  Guervo  lo  ha  leido  todo  para  decidir,  pongumos  por  caso, 
que  desde  el  poema  del  Cid  hasta  cualquier  escrito  de  ho\  [PJ, 
lo  mismo  puede  decirse  eiitrar  en  la  casa  que  cidrar  n  la  casa. 
En  suma,  cuando  para  poner  en  claro  puntos  semejantes,  se 
gasta  tanto  tiempo,  se  estudia  tanto  y  se  vence  la  repugnancia 
que  deben  inspirar  obras  insulsas,  que  no  traeii  provecho  ni 
gusto  a  quien  las  lee,  algo  valdra  é  importara  y  algiin  vigor 
de  vida  tendra  aiin  la  lengua  en  que  dichas  obras  estan  escritas. 
Permîtasenos  al  menos  exclamar  con  las  lagartijas  [la  lagartija] 
de   Iriarte  cuando  vieron  al  sabio  que  las  estaba  disecundo  : 

Valemos  mucho 

Por  mâs  que  digau.  » 

Para  el  investigador  cientifîco  no  existen  las  diferencias  que 
entre  las  cosas  establece  la  preocupacion  vulgar  :  por  el  mismo 
tiempo  en  que  el  buen  Iriarte  escribia  6  publicaba  su  fabula, 
Galvani  y  Volta,  disecando  ranas  (que  para  el  fabulista  no 
valdrian  mas  que  las  lagartijas)  iniciaron  las  maravillas  que 
han  trasformado  las  ciencias  y  la  vida  moderna;  cosa  que- no 
se  si  se  lograra  con  el  elefante  6  el  leon,  personajes  siemprc 
vénérables  en  el  escenario  esopico.  Mientras  que  la  adoracion 
de  las  lenguas  sahias  retardé  los  progresos  de  la  lingûistica,  el 
habla  de  los  pobres  campesinos  de  Lituania  vino  a  ser  precioso 
eslabon  de  la  familia  indoeuropea,  y  no  lo  es  menos  de  nuestra 
familia  romanica  el  habla  de  los  atrasados  montaneses  del  pais 
rético  :  ni  los  unos  tienen  que  envanecerse  de  lo  que  por  su 
lengua  hicieron  un  Kurschat  6  un  Schleicher,  ni  los  otros  de 
los.  dcsvelos  de  un   Ascoli   6  un    Gartner  :    mâs   l)ieM   han   de 


^4  BULLETIN    HISPANIQUE 

mirar  con  carino  estos  insignes  y  desinteresados  cultivadores 
de  la  ciencia  a  las  lenguas  incultas  que  les  han  permitido  dar 
nueva  luz  à  la  historia  de  la  civilizacion.  Si  el  Sr.  Y.  llega  a 
convenir  en  que  la  filologîa  es  disciplina  cientifica,  que  no 
puede  saberse  si  no  se  estudia  de  raiz,  liabra  de  confesar  que 
tan  respetable  es,  en  su  género,  la  aplicacion  del  que  rastrea  la 
historia  de  las  construcciones  gramaticales  como  la  del  que 
détermina  la  orbita  de  un  cometa  6  las  estratifîcaciones  del 
globo  terrestre,  6  la  del  que  averigua  la  fecundacion  de  las 
primaveras  6  la  reproduccion  de  los  pulgones.  A  los  ojos  del  que 
estudia  una  lengua  como  fil(31ogo,  tanta  importancia  pueden 
tener  los  fragmentos  de  una  lapida  en  que  apenas  se  descifran 
algunas  palabras,  6  un  instrumente  de  donacion  barbaramente 
escrito  en  que  figuran  personajes  desconocidos,  como  las  obras 
mas  acabadas  del  ingenio  humano;  y  si  de  su  estudio  no  saca 
provecho  alguno  para  las  obras  que  escriba,  los  elogios  que  se 
le  hagan,  seran  injustos  6  ironicos.  Para  cohonestar  la  preten- 
sion  de  que  la  literatura  de  un  pais  lejano  actiie  como  factor 
linico  en  reducir  a  ese  solo  tipo  el  lenguaje  de  un  continente, 
se  necesitarîa  que  abarcara  esa  literatura  todo  el  cùmulo  del 
saber  humano,  y  que  por  el  numéro  de  las  obras  y  sus  cuali- 
dades  de  fondo  y  de  forma  satisficiera  cumplidamente  las 
necesidades  de  la  cultura  actual. 

Todo  lo  que,  proponiéndolo  a  nuestra  imitacion,  alega  el  Sr. 
V.  sobre  el  florecimiento  de  la  lengua  en  Rusia  y  en  Servia,  en 
Cataluîia,  Hungrîa,  Bohemia,  Groacia  y  entre  los  polacos 
acosados  por  los  mismos  que  los  han  privado  de  patria,  es 
tanto  como  dar  por  no  existente  la  vida  propia  de  las  naciones 
americanas.  Lo  que  allî  se  esta  verificando  obedece  6  a  la  con- 
ciencia  de  la  unidad  nacional  6  a  causas  politicas  que  estrechan 
la  simpatîa  de  los  individuos,  avivan  los  recuerdos  y  las  tradi 
ciones  y  hacen  mas  grata  la  lengua  que  los  atesora.  Aunque 
mas  se  pérore  y  se  diga  en  los  congresos  literarios,  nada  de 
eso  existe  entre  la  que  fue  metrôpoli  y  las  que  fueron  colonias. 
Los  espaîioles  miraron  siempre  con  suspicacia  y  desdén  a  los 
americanos^  y  la  arrogancia  con  que  los  trataban  no  fue,  en 
concepto  de  todos,  la  menor  entre  las  causas  de  las  guerras  de 


EL   CASTELLAJiO   EN    AMERICA  -jb 

indcpendeiicia  û  principios  del  siglo  xix  '.  Me  inclino  a  créer 
que  hoy  los  americanos  no  guardaii  ni  sombra  de  ese  l'encor,  y 
que  si  en  la  mayor  parte  hay  indiferencia,  los  espanoles  cuen- 
tan  con  las  simpatias  de  muchos;  pero,  por  lo  que  siento,  con- 
jcturo  que  si  hubiera  una  guerra  entre  un  estado  americano  y 
un  pueblo  de  otra  lengua,  a  nadie  se  le  ocurrirîa  evocar  los 
recuerdos  de  Covadonga  6  de  Lepanto  :  otros  nombres  se  pre- 
sentarîan  antes  para  excitar  el  entusiasmo  palriotico.  De 
algunos  anos  à  esta  parte  les  ha  venido  a  algunos  espanoles  la 
idea  de  atraer  à  los  americanos  con  las  consideraciones  de  la 
igualdad  de  raza,  lengua,  costumbres  y  religion  (temas  muy 
propicios  para  las  declamaciones  huecas),  y  sobre  todo  hala- 
gando  su  vanidad  literaria  ;  por  desgracia,  acontecimientos  de 
nuestra  historia  moderna  demuestran  que  taies  consideraciones 
nada  valen  en  la  practica,  y  los  elogios  mismos,  por  su  exor- 
bilancia,  han  hecho  dudar  a  no  pocos  de  la  sinceridad  con  que 
se  prodigana;  ademas,  el  traslucirse  que  semejantes  manifesta- 

I.  Vaya  una  rauestra  :  Alamos  Barrientos,  cl  conocido  traduclor  de  Tacito,  escribia 
en  1598  hablando  de  la  gentc  que  entonccs  habilaba  las  Indias  :  «  De  niancra  que  no 
quedan  sino  es  très  gcneros  de  personas  en  aquellas  partes  de  quienes  se  puede  >  ivir 
con  rccelo  :  todos  los  espanoles  nacidos  y  bacendados  en  aquellas  provincias,  conciuis- 
tadores  y  descendicntes  de  ellos,  y  los  forastcros  que  han  ido  a  ellas  6  por  enriquecer 
ô  por  huir  de  Espana  y  de  sus  necesidadcs.  De  unos  y  de  otros  hay  dos  especies  y  suer- 
tos  de  hombres,  ricos  y  pobrcs  (que  en  aquellas  partes  no  se  conocen  ni  conliesan  raâs 
linajes).  Los  ricos  y  que  ticnen  hacienda  que  pcrder,  no  son  buenos  para  revuellas  y 
rebeliones;  y  para  que  no  sigan  [â]  los  que  las  hicieren,  es  tacil  sustenlarlos  y  gran- 
jear  su  alicion  con  cualquiera  beneficio,  por  pequefio  que  sea,  6  sean  niercaderes  con 
asiento  allf,  6  cualquiera  otra  suerte  de  gente...  Los  pobres  son  los  forasleros  y 
vagantes  sin  oficio  ni  ministerio  pûblico,  que  necesidades,  delitos  y  afrenlas  recibidas 
en  esta  tierra  Uevaron  â  aquellas,  6  los  mismos  naturales  pobres  por  accidentes,  y  los 
descendientes  de  los  conquistadores,  y  los  mestizos,  hijos  de  indias  y  espanoles  ;  gentcs 
todas  faciles  para  introducir  y  admitir  novedades,  livianas  de  entendimiento,  y  que 
en  cualquiera  parte  del  mundo,  â  juicio  de  los  prudentes,  se  tuvieran  por  una  gran 
semilla  de  alboroto  civil,  y  mas  en  aquella  tierra,  que,  ô  sea  por  cl  clima  del  cielo 
que  tiene  sobre  si,  6  por  los  aires  que  corren,  6  por  los  mantenimicnlos  que  produce, 
hace  â  la  génie  que  entra  en  ella  semejante  â  la  nalural,  y  aun  peor,  mentirosa,  trapa- 
cera,  cnganadora,  desleal,  ambiciosa,  altiva  y  amiga  de  mande  y  senorio  por  cual- 
quiera camino  que  sea,  aunque  el  mâs  ilicito;  soberbia  con  los  mcnorcs  y  abatida  con 
los  que  tienen  mando  y  superioridad  sobre  ellos.  Eslo  es  por  la  mayor  parle,  que 
confieso  tambien  que  hay  muchos  que  con  la  virtud  vencen  sus  mismas  inclina 
ciones  n  {^L'arl  de  gouverner.  Discours  adressé  à  Philippe  III  (1098).  itublié  pour  la  pre 
mière  fois  en  espagnol  el  en  français...  par  J.  M.Guardia,  p.  29,  Paris,  1807,  Pion.  Aunque 
esta  obra  ha  sido  atribuida  â  .Vntonio  Pércz,  el  docto  edilor  prueba  concluycntemente 
que  es  de  Alamos  Barrientos).  Aqui  vcndria  bien,  para  mostrar  la  conlinuidad,  poner 
las  palabras  de  un  afamado  escritor  contemporâneo,  mâs  brèves  pero  igualmente 
amabics  para  con  los  americanos;  ya  han  sido  citadas  por  otros,  y  peor  es  meneallo. 
(Véase  Pineyro,  Hombres  y  glorias  de  America,  pp.  399  sgs.,  Paris,  1903.) 

2.  «Gonsumado  en  bcncvolencia  (el  Sr.  Valera),  su  misma  suave  amabiiidad  se 
Iruoca  en  lormidablc  arma  on  casos  romo  cl  de  las  Cartas  americanos,  dondc  la  excesiva 


76  BLiLLETl>    HISPAMQUE 

ciones  han  sido  capa  de  propaganda  comei'cial,  no  put'de 
menos  de  ofender  a  los  amantes  desinteresados  de  las 
letras'. 

Gomo  el  Sr.  V.  no  ha  invalidado  ninguno  de  los  principios  6 
de  los  hechos  con  que  he  sustentado  mi  tesis,  ni  aducido  razon 
6  investigacion  cientifica  que  esclarezca  la  cueslion  (cosa  poco 
extrana  en  quien  a  si  propio  se  califîca.de  «  atrasado  aprendiz 
de  filologo  »),  y  al  escribir  sobre  el  parlicular  para  Madrid, 
Buenos  Aires  y  Méjico  no  ha  querido  sino  desahogarse  contra 
mî,  escogiéndome  entre  los  que  han  dicho  lo  mismo^,  el 
decoro  me  obliga  a  guardar  silencio  aunque  dicho  Senor  siga 

urbanidad  produce  enteraniente  el  efeclo  de  la  severa  censura;  se  déjà  el  libro  bajo 
la  impresiôn  de  que  los  escrilores  del  continente  sudamericano  quedan  ahogados 
bajo  el  peso  de  las  flores  que  un  habilisimo  cortesano  les  prodiga.»  (Fitzmaurice- 
Kelly,  Historia  de  la  Uleratiira  espafioia  desde  los  orîgenes  hùsta  el  ano  de  1900,  trad.  de 
D.  A.  Bonilla  y  San  Martin,  p.  027.  Madrid.  El  Sr.  F.-K.  pinta  admirableniente  el 
efecto  de  la  obra  ;  la  aplicaciôn  de  la  cita  a  la  idea  expresada  en  cl  texto  corresponde 
â  la  opinion  de  varies  americanos.) 

1.  Obligado  por  la  discreciôn  â  no  valermc  de  documentos  de  cierto  orden,  citaré 
tan  solo  esta  prueba  :  el  Sr.  V.  en  un  libro  reciente,  habiendo  liablado  de  la  conducla 
internacional  que,  en  su  concepto,  conviene  â  los  pueblos  que  hablan  castcllano,  con- 
cluye  :  «  Justo  y  razonable  es  olvidar  anliguos  rencores  y  mutuas  quejas,  y  estrechar 
lazos  de  nuestro  fraternal  afecto,  con  el  trato  mâs  intimo  y  frecuente  y  con  el  conoci- 
miento  y  canibio  de  nuestras  producciones,  sobre  todo  intelectuales  .» 

2.  Harc  dos  citas  que  tomo  del  ilustrado  literato  argentino  D.  Eruesto  Quesada  : 
«  Personalidad  tan  descoUantc  en  la  Peninsula  como  R.  Altamira,  decia  al  que  esto 
escribe  :  k  Creo  que  la  campafia  pan-iberista,  en  lo  que  respecta  sobre  todo  â  las  esferas 
en  que  nosolros  podemos  intervenir  (pues  dejo  a  un  lado  la  cuestiôn  de  las  relacioncs 
comerciales,  que  es  capitalisin;a,  pero  que  ha  de  brotar  de  otras  fucntes),  tiene  que 
basarse  en  un  profundo  conocimienlo  mutuo.  .\osotros  sabemos  poquisimo  de  ustedes  : 
y  ahi,  salvo  unas  cuantas  personas  de  cultura  et-pecial,  el  resto,  aun  de  los  letrados  é 
intelectuales,  solo  conoce  de  Espana  los  nombres  y  libros  de  ajgunos  litcratos  (quizâ 
también  de  algunos  eruditos)  y  la  leyenda  de  nuestro  obscurantismo;  pero  de  nueslra 
escuela  libéral  moderna,  de  nueslros  filôsofos,  pcdagogos,  sociôlogos,  economistas, 
juristas,  etc.,  de  la  obra  fructifera  que  hacen  y  merced  â  la  cual  seguimos  viviendo 
(aunque  en  minon'a)  con  el  espiritu  moderno,  de  eso  nada  absolutamente  se  sabe,  y 
es,  sin  embargo,  lo  que  podria  hacernos  mâs  simpâlicos  en  America  y  lo  mejor  que 
podemos  ofrecer  para  la  intimidad  intelectual  con  ustedes»  (Revista  del  Aleneo,  II, 
p.  89).  El  Sr.  Altamira  ha  puesto  la  cuestiôn  en  el  mismo  terreno  que  yo  :  si  en 
Espana  hay  todo  eso,  â  America  no  llega,  y  por  tanlo  no  puede  ejercer  inlluencia  de 
ningûn  linaje.  La  otra  cita  es  do  otra  cuerda  :  «  Murho  mejor  séria  para  nosotros,  — 
lia  dicho  recicntemente  revista  tan  autorizada  como  La  EspaFia  Moderna  —  y  araso 
para  los  americanos  de  nuestra  raza,  que  Espana  siguiese  siondo  la  metrôpoli  inte- 
lectual de  sus  antiguas  provincias  del  Nuevo  Mundo.  No  lo  es,  y  ante  el  hecho  sirve 
de  poco  la  dialéctica.  Estas  primacias  intelectuales  no  se  ganan  por  tilulos  histôricos, 
ni  por  los  meros  vincUlos  de  consanguinidad  y  de  raza.  Requiercnunasuperioridaddc 
cultura  que  no  poseemos  con  reiaciôn  â  otros  pueblos  de  Europa,  y  no  podemos  cen- 
surar  en  jiisticia  â  los  hispanoamericanos  porque  busquen  inspiraciôn  en  esos  pue- 
blos »  (£i  Pro6/eHia  c/e  Za  ie;î(;ua,  p.  ii5-6;  Buenos  Aires,  1900).  Pero  esto  es  tortas  y 
pan  pintado  en  comparaciôn  de  las  atrocidades  que  ha  dicho  el  Sr.  V.,  como  se  verâ 
en  la  nota  siguiente  :  tal  se  me  figura  que  la  ira  de  este  senor  conlra  mf  es  el  dcspc- 
cho  del  remordimiento. 


EL    CASTELLAPiO    EN    AMÉUICA.  'J'J 

enviando  sus  agudezas  y  discreciones  à  los  cuatro  angulos  del 
mundo'.  K.  J.  CUEKVO. 

I.  Es  sensible  que  un  cscritor  de  la  rcprcsentaciôn  social  y  literaria  del  Sr.  V. 
incurra  en  olvidos  que  podnaii  compararse  a  las  artes  de  que  se  valen  pcriodistas  de 
raala  loy  para  mejorar  su  causa  y  dcjar  l'oo  al  adversario  :  plantée  incidenlalinente  y 
siii  intencioii  do  lierir  â  nadic,  aplicândolo  al  castellario  eu  Aniérica  y  cou  datos  a 
mi  parecer  cicrtos,  un  probicma  de  lingùistica  gênerai  resuello  uiuclius  afios  anles  en 
el  niisnio  senlido  asi  en  abstracto  como  cou  respecte  al  castcllano  y  al  ingli's,  y  adverli 
que  la  idea  no  cra  mi'a  :  empôûase  el  Sr.  V.  en  alirmar  que  yo  solo  soy  el  profeta, 
conio  receloso  de  que  se  ponga  en  duda  su  acierlo  si  déjà  ver  que  va  contra  el  sentir 
de  franceses,  alemanes,  ingleses  6  norteainericanos;  asenté  claranienle  que  la  disgre- 
gaciôn  compléta  del  castellano  no  era  cosa  de  nianana  («  estâmes  pues  en  visperas  — 
que  en  la  vida  de  los  pueblos  puedeu  ser  bien  largas  —  de  quedar  separados...»; 
«  Pero,  amigo  mio,  esto  es  todavîa  cuento  largo,  y  mientras  nos  entendemos...  »), 
y  el  Sr.  V.  alîrma  que  yo  la  juzgo  inminenle;  hablo  con  absolufa  iiulependencia 
cicntîfîca,  sin  amor  ni  desamor,  y  el  Sr.  V.  da  â  entendcr  que  yo  abrigo  alguna  cspe- 
rauza  6  dcsco  de  que  eso  se  realice,  y  aun  me  acliaca  la  crecncia  de  que  cou  la  multi- 
plicacién  de  las  Icnguas  se  nos  aclararân  las  cntcndcderas;  êslimando  como  el  dato 
mâs  importante,  después  de  la  frecuente  comunicacion,  para  pronosticar  la  unidad 
6  la  disgregraciôn  de  una  lengua  que  se  habla  en  un  vasto  territorio,  el  saber  si 
existe  6  no  un  centro  de  iniluencia  literaria,  social  6  politica  que  imponga  su  modo 
de  expresarse  â  los  individuos  que  se  sirven  de  ella,  lo  manifesté  dicicndo  :  «  La 
iniluencia  de  la  que  fue  metrôpoli  va  debilitândose  cada  dîa,  y  fuera  de  cuatro  6 
cinco  autores  cuyas  obras  leemos  con  gusto  y  provecho,  nuestra  vida  iutelectual  se 
dériva  de  otras  fuentes,  y  careccmos  pues  por  complcto  de  un  regulador  que  garan- 
tice  la  antigua  uniformidad  »;  pues  bien,  el  Sr.  V.  en  su  arli'culo  de  El  Imparcial, 
que  titulô  :  «  Sobre  la  duraciôn  del  habla  castellana,  con  motivo  de  algunas  frases  del 
Sr.  Cuervo  »  (luego  él  fue  el  primer  contradictor  y  no  yo,  como  sale  diciendo),  no 
solo  reconoce  cl  liecho,  sino  que  lo  agrava  en  térrainos  de  una  crudeza  tal  cuales 
acaso  ningiin  americano  habri'a  empleado  :  «  Fuera  del  teatro  (dice),  adondc  acude 
la  gentc  por  lo  muy  afîcionada  que  es  â  divertirse,  apenas  hay  literatura  popular  en 
Espana.  La  i^oesia  en  verso  y  por  todo  lo  alto  esta  en  gênerai  harto  dcsacreditada, 
y  d  pesar  de  Quintana,  Gallcgo,  duque  de  Rivas,  Espronccda,  Zorrilla,  Campoamor, 
Nùnez  de  Arce  y  bastantes  otros  que  viven  6  han  vivido  en  el  siglo  que  esta  termi- 
nando,  se  nos  anuncia  fatfdicamcnte  que  va  â  desaparccer  la  forma  poética.  Y  no  se 
créa  que  lo  escrito  en  prosa  ha  conquistado  todo  el  favor  y  esté  muy  boyantc.  Si 
exceptuamos  â  D.  Bcnito  Pérez  Galdôs  y  â  otro  par  de  autores  â  lo  mâs,  apenas  los  hay 
hoy  eu  Espana  verdaderamente  populares  y  cuyos  libros  se  compren  y  se  lean.  Con  fati- 
gas  lendri'anios  que  andar  hoy  para  completar  et  numéro  de  los  cuatro  6  cinco  autores 
de  que  habla  el  Sr.  Cuervo  y  cuya  lectura  trae  gusto  6  provecho  â  los  americanos.  Ni 
siquiera  en  Espana  caemos  en  gracia.  »  Y  después  de  esto  signe  dândosc  por  scntido  é 
importunandocon  lo  del  gusto  y  provecho;  sin  embargo,  como  mis  palabras  no  ledaban 
motivo  suliciente  para  provocar  contra  mi  las  iras  de  sus  favorecidos,  en  La  Tribune  las 
adultéra  asi  :  ((  Tan  déplorable  es,  si  hemos  de  créer  al  Sr.  Cuervo,  la  csterilidad  de 
nucstro  pensamiento  que  fuera  de  cuatro  6  cinco  autores  cuyas  obras  leeino'^  con  gusto  y 
proveclio,  nuestra  vida  inteleclual  se  dériva  de  otras  fuentes  :  n  eso  que  el  Sr.  V.  subraya 
lo  ha  dicho  él  y  no  yo.  Aun  con  mayor  desenfado  (para  no  emplcarel  términopropio), 
intenta  liacer  créer  que  yo  he  dicho  que  en  toda  la  literatura  castellana,  desde  sus 
albores  hasta  hoy,  no  hay  sino  cuatro  6  cinco  autores  que  se  lean  con  gusto  y  prove- 
cho. Semejante  machacar  en  lo  del  gusto  y  provecho  (cinco  veces  en  El  Imparcial,  una 
en  La  Xaciôn  y  otras  cinco  en  La  Tribuna),  con  incorreccioncs  como  «  fue  uno  de  los 
ingredientes  que  entra  en  la  composiciôn  »,  déjà  vislumbrar  en  que  estado  de  ânimo 
ha  redaclado  el  Sr.  Valcra  sus  arliculos  :  él  prétende  que  las  naciones  hispanoameri- 
canas  seau  colonias  lilerarias  de  Espana,  auntiue  [lara  abasteccrias  sea  mcnestcr  tomar 
productos  de  paises  extraujcros,  y,  ligurâudose  leuer  aûn  el  imprescriptible  derecho 
â  la  rCiiresioM  violenta  de  la  insiirgenle>,  no  pucJe  sulrir  que  un  americano  ponga 
en  duda  el  que  las  circuiistaucia»  actualos  cou^ientan  laies  ilusiunes  :  esto  lu  hace 
perder  los  estribos  y  la  serenidad  cldsica.  llasla  aqui  Uega  el  fraterual  alecto. 

Bull,  kispan.  (3 


BIBUOGRAPHIK 


Eduardo  de  Hinojosa,  i"  Le  servage  en  Catalogne  au  Moyen- Age  : 
■2°  Le  Jus  priniae  noctis  a-t-il  existé  en  Catalogne?  dans  les 
Annales  internationales  d'histoire.  Congrès  de  Paris,  1900: 
Histoire  comparée  des  institutions  et  du  droit,  Paris,  1902; 
pages  21 3-2 26. 

Origeny  vicisitudes  de  la  pagesfa  de  remensa  en  Catatuna  (Discours 
de  réception  à  l'Académie  de  Barcelone,   Barcelone,    1902). 

Sur  la  condition  de  la  classe  rurale  en  Catalogne  et  sur  le  droit  du 
seigneur  dans  cette  province,  M.  de  Hinojosa  a  écrit  quelques  pages 
pusément,  sensément.  On  croit  peut-être  que  l'entreprise  est  aisée  ;  elle 
est,  au  contraire,  très  difficile  et  très  méritoire,  si  l'on  en  juge  par  la 
violence  passionnée  avec  laquelle  ces  questions  sont  trop  souvent 
traitées,  en  Espagne  et  ailleurs. 

Le  jus  primae  noctis  dans  ce  pays  est  connu  par  les  pièces  d'un 
conflit  qui  éclata  vers  le  milieu  et  la  fin  du  xv"  siècle  entre  les  paysans 
et  les  seigneurs.  Ceux-là  exposèrent  leurs  griefs;  ceux-ci  répondirent, 
et  le  Roi  prononça.  Les  paysans  se  plaignaient  de  divers  mais  usos, 
mauvais  usages,  abus,  au  nombre  desquels  figure  la  «  ferma  de  spoli 
forsada  »  ;  nous  verrons  tout  à  l'iieure  ce  que  signifie  ce  nom.  De  plus, 
et  ceci  est  plus  grave,  le  Roi  décide  que  «  les  seigneurs  ne  pourront 
pas,  la  première  nuit  après  que  le  paysan  a  pris  femme,  dormir  avec 
elle  )),  etc.  De  ((  ferma  de  spoli  forsada  »  certains  ont  fait  o  ferma  de 
sposa  forsada  »  ;  et  ils  ont  traduit  comme  il  suit  la  sentence  royale  : 
(I  Le  paysan  qui  prendra  femme  ne  pourra  pas  dormir  la  première 
nuit  avec  elle,  »  etc. 

De  pareils  procédés  de  discussion  sont  inadmissibles,  et  M.  de  Hino- 
josa aurait  eu  le  droit  de  les  juger  sévèrement.  11  a  préféré  n'en  point 
parler.  11  se  borne  à  exposer  clairement  les  questions  et  à  déduire  les 
solutions  les  plus  raisonnables  d'une  documentation  aussi  complète 
que  possible.  C'est  ainsi  qu'à  propos  du  jus  primae  noctis  cet  érudit 
fait  connaître  la  réponse,  jusqu'à  présent  inédite,  des  seigneurs  :  «  Res- 
ponen  los  dits  senyors  que  no  saben  ne  crehen  que  tal  servitut  sia  en  lo 
présent  principat  ni  sia  may  per  algun  senyor  exhigida.  Si  axi  es 
veritat  com  en  lodit  capitol  es  contengut,  renuncien,  cassen  e  anuUen 
losdits  senvors  tal  servitut,  com  sie  cose  molt  injusta  e  desonesta.  » 


BIBLIOGRAPHIL  79 

Dans  les  excellents  mémoires  de  M.  de  Hinujosa  il  est  quelques 
points  de  détail,  en  très  petit  nombre,  sur  lesquels  j'ai  le  regret  de 
n'être  point  pleinement  d'accord  avec  lui.  Je  crois,  par  exemple,  que 
les  termes  serfs  et  servage  ne  conviennent  pas  aux  homens  de  remensa. 
hommes  de  rachat,  de  la  Catalogne.  Beaumanoir  nous  dit  bien  que  la 
condition  des  serls  est  très  variable;  néanmoins,  entre  cette  condition 
et  celle  des  homens  de  remensa  il  est  des  dilTérences  spécifiques  et 
d'une  telle  importance  qu'un  même  mot  ne  peut  guère  désigner  Tune 
et  l'autre.  Il  est  vrai  que  le  français  ne  fournissait  pas  d'expression 
adéquate  à  l'idée  et  qu'il  était  assez  naturel  de  prendre  l'expression  la 
plus  rapprochée:  mais  il  eût  mieux  valu,  ce  me  semble.  re<ourir  à 
une  périphrase,  parce  que  le  servage  proprement  dit  n'a  pas  existé  en 
terre  catalane. 

A  propos  de  la  ferma  de  spoli  forsada,  M.  de  llinojosa  cite  un 
article  de  la  coutume  de  Gerona  suivant  lequel  le  seigneur  foncier 
percevait  le  droit  de  mutation  de  loo/o  à  l'occasion  de  l'hypothèque 
donnée  par  le  mari  sur  les  censives  pour  garantir  les  reprises  dotales 
de  la  femme.  La  citation  est  fort  intéressante  et  le  rapprochement 
ingénieux;  mais  le  droit  dont  il  s'agit  me  paraît  être  différent.  Le  spoli 
n'est  pas  l'hypothèque  dotale,  c'est  le  douaire;  Vapprohul'ion,  ferma, 
de  la  constitution  du  douaire  par  le  seigneur  foncier  devait  être 
demandée  par  le  tenancier,  forsada,  obligatoirement,  parce  qu'il  y 
avait  transfert  éventuel  de  propriété  :  par  privilège,  les  habitants  de 
Barcelone  en  étaient  dispensés,  aux  termes  de  l'art.  la  du  Recognove- 
runt  proceres.  L'expression  /erma  de  spoli  forsada  a  donc  une  explica- 
tion grammaticale  satisfaisante. 

De  plus,  la  réponse  des  seigneurs  analysée  par  M.  de  Hinojosa 
confirme  cette  explication  :  «  En  ce  qui  concerne  la  ferma  de  spoli,  ils 
consentent  à  laisser  au  vassal  la  liberté  de  solliciter  du  seigneur 
l'approbation  de  l'acte  constituant  le  douaire;  le  seigneur  se  contentera 
d'un  droit  de  a  sous  par  livre  et  il  lui  sera  interdit  d'exiger  du  vassal 
que  celui-ci  soumette  à  son  approbation  l'instrument  dont  il  s'agit.  >> 

Il  paraît  plus  rationnel  d'expliquer  le  document  par  le  document 
lui-même  que  par  d'autres  textes,  qui  peuvent  se  référer  à  des  rede- 
vances différentes. 

Il  me  sera  permis,  en  terminant,  de  dire  le  vif  plaisir  que  j'ai  pris  à 
lire  ces  pages  :  rarement  les  vieilles  institutions  catalanes,  si  atta- 
chantes par  leur  vivante  originalité,  ont  été  analysées  avec  autant  de 
maîtrise.  Historien,  jurisconsulte,  philosophe,  M.  de  Hinojosa  est 
encore  administrateur  ;  le  gouvernement  des  hommes  a  développé  et 
affiné  en  lui  la  pénétration  et  la  pondération  de  l'érudit.  Il  a  traité  un 
beau  sujet  avec  la  sûreté  et  le  calme  d'un  esprit  supérieur. 

J.-A.  HRLTAILS. 


8o  BULLETIN    HISPANIQUE 

Hisloria  gênerai  de  Espana  escrita  por  individuos  de  numéro  de 
la  Real  Academia  de  la  Historia...  Caslilla  y  Léon  durante  los 
reinados  de  Pedro  I,  Enrique  II,  Juan  I  y  Enrique  III,  por  el 
excmo.  Sr.  D.  Juan  Gatalina  Garcia...,  tomo  II.  Madrid,  El 
Progreso  editorial,  [1901]';  5o5  pages,  gr.  in-8". 

Dans  cette  nouvelle  Histoire  générale  d'Espagne,  entreprise  par  un 
groupe  de  membres  de  l'Académie  d'histoire,  l'un  deux,  M.  Juan 
Gatalina  Garcia,  s'est  chargé  des  règnes  de  quatre  rois  de  Castille  et 
de  Léon  :  D.  Pedro  1",  D.  Enrique  11,  D.  Juan  I"  et  D.  Enrique  111, 
c'est-à-dire  des  événements  écoulés  depuis  i35o  jusqu'à  i4o6.  Un 
volume,  édité  en  1892,  était  entièrement  consacré  au  premier  de  ces 
princes;  le  tome  second,  que  nous  annonçons,  se  réfère  à  l'époque  de 
D.  Enrique  11  et  de  son  fds  D.  Juan  1". 

Parmi  les  souverains  de  l'Espagne  au  Moyen-Age,  il  n'en  est  point 
dont  la  vie  ait  été  plus  mêlée  d'événements  tragiques  et  dont  la 
mémoire  ait  donné  matière  à  autant  d'appréciations  contradictoires 
que  D.  Pedro  1".  Deux  courants  d'opinion  se_  sont  formés  à  son 
sujet  :  les  uns,  ne  considérant  que  la  quantité  de  victimes  qu'il  fit 
autour  de  lui,  le  représentèrent  comme  un  tyran  sanguinaire  et  lui 
donnèrent  le  surnom  de  Cruel,  les  autres  ne  virent  dans  ses  exécutions 
sanglantes  que  l'exercice  de  sa  justice  contre  des  personnages  qui 
l'avaient  trahi  et  lui  décernèrent  le  titre  de  roi  Justicier.  Ce  sont  là  des 
jugements  sommaires  que  les  historiens  dignes  de  ce  nom  ne  pou- 
vaient accepter  en  bloc  et  dont  ils  devaient  discuter  équitablement  les 
éléments  pour  tracer  de  ce  prince  un  portrait  véridique.  C'est  ce  qu'ils 
n'ont  point  manqué  de  faire,  et  notre  Mérimée  avait  à  cet  égard 
devancé  M.  Juan  Gatalina  Garcia.  On  sait  que,  monté  sur  le  trône  à 
quinze  ans  et  vite  émancipé  de  la  tutelle  où  prétendait  le  tenir  Albu- 
querque,  le  vieux  conseiller  de  son  père,  D.  Pedro  vit  pendant  toute 
la  durée  de  son  règne  son  pouvoir  menacé  par  les  grands  vassaux  qui 
aspiraient  à  une  pleine  indépendance,  et  en  particulier  par  ses  frères 
naturels.  L'un  d'eux,  l'aîné,  D.  Enrique,  comte  de  Trastamara, 
menacé  dans  sa  vie,  s'était  enfui  en  France  avec  un  petit  groupe  de 
partisans  ;  saisissant  une  occasion  favorable,  il  rentra  en  Espagne, 
entraînant  à  sa  suite  les  compagnies  de  routiers  que  la  paix  avec 
l'Angleterre  laissait  sans  emploi.  Son  armée  se  grossit  de  tous  les 
mécontents,  et  il  se  posa,  dès  lors,  en  prétendant  à  la  couronne,  bien 
qu'il  ne  fût  qu'un  bâtard;  il  réussit  à  forcer  le  souverain  légitime  à 
chercher  Un  refuge  d'abord  en  Portugal,  puis  en  Gascogne  sur  le 
territoire  anglais.  Mais  bientôt,  secondé  par  le  Prince  Noir,  D.  Pedro 
reconquit  son  royaume  par  la  victoire  de  Nàjera,  et  son  compétiteur, 
défait,  fut  obligé  de  prendre  à  nouveau  le  chemin  de  l'exil;  néanmoins, 
il  mécontenta  ses  alliés  et  s'aliéna  encore  une  fois  par  ses  cruautés 


BIBLIOGRAPHIE  8l 

une  partie  de  ses  sujets.  Le  comte  de  Trastamara  envahit  derechef  la 
Castille,  et  les  deux  frères,  s'étant  trouvés  en  présence  près  du  château 
de  Montiel,  engagèrent  une  lutte  corps  à  corps  où  D.  Pedro  fut  tué. 

Celte  mort  laissait  la  couronne  aux  mains  du  fils  naturel  de 
D.  Alfonso  XI,  puisque  le  roi  qui  venait  de  périr  ainsi  par  un  fratri- 
cide n'avait  pas  lui-même  d'enfants  légitimes,  mais  il  s'en  fallait  de 
beaucoup  que  l'autorité  du  nouveau  souverain,  D.  Enrique  II,  fut 
reconnue  dans  toute  l'étendue  du  royaume.  En  elTet,  d'une  part  les 
partisans  de  D.  Pedro  occupaient  un  certain  nombre  de  places  impor- 
tantes qu'ils  n'étaient  point  disposés  à  rendre  de  bon  gré;  d'autre  part, 
les  princes  voisins  de  la  Castille  voulaient  profiter  de  la  situation 
critique  du  roi  pour  agrandir  leurs  domaines  :  Carmona,  Ciudad- 
Rodrigo,  Zamora  et  Molina  refusaient  d'ouvrir  leurs  portes,  tandis 
que  l'Aragon,  la  Navarre,  le  Portugal  et  les  Maures  de  Grenade 
s'alliaient  contre  le  comte  de  Trastamara.  Menacé  à  l'intérieur  par 
ceux  qui  ne  voulaient  point  le  reconnaître,  menacé  aux  frontières,  en 
proie  aux  plus  graves  difficultés  financières,  il  semblait  qu'en  cette 
lutte  inégale  D.  Enrique  dût  succomber.  Heureusement  pour  lui,  ses 
ennemis  ligués  ne  surent  pas  agir  de  concert  pour  l'accabler  :  le  roi 
de  Portugal,  qui  se  déclara  imprudemment  le  premier,  vit  son  territoire 
envahi  et  sa  capitale  en  péril;  il  fut  obligé  d'accepter  la  paix.  Le  roi 
de  Grenade,  après  avoir  détruit  Algeciras,  consentit  à  traiter,  et  les 
difficultés  pendantes  avec  l'Aragon  furent  d'un  commun  accord 
soumises  à  l'arbitrage  du  pape.  Une  à  une,  les  places  où  s'étaient 
enfermés  les  partisans  du  roi  défunt  tombèrent  au  pouvoir  de 
D.  Enrique,  et  les  auxiliaires  étrangers  qui  avaient  puissamment 
contribué  au  succès  de  celui-ci,  mais  dont  les  services  coûtaient  fort 
cher,  furent  peu  à  peu  payés  et  licenciés  pendant  que  leurs  chefs 
recevaient  comme  récompense  des  terres  et  des  seigneuries.  La  nou- 
velle dynastie  eut  bientôt  à  craindre  un  autre  danger  :  l'une  des  filles 
naturelles  de  D.  Pedro,  issues  de  son  union  avec  Maria  de  Padilla, 
élevée  depuis  son  enfance  à  la  Cour  d'Angleterre,  épousa,  en  1872, 
Jean  de  Gand,  duc  de  Lancastre,  fils  d'Edouard  III,  qui  résolut  de 
revendiquer  les  droits  de  sa  femme.  Cette  circonstance  détermina  le 
roi  de  Castille,  depuis  longtemps  allié  de  Charles  V  de  France,  à 
prêter  à  ce  dernier  le  secours  de  sa  puissance  maritime  contre 
l'Anglais,  qui  devenait  ainsi  l'ennemi  commun,  et,  le  28  juin  suivant, 
les  amiraux  espagnols  remportaient  sur  la  flotte  du  comte  de  Pem- 
broke  une  victoire  complète  devant  la  Rochelle.  En  137^,  D.  Enrique, 
que  le  roi  de  Navarre  n'avait  pu  détacher  de  l'amitié  avec  la  France, 
voulut  même  porter  la  guerre  dans  les  possessions  anglaises  et  vint 
inutilement  mettre  le  siège  devant  Rayonne.  Des  trêves  furent  bientôt 
conclues  en  1370  à  Rruges,  un  commencement  d'hostilités  avec  la 
Navarre  fut  promptement  apaisé,  et  lorsque  le  roi  de  Castille  mourut, 


S:<  Bi;r,i,ETi>'  hispvmqie 

à  Santo  Domingo  de  la  Calzada,  le  3o  mai  1379,  ^e^  seulemenl  de 
quarante-six  ans,  il  était  parvenu,  grâce  à  sa  modération  et  à  sa  persé- 
vérance, à  établir  solidement  sa  dynastie,   car  son  fils  lui  succéda 
sans  contestation;  mais  il  n'avait  obtenu  ce  résultat  qu'en  appauvris- 
sant la  couronne   elle-même,   en    multipliant,   afin   de    s'assurer   la 
fidélité  des  grands,  ces  largesses  et  ces  donations  qu'on  connaît  sous 
le  nom  de  mercedes  enriquenas.  D.  Juan  I",  à  son  avènement,  trou- 
vait  donc  un  royaume  pacifié   à  l'intérieur,  mais   que   menaçaient 
toujours  à  l'extérieur  les  prétentions  du  duc  de  Lancastre   et  de   la 
fille  de  D.  Pedro.  11  s'agissait  là,  il  est  vrai,  d'un  danger  qui  n'était 
point  imminent,  puisque  le  prince  anglais,  pour  atteindre  son  adver- 
saire, devait  avoir  un  accès  dans   la  péninsule   ibérique  et  devenir 
l'allié  d'un  des  rois  voisins  de  la  Castille.  Or,  cet  allié,  il  le  trouva 
tout  naturellement  en  Portugal.  Une  première  guerre  avec  le  souve- 
rain de  ce  pays,  Ferdinand  P%  fut  vite  terminée  ;  mais  lorsque  celui-ci 
mourut,  en  i383,  D.  Juan  prétendit  recueillir  son  héritage  en  vertu 
des  droits   de    sa   seconde   femme   D'  Beatriz,  contre   le   sentiment 
presque  unanime  de  la  nation  portugaise,  dont  le  patriotisme  répu- 
gnait à  une  union  possible  avec  la  Castille  et  ne  voulait  d'autre  roi 
que  Jean,  Grand-Maître  de  l'Ordre  d'Avis,  fils  naturel  de  Pierre  I". 
Il  fallait  donc  conquérir  le  Portugal  :  c'est  à  quoi  D.  Juan  se  disposa 
imprudemment.  Une  bataille  maladroitement  engagée,   en    i385,    à 
Aljubarrota,  se  termina  en  une  déroute  complète  pour  les  Castillans, 
et  le  roi  lui-même  put  à  grand'peine  échapper  :  non  seulement  le  pays 
qu'il  convoitait  était  perdu  pour  lui,   mais  encore  la  Castille  allait 
être  envahie  par  le  Maître  d'Avis  appuyé  par  les  Anglais  et  le  duc  de 
Lancastre  qui  voyait  là  une  occasion  favorable  de  réclamer,  les  armes 
à  la  main,  la  succession  de  D.  Pedro  1".  Dans  ce  péril  extrême,  le  roi 
de  Castille  ne  perdit  pas  courage,  demanda  des  secours  à  son  allié 
Charles  VI,  et  tint  tête  comme  il  put  à  l'ennemi.  Les  Portugais  et  les 
Anglais,  dont  l'armée,  décimée  par  la  maladie,  n'avait  obtenu  sur  le 
territoire  castillan  aucun  succès  décisif,  ne  tardèrent  pas  à  rétrograder, 
et  des  négociations  s'engagèrent.  On  arriva  enfin  à  une  entente,  et  il 
fut  décidé,  par  un  traité  conclu  à  Rayonne,  que  l'héritier  de  D.  Juan  I". 
l'infant  D.  Enrique,  épouserait  Catherine,  fille  du  duc  de  Lancastre. 
Ce  mariage  de  la  petite-fille  de  D.  Pedro  I"  avec  le  petit-fils  du  comte 
de  Trastamara  était  une  heureuse  solution  de  la  querelle  dynastique, 
puisqu'il  écartait  à  jamais  toute  compétition  entre  les  deux  branches 
de  la  descendance  de  D.   Alfonso  XI.  Le  roi  de  Castille  mourut  à 
Alcalâ  de  Henares  d'une  chute  de  cheval,  le  9  octobre  1390,  laissant 
la  couronne  à  un  enfant  de  onze  ans,  pendant  la  minorité  duquel  le 
pays  allait  être  de  nouveau  en  proie  aux  troubles. 

Le  volume  où  M.  Juan  Catalina  Garcia  a  raconté  les  événements 
dont  nous  venons  de  donner  un  résumé  si  imparfait,  est  écrit  sim- 


BIHMOGRAPHIE  N;> 

plemenl,  sans  digressions  et  se  lit  en  entier  avec  intérêt.  La  principale 
source  à  laquelle  l'auteur  a  puisé  les  éléments  de  son  récit  est  la 
chronique  d'Ayala,  si  vivante  et  si  pleine  de  détails  précieux;  il  a  con- 
sulté également  de  nombreux  documents  imprimés  dans  les  recueils 
diplomatiques  et  dans  les  compilations  des  xvir  et  xviii"'  siècles.  Mais 
ce  qui  donne  une  valeur  toute  particulière  à  son  œuvre,  ce  sont  le> 
appendices  qui  font  suite  à  l'histoire  des  règnes  de  D.  Enrique  II  et  de 
D.  Juan  I".  Ces  appendices  contiennent  le  catalogue  des  actes  émanés 
de  ces  princes  et  qui  se  trouvent  dispersés  dans  les  archives  particu- 
lières, dans  celles  des  divers  couvents  ou  qui  ont  été  publiés  dans  un 
certain  nombre  d'ouvrages.  Chacun  des  actes  est  analysé  brièvement, 
suivi  de  la  date  à  laquelle  il  a  été  rédigé  et  accompagné  d'une  mention 
qui  en  indique  la  provenance.  Les  documents  rassemblés  de  la  sorte 
sont  au  nombre  de  ^52  pour  D.  Enrique  II  et  de  524  pour  D.  Juan  I": 
on  en  a  ajouté  quatorze,  écrits  au  nom  du  D-*  Juana  Manuel,  femme  du 
premier  de  ces  princes,  et  sept  qui  appartiennent  à  D'  Leonor 
d'Aragon  et  à  D"  Beatriz  de  Portugal,  les  deux  épouses  du  second. 
Ce  n'est  là  qu'un  commencement,  et  pour  que  l'étude  de  la  diploma- 
tique des  rois  de  Castille  puisse  être  faite  scientifiquement,  il  faut 
souhaiter  que  les  actes  de  ces  souverains  soient  publiés  en  grand 
nombre  :  M.  Juan  Catalina  Garcia  a  déjà  rendu  un  service  signalé  en 
indiquant  même  sommairement  tous  ceux  qu'il  a  connus. 

Georges  D\IMET.. 

Eloy  Garcia  de  Quevedo  y  Concellôn,  El  Abad  Maluenda  y  cl 
Sacristdn  de  Viejd  Riîa.  Madrid.  1902.  [Extrait  de  la  Revisia 
de  Archivas.] 

D.  Juan  Pérez  de  Guzmàn,  le  premier,  a  fait  connaître  le  poète  bur- 
galais,  jusque-là  à  peu  près  ignoré,  D.  Antonio  de  Maluenda,  dabord 
dans  la  Ilustracion  Espanola  (22  déc.  1890)  et  dans  une  anthologie  des 
lyriques  castillans  (Cancioncro  de  la  Rosa,  tome  1),  puis  dans  une 
édition  spéciale,  publiée  à  Séville,  en  1892,  aux  frais  du  marquis 
de  \erez  de  los  Caballeros,  auquel  les  lettres  espagnoles  doivent 
tant.  Cependant,  malgré  ses  efforts  pour  la  préciser,  la  figure  de  Ma- 
luenda restait  encore  bien  vague.  M.  Concellôn,  particulièrement 
informé  de  tout  ce  qui  touche  aux  arts  et  à  la  littérature  de  la  province 
de  Burgos,  y  ajoute,  dans  le  présent  travail,  quelques  traits  qui  en 
complètent  heureusement  la  physionomie.  Grâce  à  d'heureuses  rechei- 
ches  dans  les  archives  de  la  cathédrale  de  Burgos,  il  rectifie  diverses 
erreurs  de  M.  Pérez  de  Guzmàn,  et  montre  qu'en  septembre  i586, 
Maluenda,  qui  était  déjà  abbé  de  San  Millàn  de  Lara,  prit  possession 
de  sa  charge  de  chanoine,  à  laquelle  il  renonça,  le  5  avril  1689,  en 
faveur  de  D.  Inigo  de  \elasco,  archidiacre  de  Valpuesta;  qu'il  vécut 


84  BULLETIN    HISPANIQUE 

quelque  temps  à  Madrid,  mais  revint  ensuite  à  Burgos,  où  il  mourut 
le  8  décembre  i6i5. 

Ses  œuvres  poétiques  ont  été  publiées  par  Pérez  de  Guzmân,  d'après 
un  manuscrit  (M.  828)  de  la  Biblioteca  Nacional.  Elles  offrent  cette 
particularité^  dont  M.  Concellôn  s'est  aperçu  le  premier,  que  plusieurs 
d'entre  elles  se  retrouvent,  avec  des  variantes  plus  ou  moins  impor- 
tantes, dans  les  œuvres  du  comte  de  Yillamediana.  Les  comparaisons 
faites  par  le  critique  ne  laissent  aucun  doute  sur  le  fait,  mais  l'expli- 
cation de  ces  coïncidences  singulières  est  assez  embarrassante  et,  sur 
ce  point,  on  ne  peut  encore  faire  que  des  hypothèses.  Lequel  des  deux 
poètes  a  copié  l'autre?  M.  Concellôn  remarque  que  le  manuscrit  offre 
des  corrections  ou  variantes  nombreuses  et  importantes,  et  comme 
M,  Pércz  assure  qu'elles  sont  de  la  main  de  Maluenda  (sur  quoi  se  fonde 
cette  affirmation?),  c'est  à  ce  dernier  qu'il  serait  tenté  d'en  attribuer  la 
paternité.  Ce  problème,  bien  posé  par  le  critique  burgalais,  reste  en 
somme  à  résoudre. 

Mais  il  en  est  un,  du  moins,  que  M.  Concellôn  paraît  avoir  résolu,  et 
c'est  celui  relatif  à  un  autre  poète  de  Burgos,  déjà  signalé  par  Martinez 
Anibaro,  dans  son  Dlccionario  de  autores  de  la  provincia  de  Burgos, 
et  que  l'on  ne  connaît  que  sous  le  nom  (qu'il  se  donne  lui-même)  de 
Sacristdn  de  Vieja  Rûa.  Le  manuscrit  de  ses  poésies,  signalé  par  Mar- 
tinez Anibaro,  et  consciencieusement  étudié  par  M.  Concellôn,  qui  l'a 
eu  longtemps  à  sa  disposition,  ne  contient  pas  moins  de  1,000  pièces. 
Elles  sont  pour  la  majeure  partie  inédites;  mais  celles  que  cite  notre 
auteur  nous  donnent  le  plus  vif  désir  de  connaître  l'œuvre  entière. 
Les  pièces  satiriques  en  particulier,  écrites  manifestement  sous  l'in- 
fluence de  Quevedo  et  de  Gôngora  —  celui  de  la  première  manière,  — 
sont  pleines  de  verve  et  de  cet  esprit,  un  peu  recherché  et  subtil  sans 
doute,  qui  était  alors  à  la  mode,  mais  qui  prouve  une  fécondité  d'ima- 
gination, une  richesse  verbale,  une  souplesse  de  style  peu  communes. 
J'ajoute  qu'elles  fourniraient  les  plus  précieux  renseignements  sur  les 
mœurs,  les  goûts,  les  travers  du  temps  et  sur  la  vie  intime  d'une 
grande  ville  de  province  vers  le  milieu  du  xvii"  siècle.  Car  c'est  bien 
vers  cette  époque  que  ce  prétendu  sacristain  de  l'antique  paroisse 
(aujourd'hui  disparue)  de  Vieja  Rùa  paraît  avoir  vécu.  C'est  un  point 
que  met  en  lumière  M.  Concellôn  (lequel  nous  a  fourni  d'autre  part  la 
date  exacte  de  la  mort  de  Antonio  de  Maluenda)  et,  en  vérité,  il  suffi- 
sait pour  cela  de  remarquer  que  parmi  les  sonnets  du  Sacrisldn  il  y 
en  avait  un  sur  la  mort  de  la  reine  dona  Isabel,  femme  de  Philippe  IV 
(6  octobre  i644).  Cette  simple  constatation,  rapprochée  de  la  date  du 
décès  de  Maluenda,  permet  aussi  à  M.  Concellôn  de  faire  justice  delà 
supposition  toute  gratuite  de  ceux  qui  avaient  pensé  (et  l'auteur  rappelle 
modestement  qu'il  avait  été  du  nombre)  que  Maluenda  et  le  Sacristdn 
de  Vieja  Rûa  ne  faisaient  qu'une  seule  et  même  personne. 


BIBLIOGRAPHIE  85 

En  terminant  son  intéressant  opuscule,  l'auteur  s'exprime  ainsi  : 
((  Queda  aûn  envueUa  en  niehlas  la  extrafïa  personalidad  del  SacrLslân 
de  Vieja  Rua  y  qiiedan  ai'in  inéditas  las  niieve  décimas  partes  de  sus 
poesî'is.  Para  aclarar  lo  obscuro  hace  falta  un  inveslir/ador  diligenle; 
para  publkar  lo  inédilo,  un  ediior  de  inteligencia  y  gusto,  que  bien 
pudiera  serlo  la  Sociedad  de  Btbliôfilos  espafîoles.  »  Sans  doute,  et  la 
Sociélé  des  Bibliophiles  a  fait  ses  preuves;  mais  qu'il  nous  soit  permis 
d'ajouter  que  cet  investigateur  diligent,  elle  l'a  sous  la  main,  et  que  ce 
dernier,  lui  aussi,  a  fait  ses  preuves.  Nul  mieux  que  M.  Concellôn,  qui  a 
étudié  longtemps  le  manuscrit  appartenant  à  D.  Lorenzo  Garcia  Mar- 
tînez  del  Rincôn,  qui  liabite  Burgos  et  connaît  à  fond  toutes  les  anti- 
quités de  la  ville  et  de  la  province,  nul  n'est  plus  à  même  de  retrouver 
dans  les  archives  du  chapitre,  si  peu  consultées,  ou  dans  celles  de 
VAyuntamicnto,  si  habilement  classées  par  D.  Anselmo  Salvâ,  les  traces 
de  ce  mystérieux  et  plaisant  sacristain  ;  nul  non  plus  n'est  mieux 
désigné  que  lui  pour  publier  ces  poésies  avec  tous  les  éclaircissements 
nécessaires  et  désirables.  Et  il  y  a  des  chances  pour  que  la  publication 
de  ces  œuvres  —  d'après  ce  que  nous  en  connaissons  —  enrichisse 
la  littérature  castillane  de  quelques  pages  vraiment  curieuses  et  remar- 
quables. On  ne  publie  que  trop  de  vieux  papiers,  dont  on  cherche  en 
vain  l'intérêt  ou  l'utilité,  pour  que  l'on  ne  saisisse  pas  avec  empresse- 
ment l'occasion,  qui  s'oll're  d'elle-même,  de  nous  faire  connaître  des 
œuvres  qui  promettent  d'être  un  régal  pour  les  lettrés. 

E.  MÉRIMÉE. 

G.  Desdevises  du  Dézert,  Le  Conseil  de  Castille  au  xviii'  siècle. 
Paris,  1902,  47  pp.  [Extrait  de  la  Revue  hislorique,  t.  LXXIX, 
1902.] 

Nous  ne  pouvons  que  signaler  ici  brièvement  cette  nouvelle  étude 
du  savant  et  laborieux  professeur  de  Clermont.  Elle  est  consacrée  au 
Consejo  de  Castilla  proprement  dit;  les  deux  autres  Chambres  du 
Conseil,  la  Real  Cdmara  et  la  Sala  de  alcaldes  de  Casa  y  Corle,  feront 
sans  doute  l'objet  d'un  travail  spécial.  Sans  parler  des  nombreuses 
pièces  d'archives  consultées,  l'auteur  s'est  servi  surtout,  pour  son  étude, 
de  trois  ouvrages  ou  recueils  :  la  Novlsima  Recopilaciôn,  de  i8o5,  la 
Colecciôn  de  memorias  y  noticias  del  gobierno  gênerai  y  politico  del 
Consejo,  de  MartinezSalazar(i764),  et  la  Prdctica  del  Consejo,  de  Esco- 
lano  de  Arrieta  (  1 796).  11  traite  successivement  du  personnel  du  Conseil, 
de  ses  attributions,  de  la  procédure  et  de  «  l'esprit  »  du  Conseil,  et 
quoiqu'il  ne  soit  pas  toujours  très  facile  de  maintenir  entre  ces  quatre 
points  une  distinction  rigoureuse,  la  division  cependant  est  assez  simple 
et  répond  en  somme  assez  exactement  à  la  réalité  des  faits  pour  que  la 
clarté  de  l'exposition  n'en  soufire  pas.  L'examen  des  attributions  ou 


86  MlJLLETiN    HISPAMQUE 

du  fonctionnemenl  du  Conseil  à  une  époque  donnée  de  Thistoire 
suppose  évidemment  la  connaissance  de  son  organisation  pendant 
les  périodes  précédentes,  car,  en  Espagne  plus  peut-être  que  partout 
ailleurs,  le  mécanisme  des  grands  corps  de  l'État  s'est  maintenu  par 
la  force  de  la  tradition,  alors  même  que  des  changements  profonds 
s'étaient  introduits  déjà  dans  la  condition  des  personnes  ou  dans  les 
idées  politiques  et  sociales.  11  n'en  est  que  plus  intéressant  de  noter, 
—  et  M.  Desdevises  du  Dézert  n'y  manque  point  pour  la  période  qu'il 
étudie,  —  les  changements  apportés  à  la  procédure  ou  à  l'organisation 
générale  de  cet  inslrumentiim  regni,  jadis  si  puissant,  soit  par  la  force 
des  choses,  soit  par  la  pression  des  événements.  La  multiplicité  des 
détails,  les  exemples  empruntés  aux  documents  contemporains,  la 
définition  exacte  des  procédés,  formules,  opérations  et  actes  de  procé- 
dure, permettent,  à  qui  n'a  point  fait  de  ce  sujet  une  étude  spéciale,  de 
se  rendre  un  compte  suffisant  du  fonctionnement,  parfois  si  compliqué, 
de  ces  rouages  multiples.  Peut-être  voudrait-on  voir  signalée  avec  plus 
de  netteté  l'impulsion,  sur  bien  des  points  nouvelle,  imprimée  à  l'an- 
tique machine  par  les  Floridablanca,  les  Campomanes  et  les  Jovel- 
lanos.  Du  moins,  l'auteur  a-t-il  résumé  tous  les  minutieux  renseigne- 
ments patiemment  réunis,  dans  une  dizaine  de  pages  excellentes 
(Esprit  du  Conseil),  où  il  fait,  avec  beaucoup  de  modération  et  d'équité, 
la  part  exacte  des  défauts  et  des  qualités  des  magistrats  de  l'ancien 
régime.  11  est  à  souhaiter  qu'il  poursuive  avec  le  même  zèle  ses  belles 
études,  aussi  utiles  aux  lettres  qu'aux  historiens  et  aux  spécialistes. 

Federico  Hanssen,  Notas  à  la  versijîcaciôn  de  Juan  Manuel, 
Santiago  de  Ghile,  1902.  [Extrait  des  Anales  de  la  Universidad, 
tome  CIX,  27  pp.] 

Il  faut  signaler  tout  particulièrement  aux  candidats  à  l'agrégation 
cette  nouvelle  brochure  de  l'ingénieux  professeur  de  Santiago,  dans 
laquelle,  prenant  pour  base  le  texte  de  Knust,  publié  par  Birch-Hirsch- 
feld  (Leipzig,  1900),  il  étudie  la  métrique  des  vers  qui  résument  chacun 
des  enxiemplos  du  Llbro  del  Conde  Lucanor  et  de  Patronio.  Des  entre- 
prises de  ce  genre  prêtent  naturellement  à  beaucoup  de  critiques  de 
détail,  car,  même  en  dépit  d'éditions  postérieures,  le  texte  ne  paraît 
pas  encore  suffisamment  sûr  et  selon  la  théorie  que  l'on  adopte  sur  la 
synalèphe  et  l'hiatus,  on  peut  modifier  les  vers  comme  l'on  veut, 
mais  elles  offrent  du  moins  une  excellente  occasion  d'étude  précise  et 
minutieuse. 

Eloy  BuUôn,  El  clasicismo  y  el  aiililarismo  en  la  Ensenanza. 
Conférence  faite  à  l'Ateneo  de  Madrid  le  3  janvier  1902. 

Plaidoyer  chaleureux  en  faveur  des  études  classiques,  qui  auraient 
grand  besoin  d'être  fortifiées  en  Espagne,  aussi  bien  dans  les  Universités 


lilBLlOGUAFIUE 


8- 


que  dans  l'enseignemenl  secondaire.  Sans  doute,  l'Espagne,  trop 
arriérée  sur  bien  des  points,  a  besoin  de  s'européaniser,  mais  il  y 
aurait  danger  pour  elle  à  briser  toutes  ses  traditions  et  à  se  mettre 
gauchement  à  la  remorque  des  autres  :  il  faudrait  plutôt,  pense 
l'auteur,  espagno/iser  l'Espagne. 

Carlos  Servert  Fortuny,   Leyendas  toledanas.   Madrid,   F.    Fe, 

1902. 

u  Des  légendes  tolédanes,  en  vers,  au  commencement  du  xx'  siècle! 
Voilà  qui  prouve  du  courage!  »  s'écrie  le  prolognisla  Jacinlo  Benavente. 
Et  il  en  faut,  en  effet,  après  Zorrilla,  Bécquer  et  tant  d'autres.  Mais  le 
sol  tolédan  est  si  fécond  qu'il  y  a  toujours  quelques  lleurs  à  glaner 
entre  ces  ruines  illustres.  M.  Servert  Fortuny  nous  rapporte  le  bouquet 
qu'il  y  a  cueilli  sous  forme  de  trois  légendes  :  Le  ruisseau  de  la  Fleur, 
le  Christ  de  la  Miséricorde  et  Capulets  et  Montaigus. 

Manuel  F.  Villegas,  Estrofas.  Madrid,  Serra,  1902. 

Élégante  plaquette,  dédiée  à  Nùnez  de  Arce  et  contenant  quelques 

traductions  et  quelques  poésies  originales. 

E.  M. 

F.  Moreno  (Dr  Moorne),  Esgrima  espaflola.  Apnnies  para  su 
historia.  Prologo  de  D.  A.  de  Saint-Aubin.  Segunda  edicion. 
Madrid,  Valero  Diaz,  1902:  in- 12,  xv-232  pages. 
Il  a  existé  de  la  fm  du  xvi°  siècle  au  début  du  xix*  une  école 
d'escrime  vraiment  espagnole,  se  distinguant  absolument  des  écoles 
française  et  italienne.  Garranza  et  Pacheco  de  Narvaez  en  ont  été  les 
maîtres  et  en  ont  codifié  les  règles,  en  les  enveloppant  d'un  appareil 
soi-disant  scientifique,  d'un  fatras  philosophico-mathématique,  qui  a 
rendu  leur  œuvre  très  obscure  et  d'une  compréhension  malaisée 
aujourd'hui,  avec  nos  méthodes  actuelles  d'escrime  essentiellement 
différentes  des  leurs.  Il  nous  est  très  difficile  de  nous  rendre  compte 
du  sens  exact  des  expressions  techniques  qu'ils  emploient  et  leur 
langue  même  semble  parfois  manquer  de  la  précision  nécessaire. 
C'est  ainsi  que  le  mot  angulo  désigne  tantôt  l'angle  ^que  fait  l'épée  ou 
le  bras  avec  le  corps,  tantôt  l'ouverture  des  jambes.  M.  F.  Moreno  a 
bien  essayé  de  déterminer  la  signification  de  quelques  termes  (notam- 
ment p.  66-68),  mais  ses  définitions  manquent  souvent  de  clarté. 
C'est  peu  nous  apprendre  que  de  dire  :  «  Medir  las  espadas  es  elegir  el 
medio  de  proporciôn,  »  surtout  avant  d'avoir  défini  convenablement 
le  medio  de  proporciôn,  qui  est  la  mise  en  garde  particulière  à 
l'école  de  Carranza,  et  quand  M.  Moreno  y  arrive  tardivement,  il  en 
parle  en  termes  en  somme  moins  explicites  que  ne  le  fait  Pacheco 
de  Narvaez  aux  fol.  .5i-55  de  son  Libro  de  las  Grandezas  de  la  Espada. 


88  BULLETIN    HISPANIQUE 

Ce  n'est  pas  à  dire  qu'il  n'y  ait  çà  et  là  dans  cette  petite  étude  d'utiles 
indications,  mais  elle  est  un  peu  trop  succincte,  surtout  avec  son 
absence  à  peu  près  complète  de  figures,  pour  nous  permettre  de  tenter 
un  commentaire  assuré  du  passage  du  Gran  Tacano  où  Quevedo  a 
ridiculisé  un  maître  d'escrime  de  l'école  mathématique,  non  plus  que 
le  récit  du  duel  de  la  Verdad  sospechosa  d'Alarcon  (se.  VII,  acte  III). 
Mieux  vaut  encore  le  beau  traité  de  l'Académie  de  l'Espée  de  Girard 
ïhibauld  (iGaS-iôSo),  dont  les  nombreuses  figures  rendent  le  texte, 
sinon  très  facilement,  au  moins  suffisamment  compréhensible  et  dont 
la  théorie  dérive  en  ligne  directe  des  principes  mathématiques  des 
deux  grands  maîtres  espagnols. 

H.  LÉONARDON. 

Archiva  de  la  Real  Casa  y  Biblioteca  parlicular  de  S.  M.  —  Mono- 
grafia  escrita  por  D.  José  Maria  Nogués.  Madrid,  Sucesores 
de  Rivadeneyra,  1901;  in-8%  44  pages  (Fascicule  4i  de  la 
collection  :  Guia  Palaciana.) 

La  collection  où  a  paru  cette  monographie,  est  trop  particulièrement 
écrite  à  l'usage  des  «  gens  du  monde  »,  pour  qu'on  doive  s'attendre  à 
y  trouver  des  notices  d'un  caractère  rigoureusement  scientifique.  C'est 
ce  qui  justifie  les  longs  préambules  sur  l'origine  des  Archives  et  des 
Bibliothèques  en  général,  que  M.  Nogués  a  cru  devoir  offrir  à  ses 
lecteurs  et  qui,  sous  le  titre  de  ce  fascicule,  sont  un  peu  décevants 
pour  un  spécialiste.  L'auteur,  ne  disposant  que  d'une  place  très  mesu- 
rée, s'est  ensuite  trouvé  à  l'étroit  en  arrivant  au  véritable  sujet  de  son 
étude  :  ses  indications  sur  la  formation  des  diverses  Archives  en 
Espagne,  ses  descriptions  de  l'Archivo  de  la  Real  Casa  et  de  la  Biblio- 
thèque du  Palais  Royal  de  Madrid,  en  ont  été  forcément  réduites  à 
quelques  pages  d'une  brièveté  malheureusement  excessive.  M.  Nogués 
a  pourtant  réussi  à  citer  quelques  manuscrits,  choisis  parmi  les  plus 
précieux,  la  plupart  relatifs  à  l'Amérique.  H.  L. 

Armas  y  tapices  de  la  Corona  de  Espana.  —  Discursos  leidos  anie 
la  Real  Academia  de  la  Historia  en  la  recepciôn  pdblica  del 
Excmo.  Senor  Conde  V''"  de  Valencia  de  Don  Juan,  el  dia  6  de 
abril  de  1902.  Madrid,  Viuda  é  hijos  de  Tello,  1902;  in-4°, 
45  pages. 

Le  comte  de  Valencia  de  Don  Juan,  D.  Juan  Crooke  y  Navarrot, 
s'est  signalé  par  des  travaux  sur  l'histoire  de  l'art,  qui  lui  ont  assigné 
un  rang  des  plus  distingués  parmi  les  archéologues  espagnols,  et  il  a 
réuni  lui-même  une  collection  artistique  des  plus  remarquables.  Sa 
dernière  œuvre,  publiée  en  1898,  son  Caidlogo  histôrico-descriptivo  de 
la  Real  Armeria,  a  rectifié  les  innombrables  erreurs  de  date  et  d'attri- 


BIBLIOGRAPHIE  89 

bution  contenues  dans  l'ancien  catalogue  de  Marchesi,  de  18^9.  En  ce 
moment,  le  comte  de  Valencia  de  Don  Juan  imprime  une  étude  sur 
les  tapisseries  de  la  Couronne  d'Espagne,  La  Flor  de  las  tapicerias  de 
la  Corona  de  Espana,  qui  sera  reçue  avec  grand  plaisir  parles  curieux 
d'art,  et  où  seront  reproduites  cent  cinquante  des  principales  pièces  de 
cette  collection  merveilleuse,  dont  quelques  pièces  de  choix  ont  été 
exposées  et  universellement  admirées  à  Paris,  en  1900,  au  Pavillon 
d'Espagne.  Dans  son  discours  de  réception,  le  comte  de  Valencia, 
après  quelques  indications  formant  une  sorte  de  petit  appendice  à  son 
catalogue  de  ÏArmerîa,  a  esquissé  à  grands  traits  l'histoire  de  quel- 
ques-unes de  ces  tapisseries.  Dans  sa  réponse  au  récipiendaire, 
M.  Francisco  R.  de  Uhagôn  a  très  joliment  retracé  la  carrière  de 
gentilhomme  érudit  du  comte  de  Valencia  de  Don  Juan. 

On  trouvera  dans  ce  même  fascicule  une  notice  biographique  et 
bibliographique  sur  D.  Juan  de  Dios  de  la  Rada  y  Delgado,  dont  le 
comte  de  ^"alencia  occupe  le  fauteuil  à  l'Académie  royale  d'Histoire. 

H.  LÉONARDON. 

La  Siicesiôii  contractual,  obra  premiada  por  la  L'niversidad 
central  con  la  iinpresiôn  à  sus  expensas  para  honrar  la 
memoria  del  que  fué  su  caledratico  D.  Auguste  Comas  por 
Enrique  Garcia  Herreros.  Prologo  de  Rafaël  de  Urena, 
Catedrâlico  de  Literatura  y  bibliografîa  juridicas  en  la 
Universidad  Central.  Madrid,  Imprenla  de  les  hijos  de  M.  G. 
Hernandez,  1902;  xxiii-i56  pages  in-8°. 

11  existe  actuellement  en  Espagne,  parallèlement  à  tant  d'autres 
courants  modernistes,  une  tendance  et  des  doctrines  de  rénovation  et 
transformation  du  droit  civil  dont  M.  Augusto  Comas,  professeur  à 
l'Université  de  Valence,  puis  à  l'Université  centrale,  fut  l'un  des  plus 
décidés  champions.  On  conçoit  que  nos  voisins  soient  peu  satisfaits 
d'un  Code  civil  qui  n'est  qu'un  compromis  entre  notre  propre  Code 
français  (dont  le  aproyeclo  de  Côdigo  civiln  de  i85i  résumait  l'esprit), 
et  une  systématisation  hâtive  d'éléments  contradictoires  introduits  par 
des  législateurs  trop  confiants  en  leurs  éludes  de  législation  comparée 
pour  ne  pas  violer  l'antique  tradition  juridique  nationale,  les  exi- 
gences du  droit  privé  et  même  les  nouvelles  aspirations  sociales.  Les 
Espagnols  ne  possèdent,  en  vigueur,  à  l'heure  actuelle  ni  un  Code, 
puisque  la  construction  décorée  de  ce  nom  est  plutôt  une  accumu- 
lation de  directions  hétérogènes  que  le  systématique  développement 
d'un  principe  d'unité;  ni  un  Code  civil,  puisqu'elle  exclut  de  parti 
pris  d'intéressantes  matières  de  droit  privé  (le  régime  hypotliécaire, 
par  exemple);  ni  un  Code  civil  espagnol,  puisqu'elle  reconnaît  et 
ressuscite  les  vieilles  législations  particularistes  de  Biscaye,  Navarre, 


go  BULLETIN    HISPANIQUE 

Aragon,  Catalogne,  Mallorque  et  va  jusqu'à  créer  un  nouveau  terri- 
toire forai,  celui  de  Galice,  établissant  ainsi  une  base  légale  aux 
revendications  des  partisans  des  (npalrias  chicas». 

L'étude  de  D.  Enrique  Garcia  Herreros  est,  en  même  temps  qu'une 
brillante  manifestation  des  nouvelles  tendances  juridiques  espagnoles, 
une  très  sérieuse  contribution  à  l'épineux  débat  de  la  succession 
contractuelle.  A  la  précision  et  à  la  clarté  d'une  doctrine  que  Cimbali 
et  Comas  ne  renieraient  pas,  elle  unit  la  connaissance  des  théories 
étrangères  synthétisées  en  une  exacte  bibliographie  et  l'appui  des 
traditions  historiques  nationales,  esquissées,  en  vérité,  un  peu  super- 
ficiellement, car  elles  eussent  mérité  une  étude  plus  ample.  D.  Rafaël 
de  Ureila  y  Smenjaud  retrace  admirablement,  dans  les  pages  de  son 
prologue,  les  phases  de  cette  moderne  évolution  dont  le  livre  cité  est 
une  heureuse  expression  et  l'éminent  professeur  de  l'Université 
centrale  Tun  des  plus  actifs  propagateurs. 

Camille  PITOLLET. 

Juan    Valera,    Florilegio    de  poesias   caslellanas    ciel    siglo    \i\. 
ïomo  IV,  Madrid,  Fé,  1902;  i  vol.  447  P^^ges. 

Le  tome  lY  de  ce  Florilège,  dont  nous  avons  déjà  signalé  la  publica- 
tion, comprend  les  extraits  des  poètes  les  plus  récents  et  met  fin  à  la 
collection  des  poésies.  Les  sceptiques,  qui  mettent  en  doute  l'existence 
d'une  poésie  lyrique  espagnole  pendant  le  dernier  siècle,  apprendront 
sans  doute  avec  quelque  étonnement  que  D.  J.  Valera  n'en  a  pas 
trouvé  moins  de  loa  dignes  de  leur  être  signalés.  Encore  s'excuse-t-il 
d'en  avoir  laissé  beaucoup  de  côté,  pour  des  raisons  diverses.  Et  pour 
qu'il  nous  soit  possible  de  combler  nous-mêmes  ces  lacunes,  il  nous 
donne  les  noms  des  poètes  oubliés,  parmi  lesquels  il  y  en  a,  en  effet, 
qui  ont  des  titres  très  sérieux  au  dignas  es  entrave.  Inutile  d'avertir 
ceux  qui  connaissent  le  large  et  libéral  esprit  de  l'illustre  collecteur, 
que  toutes  les  opinions  littéraires,  religieuses  ou  politiques  sont 
impartialement  représentées  dans  le  recueil.  Nous  aurons  au  surplus 
le  loisir  de  revenir  sur  cette  utile  anthologie  lorsque  paraîtra  le  5°  et 
dernier  volume,  qui  contiendra  des  notices  biographiques  sur  les 
poètes  cités,  et  le  jugement  de  l'auteur  sur  ces  derniers.  Ce  ne  sera 
donc  ni  le  moins  utile  ni  le  moins  agréable  tome  de  la  collection. 

E.  M. 


SOMMAIRES  DES  KEVUES 

CONSACRÉES    AUX    PAYS 

DE  LANGLE  CASÏILL.\-\E,  CATALANE  OU  PORTUGAISE 


Revista  de  Archiros,  Bihiiotecas  y  Museos. 

Janvier  1901.  —  Fr.  de  Uhagôn.  El  Santo  Cristo  de  Maria  Stuart  : 
1.  El convento  de  Santa  Cruz  de  Valladolid  de  Comendadoras  de  Santiago. 

—  A.  Farinelli.  Mâs  apuntes  y  divagaciones  bibliogrâfîcas  sobre 
viages  y  viajeros.por  Espana  y  Portugal.  |C'est  le  troisième  supplé- 
ment apporté  par  M.  Farinelli  à  la  Bibliographie  des  voyages  en  Espa- 
gne et  en  Portugal  de  M.  Foulché-Delbosc.  Les  deux  premiers  ont 
paru  dans  la  Bevista  critica  et  ont  été  réunis  en  un  volume,  Oviedo, 
1899.  L'auteur  ne  donne  pas  seulement  une  liste  des  relations  de 
voyages  omises  dans  le  catalogue  dressé  par  M.  F.-D.  Il  ajoute  une 
grande  quantité  de  notes  qui  n'offrent  pas  moins  d'intérêt.  Suite  dans  les 
numéros  d'aoùt-septembre  et  de  janvier  1902.]  —  A.  Paz  \  Melia.  Otro 
Erasmista  espaiïol  :  Diego  Graciân  de  Alderete,  secretario  de  Carlos  ^  . 
[Biographie,  correspondance  ;  ses  lettres  à  Erasme  et  aux  Valdés  ;  lettres 
sur  la  iliiniinada  de  Salamanque,  Francisca  Fernândez,  sur  le  sac  de 
Rome.  M.  P.  y  M.  regrette  de  ne  pouvoir  publier  les  quatre-vingt-sept 
lettres  latines  de  Graciân,  trop  détériorées  par  le  feu.  Il  explique  ce 
qu'est  le  Speravi  de  cet  écrivain  peu  fortuné,  sorte  de  catalogue  des 
déboires  de  toute  sa  vie,  son  Enlasiasmo ,  son  Aitesis,  etc.  Notes  sur 
Juan  Dantisco  et  sur  les  personnes  nommées  dans  les  lettres  de  Gra- 
ciân. Cet  article  se  continue  dans  les  numéros  de  février-mars  et 
août-septembre.]  —  Bartolomé  Ferra.  Bronces  antiguos  hallados  en 
Mallorca.  —  A.  Paz  y  Melia.  El  natural  desdichado,  comedia  inédita  v 
autografade  Agustin  de  Rojas  Villandrando.  [Continue  dans  les  numéros 
d'avril  et  octobre.]  —  Pedro  Roca.  Testament  original  de  D.  Alvaro 
de  Luna.  —  Notes  bibliographiques  sur  la  Historia  de  D.  Juan  de 
Austria  deB.  Porreiïo  (A.  P.  v  M.);  Die  Handschriften  der  castilia- 
nischen  Uebersetzung  des  Codi  de  H.  Suchier;  Don  Jaime  de  Aragon, 
ùltimo  conde  de  Urgel,  de  A.  Giménez  Soler  (P.  R.);  la  Celestina  por 
Fernando  de  Bojas,  éditée  par  D.  E.  Krapf,  avec  une  étude  de  D.  M. 
Menéndez  Pelayo  (P.  R.). 

Février -Mars.  —  Fernando  Fernândez  de  Velasco.  D.  Juan  Fer- 
nândez de  Isla;  susempresas  y  sus  fâbricas.  [Continue  dans  les  numéros 
d'avril,  de  mai  et  de  juin.]  —  Carta  del  Archivo  de  Simancas  al  Histô- 
rico  nacional  y  â  los  de  Indias  y  Alcalâ  [Exposé  humoristique  de  la 
situation,  des  améliorations  et  des  desiderata  de  V Archivo  de  Simancas.] 

—  Fr.  de  Uhagôn.  El  Santo  ('risto  de  Maria  Stuart  :  11.  Los  Guevaras, 


92  BULLETIN    HISPANIQUE 

senores  y  luego  condes  de  Escalante.  [Suite  de  l'article  de  janvier  avec 
des  notes  :  la  copa  del  condestable  de  Caslilla;  encargos  de  la  reina  de 
Escocia,  sus  servidores,  objetos  suyos;  venida  à  Madrid  del  principe 
de  Gales;  estado  actual  de  las  reliquias;  los  retratos.]  — M.  R.  de 
Berlanga.  Nuevos  descubrimientos  arqueolôgicos  hechos  en  Câdiz  del 
1891  al  1893.  [Continue  dans  les  numéros  d'avril,  mai  et  juin.]—  A.  Paz 

Y  Melia.  Codices  mas  notables  de  la  Biblioteca  nacional  :  Sonetos, 
canciones  y  triunfos  del  Petrarca.  —  Rodrigo  Amador  de  los  Rios. 
Fîbulas  de  bronce  para  cinturon  de  la  época  de  la  invasion  germânica 
en  Espaiîa.  —  Documentos  :  Thcatro  de  los  Theatros  de  los  passados 
y  présentes  siglos  de  Francisco  Antonio  de  Bances  Candamo;  cartas 
escogidas  de  las  escritas  à  D.  Diego  Sarmiento  de  Acuna,  conde  de 
Gondomar,  6  reunidas  por  este;  cartas  de  D.  Frai  Juan  de  Çumarraga, 
de  la  orden  de  san  Francisco,  primero  obispo  de  Mexico,  escritas  a 
Suero  del  Aguila;  testamento  original  de  D.  Alvaro  de  Luna  suite). 
[Ces  documents  sont  publiés  par  D.  M.  Serranoy  Sanz,  D.  J.deRùjula  et 
D.  P.  Roca,  et  les  trois  premiers  continuent  dans  les  numéros  d'avril, 
juillet,  août- septembre,  octobre,  novembre  et  décembre.]  —  Notes 
bibliographiques  sur  Juan  Rulz,  arcipreste  de  Ilita,  lihro  de  Buen 
amor,  édité  par  J.  Ducamin  (R.  Menéndez  Pidal);  la  Crônica  troyana 
en  Gallego,  éditée  par  Martînez  Salazar(A.  P.  y  M.);  Piedras preciosas 
de  Salvador  Rueda  (P.  R.). 

Avril.  —  A.  GiMÉNEz  Soler.  El  Justicia  de  Aragon  ç  es  de  origen 
musulman?  [Etude  critique  de  Orîgenes  del  Justicia  de  Aragon  de 
Juliân  Ribera  paru  en  1897.  Continue  dans  les  n°^  de  juillet,  août- 
septembre.] —  Notes  bibliographiques  sur  la  Colecciôn  de  Autos, 
Farsas  y  Coloquios  del  siglo  xvi  de  Léo  Rouanet(R.  Menéndez  Pidal); 
lôn,  didlogo  plalânico  traduit  par  Afanto  Ucalego  (P.  R.)  ;  Bibliograjia 
de  Hartze nbuschior méepsirD.  Eugenio  riartzenbusch(P.R.);  Ambrosio 
de  Salazar  de  A.  Morel-Fatio  et  Le  diable  prédicateur  édité  par  Léo 
Rouanet  (R.  M.  P.).  —  M.  de  Campos  y  Munilla.  Crônica  de  Archives, 
Bibliotecas  y  Museos.  [Objets  entrés  dans  le  il/a^eo  arqueolôgico  provin- 
cial de  Séville  en  1900]. 

Mai.  —  Cristobal  Pérez  Pastor.  Problema  histôrico-arlistico.  [Il 
s'agit  des  statues  que  D.  Francisco  Gômez  de  Sandoval  y  Rojas  et  Dona 
Catalina  de  la  Cerda,Duques  de  Lerma,  firent  faire  pour  les  sépultures 
de  la  capilla  mayor  du  monastère  de  San  Pablo  de  Yalladolid.]  —  A.  Paz 

Y  Melia.  Côdices  mas  notables  de  la  Biblioteca  Nacional  :  Libro  de 
horas  del  siglo  xv.  —  M.  S.  y  S.  Un  libro  nuevo  y  un  cancionero 
viejo.  [La  première  partie  de  ce  titre  fait  allusion  au  Proceso  de  Lope 
de  Vega  por  libelos  contra  unos  cômicos,  édité  par  D.  C.  Pérez  Pastor 
et  D.  A.  ïomillo,  et  grâce  auquel  M.  Serrano  croit  pouvoir  attribuer 
à  Lope  quelques-uns  des  romances  qu'il  a  publiés  ici,  ou  au  moins 
les  considérer  comme  se  rapportant  à  cet  incident  delà  vie  du  poète.]  — 


SOMMAIRE    DES    REVUES  gS 

Documentos  :  Colecciôn  de  cartas  originales  y  autrjgralas  del  Gran 
Capilan,  que  se  guardan  en  la  Biblioteca  Xacional.  —  Notes  biblio- 
graphiques sur  Lo  Rat-Penat  en  el  escudo  de  armas  de  Valencia  de 
Yicente  Vives  y  Liern  (Roqle  Ciiabâs);  Los  Irabajos  geogrdficos  de  la 
Casa  de  contralaciôn  de  Manuel  de  la  Puente  y  Olea  (M.  S.  y  S.)  ; 
Ensayo  de  un  Diccionario  de  los  artifices  que  Jîorecieron  en  Sevilla 
(t.  II)  de  José  Gestoso  y  Pérez  (J.  R.  M.)-  —  Crônica  de  Archivos 
Biblioteca  y  Museos.  [Pièces  entrées  dans  l'Archivo  d'Alcalâ  de  Henares; 
continue  dans  le  numéro  de  novembre.] 

Juin.  —  A.  Paz  y  Melia.  Noticias  para  la  vida  de  Ausias  March.  — 
A.  BoMLLA  Y  San  Martin.  Etimologîa  de  picaro  [M.  Bonilla  y  voit 
un  mot  d'origine  arabe].  —  M.  S.  y  S.  Bernardo  de  Brihuega, 
historiador  del  siglo  xiii.  [Ce  Bernardo,  contemporain  d'Alphonse  X. 
est  l'auteur  des  Flores  sancioriim  Christi  Marlyrum  et  confesso- 
rum  cités  par  Nie.  Antonio  d'après  un  manuscrit  de  l'Escurial  et  avec 
lesquels  M.  R.  Béer  n'avait  pas  pensé  à  identifier  un  manuscrit  en  cinq 
tomes  de  la  Biblioteca  nacional{cî.  Bol.  de  la  R.  Acad.  1887,  p.  363  :  Los 
cinco  libros  que  compila  Bernardo   de   Brihuega  por  orden  del  Rey 

D.  Alfonso  el  Sabio).  M.  Serrano  signale  une  Chronica  de  Espana 
du  même  auteur, /o/to,  sin  fin,  marquée  dans  le  catalogue,  terminé  en 
1623,  de  la  bibliothèque  de  D.  Diego  Sarmiento  de  Acuna  à  VaUadolid.] 
—  Documentos  :  Cartas  de  Antonio  de  Leyva  à  Carlos  V  (publiées  par 

E.  Gonzalez  Hurtebise).  —  Notes  bibliographiques  sur  Nobiliario 
de  los  palacios,  casas  solares  y  linajes  nobles  de  la  M.  N.  y  M.  L.  provincia 
de  Guipâzcoa  de  Domingo  de  Lizaso  (J.  de  R.);  La  imprenta  en 
Côrdoba,  de  J.  M.  de  Yaldenebro  (J.  Fernândez  y  Martinez):  Aledo, 
su  descripciôn  é  historia,  de  J.  Bâguena  (P.  R.);  Ensayo  de  Fonética 
gênerai,  de  R.  Robles  (P.  R.)  ;  de  Paginas  de  la  Historia  de  Orihuela, 
El plato  del  Obispado,  de  J.  R.  Gea.  — Crônica  de  archivos,  etc.  [Der- 
nières acquisitions  du  Musco  arqucolôgiconacional.'] 

Juillet.  —  M.  Flores  Calderôn.  La  Sala  de  Varios  en  la  Biblioteca 
Nacional.  [L'auteur  de  l'article  a  refait  la  classification  des  varios  et 
les  fiches  correspondantes,  qui  montent  à  83^ooo  (à  la  date  de  l'article). 
Il  publie  quelques-uns  de  ces  varios,  relatifs  à  Napoléon  (n"  de  juillet), 
aux  autos  defe,  aux  corridas  de  toros  (n°  d'octobre).]  —  J.  Calmette. 
Notes  sur  Wifred  le  Velu  :  1.  Du  surnom  de  Pilosus  donné  à  Wifred  ; 
II.  Wifred  a-t-il  été  marquis?  III.  La  prétendue  souveraineté  de  Wi- 
fred. —  A.  Paz  y  Melia.  Côdices  mas  notables  de  la  Biblioteca  Nacio- 
nal :  Los  triunfos  del  Petrarca.  —  J.  Pîo  Garcia  y  Pérez.  Indicador 
de  varias  crônicas  religiosas  y  militares  en  Espana  (fin).  —  Notes 
bibliographiques  sur  Indice  de  pruebas  de  los  caballeros  que  han  ves- 
lido  el  hdbito  de  Santiago  de  V.  Vignau  et  F.  R.  de  Uhagon  (A.  P.  y  M.)  ; 
Prim  de  H.  Léonardon  (A.  P.  y  M.)  ;  Historia  y  bibliografia  de  la  Prensa 
de  Badajo:  de  R.  Gômez  Villafranca  (P.  R.).  —  Crônica  de  archivos,  etc. 

Bull,   hi-spaii.  7 


94  BULLETIN    HISPAIMQLE 

Relaciôn  de  los  impresos  espanoles  recibidos  en  la  Biblioteca  Nacional 
durante  los  anos  1 897-1900. 

Août-Septembre.  — Fh.  R.  de  Uhagô>.  Una  traducciôn  castellana 
desconocida  de  la  Dlvina  Comcdia  [Traduction  du  Purgatoire  par  un 
continuateur  anonyme  de  l'archidiacre  de  Burgos,  Pero  Fernândez  de 
\  illegas,  traducteur  de  l'Enfer],  Texte  publié  d'après  un  manuscrit  de 
feu  le  comte  de  Onate.  —  J.  Ramon  Mélida.  Donaciôn  Stutzel  :  Barros 
griegos  [Don  de  M,  Théodore  Stutzel,  de  Munich,  au  Miiseo  Arqiieolà- 
fjico  nacional].  —  A.  Arco  y  Molinero.  Estudio  biogrâfico,  bibliogrâ- 
fico  del  insigne  canonista  Fr.  Pedro  Murillo  y  Velarde,  catedrâtico  de 
la  Universidad  de  Granada.  —  Nie.  Tenorio.  Algunas  noticias  de 
Menardo  Ungut  y  Lanzalao  Poleno.  —  N.  Sentenach.  D.  Juan  de 
Dios  de  la  Rada  y  Delgado.  —  Notes  bibliographiques  sur  Per  la 
Bibliograjia  dei.  cancionerus  spagnuoIL  de  A.  Mussafia  {A.  P.  y  M.): 
Estoria  Iroyana  acabada  era  de  mil  et  cjuatro  cientos  et  once  annos, 
publiée  par  J.  Cornu  (A.  P.  y  M.);  Deutsche  Buchdrucker  in  Spa- 
nien  und  Portugal  et  Gedruckte  spanische  Ablasstrieje  der  Inkunabel- 
zeil,  de  K.  Haebler  (A.  P.  y  M.);  Introducciôn  al  estudio  de  las  insti- 
tuciones  de  derecho  romano,  de  F.  G.  de  Diego  (P.  R.);  Toledo  en  el 
siglo  AT/,  du  comte  de  Gedillo  (P.  R.). 

Octobre.  —  E.  de  la  Pedraja  y  Fernândez.  Investigaciones  para  la 
historia  del  pueblo  de  Liencres.  El  castillo.  —  Ignacio  Olavide.  Anto- 
nio Birckmayer,  fundador  de  la  Casa  de  Israël.  —  A.  Blâzquez.  Vias 
romanas  de  Sicilia.  —  Julian  Paz.  Garicatura  flamenca  del  siglo  xvi. 

—  Notes  bibliographiques  sur  Cançoneret  dobres  vulgars,  de  Mariano 
Aguilô  y  Fuster  (A.  B.);  Colecciôn  de  Autos,  Farsas  y  Coloquios  del 
siglo  x\i,  de  Léo  Rouanet(R.  M.  P.);  Estudos  de  Philologia  niirandosa, 
et  Esquisse  d'une  dialectologie  portugaise,  de  J.  Leite  de  Vasconcellos 
(R.  M.  P.). 

Novembre.  —  Ramôn  Escandon.  Historia  cientifîca.  Una  indica- 
cion  del  astronomo  arabe  abbatenio  y  una  rectificaciôn  a  Platon  de 
Tivoli,  Regiomontano  y  Delambre.  —  M.  R.  de  Behlanga.  La  mas 
antigua  necrôpolis  de  Gades  y  los  primitivos  civilizadores  de  la  His- 
pania  [termine  dans  le  numéro  de  janv.-fév.  1902].  —  M.  S.  y  S.  Ganciôn 
en  alabanza  de  Guzmân  el  Bueno  j;  de  D.  Manuel  José  de  Quintanal* 

—  A.   Aguilo.  Biblioteca  Nacional.   Golecciôn  de  Encuadernaciones. 

—  A.  Elias  de  Molins.  Numismâtica  :  Leca  de  Barcelona;  Edi- 
licio  que  antes  habia  pertenecido  al  Temple,  iSaS.  Acunaciôn  de 
florines.  Monedas  croat  de  Barcelona  y  Perpinân,  i4i8.  —  Notes  biblio- 
graphiques sur  Étude  de  l'alliance  de  la  France  avec  la  Castille,  de 
G.  Daumet  (A.  P.  y  M.);  Historia  genealôgica  y  herdldica  de  la  Monar- 
qui'a  espanola,  Casa  real  y  Grandes  de  Espana,  de  Fr.  Fernândez  de 
Bethencouit  (A.  P.  y  M.). 

Décembre.  —  Jorge  Bonsor.  Los  pueblos  antiguos  de  Guadalquivir 


SOMMAIRK    DES    REVUES  QD 

y  las  Alfarerîas  romanas.  —  Jua>j  Mem^ndez  Pidae.  Leycndas  del 
ùltimo  rey  godo.  [Travail  primilivement  destiné  à  entrer  dans  l'Horne- 
naje  d  Menéndez  Pelayo,  mais  non  terminé  à  temps.  Examen  et  com- 
paraison des  textes  arabes  et  des  textes  espagnols  postérieurs  sur  la 
légende  de  la  maison  aux  couronnes,  de  la  maison  aux  cadenas,  de  la 
casa  ou  cuera  d'Hercule,  c'est-à-dire  du  ou  des  palais  mystérieux  que 
Rodrigue  ouvrit  malgré  la  prière  soit  des  gardiens,  soil  des  prêtres, 
soit  des  grands,  et  où  il  trouva  la  prédiction  de  l'arrivée  des  Maures. 
A  l'exemple  d'autres  critiques,  M.  Juan  M.  P.  penche  à  voir  un  fond 
historique  dans  ce  récit  rapporté  avec  de  nombreuses  variantes  par 
tant  d'historiens  anciens.  La  ciieva  de  Ercoles  ne  serait  autre  que  la 
crypte  de  l'église  S.  Ginés,  et  c'est  là  que  serait  entré  Rodrigue 
pour  son  malheur  et  celui  de  l'Espagne.  Ingénieuse  comparaison  entre 
leS'fu/iiras  de  cavaliers  arabes  que  Rodrigue  est  dit  avoir  trouvés  dans 
la  maison  enchantée  et  la  lettre  hiéroglyphique  envoyée  par  Tendilli  à 
Montezuma  et  où  étaient  représentés  des  cavaliers  espagnols.]  — 
M.  Serraxo  y  Sainz.  Juan  de  Vergara  y  la  Inquisiciôn  de  ïoledo. 
[Historique  du  procès  intenté  à  Vergara  sur  la  dénonciation  de  Fran- 
cisca  Ilernàndez;  continue  dans  les  numéros  de  janvier  et  juin  1903.] 
—  Entremés  de  los  negros,  de  Simon  Aguado.  —  Gabriel  Llabrés, 
Repertorio  de  consuctas  representadas  en  las  Iglesias  de  Mallorca. 
[M.  Llabrés  a  mis  la  main  sur  une  collection  de  quarante -neuf 
pièces  dont  il  donne  les  titres,  et  dont  trente-quatre  sont  intitulées 
consiietas,  les  autres  rcprescntaciones,  cohles,  ohras  ou  aucto.'i.  Il  est  à 
remarquer  que  le  nom  de  consiieta,  d'après  ce  que  nous  dit  La  Canal 
{Esp.  sagr.,  XLV,  p.  i5  et  ss.),  désigne  à  Gérone  non  une  pièce 
religieuse,  mais  une  sorte  de  codex  liturgique  formé  en  i3Go  et  renfer- 
mant des  indications  sur  les  cérémonies  plus  ou  moins  dramatiques 
de  la  cathédrale  de  Gérone.  La  publication  de  quelques-unes  des 
consuctas  de  Mallorca  ne  serait  certes  pas  sans  intérêt.]  —  Notes  biblio- 
graphiques sur  Esiudios  de  historia  literaria  en  Espana  de  E.  Cota- 
relo;  El  Loaysa  de  El  celoso  extremeno,  de  Fr.  Rodriguez  Marin;  Hijos 
iliistres  de  la  villa  de  Brozas,  de  E.  Escobar  Prieto;  Macias  0  Namo- 
rado,  Mira  de  Mesciia  et  la  Judia  de  Toledo,  Uher  Lope  de  Vega's  El 
castigo  sin  venr/anza  de  H.  A.  Rennert;  Cariai  y  Guelfa,  publié  par 
A.  Rubiô  y  Lluch  (A.  P.  y  M.);  Lihro  primera  de  Cahildos  de  Lima, 
annoté  par  E.  Torres  Saldamando  ;  Compendio  de  la  Historia  r/eneral 
de  Mexico,  de  N.  Léon  (M.  S.  y  S.). 

L'année  1901  contient,  en  outre,  avec  titre  et  pagination  à  part,  un 
Catdlofjo  de  los  retratos  de  personages  espanoles  que  se  conservan  en 
ta  secciôn  de  estampas  y  de  hellas  artes  de  la  Bibliotcca  nacional,  par 
\ngel  M.  de  Barcia  (20  premières  feuilles)  ;  la  suite  de  Y  Inquisiciôn  de 
Toledo  et  du  Catdlogo  de  cuentas  de  la  administraciôn  pàblica  de  imU 
â  185').  Il  y  a  19  planches. 


96  BULLETIN    HISPANIQUE 

Janvier-Février  1902.  R.  Chabas  :  Estudio  sobre  los  sermones 
valencianos  de  San  Vicente  Ferrer  que  se  conservan  manuscritos  en 
la  Biblioteca  metropolitana  de  Valencia.  [Continue  dans  le  numéro 
suivant,]  —  A.  Paz  y  Melia  :  Côdices  mas  notables  de  la  Biblioteca 
Nacional  :  vu,  Comedias  de  Plauto.  —  A.  Elt'as  de  Molins  :  Galcerân 
Albanell,  arzobispo  de  Granada  y  maestro  de  Felipe  IV.  —  Ciro  Bayo. 
La  poesia  popular  en  la  America  del  Sur.  —  J.  D.  Fitz-Gerald  :  Cabal- 
leros  Hiiiojosas  del  siglo  xii.  [Examen  de  la  légende  relative  à  D.  Muno 
Sancho,  M.  Fitz-Gerald  a  pu  identifier  le  manuscrit  qui  a  été  la  source 
de  Yepes  et  de  Castro  et  explique  comment  ils  attribuaient  à  Pero 
Marin  le  récit  qu'ils  ont  reproduit.]  —  Documentos  :  Actas  originales 
de  las  congregaciones  celebradas  de  Valladolid  en  1627,  para  examinar 
las  doctrinas  de  Erasmo  [A.  P.  y  M.  et  M.  S.  y  S.].  —  Notes  sur 
Los  moriscos  espanoles  y  su  expulsion,  de  P.  Boronat  (V.  Y.)  ;  Cantas 
balurras,  de  G.  Garcia  Arista  (P.  R.);  Statue  d'éphèlye  du  Musée  du 
Prado  à  Madrid,  de  P.  Paris  (J.  R.  M.)  —  Crônica  de  Archivos,  etc. 
(Pièces  entrées  dans  le  Museo  Arqueolôgico  de  Tarragona  en  1897.) 

Mars.  —  E.  Mêle  et  A.  Bonilla  :  El  Cancionero  de  Mathias  duque 
de  Estrada  (termine  dans  le  numéro  suivant).  —  A.  Herrera  ;  Benito 
Arias  Montano  (curieuse  médaille  du  célèbre  auteur  de  la  Bible 
d'Anvers,  à  l'âge  de  quarante-trois  ans  et  à  la  date  de  1569,  ce  qui  fixe 
définitivement  la  date  de  sa  naissance).  —  M.  Flores  Calderôn  :  La 
Sala  de  Varios  en  la  Biblioteca  Nacional.  —  N.  Sentenach  :  Piedras 
grabadas  del  Museo  Arqueolôgico  Nacional.  —  A.  P.  y  M.  Biblioteca 
fundada  por  el  conde  de  Haro  en  i455  (suite).  —  J.  R.  Melida  : 
D,  Fernando  Diez  de  Tejada.  —  Documentos  :  Las  piraterias  de  Walter 
Raleigh  en  la  Guyana  (M.  Serrano  y  Sans).  —  Compte  rendu  de 
Lope  de  Vega,  Arte  nuevo  de  hazer  comedias,  édition  Morel-Fatio. 
[D.  Adolfo  Bonilla,  qui  a  bien  voulu  rendre  compte  de  mon  édi- 
tion de  VArte  de  Lope,  publiée  dans  le  Bulletin  hispanique,  t.  III, 
p.  365,  signale  deux  passages  dont  il  propose  une  interprétation  autre 
que  celle  que  j'ai  donnée.  Sur  le  v.  187  :  Contra  el  antiguo  y  que  en 
razon  se  funda,  il  n'approuve  pas  la  leçon  y  en  que  razon  se  fundan 
que  j'avais  indiquée  comme  possible  à  côté  de  l'autre  Contra  el  antiguo, 
que  en  razon  se  funda  donnée  par  Caramuel  y  Luzân,  et  qui  est  satis- 
faisante. Il  pense  qu'il  n'y  a  rien  à  changer  au  texte  de  l'édition  prin- 
ceps  qui  équivaut  à  «  contra  el  arte  antiguo,  y  fundado  en  la  razôn  ». 
Je  renonce  très  volontiers  à  la  correction  y  en  que  razon  se  fundan, 
mais  je  ne  crois  pas  que  le  texte  primitif  puisse  être  maintenu  inté- 
gralement :  il  me  paraît  nécessaire  de  supprimer  y  et  de  lire  le  vers 
comme  l'ont  fait  Caramuel  et  Luzân.  L'explication  des  vers  (264-66) 
No  traya  la  escritura  ni  el  lenguaje  Ofenda  con  vocablos  exquisitos  par 
«  No  traya  la  escritura  vocablo  exquisitos,  ni  el  lenguaje  ofenda  con 
ellos  »,  paraît  inacceptable  à  Bonilla.  «  El  adjetivo  traido  tiene  la  signi- 


SOMMAIRE    DES    REVUES  9^ 

ficaciùn  de  usado,  gastado,  cosa  que  se  va  haciendo  vieja,  y  se  dice 
propiamente  de  la  ropa.  Lope  emplea  en  este  sentido  el  verbo  traer,  y 
quiere  decir  :  No  traiga  el  poêla  la  escrilura  (i.  e.  no  sea  de  un  estilo 
descuidado,  incorrecto  y  vulgar),  ni  lampoco  ofenda  el  lenguaje  con  vo- 
cnblos  exquisitos  (i.  e.  ni  peque  por  el  extremo  contrario  »>.  Le  participe 
Iraiclo  signifie,  en  effet  «  usé  )),  parce  que  ce  qui  a  été  longtemps  porté 
est  usé,  mais  que  le  verbe  à  d'autres  temps  ait  aussi  ce  sens,  c'est  ce 
qui  reste  à  démontrer.  J'ai  voulu  consulter  sur  ce  point  notre  maître 
à  tous,  D.  Rulino  José  Cuervo,  qui  a  pris  la  peine  de  me  dire  son  senti- 
ment :  «  La  manera  ordinaria  como  estân  expresados  los  preceptos  6 
consejos  déjà  entender  sin  esfuerzo  alguno  que  el  sujeto  de  traiga  y 
ofenda  es  el  poeta;  si  eslo  es  asi,  la  frase  «  no  traya  la  escritura  «  tiene 
un  sentido  obvio  del  que  no  es  lîcito  prescindir  sin  razones  muy  pode- 
rosas,  y  ésas  no  las  encuentro.  Lo  de  no  citar  la  Escritura  en  las  come- 
dias  (fuera  del  punto  de  vista  teologico)  no  parece  fuera  de  su  lugar 
cuando  Lope  quiere  condenar  la  pedanteria.  Traer  por  citar  («  traer 
ejemplos  »)  lo  usa  el  mismo  Lope  :  Rivad.  XLI,  p.  ôga'.  La  acepciôn  que 
le  da  el  Sr.  Bonilla  me  parece  insolita,  y  necesito  grande  esfuerzo  por 
acomodarla  a  la  frase;  juzgo  que  ese  verbo  no  se  usa  nunca  solo  en 
sentido  desfavorable.  Para  hacer  probable  su  explicaciôn  deberia  el 
Sr.  Bonilla  presentar  testimonios  de  la  época.  Ademas,  me  parece  que 
escritura  por  estilo  séria  singularmente  impropio  en  este  lugar  (y  acaso 
en  cualquiera),  porque  se  trata  especialmente  de  obras  dramâticas,  que 
son  mas  bien  para  oidas  que  para  leidas.  »  M.  Cuervo,  on  le  voit, 
revient  à  l'interprétation  de  Caramuel,  que  j'avais  écartée  sans  raisons 
suffisantes.  A  propos  d'un  passage  de  l'avant-propos  de  mon  édition, 
M.  Bonilla  me  reproche  d'avoir  pris  le  Naharro  que  cite  Lope  à  côté  de 
Rueda  pour  Bartolomé  Torres  Naharro,  alors  qu'il  s'agit  du  comédien 
ÎNavarro  ou  Naharro  dont  parlent  Cervantes  et  Rojas  de  Yillandrando.  Ce 
qui  m'avait  fait  penser  à  Bartolomé  —  et  sur  ce  point  je  me  suis  ren- 
contré avec  La  Barrera  et  Menéndez  Pelayo(éd.  de  la  Propaladia,  t.  Il, 
p.  Lxxi)  —  c'est  que  Lope  ajoute  «  apenas  ha  ochenta  anos  que  pasa- 
ron  ».  Les  quatre-vingts  ans,  il  est  vrai,  ne  conviennent  pas  plus  à  Rueda 
qu'au  comédien  Naharro;  la  question  reste  donc  indécise.  —A,  M. -F.] 
—  Notes  sur  Hierros  artisticos,  de  L,  Labarta  (J.R.  Melida);  Museo  — 
Biblioteca  de  Ultramar  en  Madrid,  Catdlogo  de  la  Biblioteca  (^L  S.  y.  S.) 
Le  numéro  de  janvier  1902  commence  la  publication,  avec  titre 
et  pagination  à  part,  de  Bibliografia  hispano-latina  cldsica,  par 
M.  Menéndez  Pelayo.  G.  C. 

Boletîn  de  la  Real  Academia  de  Buenos  Letras  de  Barcelona. 

L'Académie  de  Biienas  Letras,  qui  est  pour  les  provinces  catalanes  ce  que 
l'Académie  de  l'Histoire  de  Madrid  est  pour  l'Espagne  castillane,  a  décidé  la 
création  d'un  bulletin  destiné  à  tenir  le  public  au  courant  de  ses  travaux  et 
à  publier  des  documents  et  des  dissertations  érudites.  Nous  félicitons  cordia- 


gS  BULLETINS    HISPANIQUE 

lemenl  l'Académie  barcelonaise  de  cette  entreprise  si  digne  d'intérêt,  et  dont 
les  heureux  résultats  ne  sq  feront  pas  attendre.  Voici  le  sommaire  des  huit 
premiers  fascicules  qui  correspondent  aux  années  igoi  et  1902. 

N°  1.  José  Balari  y  Jovany  :  Nota  de  etimologia  catalana.  [Il  s'agit 
des  mots  esme,  esmar,  aesmar.  Ce  dernier  ne  vient  pas  de  aestimare, 
comme  le  dit  M.  Balari,  mais  de  adaestimare.]  —  Francisco  Carreras 
Y  Candi  :  La  Institucîon  del  Castlà  en  Cataluna.  —  H.  Finke  :  Arnaldo 
de  Vilanova  en  la  Corte  de  Bonifacio  VIII.  [Très  curieux  rapport  d'un 
agent  du  roi  d'Aragon  à  Rome  sur  les  relations  entre  Arnaud  de  Ville- 
neuve et  Boniface  VIII  en  i3oi.  Il  nous  apprend  que  Boniface  était 
atteint  de  la  pierre  et  qu'Arnaud  a  fecit  quendam  denarium  et  quod- 
dam  bracale  pape,  que  cum  portaret,  malum  lapidis  amodo  non 
sentiret  ».  L'agent  ajoute  que  Boniface  ne  pense  qu'à  trois  choses  : 
«  ut  diu  vivat  et  ut  adquirat  pecuniam,  tercium  ut  suos  ditet,  magni- 
fet  et  exaltet.  De  aliqua  autem  spiritualitate  non  curât.  »  M.  Finke  a, 
depuis,  republié  ce  rapport  dans  son  ouvrage  intitulé  Ans  den  Tagen 
Bonifaz  VIII,  Munster,  1902,  p.  xxx.] —  Axdrés  Giménez  Soler  :  Las 
libertades  aragonesas.  —  Luis  Comexge  :  Clinica  regia.  [Renseigne- 
ments sur  la  maladie  dont  mourut  D^  .luana  Enriquez,  deuxième 
femme  de  Jean  II  d'Aragon.]  —  Joaquin  Miret  y  Sans  :  El  testamento 
de  la  condesa  Ermengarda  de  Narbona.  [Document  de  l'an  11 96.]  — 
Fernando  de  Sagarra  :  Un  error  sigilogrâfico.  [Il  s'agit  d'un  sceau 
avec  la  légende  S.  Vniversitatis  ville  de  Pratis.  Quelqu'un  avait  traduit 
universilas  par  université,  alors  que  ce  mot  signifie  naturellement  la 
communauté  des  habitants.] 

N°  2.  JoAQufN  Miret  y  Sans  :  La  casa  de  Montcada  en  el  vizcondado 
de  Bearn.  [Travail  très  important.]  —  Francisco  Carreras  y  Candi  : 
Bellesguart,  real  sitio  de  Martin  I.  [Étude  intéressante  sur  une  rési- 
dence du  roi  Martin  I"  d'Aragon,  située  près  de  Sarriâ.  Documents 
relatifs  à  des  travaux  de  construction  et  de  plantation  d'arbres.]  — 
Luis  CoMENGE  :  «  Perdra  lo  puny.  »  [L'auteur  pense  que  cette  peine 
n'était  pas  une  véritable  amputation.]  — A.  Giménez  Soler  :  Retrato  his- 
torico  de  la  reina  D'  Maria.  [II  s'agit  de  la  femme  d'Alphonse  V  d'Ara- 
gon.] —  Joseph  Mas  y  Domenech  :  Llibre  de  la  Cort  del  Bruch.  1637- 
i663.  [Ordonnances  municipales.] —  Francesch  Carreras  y  Candi: 
Numismâtica  sarda  del  sigle  xiv.  Ceca  de  Viladiglesies. 

N°  3.  —  S.  Sanpere  y  Miquel  :  La  candidatura  del  duque  de  Saboya. 
[Candidature  de  Victor-Amédée  II  au  trône  d'Espagne.]  —  J.  Soler  y 
Palet  :  Quelcom  pertocant  a  la  guerra  dels  dos  Pères.  [Lutte  entre 
Pierre  IV  d'Aragon  et  Pierre  de  Castille.]  —  Joaquin  Miret  y  Sans  :  La 
casa  de  Montcada  en  el  vizcondado  de  Bearn  (suite).  —  C.  Parpal  y 
Marqués  :  Los  municipios  de  Menorca.  [Rivalités  des  municipes  de 
Minorque  au  xvii'  siècle.] 

N°  4.  —  L.  Comenge  :  El  protofisico  de  Pedro  el  Ceremonioso.  [Il  se 


SOMMAIRE    DES    REVUES  gd) 

nommait  Pedro  Ros  cl  descendait  d'une  branche  de  la  famille  romaine 
des  Orsini.J  —  S.  Sanpere  v  Miquel  :  Pedro  el  Greco.  [Il  s'agit  de  Père 
Serafi,  poète  et  peintre  du  xvi"  siècle,  surnommé  el  Greco,  peut  être, 
dit  l'auteur,  à  cause  de  la  pureté  de  son  dessin.]  —  J.  Codina  y  For- 
MosA  :  Libre  dels  ensenyaments  de  bona  parlerîa.  [Extraits  de  la  tra- 
duction catalane  du  Trésor  de  Brunetto  Latini,  d'après  un  manuscrit 
du  séminaire  de  Barcelone.  D.  Antonio  de  Boiarull  en  avait  déjà  publié 
un  court  fragment,  dans  ses  Esladios  de  la  lenr/ua  calalana,  Barcelone, 
i86/|.]  — JoAQuix  Miret  y  Sans  :  La  casa  de  Montcada  en  el  vizcon- 
dado  de  Bearn  (suite). 

No  5.  —  F.  Carreras  y  Ca^di  :  Palomas  y  palomares  en  Calaluiia 
durante  la  edad  média.  | Mémoire  très  documenté  sur  l'élevage  des 
pigeons  et  sur  les  pigeonniers  dans  les  pays  catalans  au  Moyen-Age.] 

—  A.  GiMÉNEZ  SoLER  :  Notas  para  la  historia  de  las  costumbros  privadas 
en  la  edad  meditl.  —  C.  Parpal  y  Marqués  :  Menorca  feudataria.  — 
.loAQUiN  MiRET  Y  Sa>s  :  La  casa  de  Montcada  en  el  vizcondado  de 
Bearn  (suite).  —  J.  Codina  y  Formosa  :  Libre  de  ensenyamenls  de 
bona  parleria  (suite). 

N°  6.  —  M.  Aguilô  y  Fcster  :  u  Ballesla.  »  [Article  ùatlesta  extrait 
du  lexique  inédit  de  la  langue  catalane  de  feu  Mariano  Aguilo  y 
Fuster.]  —  F.  Carreras  a  Candi  :  Palomas  y  palomares  en  Catalufia 
durante  la  edad  média  (suite).  —  Joaquîn  Miret  y  Sans  :  La  casa  de 
Montcada  en  el  vizcondado  de  Bearn  (suite  et  fin).  —  J.  Mas  y  Dome- 
nech  :  Notes  historiques  del  Monestir  de  Santa  Maria  de  >'alldonzella.  — 
J.  Codina  y  Formosa  :  Libre  dels  ensenyaments  de  bona  parleiia  suite  . 

N°  7.  —  F.  Carreras  y  Candi  :  Un  llibre  de  geomancia  popular  del 
sigle  XIII.  [Extraits  d'un  manuscrit  des  archives  de  la  cathédrale  de 
Barcelone  en  catalan  provençalisé  que  l'éditeur  date  du  xiii-  siècle.]  — 
JoAQUiN  Miret  y  Saks  :  Documentos  inéditos  del  condado  de  Besaliî. 

—  F.  Carreras  y  Candi  :  Palomas  y  palomeras  (suite).  —  J.  Codina  y 
Formosa  :  Libre  dels  ensenyaments  de  bona  parleria  (suite). 

Ji°  8.  —  F.  Carreras  y  Candi  :  Palomas  y  palomeras  (suite  etjinj.  — 
J.  Codina  y  Formosa  :  Libre  dels  ensenyaments  de  bona  parleria  (suite  . 

Ces  huit  premiers  fascicules  font  très  bien  augurer  de  ceux  qui  les 
suivront.  Nous  demanderons  seulement  à  M.  Miret  y  Sans,  le  savant 
secrétaire  de  l'Académie,  qui  est  un  excellent  paléographe,  de  surveiller 
de  près  la  correction  et  la  ponctuation  des  documents  qui,  parfois, 
laissent  un  peu  à  désirer.  —  A.  M.- F. 

Revis  ta  de  Extremadura. 

Mai  1901.  PuBLio  lIuRTADO  :  Supersticiones  extremefias.  [(Continue 
dans  les  n"  de  juillet,  août,  octobre,  novembre,  décembre  1901,  jan- 
\icr  et  juin  if)0'?.]  —  Daniel  Berjano  :  Poetas  placentinos  contempo- 
râneos  do    Lope  de  Vega.    Suite.)  [Citations   intéressanles.  Termine 


lOO  BULLETIN    HISPANIQUE 

dans  le  numéro  suivant.] —  Juin  1901.  M.  Rosa  de  Llna  :  Ruinas  pro- 
tohistôricas  de  Logrosân,  Santa  Cruz  y  Solana  de  Cabanas.  —  Eugemo 
EscoBAu  Prieto  :  Don  Nicolas  de  Ovando.  —  Vicente  Pare  des  :  La 
Catedral  de  Leôn.  —  Juillet.  Eugenio  Escobar  Prieto  :  Don  Nicolas  de 
Ovando.  (Fin.)  [Réfutation  de  quelques  erreurs  historiques  au  sujet  de 
ce  personnage.]  —  Nicolas  Izquierdo  Hernandez  :  Algo  sobre  el  habla 
popular  de  Extremadura.  [Indications  très  intéressantes.] — Août.  Matîas 
R.  Martinez  :  Coria.  [Étude  épigraphique.]  — Vicente  Paredes  :  Excur- 
sion a  Câparra.  —  Septembre.  Matîas  R.  Martinez  :  Coria.  (Suite.) 
—  M.  RosA  DE  LuNA  :  Confesiones.  [A  propos  des  Carias  maritimas  de 
Juan  Ortiz  del  Barco.]  —  LuisR.  Miguel:  Las  Jurdes.  [Notice historico- 
géographique.]  —  Octobre.  José  Benavides  :  Historia  del  portazgo  de 
Plasencia  en  los  siglos  xiv  y  xv.  [Suite.  Continue  dans  le  n"  de  mai 
1902.]  —  M.  Rivas  Mateos  :  Una  excursion  a  Sierra  de  Gredos.  — 
Cayetano  Rodriguez  :  Amistades  luso-hispanas.  —  José  Garcia  Mora  : 
Maravillas  y  arcanos  de  la  mùsica.  — Novembre.  Gabriel  Llabbés: 
El  Fuero  de  Trujillo.  [Publication  de  cefuero  octroyé  par  Alphonse  X 
en  1256,  avec  sa  confirmation  par  Jean  I".] —  Felipe  Trigo  :  La  Toga. 
[Étude  sociologique  sur  la  criminalité.]  —  Décembre.  Vicente  Paredes  : 
Datos  para  los  cervantistas  (Suite)  :  Los  Quijadas  de  Esquivias.  — 
R.  Garcîa-Plata  de  Osma  :  La  mi  nochegûena.  [Chants  populaires 
recueillis  près  d'Alcuéscar.]  —  Janvier  1902.  R.  de  L.  :  Monumento  â 
Extremadura  (apunte  bibliogrâfico).  —  Eduardo  H.  Pagheco  :  Apuntes 
de  geologia  extremena  (suite).  —  Février.  —  Vicente  Paredes  :  Nuevas 
inscripciones  extremenas.  —  Mars.  José  Marti  y  Monso  :  Alonso  Gon- 
zalez Berruguete  ;  el  Retablo  de  la  iglesia  de  Santiago  en  Câceres. — 
Vicente  Paredes  :  Carta  Puebla  del  medio  lugar  de  Aldeanueva  del 
Camino.  —  Edgardo  de  Amarante  :  El  judîo  errante.  —  R.  Garcia-Plata 
DE  OsMA  :  Rimas  infantiles.  [Chants  populaires  recueillis  à  Alcuéscar.] 

—  Avril.  Crotontilo  :  Un  endemoniado;  contribuciôn  al  estudio  de 
las  Supersticiones  extremeîias.  —  Carlos  Groizard  y  Coronado  :  Don 
Pedro  Lôpezde  Miranda.  [Étude  historique.]  —  J.  Sanguino  y  Michel  : 
Por  Alcântara  y  Brozas;  excursion  artistica.  [Finit  dans  le  n°  suivant.] 

—  Mai.  Matîas  R.  Martinez  :  Badajoz  â  través  de  la  historia  patria. 

—  Juin.  M.  Rosa  de  Luna:  Excavaciones  en  la  Sierra  de  Santa  Cruz.  — 
Luis  Hermida  :  El  alboroque  de  boda  (costumbres  extremenas).  — 
Sergio  Pesado  Blanco  :  ïermas  de  Montemayor.  [Étude  épigraphique.] 


2  mars  1903. 


LA  RÉDACTION  :  E.  MÉRIMÉE,  A.  MOREL-FATIO,  P.  PARIS 
G.  CIROT,  secrétaire;  G.  RADET,  directeur-gérant. 

BMrdeaoz.  -    ImiTimerie  G.  Godkouilhou,  me  Oniraade,  11, 


Vol.  V.  Avril- Juin  1903  N°  2, 


NOTES   IBÉRIQUES' 


II 
LA  THALASSOGRATIE   PHOCÉENNE 

A   PROPOS   DU   BUSTE   D'ELCHE 


Salammbô  ou  Carmen?  phénicienne  ou  gréco-ibérique?  Je 
ne  veux  pas  prononcer  un  jugement  sur  la  question  de  l'ori- 
gine de  la  célèbre  «dame  d'Elcheo.Je  désirerais  seulement 
indiquer  comment  l'influence  grecque  a  pu  s'exercer  directe- 
ment dans  le  pays  où  cette  dame  a  reçu  le  jour. 

La  domination  carthaginoise  sur  les  côtes  d'Espagne  a  été 
précédée  par  une  thalassocratie  phocéenne.  Nul  doute  n'est 
plus  possible  à  ce  sujets.  Mais  cherchons  les  dates  auxquelles 
elle  a  commencé  et  pris  fin. 

Les  Phocéens  ont  pénétré  dans  les  eaux  espagnoles  aux 
environs  de  la  date  à  laquelle  ils  fondèrent  Marseille  (ôoo-ôgS 
avant  notre  ère)3.  En  Bétique,  ils  connurent  le  roi  Argantho- 
nios'',   qui  régna,    dit-on,   quatre-vingts  ans  et  qui    mourut 

1.  Cf.  Bnllelin  hisijanique,  t.  IV,  1902,  p.  12-19. 

2.  Depuis  l'article  de  Théod.  Ueinach  sur  la  tête  d'Elche  au  Musée  du  Louvre,  dans 
la  Revue  des  Études  grecques,  t.  XI,  1898,  p.  89-60.  Le  mémoire  de  Zorn,  Ueber  die 
I\  iederlassungcn  dcr  Pliokder  an  der  Siidkiiste  von  Gallien ,  Kaltowitz,  1879,  est  insi8:nifiant. 

3.  On  trouve  les  dates  de  Goo,  097,  093;  cf.  Busolt,  t.  I,  p.  285,  n.  5.  —  Qu'il  ne 
faut  pas  reculer  la  fondation  jusqu'au  moment  de  la  chute  de  Phocle,  c'est  ce  qui  m'a 
toujours  paru  surabondamment  prouve  par  Dcdcrich,  Bheinisclies  Muséum,  t.  I\', 
i83G,  p.  99  et  suiv. 

!x.  Je  crois  bien,  sinon  à  la  longévité,  du  moins  à  l'existence  d'un  roi  de 
Tarlessus  ayant  accueilli  et  protégé  les  Grecs,  et  je  ne  puis  pousser  le  scepticisme 
jusqu'à  dire,  avec  Meltzcr  {Gesckichte  der  Karthager,  t.  I,  1879,  p.  i  (38),  qu'il  n'est  que 
«  le  représentant   de  la  période  philhellénique   de  l'histoire  de  Tartessus,   période 

-1  F B.  —  Bull.  Iiispan.,  X,  1903,  2.  8 


I02  BULLETIN    HISPANIQUE 

vers  ôf\i-ô\oi.  C'est  donc  entre  620  et  b^o  qu'ils  débarquèrent 
pour  la  première  fois  sur  les  rivages  de  Tarlessus^. 

Est-ce  après,  est-ce  avant  la  fondation  de  Marseille?  J'ai 
peine  à  croire  que  ce  soit  après.  —  Entre  l'âpre  Ligurie  et  la 
divine  Bétique,  l'hésitation  n'était  point  possible.  Celle-ci  était 
la  terre  fabuleuse  des  métaux,  des  bestiaux  innombrables,  des 
moissons  prodigieuses.  C'est  vers  elle  que  se  sont  portées 
d'abord  les  convoitises  de  tous  les  peuples  :  Tyriens,  Grecs, 
Carthaginois,  Romains.  Au  vu'  siècle,  Tyr  avait  abandonné 
les  mers  occidentales,  Carthage  s'en  approchait.  Les  Grecs 
essayèrent  d'y  arriver  bons  premiers.  Colaeus  de  Samos  vint 
à  Tartessus  vers  63o3  et  y  fît  des  bénéfices  énormes  :  la  Grèce 
entière  acclama  sa  victoire  commerciale''.  En  ce  moment,  il 


close  par  l'arrivée  des  Carthaginois».  Sur  les  rois  de  la  dynastie  à  laquelle  appar- 
tenait Arganthonios,  cf.  Justin,  XLIV,  />.  —  Hérodote  fait  vivre  Arganthonios 
pendant  cent  vingt  ans;  Anacréon  lui  donnait  cent  cinquante  ans  (Pline,  Vll,  i54; 
Strabon,  III,  2,  i4;  cf.  Appien,  Iberka,  63);  d'autres,  jusqu'à  trois  cents  ans  (Silius 
Italiens,  III,  3g8,  peut-être  d'après  Posidonius).  Cette  période  de  trois  cents  ans 
'  pourrait  correspondre  à  la  durée  de  la  dynastie  qui  finit,  je  crois,  à  Arganthonios, 
ce  qui  la  placerait  de  S^o  à  54o;  mais  il  faut  tenir  compte  aussi  du  fait  que  les 
Turdétans,  héritiers  des  gens  de  Tartessus,  avaient  des  annales  poétiques,  où  ils 
augmentaient  volontiers  le  nombre  des  années  ou  comptaient  par  des  «années» 
sans  doute  beaucoup  plus  courtes  que  les  années  ordinaires  :  cf.  Strabon,  III,  1,  6 
(d'après  Posidonius.^)  :  Tr,;  Tix/xtà;  ]j.-'ir^\i.rtZ  k'y/jyac  ...£Ea/.t(7X''''>''f'J''  etwv,  w;  çasc,  et 
c'est  à  ces  traditions  indigènes  qu'il  faut  rattacher  et  les  renseignements  de  Posidonius 
et  ceux  de  Justin.  —  Le  nom  d'Arganthonios  (signifiait-il  «roi  de  l'argent»  dans 
la  langue  indigène'')  a  pu  parfaitement  être  im  nom  propre,  le  radical  argant, 
arganth,  argent,  étant  un  des  plus  répandus  dans  l'onomastique  et  la  toponomastique 
de  l'antiquité  et  en  particulier  des  pays  occidentaux.  —  Nous  suivons  pour  les  dates 
la  chronologie  do  Busolt  (t.  II,  p.  469  et  753);  on  peut  s'en  séparer  à  5  ans  près,  mais 
le  rapport  des  dates  entre  elles,  qui  est  le  principal,  est  fixe. 

1.  Hérodote,  I,  i63:  'Efjpàwîuo-s  oi  TapTr,TffoO  oyôojxovTa  ëxsa,  èoiuxîz  Si  (xâ) 
îràvxa  sÏxoti  /.ai  ÉxaTov.  Le  renseignement  de  Pline  (VII,  i56)  ne  me  paraît  pas 
emprunté  à  Hérodote  :  Arganlhonium  Gadilanuin  octoginla  annos  régnasse  prope  cerlum 
est:  putanl  quadragesimo  coepisse;  cf.  Valère-Maxime,  VIII,  i3,  ext.  4o,  qui  se  sert 
exactement  des  mêmes  expressions  que  Pline.  Je  me  demande  si  la  source  première 
de  cette  tradition  n'est  pas  Hécatée  de  Milet. 

2.  Je  tiens  à  ne  pas  préciser,  car,  si  l'on  ne  peut  pas  placer  ailleurs  Arganthonios, 
il  est  impossible  de  dire  à  coup  sur  quelle  était  sa  ville  principale.  Pline  (VII,  i56; 
cf.  Valère-Maxime,  VIII,  i3,  ext.  li)  dit,  en  dehors  de  Posidonius  et  d'Anacréon  : 
Arganlhonium  Gaditamim;  Silius  (III,  896,  d'après  Posidonius,  cf.  Strabon,  III,  2, 
i4)  dit  :  Carteia;  Appien  (Ibcrica,  2  et  6i)  dit  :  Carpessus,  qui  est  dans  sa  pensée  et  à  ces 
deux  endroits  la  même  chose  que  Carteia,  et  il  est  bien  probable  qu' Arganthonios 
régnait  sur  ces  deux  villes  et  plus  loin,  dans  les  terres  et  le  long  de  la  Méditerranée; 
cf.  p.  io6,  n.  4.  Je  ne  parle  ici  que  des  textes  mentionnant  le  royaume  d'Argan- 
thonios; sur  les  diflérentes  identifications  de  Tartessus,  cf.  Movers,  Die  Phanizier, 
t.  II,  II*  p.,  i85o,  p.  594-614;  et,  contre  lui,  Unger,  qui  croit  à  l'existence  d'une  ville 
de  ce  nom  (Philologus,  supp.  IV,  i884,  p.  31G-217). 

3.  Date  acceptée  par  Busolt,  t.  I,  p.   -285 

4.  Hérodote,  IV,    i53. 


LA  THALASSOCRATIE  PHOCEE>>E  A  PROPOS  Dl  BISTE  D  ELCHE    lOo 

n'y  avait,  entre  Cadix  et  Carteia,  que  des  Barbares  :  la  voie  était 
libre  pour  les  Grecs.  —  C'est  alors,  je  crois,  que  les  Phocéens 
se  présentèrent  à  leur  tour  dans  le  détroit  de  Gibraltar  :  ils 
venaient  d'inaugurer  les  vaisseaux  à  cinquante  rames  et  les 
longs  voyages  sur  mer'.  Où  porter  avec  plus  de  profit  leur 
marine  hardie  et  résistante,  si  ce  n'est  vers  «  les  sources  de 
l'argent»? — Je  placerai  donc  volontiers  leur  débarquement 
dans  l'extrême  sud  de  l'Espagne  entre  les  années  620  et  600. 

Arganthonios  y  était  le  seul  maître.  11  aimait  les  Grecs. 
Tous  ces  rois  de  la  Bétique  ont  été  des  pacifiques  et  des  intel- 
ligents. Il  leur  offrit  des  terres. 

Mais  les  Phocéens  refusèrent  2.  Aucune  colonie  ne  fut  fondée 
dans  l'admirable  région  du  Guadalquivir,  En  revanche,  Mar- 
seille fut  établie  entre  600  et  bç)3,  chez  les  sauvages  Ligures. 
Les  Phocéens  perdaient  terriblement  au  change.  —  Il  faut 
qu'il  y  ait  eu  une  raison  impérieuse  pour  les  écarter  de  Carteia 
et  de  Cadix,  et  des  Colonnes  d'Hercule,  et  pour  les  rejeter, 
comme  vers  un  pis-aller  provisoire,  dans  la  mer  de  Toscane. 

Cette  raison,  c'est  sans  doute  l'intervention  de  Carthage. 
C'est  vers  cette  date  qu'elle  a  dû  jeter  son  dévolu  sur  Cadix, 
supposée  fille  de  Tyr  comme  elle.  Peut-être  ne  s'y  est-elle  pas 
dès  lors  établie  à  demeure.  Mais  elle  a  rappelé  à  ses  habitants 
la  parenté,  vraie  ou  mythique,  qui  les  unissait  à  elle^;  elle 
s'est  arrangée,  par  un  traité  ou  autrement,  à  interdire  aux 
Phocéens  tout  commerce  ou  au  moins  toute  colonie  au  delà 
des  colonnes  d'Hercule^. 

Je  ne  crois  pas,  cependant,  qu'elle  ait  été  assez  forte,  vers 
600,  pour  leur  couper  toutes  les  relations  avec  les  indigènes 
de  Carteia  et  de  Cadix,  sujets  du  roi  Arganthonios.  Plus  d'un 
Phocéen  séjournait  auprès  de  ce  dernier  :  s'il  n'y  eut  pas  de 
ville  fondée  dans  la  région  de  Tartessus,  il  y  eut  du  moins  un 
groupe  d'amis  ou  d'hôtes  du  roi 5.  11  demeura,  par  leur  inter- 

1.  Hérodote,  I,  iG3. 

2.  Hérodote,  I,  163. 

3.  Cf.  Justin,  XLIV,  5,  sur  les  liens  de  consanguinité  entre  Cadix  et  Carthage. 

4.  Cf.,   dans   le   traité  de   Cartilage  avec  Rome  :  Mr,  Xr/i^ErrOa'.  ir.iy.v.-i:t.  (MaiTTi'a; 
Tapar|to'j)'Pw(xato-j;  [irfiï  âixTîope-jecjÔai,  [xr|0£  nôXtv  xTtîiEiv  (Polybo,  III,  23,  4). 

5.  Appien,  Iberica,  a  :  "E>,>.r,vi:  tî  ôuloîm;,  è;  TapTriCro-ôv  -/.a\  'Apyxvflwviov  TaptriT- 
ijO-j  Sa<7i/,Éa  Tr/.iovTïç,  ijxaîïva'.  v.x'.  Toivof  tc/î;  iv  'lor.pix. 


104  BULLETIN    HISPANIQUE 

médiaire,  en  relation  avec  Phocée  même  :  quand  les  Perses 
menacèrent  la  Lydie  et  les  cités  grecques,  il  envoya  de  l'argent 
à  la  ville  pour  qu'elle  se  bâtît  des  murailles'  (entre  549  ^^  ^^^  ^•'^)- 
Mais  si  les  Phocéens  avaient  laissé  aux  Carthaginois  le  pri- 
vilège de  la  route  directe  des  gisements  métalliques,  qui  était 
par  Cadix  et  le  Guadalquivir,  ils  tentèrent  d'arriver  par 
d'autres  voies  à  ce  but  éternel  des  ambitions  commerciales  ^  : 
ils  s'installèrent  à  l'entrée  des  vallées  côtières  de  la  Méditer- 
ranée, qui  font  brèche  dans  cet  énorme  bloc  de  minerais 
qu'était,  disait-on,  le  noyau  central  de  l'Espagne 3. 

1.  Hérodote,  I,  iG3  :  '0  ôs  ny6o[j,£vo;  tov  M7iôov  uap'  a'jTwv  w;  a-j'^oixoi  âoîoou  o-çt 
yprijxaTa  xer/o;  TrsptSDtAÉffôai  ty^v  TtôXiv.  Il  y  a,  cependant,  plusieurs  difScultés  à  rap- 
porter cette  anecdote  à  l'expédition  d'Harpagos  (voyez  ce  que  dit  à  ce  sujet  Radet, 
La  Lydie  et  le  monde  grec,  1892,  p.  211),  et  je  me  demande  s'il  ne  s'agit  pas  de  quel- 
ques menaces  faites  contre  Phocée  par  Grésus  ou  par  un  de  ses  prédécesseurs  :  la 
date  pourrait  donc  être  reculée  de  beaucoup  au  delà  de  l'année  bl\o.  Voyez,  sur  ces 
guerres,  Radet,  p.  194  et  suiv. 

2.  Gela  a  été  bien  montré  par  Th.  Reinach,  p.  53. 

3.  Sans  parler  de  leurs  établissements  au  nord  de  l'Èbre,  qui  visaient  d'autres 
routes  et  d'autres  gisements.  —  De  traces  de  commerce  hellénique  dans  la  région 
pyrénéenne,  je  ne  trouve  que  les  suivantes  chez  Aviénus  : 

lo  CallipoUs,  qu'il  place  (5 1 4-5 19)  entre  l'embouchure  de  l'Èbre  et  Tarragone; 
mais  MûUenhoff,  redressant  ici  les  expressions  du  périple,  identifle  Gallipolis  et  Bar- 
celone: Die  Schilderung  der  Lage  von  CallipoUs  passt  volkommen  auf  Barcino  (I,  p.  172); 
G.  Millier,  au  contraire,  accepte  le  texte,  et  place  Gallipolis  au  cap  Salou  {Philologus, 
t.  XXXll,  1873,  p.  118). 

2°  Pyrénc.  Voici  le  texte  (558-56o)  :  In  Sordiceni  caespitis  confinio  \  quondani  Pyrenae 
latera  civitas  diti  Jlaris  (laris?)  \  stetisse  fertar  :  hicque  Masiliae  incolae  |  negociorum 
saepe  versabant  vices.  Gomme,  dans  toute  cette  région,  Aviénus  ne  mentionne  aucune 
des  colonies  de  Marseille,  ni  Rliodé  ni  Emporium,  on  a  supposé  que  ce  nom  de 
Pyréné  dissimule  une  de  ces  deux  villes,  et,  probablement,  celle  d'Emporium,  traduit 
par  Aviénus  en  vices  negociorum  (Ghrist,  Aviénus,  18G8,  p.  261,  q.  n.  v.,  et  d'après  lui, 
Unger,  Philologus,  suppl.  IV,  i884,  p.  261).  Gela  est  fort  ingénieux.  Mais  est-il  prouvé 
qu'Emporium  existât  dès  ce  temps-là.''  Aviénus  ne  l'aura-t-il  pas  omis  pour  le  même 
motif  qu'il  a  omis  Rhodé  et  Agde,  parce  que  les  Marseillais  n'avaient  pas  encore  fondé 
des  colonies  ?  Pourqupi  Aviénus  n'aurait-il  pas  mentionné  PyrénéEmporium  plus  haut 
lorsqu'il  décrit  (5/1/4-047)  la  région  du  golfe  de  Rosas.^  Sa  ville  de  Pyréné  n'est-elle 
pas  plutôt  au  nord  qu'au  sud  du  cap  Creux .^  L'expression  de  negotia,  negotiandi,  n'est- 
elle  pas  habituelle  à  Aviénus  (100,  ii4)?  Hérodote,  dont  la  source  est  contemporaine 
du  périple,  ne  connait-il  pas  la  ville  de  Pyréné  (11,  33).^  N'est-il  pas  remarquable 
qu'Hécatée,  lui  aussi  un  contemporain  de  ce  périple,  ignore  précisément  Emporium, 
Rhodé,  Agde  et  les  mêmes  villes  que  lui.^ 

Si  Aviénus  ne  parle  pas  de  ces  cités,  dites-vous,  c'est  une  erreur  ou  une  lacune  de  sa 
part,  car  elles  existaient  au  iv*  siècle.  Mais  savez-vous  si  le  périple  n'est  pas  antérieur 
de  cent  ans  à  leur  fondation.''  Vous  n'avez  sur  tous  ces  rivages  qu'une  demi-douzaine 
de  textes,  à  date  indécise,  flottant  l'espace  de  plusieurs  siècles,  et  vous  voulez  les 
détruire  ou  les  corriger  l'un  par  l'autre  .^Ges  misérables  textes  sont  les  seuls  lambeaux 
qui  ont  survécu  de  l'histoire  de  ces  pays  depuis  620  jusqu'en  220.  Pouvez-vous  sup- 
pos3r  que,  dans  ces  trois  ou  quatre  siècles,  il  n'y  ait  pas  eu  da  changements  innom- 
brables dans  la  géographie  politique  du  rivage.'  Voyez  ce  qui  s'est  passé  en  Sicile  ou 
dans  la  Grande  Grèce.  Les  rivages  de  l'Espagne  ont  va  sa  succéder  toutes  les  thalasso- 
cratios  môditcrranéennss  et  toutes  les  invasions  cDn'Ja3n'ales.  La  même  rade  utile  a 


LA    TlIALASSOCKATIE    PHOCEF.NM::    A    PROPOS    DL    BLSTE    D  ELCIIK         lOD 

On  les  vit  trafiquer  près  de  rembouchure  de  l'Èbre', 
s'arrêter  près  de  celle  du  Jucar^.  Et,  ce  qui  fut  beaucoup  plus 
grave,  ils  bâtirent  une  vraie  ville,  Mainaké^,   près  de  l'em- 


élé  occupée  tour  à  tour  par  les  Carthaginois,  les  Grecs  ou  les  Ibères,  abandonnée  et 
reprise  peut-être  à  chaque  génération.  Cela,  évidemment,  complique  d'une  façon 
elTrayante  la  science  des  textes  anciens.  Mais  nous  ne  sommes  pas  pour  faire  de  la 
science  facile. 

La  vérité  est  que  le  rédacteur  du  périple  d'Aviénus  a  décrit  ces  rivages  au  moment 
précis,  le  jour  où  il  les  a  vus,  et  non  pas,  summatim,  tels  qu'ils  pouvaient  se  présenter 
dans  l'espace  indéterminé  d'un  siècle  d'autrefois.  Si  son  témoignage  vous  paraît  sur- 
prenant, ce  n'est  pas  parce  qu'Aviénus  a  changé  le  texte,  c'est  parce  que  les  temps  ont 
changé. 

Je  m'en  tiens  donc,  le  plus  possible,  au  document  que  j'ai  sous  les  yeux.  Au  nord 
des  Pyrénées,  dans  une  des  anses  admirables  do  Cerbère,  de  Port-Vendres,  de  Banyuls 
ou  de  Collioures,  se  trouvait,  vers  l'an  5oo,  un  grand  marclié  indigène  que  visitaient 
les  Grecs  et  qu'ils  appelaient  Pyrene.  Unger  rectifie  le  texte  ainsi  (de  môme  que 
Holder): 

Quondam  Pyrenae  latera  [juxta  et  insulam, 
Aile  lumentem]  civitas,  etc., 
sous  prétexte  qu'il  y  a  une  île  près  d'Emporium.  Mais,  dans  le  port  de  Collioures, 
vous  avez  l'îlot  de  Saint-Vincent,  et,  au  lieu  de  insulam,  qui  vous  empêche  d'écrire 
jugum  ou  prominens,  ou  n'importe  quoii*  N'oublions  pas,  enfin,  que  tout  ce  coin  du 
Roussillon  a  été  extraordinairemcnt  visité  dans  l'antiquité,  et  que  les  rendez-vous 
d'indigènes  y  ont  abondé:  Iliberris.  «  la  ville-neuve»  (Elne,  cf.  Bulletin  hispanique, 
igo2,  p.  13),  Caucoliberis,  qui  a  dû  signifier  le  «  marché-neuf  «ou  quelque  chose  d'ap- 
prochant (c'est  aujourd'hui  Collioures,  cf.  Alart,  Géographie  historique  des  Pyrénées- 
Orientales,  i85g,  p.  53  :  une  des  meilleures  monographies  de  ce  genre  que  je  connaisse), 
portas  Veneris  (Port-Vendres),  Cervaria  (Cerbère).  Qu'y  a-t-il  d'étonnant  à  ce  que, 
au  VI*  siècle,  il  ait  existé  dans  ces  parages,  sous  le  nom  de  Pyréné,  un  important  lieu 
de  foire  et  d'échanges,  entre  Grecs  et  Barbares.' 

1.  Aviénus,  /191,  place  ici  un  nom  de  localité  grecque  :  Ad  usque  cassae  \C]  herronesi 
terminas.  A  rapprocher  de  Strabon,  111,  i,  6,  qui  nomme  la  localité  de  Xippôvr|(7o; 
comme  ville,  et  (plus  hypothétiquement)  d'Hécatée  de  Milet,  fr.  iG  :  "Vo'J;  ttôai;...,  èv 
'I6-r|p''a  -/epoovri'Tou  (Etienne  de  Byzance)  :  Los  Alfaques  au  sud  de  l'Ebre  (Mùllenhoff, 
p.  1C9';  cf.  Reinach,  p.  50);  Peniscola  (C.  Mûller,  p.  117;  Unger,  p.  252).—  L'idée 
d'Unger  (p.  275),  qu'il  faut  chercher  les  localités  indiquées  par  Hécatée  du  coté  de 
l'étang  de  Thau,  me  paraît  inadmissible. 

2.  Aviénus,  ^76-/477  :  Hemeroscopiam  quoque  habita\ta]  pridem  hic  civitas.  Identifié 
avec  Dénia  par  ^lùUenhoff  (1,  p.  lOi)  et  bien  d'autres;  mais  Reinach  a  très  bien  mon- 
tré (p.  45)  qu'Héméroscopium  doit  être  cherché  plus  au  nord,  peut-être  à  CuUera  près 
de  Valence.  Il  doit  y  avoir,  en  effet,  une  lacune  dans  le  texte  de  Strabon  relatif  à  cette 
ville  (111,  !,,  6). 

3.  Aviénus  identifie  complètement  Malaga  et  Mainaké  (426-427)  :  Malachae  flumen, 
urbe  cum  cognomine ,  Maeneace  prior\c  quae\  vocata  est  saeculo.  Tout  le  monde  paraît 
d'accord  pour  voir  là  une  erreur  d'Aviénus,  due  sans  doute  à  une  interpolation  posté- 
rieure au  texte  du  périple  primitif  :  et  cela,  parce  que  Strabon  (d'après  Posidonius.^) 
distingue  avec  une  extrême  netteté  l'un  et  l'autre  sites  et  reproche  à  quelques-uns  de 
ses  prédécesseurs  de  les  identifier  :  ïajTr|V  (Mi/axav)  Ttvs;  -r,  MaivaxT)  ■zr^^/  a-JTTiv  vo[jlî- 
Ço-Jdiv,  T^v  ûtrrâTïiv  lût'/  <l>ci)xaïxâ)v  irô/.îtov  Trpb;  Ô'jtei  y.sijilvrjv  7tap£tAr|3a[X£7,  oOy.  k'<TTt 
ôé  ■  aXk'  i%Eivr\  jjlÈv  aiTWTépto  tt,;  KaATtr,;  iazi,  7.atî(Txau.iJ.Év/j,  za  ù"iy-/i)  ffoj'oycra  'EÀXr,- 
vixT.i;  7t6),e(i);,  ti  ôk  MxXaxa  7:\r,(jio'i  tJiâXXov,  <toiviy.iy.Y)  tw  ayr^ij.'X'Z'.  (III,  'j,  2).  J'hésite, 
cependant,  à  propos  de  pays  que  nous  connaissons  si  mal,  et  quand  il  s'agit  d'une 
histoire  répartie  sur  six  siècles,  à  donner  tort  à  Festus  Aviénus  sur  le  dire  d'un  écri- 
vain postérieur  de  cinq  cents  ans  à  son  périple.  Il  pourrait  se  faire  que  Malaga  et 
Mainaké  aient  été  la  même  ville,  tour  à  tour  phocéenne  et  punique,  et  qu'il  y  ait 
eu  non  loin  d'elle  un  autre  comptoir  grec,  phocéen  ou  marseillais,  dont  les  ruines 


Io6  BULLETIN    HISPANIQUE 

bouchure  du  Guadalhorce,  dans  la  région  de  Malaga.  Cette 
rivière  ouvrait,  pour  pénétrer  aux  mines,  une  voie  presque 
aussi  directe  que  celle  du  Guadalquivir  i  :  c'est  celle  que  suit 
aujourd'hui  le  chemin  de  fer  de  Malaga  à  Cordouea,  lui-même 
héritier 3  d'une  vieille  route  romaine.  Malaga,  Cadix,  sont 
encore,  et  furent  souvent  rivales  :  les  Phocéens  dans  la  vallée 
du  Guadalhorce,  c'était  la  plus  terrible  concurrence  qui  pouvait 
menacer  Carthage^. 

Ces  établissements  phocéens,  s'ils  ne  sont  pas  contem- 
porains de  Marseille^,  ne  lui  sont  postérieurs  que  de  peu  de 
temps.  Je  placerai  leur  création  entre  ogS  et  54o,  date  de  la 

auront  été  plus  tard  identifiées  avec  Mainaké.  Quand  on  songe  que  moins  de  deux 
cents  ans  après  la  mort  de  Gharlemagne,  les  Francs  se  trompaient  sur  l'emplacement 
véritable  de  son  palais  de  Gassinogilum,  on  peut  bien  croire  que  les  coureurs  de 
rivages  aient  oublié  le  vrai  site  de  Mainaké.  C'est,  d'ailleurs,  une  des  choses  qui  s'ou- 
blient le  plus  vite,  que  l'exacte  localisation  d'un  lieu  historique.  —  Le  Pseudo-Scym- 
nus  (i 40-1 47)  place  Mainaké  près  des  Colonnes  d'Hercule  et  en  fait  MaTo-aXiwTiXTi 
■nôliç.  Cela  peut  vouloir  dire,  sans  doute,  que  Mainaké  a  passé  pendant  un  temps 
(reconstruite  à  la  même  place,  ou  plus  loin)  sous  la  domination  marseillaise  (après 
480).  Mais  le  périple  de  ce  nom  est  un  document  tout  différent  de  celui  d'Aviénus, 
plein  de  spéculations  hasardeuses  et  de  conjectures  rapides:  le  même  Pseudo-Scymnus 
ne  fait-il  pas  fonder  Eléa  (aSo)  par  les  Marseillais  et  les  Phocéens.^ —  Etienne  de 
Byzance  place  (s.  v.)  Moc/cy)  ou  Maivâxr]  en  Celtique,  ce  qui,  dit  justement  Th.  Reinach 
(p.  54),  «  est  incompréhensible.  » 

1.  Cordoue  était,  évidemment,  le  centre  sinon  de  production,  du  moins  d'entrepôt 
du  bassin  minier  de  la  Bétique.  Car  on  signale  l'or  dans  cette  ville,  ou  plutôt  dans 
ses  terres  (Silius  Italiens,  III,  4oi),  et  à  Cotinae,  sur  la  rive  droite  du  Bétis,  et  en  aval 
(Strabon,  III,  2,  3);  l'argentà  Castulo,  Ilipa,  Sisapo  (Polybe,  X,  38;  Strabon,  III,  2,  3 
et  11);  le  cuivre  également  à  Colinae  (Strabon,  III,  2,  3).  Toutes  les  montagnes  qui 
forment  la  ceinture  du  Guadalquivir  sont  aujourd'hui  encore  l'une  des  deux  grandes 
régions  minières  de  l'Espagne. 

2.  Ne  pas  oublier,  d'ailleurs,  que,  dans  l'arrière-pays  montagneux  de  Malaga,  il 
y  a  y.àv~aj9a  -/py^-ïta  y.ai  aXXa  [i-hixXf.x.  Ajoutez,  dans  les  eaux  de  Malaga,  Taptv;£Îaç 
(jieyâAa;  (Strabon,  III,  4,  2).  Le  pays,  à  tous  les  égards,  est  à  peine  inférieur  à  la 
Bétique  du  Guadalquivir. 

3.  En  partie  seulement.  La  route  romaine  passait  par  Antequera. 

4.  II  est  fort  possible  que  l'installation  des  Phocéens  dans  la  région  de  Malaga  se 
rattache  à  leurs  relations  amicales  avec  Arganthonios.  Ce  dernier  était  dit  «  le  roi 
de  Tartessus  »,  et  Aviénus  étend  le  domaine  primitif  des  divites  Tartcsii  bien  au  delà 
de  Malaga,  vers  l'est,  jusque  vers  le  cap  de  la  Nao  (463;  de  même,  Pseudo-Scymnus, 
148;  cf.  MûUenhoff,  t.  I,  p.  iSg;  Reinach,  p.  47).  Je  ne  dis  pas  que  les  Tartessiens 
occupassent,  sans  solution  de  continuité,  toutes  les  contrées  maritimes,  depuis  le 
Bétis  jusqu'au  cap:  mais  il  est  fort  possible  que,  de  leur  empire  intérieur,  de  larges 
bandes  de  territoire  soient  venues  rejoindre  quelques  régions  utiles  du  rivage;  ou, 
encore,  qu'ils  aient  eu  des  territoires  côtiers  enclavés  dans  des  possessions  étrangères. 
De  fait,  Aviénus  spécifie  très  nettement  que  les  Tartesii  porrig[un]tar  in  Calacticum 
sinum,  qui  est  le  rivage  d'Estepona  (424),  et  que  l'île  de  la  Lune,  près  de  Malaga,  est 
Tartesiorum  [ju]ris  (428).  Là  étaient  donc  peut-être  des  terres  du  roi  Arganthonios; 
là  peut-être  celles  qu'il  offrit  aux  Phocéens,  et  celles  qu'acceptèrent  ceux  qui  demeu- 
rèrent près  de  lui. 

5.  L'arrivée  des  Grecs  àîPyréné  est] postérieur,  semble-t-il,  à  la  fondation  de  cette 
ville. 


LA    THAI-ASSOCR.VTIE    l'IH  iCKKN  NE    A    PUOPOS    DU    BUSTE    D  ELCHE         IO7 

prise  de  Phocée  par  les  Perses.  C'est  dans  ce  demi-siècle, 
mettons  entre  693  et  5/19  ',  que  j "intercalerai  les  quarante-quatre 
années  de  thalassocratie  que  les  chronologistes  anciens  attri- 
buaient à  la  marine  de  Phocée  3. 

Je  ne  peux  pas  admettre  que  les  Phocéens  aient  occupé  les 
rivages  de  la  Méditerranée  occidentale  sans  livrer  de  rudes 
combats  contre  les  Carthaginois.  Ceux-ci,  depuis  654-3,  étaient 
installés  à  Iviça  (Ebiisus)^,  c'est-à-dire  face  au  cap  de  la  Nao, 
exactement  à  mi-chemin  entre  Marseille  et  Malaga.  Pour  être 
maîtres  de  cette  route,  qui  leur  était  indispensable,  les  Pho- 
céens devaient  avoir  raison  de  leurs  rivaux.  Les  Carthaginois 
furent  vaincus  par  eux,  sans  doute  dans  plusieurs  rencontres, 
vers  le  temps  011  se  fondait  Marseille.  Du  cap  de  l'Aigle  au 
Guadalhorce,  les  mers  appartenaient  à  Phocée '^ 

Vers  le  même  temps,  ou  peu  après,  les  Phocéens  songèrent 
à  l'autre  bassin  de  la  Méditerranée  occidentale,  celui  de  la 
mer  Tyrrhénienne,  où  dominaient  les  Étrusques.  Vers  56o,  ils 
s'installèrent  à  Alalia,  en  Corse 5,  menaçant  de  là  l'Italie  et 
les  mines  de  l'île  d'Elbe.  Un  empire  maritime  se  préparait 
pour  eux  dans  les  mers  de  l'Occident,  avec  trois  points  d'appui 
admirablement  situés:  Alalia,  vis-à-vis  le  Tibre;  Marseille, 
près  du  Rhône;  Mainaké,   près  de  la  brèche  qui  menait  au 


I.  La  première  de  ces  dates  est  la  date  la  plus  basse  à  laquelle  on  puissse 
placer  la  fondation  de  Marseille.  Il  est  à  remarquer  que  les  quarante -quatre  ans 
de  la  thalassocratie  phocéenne  s'achèvent  au  moment  où  Phocée  devient  sujette  de 
Crésus. 

a.  Eusèbe,  édit.  Schœne,  p.  22G:  Ex  Diodori  scriptis  breviter,  de  temporibus  Thalasso- 
cratorum...  Phohaei,  nnii.  XLIV;  Samii,  ann... 

3.  Timée  apud  Diodore,  V,  16;  Geffcken,  p.  i5'i. 

/(.  C'est  ainsi  que  j'interprète  le  texte  fameux  de  Thucydide  (I,  i3):  <i>wy.ari;  te 
Macfira/.îav  o'.y.c^ovTS;  Kxpyrfio'Ao-j^  ÈvtV.ojv  va'jij.ot/0-jvTE;,  texte  qui  est  peut-être  le 
passage  de  l'historien  grec  qui  a  été  le  plus  souvent  discuté  ;  voyez,  notamment,  dans 
ces  dernières  années:  Meltzer,  Geschichte  dcr  Karlhager,  t.  I,  187g,  p.  /|85;  Sonny,  De 
Massiliensium  rcbus  quaestiones,  1887,  p.  12  (qui  regarde  ce  passage  comme  inter- 
polé, solution  par  trop  commode);  Habel,  Worhenschrift  fiir  klassische  Philologie,  i888, 
col.  1283  et  s.;  Classen  et  Steup,  édit.  ('4')  de  Thucydide,  1897,  p.  3i6  et  s.  (Steup 
a  eu  le  tort  d'abandonner  l'explication  donnée  par  Classen  dans  sa  3*  édition,  explica- 
tion que  je  crois  la  meilleure);  Clerc,  Les  Phéniciens  dans  la  région  de  Marseille,  1901, 
p.  6.  Le  tort  d'un  certain  nombre  de  commentateurs  a  été,  en  cette  affaire  comme  en 
matière  d'explication  d'Aviénus,  de  croire  qu'il  n'y  a  jamais  pu  y  avoir  qu'une 
guerre  entre  Marseille  et  Carthage,  et  que  c'est  toujours  à  la  même  que  les  anciens 
font  allusion.  J'imagine,  au  contraire,  que  de  600  à  218,  l'état  de  guerre  fut  normal 
entre  les  deux  villes,  avec  des  vicissitudes  infinies. 

5.  Hérodote,  I,  i65. 


loS  BULLETIN    HISPANIQUE 

Bétis;  les  trois  vallées  essentielles  du  monde  occidental  allaient 
tomber  sous  leur  influence  i. 


Mais,  vers  54o,  Phocée  fut  prise  par  les  Perses,  et  près  de 
la  moitié  de  ses  habitants  émigrèrent  vers  Alalia  et  les  eaux 
italiennes. 

Fait  étrange,  ils  ne  se  rendirent  pas  à  Mainaké,  qui  était, 
et  de  beaucoup,  la  région  la  plus  riche,  la  plus  fertile,  la 
mieux  située  de  toutes  leurs  possessions  lointaines.  C'est,  nous 
dit  Hérodote,  parce  qu'Arganthonios,  le  roi  philhellène  de 
Tartessus,  était  mort  2.  Ce  qui  signifie,  je  crois,  ceci  :  que 
Carthage  avait,  dès  lors,  solidement  occupé  Cadix  3,  que  les 
terres  et  les  mers  de  l'Espagne  étaient  moins  sûres  pour  les 
Grecs  qu'auparavant,  que  la  dynastie  des  bons  rois  de  la 
Bétique  avait  pris  fin,  et  que  les  Puniques  avaient  commencé 
à  tenir  leur  revanche  sur  leurs  rivaux  de  Phocée. 

Ils  achevèrent  leur  œuvre  cinq  ans  plus  tard.  Vers  535, 
Carthaginois  et  Etrusques  décidèrent  d'en  finir.  Ils  unirent 
leurs  flottes  et,  dans  les  eaux  de  la  Sardaigne,  attaquèrent  les 
Phocéens.  Ceux-ci  s'attribuèrent  la  victoire.  En  réalité,  ils 
perdirent  tous  leurs  vaisseaux.  Alalia  fut  évacuée.  Les  débris 


I.  L'importance  de  la  navigation  grecque  dans  les  eaux  espagnoles  au  vi"  siècle 
est  encore  attestée  par  l'abondance,  chez  Aviénus,  de  noms  géographiques  d'origine 
hellénique;  on  les  trouvera  réunis  chez  Sonny  (p.  Gy  et  70),  qui  les  attribue,  je  crois, 
à  tort,  aux  Marseillais. 

a.  Hérodote,  I,  iG5.  Le  fait  qu'Hérodote  mentionne  la  mort  d'Arganthonios  à 
propos  de  l'immigration  phocéenne  à  Alalia  montre  bien  qu'il  tient  à  expliquer 
pourquoi  elle  ne  s'est  pas  dirigée  vers  l'Espagne. 

3.  C'est  donc  vers  54o,  et  dans  le  temps  même  où  les  Perses  conquéraient  l'Ionie, 
que  je  placerai  le  retour  oITensif  des  Carthaginois  en  Espagne  et  la  prise  de  possession 
de  Cadix  par  leurs  flottes.  Il  y  a  toujours  eu,  dans  l'histoire  de  la  Méditerranée,  entre 
les  faits  de  l'Orient  et  ceux  de  l'Occident,  une  corrélation  qu'il  serait  puéril  de  ne 
pas  reconnaître.  —  Je  ne  me  dissimule  pas,  d'ailleurs,  que  la  date  de  l'installation 
des  Carthaginois  à  Cadix  est  à  la  fois  la  plus  importante  et  la  plus  obscure  de  l'his- 
toire de  l'Espagne  ancienne.  Je  donne  ma  solution  comme  une  conjecture,  et  rien 
de  plus.  Elle  est,  du  reste,  appuyée  par  le  texte  de  Justin  (XLIV,  5),  qui  dit  :  Post 
régna  deinde  Hispaniae  (c'est-à-dire  après  la  fin  de  la  dynastie  indigène  d'Arganthonios) 
primi  Karthaginienses  imperium  provinciae  occnpavere.  Justin  ajoute  que  Cadix  fut  alors 
menacé  Jînitimis  Hispaniae  populis  (les  Ibères?  cf.  p.  110,  n.  4)  et  qu'elle  appela 
Carthage,  qui  la  sauva  et  l'annexa.  Voyez,  sur  cette  question,  Movers,  Die  Phœnizier, 
t.  II,  2'  p.,  i85o,  p.  Goa;  Meltzer,  t.  I,  p.  i8o  et  i486;  et,  en  dernier  lieu,  Atenstaedl, 
De  Hecataei  Milesii  fragmentis  qaae  ad  Hispaniam  et  Galliam  pertinent,  Leipzig,  1891, 
p.  46  et  s. 


L\    TIIAI.VSSOCKATIE    PIIOCKENNE    A    PROPOS    DU    BUSTE    D  ELGHE         IO9 

des  fugitifs  se  réfugièrent  à  Marseille  ou  dans  la  Grande-Grèce  «. 
La  mer  Tyrrhénienne  fut  rendue  aux  Étrusques,  et  Carthage 
devint  ou  redevint  souveraine  dans  les  eaux  espagnoles. 

C'est  peu  après  cette  date  de  535  que  je  mettrai  la  destruc- 
tion des  comptoirs  phocéens  de  l'Espagne,  le  reflux  des  Grecs 
dans  Marseille,  désormais  isolée  en  Occident.  Un  voyageur 
a  fait,  au  début  du  siècle  suivant  %  une  tournée  de  cabotage 
sur  les  côtes  méditerranéennes,  de  Cadix  à  Marseille.  Il  les 
a  décrites  avec  une  extraordinaire  précision.  Or,  partout  où 
les  Grecs  s'étaient  arrêtés  ou  établis,  il  n'a  trouvé  'que  des 
ruines  ou  des  souvenirs.  Tout  le  rivage  est  désormais  évacué 
par  les  marchands  helléniques  3. 

Il  est  possible,  au  surplus,  que  Carthage  n'ait  pas  été  seule 
responsable  de  ces  ruines.  Elle  avait,  pour  l'aider  ou  la  rem- 
placer dans  cette  besogne,  des  indigènes  de  l'Espagne,  et  notam- 
ment les  Ibères,  qui  étaient  ceux  du  nord-ouest  de  la  péninsule 


I.  Hérodote,  I,  iG6  et  1G7. 

.■>.  Toutes  les  fois  qu'x\viénus  parle  d'un  comptoir  grec,  sauf  Marseille  (vers  704), 
il  emploie  le  passé  :  Macneace  prior[c  quae]  vocata  est  saecalo  (iay);  Heineroscopium 
quoque  habUa[la\  pridem  hic  civitas  ('170-477);  in  quis  et  oliin  prisca  Callipolis  fuit  (5i3); 
de  même  Pyréné,  quondain  clc.  (Sjg);  Arles,  Theline  vocata  sub  priore  saeculo  (ùqo). — 
Je  sais  bien  l'objection  qui  a  été  souvent  faite  :  l'emploi  du  passé  n'est  pas  l'œuvre  du 
rédacteur  primitif  du  périple,  il  vient  d'un  remanieur  postérieur,  il  peut  venir 
d'Aviénus  lui-même.  Et  cela  peut  être  vrai  dans  quelques  cas.  Je  ne  peux  me  décider 
cependant  à  généraliser  cette  règle,  et  à  ne  pas  voir  dans  ces  cas  des  exceptions  assez 
rares.  Si  Aviénus  ou  l'un  des  remanieurs  qui  l'ont  précédé  avaient  voulu  rappeler 
que  telle  ou  telle  ville  n'existaient  plus  de  leur  temps,  ils  ne  se  seraient  pas  servis  du 
présent  pour  un  si  grand  nombre  de  villes  ou  de  peuples  disparus  après  le  vi*  ou 
le  V"  siècle,  par  exemple  :  Altollit  inde  se  Sicana  civitas  (479),  cité  qui  existait,  en  effet, 
vers  5oo  (Hécatée,  fr.  i5),  et  qui  n'est  mentionnée  nulle  part  ailleurs;  lierda  du 
Sud,  prima  eorum  civitas  Ilerda  surgit  i'A~o);  urbs  Massiena  surgit  (iâi-iSa),  que  Cartha- 
gène  a  remplacée.  Pour  moi,  et  ce  que  je  dis  de  l'Espagne  est  vrai  de  la  Gaule,  le 
périple,  presque  partout,  nous  donne  l'état  des  rivages  tels  qu'ils  se  présentaient 
avant  la  colonisation  marseillaise,  après  la  ruine  de  la  colonisation  phocéenne,  dans 
celts  période  (entre  535  et  iSo)  de  trouble  et  de  désolation  où  Carthage  s'emparait 
des  eaux  occidentales,  et  où  les  Ibères  étendirent  luurs  ravages,  leurs  domaines  et 
leur  nom  au  nord  de  l'Èbre  et  au  sud  du  Jucar.  —  Cf.  aussi  sur  la  confiance  que 
mérite  Aviénus,  Marlins  Sarmento,  Ora  maritiina,  2'  édit.,  Porto,  1896,  p.  xv. 

3.  Plus  j'examine,  en  elfet,  Aviénus,  plus  je  souscris  aux  conclusions  de  MùUen- 
hoff  (I,  p.  202)  ou  de  Sieglin,  ce  dernier  plaçant  le  périple  vers  '170.  Déjà  Uckert 
avait  été  frappé  des  rapports  existant  entre  Hécatée  et  Aviénus  {Géographie,  II,  i"  p., 
1821,  p.  240).  —  Entre  autres  adversaires  du  système  de  Miillenhofr,  UngeT(Philologus, 
suppl.  IV,  i884,  p.  198)  rejette  après  4oo  la  date  du  périple,  et  voici  pourquoi  :  le 
périple  ne  connaît  que  Pyréné  comme  ville  marseillaise  sur  les  côtes  espagnoles,  et 
Marseille  possédait  là  Mainaké  et  Iléméroscopium  ;  donc  il  a  été  écrit  après  la  chute 
des  colonies  marseillaises,  c'est-à-dire  après  4oo.  —  Mais  Unger  ne  distingue  pas  entre 
la  thalassocratie  phocéenne  et  la  thalassocratie  marseillaise,  qui  se  placent  à  deux 
époques  très  différentes,  séparées  l'une  de  l'autre  par  la  revanche  de  Carthage. 


I  lO  BULLETIN    HISPANIQUE 

et  qui  habitaient  entre  le  cap  de  la  Nao  et  les  Pyrénées'. 
Ces  Ibères,  bien  différents  des  pacifiques  habitants  de  Tar- 
tessusa,  étaient  des  guerroyeurs,  brigands  de  terre  et  de  mer. 
Ils  paraissent  s'être  mis  en  branle,  entre  autres  époques,  dans 
la  seconde  moitié  du  vi"  siècle,  au  moment  même  de  la  ruine 
de  l'empire  phocéens.  Ils  ont  tracassé  plus  d'une  fois  les 
Tartessiens  et  Cadix  ^.  Ils  ont  été,  pour  beaucoup,  la  cause  de 
l'abandon  ou  de  la  destruction  des  villes  de  tout  le  rivage 
méditerranéen  de  l'Espagne^.  Ce  fut  peut-être  sous  leurs  coups 
que  disparut  l'Etat  d'Arganthonios.  Carthage,  si  elle  ne  s'est 
pas  alliée  à  eux,  a  profité  du  trouble  qu'ils  ont  jeté  entre  le 
Jucar  et  le  Guadalquivir.  Elle  a  trouvé  parmi  eux,  le  moment 
venu,  des  mercenaires.  Les  Ibères  ont  combattu  en  Sicile,  à 
la  bataille  d'Himère  (48o),  sous  les  ordres  d'un  général  cartha- 
ginois et  contre  les  Grecs  f^. 

1.  Les  plus  anciens  textes  sur  l'emplacement  des  Ibères  sont  absolument  d'accord 
pour  les  localiser  dans  cette  région;  voyez  les  fragments  d'Hécatce  (fr.  4-i8), 
Aviénus  (472,  Ix'jh,  48o),  Hérodote  (I,  iC3),  Pseudo-Scymnus  (vers  199,  d'après 
Ephore?).  —  J'avoue  hésiter  seulement  sur  un  point:  il  ne  m'est  pas  absolument 
prouvé  que  les  Ibères  se  soient  primitivement  étendus  jusqu'au  pied  même  des 
Pyrénées  (Aviénus,  55a). 

2.  Cela  a  été  très  bien  indiqué  par  Reinach,  p.  /|C-/|8  :  «Les  Tartessiens  étaient 
infiniment  plus  civilisés  et  plus  philhellènes  que  les  Ibères,  qui  l'emportaient,  en 
revanche,  par  leurs  qualités  militaires.  »  —  Quelles  différences  ethniques  et  linguis- 
tiques séparaient  ces  deux  groupes  de  populations  .^  Nous  ignorerons  probablement 
toujours  ies  premières.  Les  secondes  seront  peut-être  connues  le  jour  oii  l'on  fera 
l'étude  systématique  et  chronologique  des  noms  de  lieu.  Je  crois  que  c'est  la  langue 
des  Ibères  qui  a  fourni  les  lUberris  ou  «  ville  neuve  »,  nom  qu'on  rencontre  depuis 
Auch  jusqu'à  Grenade,  et  dont  l'extension  correspond  aux  progrès  successifs  de  la 
puissance  de  ce  peuple.  A-t-elle  aussi  fourni  les  Ilerda,  llipiila  {«  vieille  ville  »??),  etc.  ; 
c'est  fort  possible.  Mais  'EXtp-jpyY],  qui  est  très  certainement  le  nom  d'une  ville  tar- 
tessienne,  ne  peut-il  être  rapproché  de  ces  noms-là  (Hécatée,  fr.  4)? 

3.  Il  me  semble  que  le  temps  du  périple  suit  de  très  près  celui  des  incursions 
ibériques  hors  de  leur  domaine  propre,  et  que  le  document  nous  fait  assister,  en 
quelque  sorte,  à  l'extension  du  nom  d'Ibère  (vers  247-248,  463,  473-474,  552,  6i3). 

4.  Macrobe,  Saturnales,  I,  20:  Theron,  rex  Hispaniae  citerioris,  cum  ad  expugnandum 
Herculis  templiim  etc.  Il  est  bien  probable  que  celte  attaque  a  été  la  cause  directe, 
vers  le  temps  de  la  mort  d'Arganthonios,  du  recours  désespéré  de  Cadix  à  Carthage. 
Cf.,  diversement,  Movers,  II,  2,  p.  658. 

5.  Remarquez  qu' Aviénus  dit  spécialement  des  deux  villes  qu'il  appelle  ibériques, 
rilerda  du  Sud  (475)  et  Sicana  (479),  qu'elles  sont  bien  debout. 

6.  Hérodote,  VII,  i65.  Au  surplus,  il  ne  serait  pas  impossible  que,  plus  tard,  peut- 
être  passé  480,  les  Ibères  se  soient  retournés  contre  les  Carthaginois  vaincus,  et  qu'ils 
aient  de  nouveau  menacé  ou  peut-être  même  occupé  Cadix  (cf.  Athénée,  Hep'i 
[i.YD'avyiiJiâTMv,  p.  9,  Wescher;  Vitruve,  X,  i3).  On  ne  comprendra  jamais  bien  cette 
histoire  si  l'on  ne  songe  pas  à  ces  constantes  alternatives  de  thalassocraties  et  d'inva- 
sions. Il  ne  faut  pas  compter  par  siècles,  mais  par  quarts  de  siècle,  quand  on  veut 
la  reconstituer.  Et  l'auteur  des  listes  de  thalassocrates  (cf.  p.  io7,n.  2)  avait  raison 
dans  sa  manière  de  compter. 


LA  THALASSOCRATIE  PHOCEENNE  A  PROPOS  DU  BLSTE  D  ELCHE    I  I  I 

La  chute  de  la  tlialassocratie  phocéenne,  correspondant  aux 
incursions  des  Ibères,  a  donc  été  pour  l'Espagne  orientale 
une  ère  de  très  grands  désastres,  à  la  fois  matériels  et  moraux. 
De  l'alliance  entre  les  Grecs  de  Phocée  et  les  royautés 
accueillantes  de  Tartessus  aurait  pu  naître  une  culture  nou- 
velle et  originale.  Le  triomphe  de  Carthage  et  les  progrès 
des  Ibères  ont  amené,  pour  un  temps  et  sur  ce  point,  un  recul 
de  la  civilisation.  Les  choses  ne  changeront  qu'après  la 
bataille  d'Himère  (480).  —  Si  la  tête  d'Elche  est  une  œuvre 
hellénique  d'entre  5oo  et  /i5o,  elle  ne  peut  être  due  qu'à  un 
métèque  phocéen  demeuré  en  terre  barbare,  enfant  perdu  de 
rionie  vaincue.  Mais,  je  le  répète,  je  ne  veux  point  prendre 
parti  dans  les  discussions  que  le^buste  a  soulevées. 

Camille  JULLIAN. 


AR&ANTHONIOS  ET  LE  MUR  DE  PHOCÉE 


Voici,  après  avoir  lu  les  pages  qui  précèdent,  la  conjecture 
que  je  propose  relativement  à  la  date  de  la  construction  des 
murs  de  Phocée  avec  l'argent  d'Arganthonios.  Il  est  hors 
de  doute  que  l'expression  tcv  i\I?;o:v  désigne  le  grand  empire 
iranien  dont  les  Mèdes  et  les  Perses  furent  successivement 
les  maîtres.  C'est  bien  Gyrus  qui  est  mentionné  dans  le 
passage  qui  nous  occupe.  Mais  alors  nous  nous  heurtons 
aux  invraisemblances  et  aux  impossibilités  qu'ont  signalées 
tous  les  commentateurs.  Je  ne  vois  qu'un  moyen  d'en 
sortir.  Hérodote  s'est  très  souvent  servi  d'Hécatée  et  il  ne 
l'a  pas  toujours  mis  en  œuvre  avec  exactitude.  Mon  avis 
est  que  le  renseignement  sur  Arganthonios  provient  d'Hé- 
catée, et  qu'Hécatée  par  les  mots  xsv  M-^cov  désignait  le 
prince  sous  lequel  la  puissance  mède  atteignit  son  apogée, 
à  savoir  Gyaxare.  Je  rapporterai  donc  l'édification  du  rem- 
part de  Phocée  à  l'époque  de  la  guerre  entre  Gyaxare  et 
Alyatte  (591-585). 

Dans  cette  hypothèse,    tout   devient   clair.    Vers    le   début 


112  BULLETIN    HISPANIQUE 

du  VI*  siècle,  Phocée,  qu'aucun  texte  ne  nous  montre  en  lutte 
avec  les  rois  de  Sardes,  leur  était  sans  doute  unie  par  des  liens 
de  commerce  et  d'amitié,  probablement  même  par  une  de  ces 
conventions,  'cpy.'.a,  ajvOyj/.a'.,  comme  les  Mermnades  en  ont 
signé  tant  d'autres  avec  les  cités  grecques  de  la  côte.  Sur  ce|p 
entrefaites,  éclate  le  différend  entre  Alyatte  et  Gyaxare.  Les 
Mèdes  viennent  d'anéantir  Ninive.  Ils  s'annexent  toute  la 
vallée  supérieure  du  Tigre  et  pénètrent  en  Cappadoce.  Leur 
flot  menaçant  bat  la  rive  droite  de  l'Halys.  On  conçoit  que  ces 
foudroyantes  conquêtes  et,  plus  que  tout,  la  destruction  de 
l'empire  assyrien  aient  frappé  les  imaginations  grecques, 
pleines  de  la  prestigieuse  légende  de  Sémiramis.  A  peine 
remises  de  l'invasion  cimmérienne,  les  villes  d'Ionie  voient 
un  formidable  orage  s'amonceler  sur  les  Hauts  Plateaux. 
Est-ce  qu'un  appel  des  Phocéens  à  leur  ami  Arganthonios  n'a 
pas  alors  toute  sa  raison  d'être?  Est-ce  que  la  phrase  ttjOoij.svoç 
-ccv  Mï;;:v  m;  a'Jqc.To  n'a  pas  ici  toute  sa  valeur?  Est-ce  que, 
depuis  l'apparition  des  Mèdes  sur  la  frontière  lydienne  jusqu'à 
la  bataille  de  l'éclipsé  qui  met  fin  aux  hostilités  après  une 
lutte  ouverte  de  cinq  ans,  les  Phocéens  n'ont  pas  eu  toute  la 
latitude  voulue  pour  informer  Arganthonios  de  leurs  craintes, 
recueillir  ses  subsides  et  fortifier  leur  cité? 

Et  comme  la  chronologie  s'arrange!  Vers  63o,  voyage  de 
découverte  de  Colseos  de  Samos.  Entre  620  et  600,  arrivée  des 
Phocéens  à  l'embouchure  du  Guadalquivir,  relations  avec  les 
ïartessiens,  fondation  de  comptoirs.  Aux  environs  de  691, 
mission  en  Bétique,  libéralités  d'Arganthonios,  construction  du 
rempart  de  Phocée.  J'incline  à  croire  que  la  longévité  fabuleuse 
attribuée  au  roi  de  Tartesse  n'a  été  imaginée  que  pour  faire  tenir 
dans  un  même  règne  les  événements  compris  entre  l'explo- 
ration de  Colseos  et  l'édification  du  mur  phocéen  faussement 
rapportée  au  temps  de  la  conquête  de  l'Ionie  par  Harpage. 

D'ailleurs,  il  en  était  sans  doute  du  nom  d'Arganthonios  en 
Bétique  comme  du  nom  de  Syennésis  en  Cilicie  :  il  doit  avoir 
été  celui  de  tous  les  rois  de  la  dynastie  tartessienne.  Ceci  nous 
expliquerait  que  l'on  ait  fait  régner  jusqu'à  trois  cents  ans 
l'ami  des  Phocéens.  Georges  RADET. 


UNE  EXCURSION  AU  PAYS  DES  ÉPOPÉES 

(Notes  de  voyage  en   Vieille  Caslille.) 


...  Il  ne  fait  point  jour  encore  quand  nous  quittons  notre 
Jonda  de  Burgos  pour  gagner  l'auberge  d'où  part  la  voiture 
de  Soria.  Lorsque,  de  l'antique  Ccd  de  Canlarranas,  où,  selon 
la  tradition,  les  Infants  de  Lara  avaient  leur  demeure,  nous 
débouchons  sur  la  Plaza  Mayor,  j'aperçois  vaguement  l'énorme 
masse  de  la  cathédrale,  qui  se  dresse  par- dessus  les  toits. 
La  dentelle  aérienne  du  crucero  et  des  deux  flèches  ajourées 
est  toute  pailletée  d'étoiles  scintillantes  qui  s'accrochent  en 
grappes  aux  clochetons  et  aux  aiguilles.  Le  ciel  est  admira- 
blement pur  et  l'air  vif  des  hauts  plateaux  castillans  présage 
une  belle  journée.  En  passant  sous  l'Arc  de  Santa  Maria,  pour 
gagner,  sur  la  rive  gauche  de  l'Arlanzon,  le  faubourg  de  la 
Vega,  nous  saluons  les  vieux  juges  de  Castille,  Lain  Calvo, 
Nuno  Rasura,  Diego  Porcellos,  ainsi  que  le  comte-roi  Fernan 
Gonzalez  et  Rodrigo  de  Vivar,  dont  les  naïves  statues  et  les 
noms  héro'iques  protègent  l'antique  Cabeza  de  Caslilla.  Il  n'est 
que  juste  de  mettre  sous  leur  invocation  une  excursion  qui 
doit  être  pleine  de  leur  souvenir. 

Quoique  l'heure  fixée  pour  le  départ  approche,  et  que  la 
diane  éclate  dans  les  casernes  voisines,  c'est  à  peine  si  l'auberge 
paresseuse  semble  s'éveiller.  De  temps  à  autre,  cependant,  un 
tintement  de  grelots,  une  ruade  suivie  de  jurons  sonores  et  la 
brusque  apparition  d'un  falot  indiquent  que  l'on  procède  aux 
préparatifs  du  départ.  Dans  l'ombre,  que  leurs  cigarettes 
piquent  par  instants  d'un  point  rouge,  cinq  ou  six  paysans, 
enveloppés  dans  leurs  manias,  la  montera  enfoncée  jusqu'aux 
oreilles,  attendent,  avec  cette  patience  qui  est  l'une -des  vertus 
caractéristiques  des  Castillans,  et  à  laquelle  je  m'exerce.  Assis 
sur  le  parapet  de  la  rivière,  j'ai  tout  loisir  d'assister  à  la  lente 


Il4  BULLETIN    HISPANIQUE 

apparition  de  la  cité,  qui  commence  cà  et  là  à  sortir  des  ténè- 
bres. Vers  le  levant,  la  ligne  bleue  des  monts  d'Oca  s'enlève 
nettement  dans  la  lumière  grandissante  de  l'aube.  Une  lueur 
pâle  blanchit  bientôt  les  façades  des  casernes  et  du  «  Salon  », 
tandis  que,  sur  la  rive  gauche,  les  panaches  des  peupliers  de 
la  Quinla  émergent  de  la  masse  sombre  de  la  verdure.  Les  filets 
épars  de  la  rivière,  déshonorés  pendant  le  jour  par  les  lavan- 
dières, s'allument  et  luisent  comme  des  coulées  de  vif-argent, 
entre  les  graviers  où  paissent  des  brebis. 

C'est  là,  dans  ce  lit  desséché  et  pierreux,  dans  cette  «  glera  » 
de  l'Arlanzon,  que,  par  une  matinée  peut-être  semblable 
à  celle-ci,  le  Cid  Ruy  Diaz  de  Vivar,  chassé  parle  roi  Alphonse, 
et  trouvant  toute  porte  fermée  à  Burgos,  vint  dresser  sa  tente. 
«  Mon  Cid  Ruy  Diaz,  »  dit  le  vieux  poème,  ((  celui  qui  en 
bonne  heure  ceignit  l'épée,  fit  halte  dans  la  glera  quand  nul 
ne  le  voulut  recevoir  chez  lui.  Autour  de  lui  il  y  avait  une 
bonne  compagnie.  Ainsi  fit  halte  Mon  Cid,  comme  s'il  eût  été 
dans  la  montagnes.»  C'est  là  encore  que,  pour  célébrer  ses 
noces  avec  D'  Lambra  de  Bureba,  Ruy  Velâzquez  de  Lara, 
seigneur  de  Vilvestre,  fit  dresser  un  grand  château  de  bois 
(tahlado),  contre  lequel,  lance  en  main,  ses  invités  exerçaient 
leurs  forces  et  rivalisaient  de  vigueur.  «  Une  semaine  avant 
que  les  noces  ne  s'achevassent,  Roy  Blasquez  fit  construire  un 
tahlado  très  haut,  dans  la  glera,  près  de  la  rivière  3.  » 

Et  tandis  que  j'essaie  de  retrouver  dans  ma  mémoire  les 
termes  de  la  vieille  Chronique,  il  me  semble  assister  à  la  dispute 
qui  s'éleva  entre  Alvar  Sànchez,  cousin  de  la  mariée,  et 
Gonzalo  Gonzalez,  le  plus  jeune  des  sept  Infants  de  Lara, 
et  entendre  les  injures  homériques  qui  se  croisent  entre  les 
deux  bandos.  v  Et  quand  Gonçalvo  Gonçalvez  entendit  cela, 
il  en  eut  grand  chagrin  au  cœur,  et  ne  le  put  souffrir;  il 
s'élança  très  bravement  sur  lui,  et  lui  donna  un  si  fort  coup 
de  poing  sur  le  visage  qu'il  lui  rompit  les  dents  et  les  mâchoi- 
res,  de  sorte  qu'incontinent  Alvar  tomba  mort  à   terre  aux 

I.  Poema  del  Cid^  édit.  Pidal,  V.  58-Cî. 

a.  Crûnica  gênerai  de  i344j  citée  par  Meiiéiidez  Pidal  dans  la  Leyenda  de  los  Infantes 
de  Lara,  p.  a5o. 


UNE  EXCURSION  AU  PAYS  DES  EPOPEES  1  I O 

pieds  de  son  cheval...  »  Ce  fut  la  première  journée  et  comme 
le  prologue  d'une  longue  tragédie,  dont  nous  retrouverons 
le  souvenir  au  cours  de  notre  excursion. 

Les  Juges  de  Castille,  le  Cid,  les  Infants  de  Lara!...  Ces  om- 
bres épiques,  que  l'imagination  évoque  aisément  dans  l'aube 
indécise,  sont  bien  ici  chez  elles.  Mais  comme  la  brume  légère 
qui  flotte  sur  les  maigres  filets  de  la  rivière,  elles  se  dissipent 
bientôt;  la  rêverie  s'évapore  avec  la  rosée.  Voici,  déjà,  que 
le  faîte  de  la  cathédrale  s'illumine  d'une  lumière  dorée;  d'un 
bout  de  la  ville  à  l'autre,  de  Santa  Gadea  à  San  Lesmes, 
les  clochers  s'éveillent  tour  à  tour  et  mêlent  leurs  carillons. 
Tout  à  coup,  les  notes  aiguës  des  clairons  déchirent  l'air, 
et  les  petits  fantassins  en  pantalon  rouge  commencent  à  ma- 
nœuvrer sur  cette  même  glera,  où,  bouhourdis  en  main,  évo- 
luaient déjà  les  Confrères  de  Santiago  et  les  Bofordadores 
burgalais,  renommés  dans  toute  l'Espagne.  La  vie  et  la  réalité 
reprennent  possession  de  ce  coin  de  terre,  où,  cependant,  les 
morts  me  semblent  plus  vivants  que  les  vivants. 

L'heure  du  départ  est  enfin  venue.  On  s'empile  dans  la  misé- 
rable patache,  et  au  milieu  d'un  tourbillon  de  poussière, 
parmi  les  coups  de  fouet,  les  ruades,  le  bruit  de  ferrailles,  le 
frémissement  des  vitres,  les  apostrophes  assourdissantes  du 
cocher  à  «  la.  Coronela  »  ou  à  «  la  Preciosa  »,  l'attelage 
s'ébranle,  et  part  au  galop  par  la  plaza  de  la  Vega  et  la  calle  de 
Madrid.  Celte  belle  fougue  se  ralentit  au  passage  à  niveau  ;  elle 
se  calme  tout  à  fait  aux  premières  pentes  qui  enserrent  la 
vallée.  Sur  la  gauche,  voici  la  rustique  promenade  des  Pisones, 
où  le  soleil  d'automne  est  si  tiède,  et  la  route  qui  conduit  à 
San  Pedro  de  Cardena.  Cette  route,  je  la  suivais  naguère,  lors 
de  mon  premier  pèlerinage  à  la  terre  du  Cid,  et  je  tâche 
aujourd'hui  de  tromper  la  longueur  de  l'ascension,  en  évo- 
quant dans  ma  mémoire  cette  triste  et  noble  solitude  de 
Cardena,  d'où,  hélas  I  a  disparu  presque  tout  ce  qui  rappelait 
le  Campéador. 

Un  tombeau  anonyme,  sur  lequel  gît  un  chevalier  ridicu- 
lement accoutré,  est  censé  être  celui  de  Rodrigo  de  Yivar.  Mais 
ce  tombeau  est  vide.  Les  ossements  du  mcis  famoso  Caslellano, 


Il6  BULLETIN    IIIS1'A?«1QUJÎ 

ainsi  que  ceux  de  Chimène  (Rodrigue,  qui  l'eût  cru!...),  après 
des  voyages  et  des  aventures  plus  romanesques  que  celles 
chantées  par  Castro  et  Corneille,  ont  fini  par  échouer,  lamen- 
tables pièces  de  musée,  dans  une  vitrine,  au  milieu  de  la 
chapelle  de  YAyuntamiento  de  Burgos,  pour  faire,  moyennant 
quelques  réaux,  l'admiration  des  touristes  naïfs.  La  liste,  com- 
plaisamment  amplifiée,  de  ses  descendants  ou  de  ses  lieute- 
nants orne  seule  la  muraille  de  l'église,  où,  de  loin  en  loin, 
apparaissent  quelques  clients  de  Baedeker  ou  de  Murray.  Le 
vieux  cloître  abbatial  a  presque  disparu  sous  les  remaniements 
successifs  ;  quelques  arceaux  à  peine  attestent  encore  l'antiquité 
de  celte  demeure.  Quand  je  le  vis  la  dernière  fois,  ce  désert 
n'était  troublé  que  par  le  chant  nasillard  d'un  pelit  pâtre  qui 
gardait  ses  chèvres  et  par  le  vol  tournoyant  de  ramiers  qui 
s'abattaient  dans  les  lauriers.  Et,  malgré  tout,  le  souvenir  et  le 
nom  du  Campéador  emplissaient  d'autant  mieux  cette  solitude 
que  rien  n'en  venait  troubler  le  silence.  Ce  qui  en  fait  l'intérêt 
c'est  ce  qu'on  ne  voit  plus,  et  c'est  avec  le  Poème  du  Cid  en 
main,  et  non  avec  le  Baedeker,  quil  convient  de  visiter  désor- 
mais ces  lieux  augustes. 

Au  fond  de  cette  faille,  aux  pentes  verdoyantes,  qui  se 
creuse  tout  à  coup  au  milieu  du  plateau  semé  de  pierres 
bizarrement  déchiquetées,  s'élevait,  au  temps  du  Cid,  le  cou- 
vent de  la  reine  D*  Sancha,  déjà  vieux  de  plusieurs  siècles.  Il 
était  protégé  par  une  ceinture  de  forêts,  et  baigné  par  le  ruis- 
seau de  Karadigna,  sur  les  bords  duquel  était  venu  mourir  le 
fabuleux  Infant  Théodoric.  Ce  fut  en  cet  abri  sauvage  que  le 
Cid,  à  la  veille  de  son  exil,  cacha  ce  quil  avait  de  plus  précieux, 
sa  femme  Chimène  et  ses  deux  filles,  Sol  et  Elvira.  L'abbé 
D.  Sancho  devait  veiller  sur  ce  trésor.  Au  moment  de  quitter 
la  terre  de  Castille  pour  l'aventureuse  correria  à  travers  le 
pays  des  Maures,  l'exilé  voulut  revoir,  une  dernière  fois  peut- 
être,  celles  qu'il  laissait  exposées  aux  rancunes  du  roi.  Cette 
scène  des  adieux,  malgré  la  gaucherie  du  joglar  inconnu  qui  la 
rédigea,  est  encore  charmante  de  simplicité  et  de  fraîcheur; 
dans  la  rude  épopée  de  la  Reconquisfa,  elle  jette  une  note  de 
tendresse  inattendue.  Le  héros,  démesurément  exalté  depuis,  y 


UNE  EXCURSION  AU  PAYS  DES  ÉPOPÉES  I  l~ 

redevient  homme;  son  allcndiissement,  les  larmes  qui  coulent 
de  ses  yeux,  tandis  quil  lient  en  ses  bras  ses  fillettes  étonnées, 
rappellent  infailliblement  la  scène  classique  d'Hector  et  d'An- 
dromaque,  que  certes  le  trouvère  burgalais  ne  soupçonnait  pas. 
Ce  fut  au  petit  point  du  jour,  nous  dit -il,  que  le  Gid,  chevau- 
chant avec  sa  mesnie,  arriva  de  la  glera  de  TArlanzôn  à  San 
Pedro  de  Cardefia.  «  Les  coqs  chantaient  à  l'envi  et  l'aube 
voulait  poindre  quand  le  bon  Campéador  arriva: 

Apriessa  cantan  los  gallos  e  quieren  quebrar  alborcs 
Qaando  lego  a  San  Pero  el  biien  campéador.  » 

L'abbé  D.  Sancho  récitait  les  matines,  aux  premières  clartés 
du  jour.  D'^  Chimène  était  là  avec  cinq  honnêtes  duègnes  (cinco 
duenas  de  pro),  et  elle  priait  pour  «  celui  qui  naquit  en  bonne 
heure  ».  Quand  le  Gid  frappa  à  la  porte  et  se  fit  connaître, 
«  Dieu  !  quelle  joie  pour  le  père  abbé  !  »  Mais  quelle  joie  sur- 
tout, mêlée  de  larmes  toutefois,  pour  Ghimène  !  «  Devant  le 
Campéador  Doua  Ghimène  plia  les  deux  genoux.  Elle  pleurait 
de  ses  yeux,  et  voulut  lui  baiser  les  mains  :  Merci,  Campéador, 
en  bonne  heure  vous  naquistes;  par  de  méchants  intrigants 
vous  êtes  chassé  de  chez  vous.  Grâces  vous  soient  rendues, 
ô  Gid,  barbe  très  accomplie!  Nous  voici  devant  vous,  moi  et 
vos  filles  :  elles  sont  infantes  encore  et  en  bas  âge.  »  Cependant 
le  Gid  ému  passait  sa  main  sur  sa  belle  barbe  fleurie.  «  Et  ses 
filles,  il  les  prenait  dans  ses  bras,  et  il  les  serra  sur  son  cœur, 
car  il  les  aimait  fort.  Il  pleure  de  ses  yeux  et  très  fortement 
soupire  :  Ah  !  Doua  Ghimène,  ma  femme  très  accomplie, 
comme  mon  âme  même  je  vous  aime!  Et  maintenant,  vous  le 
voyez,  il  faut  nous  séparer  de  notre  vivant.  Je  m'en  irai  donc, 
et  vous,  vous  resterez  ici.  Plaise  à  Dieu  et  à  sainte  Marie  que 
je  puisse  moi-même  marier  mes  filles  !  »  Malgré  sa  peine,  le 
héros  n'oublie  rien.  Ses  recommandations  à  l'abbé  de  Cardefia 
sont  d'un  homme  avisé,  qui  sait  comme  il  faut  parler.  «  Pour 
un  marc  que  vous  dépenserez  pour  elles,  jen  donnerai,  moi, 
quatre  au  monastère.  »  Moyennant  quoi,  «  l'abbé  y  consentit  de 
bonne  grâce,  olorgado  gelo...  de  grado.  »  —  Mon  Gid  avait  pris 
d'ailleurs  ses  précautions,  sachant  déjà  que  la  guerre  ne  se  fait 

Bull,  hispan.  9 


il8  BULLETIN    HISPANIQUE 

pas  seulement  avec  du  fer.  Les  600  marcs  empruntés  aux  juifs 
Rachel  et  Vidas,  en  échange  de  «  l'or  de  sa  parole  »,  enfermé 
dans  la  trop  fameuse  malle  de  la  Sala  Capitular,  allaient 
trouver  bon  emploi.  Le  lendemain,  Martin  Antolinez,  «  Bur- 
galais  accompli,  »  lui  amène  cent  quinze  cavaliers,  «  Mon  Cid 
sourit  en  les  voyant,  et  pense  à  chevaucher.  »  Aussi,  le  lende- 
main matin,  après  la  messe  solennelle,  la  petite  troupe 
s'éloigne,  gonfanons  au  vent,  «  Le  Cid  va  embrasser  Dona 
Chimène,  Doîia  Chimène  va  baiser  la  main  du  Cid,  en  pleu- 
rant de  ses  yeux  et  ne  sachant  que  devenir  ;  et  lui  se  remettait 
à  regarder  ses  filles,,.  C'est  ainsi  qu'ils  se  séparent  l'un  de 
l'autre,  comme  l'ongle  de  la  chair. 

Asis'  parten  unos  dotros  commo  la  una  de  la  carne.  » 

Laissons  le  bon  Campéador,  par  ces  mêmes  halliers  que 
nous  traversons,  «  aller  son  chemin,  »  passer  les  sierras  de 
Covarrubias  et  de  Miedes  du  Guadarrama,  franchir  successi- 
vement l'Arlanza,  le  Duero,  pour  tomber  enfin  dans  la  vallée 
du  Henares  surCastcjôn,  Guadalajara  et  Alcala,  Nous  n'avons 
pas  à  le  suivre  au  delà  de  ce  cœur  ou  rinon  de  Castille,  dont 
il  n'avait  plus  que  trois  jours  pour  sortir... 

Nous  voici  cependant  au  sommet  de  la  côte.  Nous  la 
redescendons  bientôt  au  galop,  malgré  des  tournants  inquié- 
tants, encombrés  de  chariots  en  détresse,  qui  n'avancent 
qu'à  grand  renfort  d'attelages  de  bœufs.  Au  fond,  le  joli 
village  de  Sarracîn,  avec  des  bouquets  d'arbres  et  des  eaux  cou- 
rantes. Nous  quittons  la  route  de  Madrid  pour  suivre  quelque 
temps  les  bords  de  l'Ausines,  A  quelques  centaines  de  mètres 
de  là,  au  bord  de  la  route,  s'élève  une  charmante  maison  ou 
casasolar  de  la  Renaissance,  à  moitié  ruinée.  Elle  est  habitée 
en  partie  par  des  paysans  et  par  des  abeilles,  dont  les  ruches 
sont  installées  sur  les  élégants  balcons.  C'est  le  palacio  de 
Saldanuela,  plus  connu  dans  le  pays  sous  une  dénomination 
grossièrement  expressive,  où  l'on  veut  voir  une  vague  allusion 
aux  fantaisies  de  la  princesse  d'Eboli  ou  d'une  noble  dame 
de  Saldanuela.  Quoi  qu'il  en  soit,  la  Renaissance^  qui  a  laissé 
tant  de  chefs-d'œuvre  dans  la  région  burgalaise,  en  oflre  peu 


UNE  EXCURSION  AU  PAYS  DES  ÉPOPÉES  II9 

de  plus  intéressants  que  celui-ci,  avec  sa  noble  façade,  son 
paiio  égayé  d'une  gracieuse  fontaine,  encore  debout,  et  ses 
larges  escaliers.  Si  le  caprice  de  quelque  opulent  amateur  ne 
s'en  mêle,  cette  demeure  innommable  et  qui  n'a  pas  d'histoire  ' 
ne  tardera  pas  à  disparaître,  comme  tant  d'autres,  pour  rentrer 
dans  l'oubli  définitif. 

Le.  chemin,  de  plus  en  plus  médiocre,  monte  peu  à  peu; 
la  vue  s'élargit;  le  monte  ou  hallier,  riche  en  lapins  et  en  per- 
drix, remplace  les  champs;  les  lignes  harmonieuses  de  la 
sierra  de  la  Demanda,  à  gauche,  et  les  crêtes  de  Mamblas, 
à  droite,  commencent  à  se  dérouler.  Vers  le  midi,  quelques 
échappées  laissent  encore  apercevoir  le  vaste  horizon  bleuâtre 
de  r  «  ancha  Casiilla  ».  Dans  un  vallon  sauvage,  qui  s'ouvre  sur 
notre  droite,  voici  les  carrières  d'Hontoria.  On  aperçoit  les 
flancs  écorchés  des  ravins,  au  fond  desquels  s'accumulent 
les  éclats  et  les  débris  éboulés.  C'est  de  là  qu'est  sortie,  pierre 
par  pierre,  toute  la  cathédrale  de  Burgos.  Pendant  des  siècles 
et  des  siècles,  les  chars  à  bœufs,  aux  roues  grinçantes,  ont  par- 
couru ces  sentiers  raboteux,  chargés  de  ces  blocs  éclatant*  et 
tendres  que  l'air  durcit  et  que  dore  le  soleil.  Aujourd'hui 
encore,  pour  restaurer  le  beau  claiistro  hajo,  honteusement 
abandonné  naguère,  c'est  à  Hontoria  que  l'on  revient  puiser. 

Un  peu  plus  loin,  vers  Gubillo  del  Campo,  un  chemin 
se  détache  de  la  route  à  gauche,  et  conduit,  à  travers  les  landes, 
à  l'église  de  San  Quirce,  ou  Saint-Cyr.  S'il  faut  en  croire  la  tra- 
dition, l'abbaye  de  ce  nom  fut  fondée  au  x°  siècle  par  le  grand 
Comte  Souverain,  Fernân  Gonzalez,  dont  le  souvenir,  il  est 
vrai,  est  partout  dans  cette  région.  Ainsi  l'assure  du  moins 
un  méchant  buste  illustré  dune  inscription  prétentieuse.  La 
chapelle  actuelle,  de  style  roman,  est  des  plus  modestes  :  elle 
réserve  toutefois  aux  archéologues  de  très  intéressants  sujets 
d'étude.  Commencée  au  milieu  du  xi'  siècle,  après  la  bataille 
d'Atapuerca  (io54),  elle  fut  terminée  et  consacrée  en  ii/jy. 
Quelques  chapiteaux,  très  curieusement  historiés,  et,  surtout, 
l'originale  coupole  en  média  naranja  apportent  des  renseigne- 

I.  Voyez  cependant  Ilustraciôn  esp.  y  americ,  3o  sept.  1899,  et  Boletln  de  la  Sociedad 
de  Excurs.,  1"  déc.  1899. 


I30  BULLETIN    HISPANIQUE 

ments  précieux  à  l'histoire  de  l'art  roman  en  Gastille.  D.Yicente 
Lampérez  en  a  su  déjà  tirer  bon  parti  '. 

La  route,  qui  a  dépassé  la  cote  de  mille  mètres,  redescend 
maintenant  en  pente  douce  par  Cuevas,  Mazariego  et  Ortigûela, 
pauvres  villages  aux  maisons  grises  et  poussiéreuses,  écrasées 
par  de  monumentales  cheminées  coniques,  semblables  à  d'énor- 
mes verrues.  A  l'intérieur,  le  vaste  entonnoir  goudronné  de  ces 
cheminées  abrite  toute  la  famille,  assise  en  rond  autour  du 
foyer,  et  l'enfume  consciencieusement.  Peu  à  peu,  la  vallée 
déploie  plus  largement  à  nos  regards  son  immense  tapis, 
tacheté  des  îlots  sombres  des  bois  et  des  touches  blanchâtres 
des  villages.  Les  sierras  de  la  Demanda,  de  Neila,  de  la  Umbria 
ou  de  Quintanar  lui  forment  une  ceinture  pittoresque  de 
rochers  et  de  pinares,  tandis  que  sur  la  droite,  l'Arlanza,  en- 
richi de  tous  les  torrents  du  bassin,  ronge  le  pied  des  escar- 
pements à  pic  du  Gayubar,  oii  genévriers  et  chênes  semblent 
monter  à  l'assaut.  Plus  près  de  nous,  les  mamelons  de  Mam- 
blas  (mammalas) ,  dont  le  nom  scandalisait  le  bon  Berceoa,  s'en- 
tr'ouvrent  en  face  de  l'éperon  du  Gayubar  pour  livrer  passage 
à  l'Arlanza,  qui  court  vers  Govarrubias.  Cet  ample  plateau 
montagneux,  si  plein  de  lumière  en  ce  moment,  c'est  Yalfoz 
ou  Terre  de  Lara,  témoin  de  tant  de  luttes,  arrosé  de  tant 
de  sang.  Voici,  à  l'entrée,  fièrement  campée  sur  un  rocher  qui 
domine  le  pays  à  la  ronde,  la  Torre  de  Lara,  dont  le  Consejo 
de  Burgos  nomma  longtemps  Valcaïde,  puis  le  Picôn  ou  Pena 
de  Lara,  au  pied  duquel  s'abrite  l'antique  village  qui  conserve, 
aux  dépens  de  Salas,  le  nom  légendaire  des  sept  Infants.  Plus 
loin,  pointent  les  clochers  de  Cascajares,  de  Jaramillo  Que- 
mado,  de  Barbadillo  del  Mercado;  celui  de  Salas,  chef-lieu 
actuel  du  district,  se  cache  derrière  un  pli  de  terrain.  La  vue 
de  cette  haute  vallée,  même  sans  les  souvenirs  qui  la  rendent 
illustre,  dédommage,  par  sa  beauté  tranquille,  des  incommo- 
dités du  voyage.  Nous  dépassons  bientôt  Cascajares,  où  Fer 
nân  Gonzalez,  avec  une  poignée  de  braves,  remporta  sur  des 

I.  Voyez  :  La  Abadia  de  S.  Quirce,  Ilustraciôn  esp.  y  amer.,  3o  sept.  1899. 
a.  Non  quissenios  la  villa  en  escripto  meter, 

Ca  no  es  nomneciello  de  mai  buen  parecer. 

{Vida  de  Santo  Domingo,  6i3.) 


LiNE    EXCURSION    Al     l'AYS    DBS    ÉPOPÉES  13  1 

milliers  de  Maures  une  victoire  dont  le  souvenir  s'est  conservé 
dans  la  redoncUlla  populaire  : 

La  rota  de  Cascajares 

Es  argumento  évidente 

Que  vale  mds  poca  gente 

Con  Dios,  que,  sin  Bios,  mil  tares. 

A  Barbadillo,  nous  quittons,  sans  essayer  de  déguiser  notre 
satisfaction,  le  coche  de  Soria,  qui,  depuis  six  heures,  nous 
secoue  sans  pitié. 

Lara,  Cascajares,  Barbadillo,  Salas  de  los  Infantes...,  nous 
voici  de  nouveau  en  pleine  épopée.  Dans  cet  amphithéâtre  de 
montagnes  se  déroulèrent  en  effet  presque  toutes  les  scènes  de 
la  tragique  histoire  des  sept  Infants  de  Lara,  qui,  depuis 
l'aurore  des  lettres  espagnoles  jusqu'à  nos  jours,  inspira  tant 
de  poèmes,  de  romances,  de  drames,  de  nouvelles,  et  que,  hier 
encore,  nous  entendions  chanter  par  un  aveugle  dans  les  rues 
de  Burgos.  Commencée  sur  la  glera  de  l'Arlanzon,  elle  se  con- 
tinue et  s'achève  ici,  après  nous  avoir  entraînés  un  moment 
jusqu'à  Cordoue.  C'est  à  Barbadillo  même, 

En  Barbadillo,  en  esa  mi  heredad, 

que  Ruy  Yelâzquez  le  traître  et  D^  Lambra  avaient  leur  châ- 
teau; ici  cette  dernière  vint  se  réfugier,  après  l'affront  reçu  des 
Infants  aux  fêtes  de  Burgos,  pour  ruminer  et  exécuter  sa  ven- 
geance. Du  château,  il  ne  reste  plus  trace,  bien  entendu,  mais 
on  peut  se  figurer,  en  examinant  les  lieux  et  en  relisant  la 
chronique,  l'endroit  où  il  devait  s'élever '.  Le  village  occupe, 
sur  la  rive  droite  de  lArlanza,  une  terrasse  qui  s'abaisse  en 
pente  douce  vers  le  sud -est,  où  elle  forme  une  pointe  ou 
espolôn,  qui  se  rapproche  sensiblement  de  la  rivière.  De  cet 
endroit  on  domine  un  petit  pont  pittoresque  dune  douzaine 
d'arches,  et  le  gué,  où  passent  d'ordinaire  cavaliers  et  trou- 
peaux. L'autre  angle  de  ce  plateau  est  tourné  vers  le  couchant, 
et  surplombe  la  rive  verdoyante  du  rio  Pedroso,  qui,  à  peu  de 

I.  Voyez,  sur  toute  cette  légende,  le  livre,  si  admirablement  informé,  de 
M.  Ramôn  Menéndez  Pidal,  La  Leyenda  de  los  Infantes  de  Lara.  C'est  aussi  le  meilleur 
guide   dans   ce  pays. 


122  BULLE ro    HISPANIQUE 

distance,  se  jelle  dans  l'Arlanza.  C'est  en  ce  dernier  point 
qu'une  tradition  locale  place  le  palais  de  Velâzquez;  une  rue 
porterait  encore,  dit -on,  le  nom  de  Calle  de  D"  Alambra,  mais 
je  l'ai,  pour  ma  part,  vainement  cherchée,  et  d'ailleurs  le 
fameux  cuho  ou  bastion  de  Burgos,  du  haut  duquel  cette  même 
Alambra  se  serait  précipitée,  —  plus  de  deux  cents  ans  avant 
que  ce  bastion  ait  été  construit,  —  nous  fixe  sur  la  valeur  des 
traditions  populaires.  Gomme  «  les  ruines  elles-mêmes  ont 
disparu  »  et  que,  les  documents  faisant  défaut,  chacun  est  libre 
de  laisser  courir  son  imagination  à  sa  guise,  c'est  plutôt  sur  la 
pointe  ou  angle  de  l'est,  entre  la  rive  et  le  chemin  creux  du 
pont,  que  j'aime  à  me  figurer  le  manoir  de  Ruy  Velâzquez, 
séparé  de  la  rivière  par  la  hiierta  en  pente  et  commandant  le  gué. 
Et  précisément,  tandis  qu'assis  en  cet  endroit  je  reconstitue 
par  la  .pensée  la  scène  naïvement  narrée  par  le  chroniqueur, 
des  gamins  prennent  leurs  ébats  sous  nos  yeux  dans  les  eaux 
attiédies  par  la  chaleur  orageuse  du  jour.  Ce  tableau  rustique 
et  l'inconsciente  impudeur  des  pilhielos  me  remettent  aussitôt 
en  mémoire  le  récit  de  la  chronique,  sous  lequel  on  devine 
l'écho  de  quelque  Cantar  de  Gesta  perdu.  Il  jette  en  tout  cas  un 
jour  curieux  sur  les  mœurs  du  temps.  —  «  Lorsque  les  sept 
Infants  furent  dans  la  huerta,  Gonzalo  Gonzalez  ôta  tous  ses 
vêtements,  ne  gardant  que  son  linge  de  dessous  (los  pa/los 
metiorea),  et  ce  à  cause  de  la  grande  chaleur  qu'il  faisait.  Il 
croyait  que  les  Dames  ne  le  voyaient  point,  parce  qu'il  en  était 
loin,  mais  il  se  trompait,  car  Dona  Lambra  et  ses  duègnes 
l'apercevaient  fort  bien.  Il  prit  son  autour  sur  le  poing,  et  alla 
le  baigner.  Et  quand  Dona  Lambra  le  vit  tout  nu,  elle  en  prit 
grande  colère,  et  elle  dit  à  ses  duègnes  :  «  Mes  amies,  ne  voyez- 
))  vous  pas  comme  Gonzalo  Gonzalez  s'est  mis  en  vêtements  de 
»  lin?  Je  crois  qu'il  ne  le  fait  que  pour  que  nous  nous  enamou- 
))  rions  de  lui.  Par  ma  foi,  je  vous  le  dis,  j'aurai  grand  chagrin 
>)  s'il  échappe  à  la  juste  punition  qu'il  mérite.  »  Et  ayant  ainsi 
parlé,  elle  fit  appeler  un  de  ses  hommes,  et  lui  dit:  «Va, 
»  prends  un  concombre,  remplis -le  de  sang;  cours  à  la  huerta 
))  oii  sont  les  sept  Infants,  et  lance-le  sur  la  poitrine  de  Gonzalo 
»  Gonzalez  (celui-là  que  tu  vois  avec  l'autour  sur  le  poing)  ;  puis 


UNE  EXCURSION  AU  PAYS  DES  ÉPOPÉES  I  aS 

»  reviens  vers  moi  aussi  vite  que  tu  pourras.  Ne  crains  rien, 
))  car  je  te  protégerai.  »  — Il  est  fait  comme  ordonne  Lambra.  Les 
Infants  d'abord  prennent  la  chose  à  plaisanterie,  mais  Gonzalo 
et  Diago  montrent  à  leurs  frères  la  gravité  de  Tinsulte.  —  «  Alors 
tous  saisissent  leurs  épées  et  se  dirigent  vers  le  palais. 
L'homme,  en  les  voyant  venir,  s'enfuit  vers  Doua  Lambra,  qui 
le  couvre  de  son  manteau.  Les  Infants  dirent  alors:  «Cet 
»  homme  nous  a  insultés,  et  nous  voulons  le  punir.  »  Elle  leur 
répondit  qu'ils  n'en  avaient  point  le  droit,  car  cet  homme  était 
à  elle;  que  s'il  avait  commis  quelque  faute,  elle  le  ferait  punir 
elle-même.  Alors  ils  le  saisirent  sous  ses  yeux,  et  lui  donnèrent 
un  tel  coup  de  poing,  qu'il  éclaboussa  de  sang  les  vêtements 
de  Dona  Lambra.  Puis  ils  l'entraînèrent  hors  du  palais  où  elle 
était,  et  lui  donnèrent  tant  de  coups  d'épée  qu'ils  le  tuèrent.  » 
Sur  ce,  ils  montèrent  à  cheval  et  s'en  allèrent  à  Salas,  leur 
domaine,  emmenant  avec  eux  Dona  Sancha,  leur  mère. 

On  connaît  la  suite  de  cette  lugubre  histoire,  le  guet-apens 
tendu  aux  Infants  par  leur  oncle  Ruy  Velâzquez,  de  complicité 
avec  les  Maures,  le  massacre  d'Almenar,  la  mission  de  Gonzalo 
Gustios,  père  des  Infants,  à  Cordoue,  et  sa  captivité  dans  le 
palais  d'Almanzor,  oii  on  lui  présente  les  têtes  sanglantes,  ses 
amours  avec  la  princesse  mauresque  Zenla,  la  naissance  de 
Mudarra,  enfin  l'arrivée  de  ce  dernier  en  Gastille,  où  il  retrouve 
son  père,  aveugle  et  pauvre,  et  le  venge,  en  tuant  Yelàzquez  et 
Lambra. 

C'est  dans  ce  bourg  de  Salas,  que  l'on  aperçoit  de  la  colline 
opposée  à  Barbadillo,  que  la  légende  place  la  scène  de  la  recon- 
naissance entre  le  bâtard  maure  et  son  père.  —  «  Et  D.  Mudarra 
Gonzalez  alla  à  la  porte  du  palais  et  demanda  où  étaient  D.  Gon- 
zalo Gustios  et  D^  Sancha,  et  il  baisa  la  main  à  Gonzalo  d'abord, 
puis  à  Sancha.  Il  ôta  son  manteau  et  s'assit  à  leurs  pieds,  et 
D*  Sancha  le  prit  par  la  main,  voulant  le  faire  asseoir  près 
d'elle,  mais  il  dit:  «Grand  merci.  Madame,  je  ne  m'assiérai 
»  point  à  vos  côtés,  car  je  ne  suis  pas  encore  chevalier.  »  Et 
D*  Sancha  le  regardait  tant  qu'elle  pouvait,  car  elle  le  trouvait 
très  ressemblant  à  son  fils  Gonzalo  Gonzalez...  »  —  Toute  cette 
scène,  en  sa  simplicité  un  peu  fruste,  est  plus  belle,  à  mon 


la/i  BULLETIN    HISPANIQUE 

sens,  que  la  plupart  des  paraphrases  qu'elle  a  inspirées  depuis. 
Elle  ne  le  cède  en  beauté  tragique  qu'à  celle  où  le  malheureux 
père,  emprisonné,  reconnaît,  prend  en  ses  mains  et  apostrophe 
chacune  des  sept  têtes  des  Infants,  Malgré  l'adoucissement 
relatif  des  mœurs  et  les  atténuations  qu'ont  pu  y  apporter  les 
remaniements  successifs,  la  barbarie  des  époques  primitives 
apparaît  encore  dans  le  récit  de  la  mort  du  traître,  telle  que  la 
raconte  la  chronique,  comme  elle  apparaît —  et  j'ose  faire  cette 
comparaison  —  dans  les  Choéphores  d'Eschyle,  cet  autre 
drame  de  la  vengeance  et  de  la  justice.  Ruy  Velâzquez,  traqué 
par  Mudarra  comme  une  bête  fauve,  est  enfin  atteint  et  vaincu: 
il  gît  à  terre,  le  corps  traversé  par  la  lance.  —  «  Alors  Gonzalo 
Gustios  vient  en  toute  hâte  :  Mon  fils,  je  t'en  prie,  ne  le  tue  pas, 
mais  conduis -le  à  ta  mère,  DoFia  Sancha,  qui  a  rêvé  qu'elle 
buvait  son  sang,  afin  que  le  songe  s'accomplisse!...  —  Alors 
dit  Don  Mudarra:  A  Salas  il  n'entrera  pas,  mais  qu'on  le  porte 
à  Vilvestre,  sa  maison,  et  là,  on  lui  fera  justice.  »  —  On  le 
met  donc  sur  une  bête  de  somme,  el  on  arrive  ainsi  à  Vilvestre, 
tout  au  fond  de  la  vallée,  parmi  les  forêts  de  pins,  entre  Pala- 
cios  de  la  Sierra  et  Canicosa.  —  «  Et  Don  Mudarra  Gonzalez 
envoya  chercher  à  Salas  sa  mère,  Dona  Sancha,  afin  qu'elle 
assistât  à  ces  noces.  Dès  qu'elle  fut  avisée,  elle  arriva  en  grande 
hâte  et  avec  grande  joie.  Lorsque  Don  Mudarra  et  Don  Gonzalo 
Gustios  apprirent  qu'elle  était  tout  près,  ils  sortirent  pour  la 
recevoir,  en  brandissant  leurs  bouhourdis  et  leurs  lances,  et  en 
faisant  grandes  démonstrations  d'allégresse.  Aussitôt  qu'il  ren- 
contra Dona  Sancha,  Don  Mudarra  lui  baisa  la  main,  puis  ils 
se  dirigèrent  ensemble  vers  le  palais,  où  ils  mirent  pied  à 
terre.  Alors  Don  Mudarra  dit  à  Dona  Sancha  :  Madame,  voici 
le  traître;  faites  le  justicier  comme  bon  vous  plaît.  —  Le  traître 
ferma  les  yeux  et  ne  voulut  pas  la  voir.  Dona  Sancha  tourna 
les  yeux  vers  l'endroit  où  il  gisait;  elle  vit  courir  du  sang,  et 
dit:  Loué  soit  Dieu!  Grâces  lui  soient  rendues  pour  la  faveur 
qu'il  m'octroie,  car  maintenant  sera  accompli  le  songe  où  je 
buvais  le  sang  de  ce  traître  !  —  Alors  elle  s'agenouilla  à  ses 
côtés  pour  boire  de  son  sang,  mais  Don  Mudarra  Gonzalez 
l'arrêta  par  le  bras,  la  fit  lever  et  dit  :  Madame  ma  mère,  à 


UXE    EXCURSION    VU    P.VYS    DES    ÉPOPÉES  ia5 

Dieu  ne  plaise  que  le  sang  d'un  traître  entre  en  un  corps 
aussi  loyal  et  aussi  gentil  que  le  vôtre  !  Vous  le  tenez  en  vos 
mains:  faites-le  justicier.  » 

Sur  ce,  chacun  des  assistants  propose  un  supplice  raffiné, 
mais  Doua  Sancha  tient  à  rester  seule  «  juge  de  cette  cause, 
alcalle  desle  fecho  ».  Elle  fait  donc  suspendre  le  malheureux  par 
les  hras  et  les  pieds  à  deux  poutres  dressées  au  milieu  d'un 
champ,  et  tous  les  parents  de  ceux  qui  étaient  morts  à  Alme- 
nar  avec  les  Infants  s'escriment  à  le  déchiqueter  à  coups  de 
llèches  ou  de  lances,  jusqu'à  ce  que  les  lambeaux  du  corps 
tombent  à  terre.  On  les  enfouit  sous  «  plus  de  dix  charretées 
de  pierres  »,  et  «  encore  maintenant,  dit  le  chroniqueur,  tous 
ceux  qui  passent  par  là,  au  lieu  de  réciter  un  Paler  noster, 
lancent  une  pierre  au  monceau  en  disant  :  Que  le  Diable  ait 
son  âme  !  Amen.  » 

Aujourd'hui,  le  voyageur,  égaré  dans  les  pinèdes  de  Vilvestre, 
y  chercherait  vainement  le  monceau  sous  lequel  gisent  les 
ossements  du  traître.  Mais  tout  le  pays,  de  Torre  Lara  au  val 
d'Arabiana  et  de  Barbadillo  à  la  Laguna  Negra,  connaît  l'an- 
tique légende,  laquelle,  chemin  faisant,  s'est  développée, 
déformée,  enrichie  de  détails  nouveaux  et  bizarres.  Pendant 
qu'un  obligeant  ami  nous  cherche  un  guide  et  des  chevaux 
pour  Santo  Domingo  de  Silos,  nous  causons  sur  la  place 
avec  quelques  Alamhrados  :  c'est  ainsi  que  les  loustics  des 
environs,  qui  ne  dédaignent  pas  les  à-peu -près,  désignent 
les  compatriotes  de  Dona  Alambra  (a/«m6rados  =  éméchés). 
L'un  d'eux  nous  raconte  la  légende  de  la  Laguna  Negra, 
perchée  là-haut,  au  sommet  du  pic  le  plus  élevé  de  la  Sierra, 
et  dans  les  eaux  sans  fond  de  laquelle  la  mégère  se  serait  pré- 
cipitée. Un  autre  nous  indique,  au  milieu  de  la  paroi  à  pic  du 
Gayubar,  une  touffe  de  verdure  accrochée  à  une  saillie  du  roc  : 
c'est  la  Huerta  de  la  Mora,  et  cette  mauresque,  cette  mécréante, 
c'est  toujours  Dona  Lambra.  Ne  dit-elle  pas,  en  effet,  dans  un 
vieux  romance  : 

Si  de  esto  no  me  vengais, 
Yo  mora  me  iré  â  tornar? 

Mais  c'est  surtout  à  Salas,  dont  les  Infants  portent  toujours 


136  BULLKTI>    HISPANIQUE 

le  nom  dans  les  plus  anciens  documents,  que  la  légende,  éparse 
ailleurs,  s'est  localisée.  On  n'y  voit  plus  le  château  primitif 
aux  sept  salles  symboliques  (salas),  ni  même  celui  que  Mudarra 
le  Vengeur  avait  fait  reconstruire  et  dont  Sandoval,  en  i6i4, 
décrivait  de  bonne  foi  «les  murs  épais  en  grosses  pierres  de 
taille,  et  les  tours  percées  de  meurtrières  à  la  mode  antique  ». 
Mais  l'église  actuelle  prétend  conserver  les  huit  têtes  des  Infants 
et  de  leur  précepteur,  Nuno  Salido,  l'excellent  augure,  «  el  que 
bien  cato  las  aves.  »  Déjà,  dans  la  vieille  chapelle,  où,  tout 
musulman  qu'il  était,  il  entra  «  pour  faire  ses  prières  )>,  Mudarra 
avait  pu  les  voir,  suspendues  comme  ces  chapelets  de  têtes 
grimaçantes  qui  ornent  si  bizarrement  la  voussure  du  portail 
intérieur  et  les  corniches  de  S'"  Maria  de  Burgos.  Et  cette  vue 
lui  avait  arraché  des  larmes,  e  parose  sobre  ellas  llorando.  Nous 
ne  les  avons  pas  vues,  mais  comment  notre  scepticisme  résis- 
terait-il aux  deux  procès-verbaux  que  les  magistrats  de  Salas 
firent  dresser  et  authentiquer  par-devant  notaires,  en  1679  et 
en  i846,  et  desquels  il  appert  que  les  crânes  et  les  cendres, 
enveloppés  dans  une  étoffe  qui  tombait  en  poussière,  sont 
conservés  dans  une  niche  murée?  Pauvres  têtes,  fauchées  aux 
champs  d'Arabiana,  portées  livides  à  l'émir  Almanzor  et  baisées 
par  le  vieillard  captif,  pas  plus  que  les  ossements  de  Rodrigue 
et  de  Chimène,  elles  ne  devaient  trouver  le  repos  dans  la  mort. 
San  Millân,  Arlanza,  Salas,  sans  parler  de  Gordoue,  se  les 
disputent  depuis  des  siècles;  plus  heureuses  du  moins  que  ces 
débris  héroïques,  elles  ont  échappé  au  pilori  postume  et  à  la 
curiosité  indécente  des  touristes. 

Cependant  les  chevaux  sont  prêts.  Notre  guide  nous  presse, 
car  des  nuages  menaçants  se  montrent  vers  le  sud-ouest.  Nous 
franchissons  à  gué  l'Arlanza  et  commençons  à  contourner  les 
dernières  pentes  orientales  du  Gayubar,  pour  prendre  ensuite 
à  droite,  et  suivre  le  sentier  qui  conduit  à  l'abbaye  de  Silos. 
Avant  de  nous  enfoncer  dans  le  vallon  de  Contreras,  nous 
jetons  un  dernier  coup  d'œil  sur  le  pittoresque  cirque  du  haut 
Arlanza,  la  Campina,  qu'encadre  admirablement  la  barrière 
des  sierras.  Le  chemin  capricieux  se  perd  à  chaque  instant 
entre  les  buissons  où  dominent  les  genévriers.  Le  sol  est  entiè- 


UNE    EXC0RSlO>'    AU    l'ATS    DES    EPOPEES  127 

rement  tapissé  de  lavandes,  qui  couvrent  toutes  les  pentes  de 
leur  manteau  violet  pùle,  nuancé  par  endroits  de  la  pourpre  des 
bruyères.  Des  vols  de  perdrix  filent  de  sous  les  touffes  d'estepa 
ou  ciste  odorant,  tandis  que  les  vautours  mêlent  infatigablement 
leurs  cercles  tranquilles  au-dessus  des  crêtes.  Quelques  pâtres, 
coiffés  de  la  montera,  vêtus  des  zajones,  sorte  de  tablier  de  cuir 
recouvrant  les  cuisses,  paraissent  les  seuls  habitants  humains 
de  ces  solitudes  alpestres.  Bientôt,  à  un  détour  du  chemin,  la 
masse  superbe  du  Penôii  de  Carazo  se  dresse  en  face  de  nous, 
comme  pour  nous  barrer  le  passage.  Sur  ses  pentes  basses, 
d'innombrables  troupeaux  de  moutons  et  de  chèvres  s'agitent 
et  font  des  taches  blanches,  qui  se  déplacent  lentement.  Plus 
haut,  l'immense  mesela,  où  commencent  à  courir  des  nuages 
lourds,  couronnent  ces  assises  gigantesques.  Le  plateau  est 
bordé  dans  toute  sa  longueur  d'une  muraille  de  roches  lisses 
et  à  pic  qui  lui  donne  l'apparence  d'une  forteresse.  Des  ravins, 
profondément  creusés,  l'entourent  et  le  défendent.  Placé  au 
centre  du  massif  épais  d'où  l'on  peut  descendre  rapidement 
dans  les  vallées  de  l'Èbre,  de  l'Arlanzon  ou  du  Duero,  Carazo 
a  été,  en  effet,  pendant  longtemps  une  forteresse  naturelle  où 
les  Musulmans  se  maintinrent  obstinément,  et  l'un  de  leurs 
plus  sûrs  boulevards  contre  la  Castille  voisine.  Quelques  restes 
de  tours,  déjà  mentionnées  au  xni°  siècle  et  encore  habitées  au 
xv%  quelques  pans  de  murs,  visités  par  les  aigles  et  les  bergers, 
attestent  seuls  maintenant,  sur  le  vaste  plateau  aérien,  les 
luttes  épiques  qui  ensanglantèrent  ces  âpres  défilés.  Le  grand 
comte  de  Castille  en  délogea  le  premier  les  Maures  : 

A  Carazo  fue  cercar, 
Una  syerra  muy  alla  e  muy  firme  castellar. 

C'est  par  le  siège  de  Carazo  que  l'antique  poème  de  Fernân 
Gonzalez,  dont  nous  avons  un  remaniement,  commence  le 
récit  de  ses  exploits  '.  Un  siècle  plus  tard,  au  temps  du  Cid  et 
d'Alphonse  VI,  le  comte  Gonzalvo  Salvadores  commandait  les 


I.  Poema  de  Fernân  Gonzalez,  au  tome  LVII  de  la  Biblioteca  de  Autores  espaholes,  de 
Rivadenevra. 


128  BULLETIN    HISPANIQUE 

Torres  de  Carazo,  qui  conservèrent  leurs  alcaïdes,  ou  gouver- 
neurs, au  moins  jusqu'au  xv^  siècle'. 

Au  hameau  de  Contreras,  nous  tournons  à  gauche  et  com- 
mençons à  gravir  un  ravin  sur  le  flanc  droit  duquel  s'élève  le 
sentier.  Bientôt,  toute  trace  de  culture  disparaît,  les  buissons 
deviennent  plus  serrés,  les  pins  se  mêlent  aux  genévriers,  des 
lignes  d'arêtes  rocheuses  percent  le  sol.  Gomme  la  nuit  s'avan- 
çait en  même  temps  que  l'orage,  nous  nous  engageâmes,  espé- 
rant raccourcir,  dans  un  chemin  de  chèvres  qui  ne  tarda  pas 
à  se  changer  en  véritable  escalier.  Lorsqu'après  maints  tâton- 
nements nous  arrivâmes  au  col,  l'obscurité  était  complète  et 
l'orage  prévu  éclatait  avec  violence.  Les  éclairs,  qui  s'allu- 
maient incessamment  autour  de  nous,  suffisaient  sans  doute  à 
notre  petit  guide  pour  retrouver  le  chemin  au  milieu  du 
fouillis  entrevu  des  rochers  et  des  pins,  oij  nous  laissions  avec 
résignation  nos  montures  se  diriger  comme  bon  leur  semblait. 
Au  bout  d'une  bonne  heure  de  descente  au  milieu  d'un  véri- 
table feu  d'artifice  et  du  fracas  répercuté  par  les  penas  environ- 
nantes, nous  distinguâmes  enfin  une  petite  lumière  au-dessous 
de  nous.  C'était  Silos.  Peu  après,  nous  mettions  pied  à  terre 
dans  la  cour  de  l'abbaye  et  prenions  place  à  la  table  hospita- 
lière et  frugale  des  moines  Bénédictins. 

Les  quelques  jours  passés  à  Silos  devaient  nous  laisser 
d'aimables  souvenirs.  Cette  solitude,  perdue  au  fond  des  monts 
de  Burgos,  est  un  admirable  séjour  pour  l'artiste  ou  l'érudit, 
et  aussi  un  centre  encore  tout  neuf  autour  duquel  touristes 
et  alpinistes  peuvent  varier  leurs  excursions.  Qu'ils  se  hâtent 
cependant,  avant  que  les  théories  banales  des  voyageurs 
«  circulaires  »  l'aient  envahie!  Déjà,  une  route,  qui  affiche 
la  prétention  d'être  carrossable,  s'avance  de  Covarrubias  : 
quelques  kilomètres  encore,  et  Silos  recevra  des  hôtes  arrivés 
autrement  qu'à  pied  ou  à  cheval.  Il  paraît  même  que,  dès 
à  présent,  les  raffinés,  qui  aiment  leurs  aises,  peuvent,  en  une 
petite  journée  à  peine,  aller,  en  voiture  à  bœufs,  rejoindre 
la  grand'route.  Sauf  accidents  imprévus,  mais  non  invraisem- 
blabes,  révolutions,  guerres  civiles,  etc.,  dans  quelques  années, 

I.  Dom  M.  Férotin,  Cartulaire  de  Silos,  p.  a5. 


UNE    EXCURSION    Al     1»AYS    DES    ÉPOPÉES  120 

ces  cinq  ou  six  kilomètres  de  route  seront  peut-être  achevés, 
et  l'excursion  sera  aisée...  à  moins  que  d'ici  là  Tincurie  ou  le 
manque  d'argent  ne  laissent  détruire  la  partie  déjà  construite. 
Peu  s'en  est  fallu  que  ces  deux  causes  de  ruine,  trop  puis- 
santes, hélas!  dans  ce  pays,  n'aient  fait  disparaître  à  jamais, 
avec  le  cloître  et  le  monastère,  l'un  des  plus  éloquents  témoins 
de  l'art  et  de  la  civilisation  médiévale  en  Espagne.  Il  était 
déjà  à  moitié  ruiné,  comme  Cardena,  Arlanza,  Covarruhias  ou 
Fres  del  Val,  lorsque  les  Bénédictins  de  Solesmes  l'achetèrent 
en  1881,  et  y  envoyèrent  une  colonie.  Celle-ci  commença  par 
solidifier  le  cloître  et  par  réunir,  au  prix  de  bien  des  fatigues 
et  des  démarches,  ce  qui  restait  des  archives  dispersées,  du 
trésor  pillé,  de  la  bibliothèque  vendue.  Elle  fit  plus  encore  : 
fidèles  à  l'esprit  de  leur  ordre,  les  moines  publièrent,  avec  l'au- 
torisation et  aux  frais  du  gouvernement  français,  le  Carlulaire 
de  l'abbaye,  source  infiniment  précieuse  pour  l'histoire  de  la 
Castille  et  de  l'Espagne  ',  et  écrivirent  l'histoire  de  Silos  a,  dont 
la  lecture  est  une  utile  préparation  à  cette  excursion.  S'ils 
n'ont  pu  rentrer  en  possession  de  toutes  les  pièces  du  trésor, 
dont  quelques-unes  parmi  les  plus  belles  —  le  frontal  d'autel 
et  les  arquetas  d'ivoire —  font  la  richesse  du  Musée  de  Burgos, 
ils  en  ont  du  moins  dressé  le  catalogue  3,  à  l'aide  des  anciens 
inventaires,  de  même  qu'ils  ont  reconstitué,  dans  la  mesure 
possible,  celui  de  la  bibliothèque.  Il  suffit  de  feuilleter  ces  doctes 
ouvrages  pour  se  convaincre  que  Silos  fut,  au  Moyen-Age,  l'un 
des  centres  d'où  l'art  sous  toutes  ses  formes,  ainsi  que  les 
lettres  et  la  tradition  chrétienne,  rayonnèrent  avec  le  plus  d'éclat 
sur  l'Espagne.  Ces  âpres  montagnes,  dont  l'accès  est  encore 
si  incommode,  ont  abrité  le  frêle  berceau  de  la  civilisation  et 
entretenu,  selon  l'expression  du  P.  Florez,  l'étincelle  cachée 
sous  la  cendre,  esta  pequeiïa  ascua  conservada  entre  aqiiellas 
cenizas.  Ce  que  les  héros,  dont  nous  retrouvions  tout  à  l'heure 
la  trace  à  chaque  pas,  avaient  commencé  et  rendu  possible, 

1.  Recueil  des  chartes  de  l'Abbaye  de  Silos,  par  Dom  Marius  Férolin,  bénédictin 
de  Solesmes.  Paris,  Imprim.  nation.,  1897. 

a.  Histoire  de  l'Abbaye  de  Silos,  par  Dom  Marius  Férotin. 

3.  L'ancien  trésor  de  l'Abbaye  de  Silos,  par  D.  E.  Roiilin,  bénédictin  de  Solesmes, 
Paris,  Leroux,  1901. 


l3o  BLLLET1>    HISPANIQUE 

les  saints  et  les  moines  l'ont  achevé.  Nulle  part  la  fécondité 
de  celle  collaboration,  qui  fit  l'ancienne  Espagne,  nest  plus 
matériellement  saisissable.  Le  plus  ancien  texte  du  Carlulaire 
est  une  charte  de  donation,  du  3  juin  91g,  concédée  au  monas- 
tère (alors  dédié  à  Saint  Sébastien),  par  le  comte  Fernan 
Gonzalez  et  sa  femme.  Doua  Sancha.  Nous  y  trouvons  toute 
la  topographie  de  Silos,  encore  aisément  reconnaissable. 
Le  ruisseau,  sur  le  bord  duqviel  la  «  basilique  »  était  construite, 
a  perdu,  il  est  vrai,  son  nom  ibérien  de  Ura  (l'eau),  qui  survit 
d'ailleurs  à  Piienledura.  Il  porte  maintenant  le  nom  bizarre 
de  Mataviejas  (Tae-vieilles),  qui  exerce  l'imagination  des  novices, 
et  dont  une  variante,  Mataovejas  (Tue-brebis),  s'explique  a  mer- 
veille quand  on  parcourt  les  gorges  en  amont,  funestes  aux 
troupeaux.  Ces  fissures  gigantesques  du  rocher  (las  penas  de  la 
Caldera)  se  nommaient  elles-mêmes,  à  cette  date,  Pefia  Soca- 
vata,  mais  les  noms  de  Tabladillo,  de  Peàa  Rubia,  de  Caraco, 
de  Pefia  Gova,  se  sont  fidèlement  transmis  de  génération  en 
génération. 

Après  Fernan  Gonzalez,  le  Cid  Campéador.  Par  lettres  du 
12  mai  1076,  signées  sub  arcis  monaslerii  quem  vociianl  Kara- 
digiia,  «  Rodric  Didaz  »  et  sa  femme  «  Scemena  »,  mariés  deux 
ans  auparavant,  concédaient  à  l'abbaye,  libres  de  tous  droits 
et  servitudes,  la  moitié  des  villages  de  Pennacoba  et  de  Fres- 
cinosa  (Pefiacova  et  Fresnosa),  lesquels  «  ils  tenaient  eux-mêmes 
de  leurs  parents  » . 

C'est  ainsi  que  les  noms  des  moines  et  des  saints,  de 
Placentius  et  de  Dominique,  lequel  allait  devenir  le  patron 
éponyme,  se  trouvent  sans  cesse  mêlés  à  ceux  des  Conquis lador es 
et  des  rois.  En  somme,  ils  travaillaient  les  uns  et  les  autres  à 
la  même  œuvre  ;  ils  étaient  poussés  par  le  même  enthousiasme 
et  réalisaient  également  l'idéal  national.  Ils  combattaient, 
chacun  à  sa  manière,  mais  avec  la  même  outrance  héroïque, 
les  mêmes  ennemis.  C'est  leur  âme,  à  la  fois  naïve  et  violente, 
qui  se  manifeste  dans  les  monuments  archaïques  qu'ils  nous 
ont  transmis,  dans  l'imagerie  des  cathédrales  comme  dans  les 
fragments  ingénieusement  restaurés  des  Cantares  de  Gesta  ou 
des  vieux  Romanceros,  dans  les  documents  barbares  des  archi- 


LNE  EXCURSIO.N  AU  PAYS  DES  EPOPEES  l3l 

ves  comme  dans  les  prosas  déjà  plus  savantes  du  Mesler  de 
Clerecla.  Pendant  trois  siècles,  entre  les  ténèbres  du  Moyen- 
Age  et  la  fin  de  la  Reconquista,  l'épopée  jaillit  spontanément 
du  cœur  de  la  nation,  sous  lépée  des  conquérants,  sous  le  ciseau 
des -maîtres  tailleurs  de  pierres  et  sur  le  luth  des  jongleurs. 
Nulle  part  on  n'en  surprend  plus  clairement  la  trace,  et  l'on 
n'en  perçoit  mieux  l'écho  que  dans  ce  coin  de  la  Vieille 
Castille. 

11  suffirait,  pour  s'en  convaincre,  de  parcourir  attentivement 
ce  monastère  de  Silos.  Je  crains,  à  vrai  dire,  que  le  fameux 
cloître  à  deux  étages,  le  joyau,  la  merveille  de  l'abbaye  pour 
l'archéologue,  ne  paraisse  assez  insignifiant  aux  profanes.  Ces 
arceaux  bas  et  sombres  du  xi"  siècle,  ces  vieilles  pierres  usées, 
écornées,  couvertes  de  sculptures  naïves,  parfois  grotesques, 
ces  statues,  si  gauches  dans  leur  raideur  hiératique,  ces  lam- 
bris et  ces  solives  patiemment  enluminés  au  xv^  siècle,  ces  ins- 
criptions indéchiffrables,  semées  au  hasard  sur  les  parois,  il 
n'y  a  rien  là  qui  de  prime  abord  parle  bien  vivement  à  l'ima- 
gination. Et  pourtant,  quand  on  sait  entendre  leur  langage, 
que  de  choses  disent  ces  cent-vingt- huit  chapiteaux  accouplés, 
couverts  de  feuillages,  d'efflorescences  inconnues,  d'entrelacs 
curieusement  noués,  pleins  d'animaux,  de  monstres  fabuleux, 
harpies,  sirènes,  centaures,  léopards,  vautours,  où,  par  des 
infiltrations  obscures,  que  les  savants  s'efforcent  de  suivre,  la 
fable  gréco-latine  se  môle  aux  légendes  orientales  et  aux 
mythologies  du  Nord!  Puis,  pêle-mêle,  des  sujets  tirés  des 
Livres  Saints,  comme  dans  les  reliefs,  dits  byzantins,  des 
quatre  angles,  des  scènes  de  la  vie  des  artisans,  à  côté  des 
portraits  de  rois  contemporains,  si  vraiment  certain  chapiteau 
du  deuxième  étage  représente  bien  Alphonse  VI,  Sancho 
El  de  Zarnora,  et  ses  sœurs,  Doua  Urraca  et  Doua  Elvira.  Mais 
laissons  aux  spécialistes,  aux  Rodrigo  Amador  de  los  Rîos, 
aux  Madrazo,  aux  Serrano  Fatigati,  aux  Lampérez  (pour  ne 
citer  ici  que  des  Espagnols),  le  soin  de  déterminer  la  place  qui 
revient  à  Silos  dans  le  splendide  épanouissement  de  l'art  roman, 
qui,  de  San  Juan  de  la  Pena  a  la  Catedral  Vieja  de  Salamanque, 
de  Santillana  del  Mar  à   Ripoll,  de   Santiago  de  Compostela 


iSa  BULLETIN    IIISPAMQLE 

a  San  Cucufate  del  Yalle,  a  fleuri  les  églises  de  tant  de  mer- 
veilles délicates. 

Les    souvenirs    littéraires    s'unissent    ici    intimement    aux 
œuvres  de  l'art  primitif.  Ils  sont  plutôt  austères,  il  est  vrai. 
Les  moines,  en  ces  temps-là,  songeaient  plus  au  profit  qu'au 
plaisir  de  leurs  lecteurs.  Ni  Grimaldus,  ni  VAnonymus  Silensis, 
ni,   plus    tard,  Pero   Marin,   Jeronimo    de  Nebreda,   Antonio 
Pérez,  Sébastian  de  Vergara  ou  Ildefonso  Saez  n'ont  laissé  des 
noms  bien  illustres.  Cependant,  parmi  leurs  œuvres,  il  en  est 
quelques-unes,  écrites  ou  inspirées  dans  ce  cloître,  qui  occu- 
pent une  place  d'honneur  parmi  les  premiers  monuments  de 
la  langue  et  de  la  poésie  castillanes.  La  Vie  de  saint  Dominique 
de  Silos  ou  celle  de  Sainte  Oria  sont  du  nombre.    Le   moine 
qui  les  rédigea    n'était  point  sans  doute  de  Silos;  il  appartenait 
au  monastère  de  San  Millau  de  la  Cogolla,  qui  se  cache  dans 
un  vallon,  à  quelques  lieues  d'ici,  sur  le  penchant  septentrional 
de  la  sierra  de  la  Demanda.  Il  était  né  vers  la  fin  duxn'  siècle, 
au  bourg  voisin  de  Berceo,  dont  on  ajouta  le  nom  au  sien, 
Gonzalo.  Mais  il  était  compatriote  du  grand  saint,  Domingo 
Manso,  qui,  au  milieu  du  xi"  siècle  avait  relevé  le  monastère 
de  Saint  Sébastien  de  Silos.  Quand  Berceo  écrivait,  deux  cents 
ans    plus  lard,    la   mémoire    de    saint   Dominique    était   très 
vivante  dans  le  pays  que  remplissait  le  bruit  de  ses  miracles. 
Il  traduisit  en  romance  la  vie  latine  composée  par  le  moine 
Grimaldus,  mais  il  n'est  pas  douteux  que  lui-même  n'ait  fait 
de  longs  séjours  au  Val  de  Tabladillo.  Déjà  les  relations  entre 
San  Millân    et    Santo    Domingo   étaient    intimes  ;    elles    sont 
attestées   par  maintes  chartes    de  hermandad.   Chaque  année 
encore,  en  septembre,  les  habitants  de  Cafias,  patrie  de  saint 
Dominique,  viennent  processionnellement  à  pied    à   Silos,  à 
travers   la  montagne.   Berceo  consacra   sa  vie  à  célébrer  les 
saints   de    ce  coin    de  terre,  saint   Millau,  sainte  Oria,  saint 
Dominique.  Il  écrivit  pour  le  peuple,  et  infatigablement,  en 
ses   stances  massives  de  cuaderna  via,   rima  les  biographies 
composées  par  les  clercs.  C'est  proprement  un  charme  que  de 
lire  cette  légende  dorée  sous  les  grands  noyers,  au  bord  du 
Mataviejas,  ou,  mieux  encore,  dans  le  cloître  ombreux  et  fleuri. 


UNE  EXCURSION  AU  PAYS  DES  ÉPOPÉES  l33 

dont  le  silence  n'est  troublé  que  par  l'écho  des  mélopées 
grégoriennes,  auxquelles  répondent,  en  manière  de  parodie,  les 
croassements  des  choucas  (grajos),  apprivoisés  par  les  novices. 
Ce  n'est  pas  certes  que  le  bon  Gonzalo  soit  un  excellent 
poète  ni  un  grand  clerc;  mais  il  croit  d'une  foi  si  sincère, 
à  ce  qu'il  raconte,  ^u'on  se  laisse  gagner  à  son  émotion.  Et 
puis  toutes  ces  merveilles  qu'il  rime  avec  une  facilité  un  peu 
lâchée,  se  sont  passées  dans  le  rayon  que  la  vue  embrasse  du 
haut  du  clocher.  Dans  ses  couplets  nous  retrouvons  tous  les 
noms  rencontrés  dans  nos  promenades.  Avec  un  peu  de 
bonne  volonté,  on  s'imagine  que  rien  n'a  changé  dans  ce  coin 
de  Caslille  :  croyances,  costumes,  prières,  légendes,  langue 
même,  tout  a  survécu.  N'est-ce  point  quelque  chose  de  rare 
aujourd'hui  que  le  sentiment  dune  telle  immobilité? 

Nous  chercherions  vainement,  par  exemple,  dans  le  monas- 
tère ou  dans  les  environs  immédiats,  l'étroite  cellule  où  s'était 
fait  emmurer  la  recluse  sainte  Oria,  la  plus  illustre  des  enpa- 
redadas  espagnoles,  si  nombreuses  par  la  suite.  Le  couvent  de 
femmes,  oii  Florez  suppose  que  vécut  l'emmurée,  a  disparu 
entièrement.  Dès  le  début,  l'ascétisme  fleurissait  spontanément, 
comme  la  lavande,  au  milieu  de  ces  rochers.  Ces  âmes,  «  plus 
grandes  encore  que  folles  »,  ne  rêvaient  que  sacrifices  surhu- 
mains et  renonciations  héroïques, 

En  rincon  cerrada  yacer  en  pohredad, 

Vivir  de  lo  que  diere  por  Bios  la  christiandad. 

De  sainte  Oria  à  sainte  Thérèse  et  de  sainte  Thérèse   à  la 

dernière  prise  de  voile,    la   tradition   se  continue  fidèlement 

avec  des  rites  analogues,  et,  sans  doute  aussi,  des  joies  sem- 
blables : 

Fo  end  a  pocos  dias  fecha  emparedada, 
Ovo  grand  alegria  cuando  fo  encerrada. 

((  On  lemmura  bientôt,  et  il  y  eut  grande  joie  quand  elle  fut 
enfermée.  » 

La  méditation  de  toutes  ces  choses  archaïques,  facile  en  ce 
désert,  suffirait  à  charmer  les  heures.  Que  si  cependant  l'on 

Bull.  Iiispaii.  ,,, 


tSÀ  BULLETIN    H1SPA.NI(5UË 

recherche  des  distractions  plus  actives,  elles  ne  manquent 
point.  Un  alpiniste,  que  n'effraient  point  les  rochers  ni  les 
précipices,  ferait  sans  doute  bien  des  découvertes  dans  les 
sierras  environnantes.  Signalons -lui,  entre  autres,  le  pic  (dont 
le  nom  nous  échappe)  qui  dresse  sa  tête  sourcilleuse  au  sud- 
est,  entre  Penacova,  Carazo  et  Mamolar,  ou  encore,  si  son 
ambition  se  contente  à  moins,  les  défilés  du  Mataviejas,  et  la 
crête  qui  court  au  Sud  et  sépare  la  vallée  de  Tabladillo  de 
celle  de  Hortezuelôs  et  Hinojar  de  Gervera  :  il  pourra  de  là 
admirer  à  son  aise  l'eflroyable  gorge  de  Yecla,  auprès  de 
laquelle  notre  rue  d'Enfer,  près  de  Luchon,  n'est  qu'un  enfan- 
tillage. 

Mais  il  faut  songer  au  retour.  Pour  rejoindre  Burgos,  une 
route  se  présente  naturellement;  c'est  le  chemin  qui,  passant 
par  Govarrubias  et  San  Pedro  d'Arlanza,  va  rejoindre  celui  de 
Soria  à  Ortigûela.  Gomme  celle  que  nous  avons  suivie  à 
l'aller,  cette  route  réserve  au  voyageur  des  distractions  variées. 
La  double  légende  héroïque  et  chrétienne  a  aussi  illustré  ces 
régions,  que  leurs  beautés  pittoresques  suffiraient  d'ailleurs  à 
recommander.  Le  chemin,  après  avoir  descendu  la  vallée 
jusqu'à  Santibàûez  del  Valle  (jadis  S.  Juan  de  Tabladillo), 
traverse  les  hauteurs  boisées  sur  la  droite  et  va  retomber,  par  des 
sentiers  alpestres,  dans  la  vallée  de  l'Arlanza,  près  de  Govar- 
rubias. La  contrée  est  des  plus  sauvages.  Les  diverses  espèces 
de  genévriers,  les  chênes,  les  pins  y  forment  d'épais  massifs, 
que  le  rocher  bleuâtre  perce  par  endroits.  A  leurs  parfums 
plus  âpres  se  mêle  la  suave  odeur  des  lavandes,  qui  embaume 
toutes  ces  montagnes  et  qui  nous  suit  partout,  comme  celle  de 
la  fleur  d'orangers  dans  la  Haerta  de  Valence.  De  Govarrubias 
à  San  Pedro  d'Arlanza,  la  gorge  est  profondément  encaissée 
entre  de  hautes  collines  au  sol  rougeâtre  et  c'est  à  cette  double 
circonstance  que  Govarrubias  (Caevas-rubias)  doit  son  nom. 
La  remarque  est  du  P.  Florez,  lequel  ne  dédaignait  pas  au 
besoin  d'égayer  ses  très  doctes  dissertations  de  légers  croquis 
et  d'esquisses  rapides.  «  Govarrubias,  dit -il  i,  est  situé  dans  un 
creux  entouré  de  monts  qui  l'enserrent  de  telle  sorte  que  l'on 

I.  Espana  Sagrada,  t.  XX VII,  p.  i3. 


U>E  EXCURSION  AU  PAYS  DES  ÉPOPÉES  I 35 

ne  l'aperçoit  que,  lorsqu'après  une  descente,  l'on  en  est  tout 
près.  Le  sol  en  est  presque  partout  de  couleur  rouge,  et,  à 
cause  de  cette  teinte  ainsi  que  de  sa  situation  au  fond  d'un 
cirque,  le  nom  de  Covarrubias  lui  convient  à  merveille.  Les 
monts  qui  l'entourent  forment  une  sorte  d'amphithéâtre  très 
agréable,  car  toutes  les  pentes  qui  dévalent  vers  la  ville  sont 
tapissées  d'arbres  fruitiers  et  de  vignes.  Le  climat  y  est  si  doux 
que  les  fruits  y  mûrissent  plus  tôt  que  dans  toute  la  région 
voisine.  » 

Covarrubias  fut  l'un  des  séjours  favoris  des  comtes  de  Cas- 
tille  et  de  Fernan  Gonzalez,  Ce  dernier  y  avait  un  palais  sur  la 
place  actuelle  d'Altozano,  et  un  château,  dont  il  reste  une  grosse 
tour  carrée.  L'église  collégiale  des  saints  Cosme  et  Damien 
a  hérité  des  anciens  couvents  de  moines  et  de  religieuses, 
auxquels,  dès  le  x'  siècle,  les  comtes  faisaient  des  donations 
dont  le  texte  existe  encore.  Comme  Cardeûa,  elle  devint  un 
panthéon,  où  comtes  souverains  et  rois  de  Castille  aimaient 
à  dormir  leur  dernier  sommeil.  En  parcourant  ces  inscriptions 
fastueuses,  en  étudiant  ces  sépulcres,  malheureusement  dis- 
persés en  partie,  c'est  toute  l'histoire  politique  et  artistique  de 
ce  royaume,  du  x'  au  xni^  siècle,  qui  passe  sous  nos  yeux. 
A  certain  moment,  ce  défilé  perdu  fut  lun  des  points  où  se 
concentra  la  vie  de  cette  noble  province,  «  alors,  —  comme  le 
dit  précisément  la  Geste  de  Ferndii  Gonzalez,  —  que  la  Castille 
n'était  qu'un  petit  coin  de  terre,  que  Montes  d'Oca  en  était  la 
borne,  que  les  Maures  tenaient  Carazo,  et  que  toute  la  Castille 
n'était  qu'une  simple  alcaldie. 

Esionces  era  Castylla  un  pequeno  rrincon, 
Era  Montes  d'Oca  de  Castylla  mojon, 
Moros  tenian  a  Carazo  en  aquesta  sazon, 
Es  tances  era  Castylla  toda  una  alcadia.  » 

En  remontant  le  cours  de  l'Arlanza,  qui,  à  cet  endroit,  coule 
de  Test  à  l'ouest,  l'on  s'engage  de  plus  en  plus  dans  des 
gorges  dominées  par  des  crêtes  boisées,  qui,  par  endroits,  sur- 
plombent à  pic  la  vallée.  La  rivière,  grossie  de  toutes  les  eaux 
de  la  Campina  et  de  la  Tierra  de  Lara,  s'est  glissée  dans  une 


l36  BULLETIN    HISPA?<IQUE 

fissure  qui  sépare  les  liauteurs  de  Mamblas  de  la  Peîia  de 
Gayubar.  Elle  s'y  heurte  sans  cesse  à  des  arêtes  ou  contreforts 
rocheux,  autour  desquels  elle  a  dû,  en  grondant,  se  frayer  un 
passage.  Chaque  détour  de  la  route,  qui  serpente  entre  ces 
promontoires  enchevêtrés,  ménage  au  voyageur  un  point  de 
vue  nouveau. 

L'ombre  qui  tombe  des  falaises,  la  fraîcheur  qui  s'élève  du 
fond  de  ce  canon,  la  solitude  rarement  troublée  rendent  la  pro- 
menade charmante.  Dans  l'un  des  étranglements  les  plus 
étroits,  une  vieille  tour  romane,  la  iorre  del  archiva,  et  quel- 
ques ruines  calcinées  apparaissent  sur  la  rive  droite.  C'est  tout 
ce  qui  reste,  depuis  l'incendie  de  i8g4,  du  fameux  monastère 
de  San  Pedro  d'Arlanza.  Lorsque  Florez  le  visita,  il  n'y  trouva 
plus  que  vingt-quatre  religieux.  Du  moins  put-il  voir  encore 
debout  le  cloître  à  double  étage,  comme  celui  de  Silos,  mais  il 
ne  le  décrit  point.  Il  note  seulement  ce  détail  pittoresque  que 
lorsqu'on  lève  les  yeux,  on  voit  les  arbres  accrochés  aux 
flancs  de  la  montagne  former  une  couronne  au-dessus  des 
toits.  Et  il  s'amuse  à  décrire  le  site,  les  allées  d'arbres  que  l'on 
rencontre  en  venant  de  Lara,  l'aspérité  des  pentes,  et  ces  vols 
de  martinets  qui  nichent  dans  le  cloître  et  tournoient  sans 
cesse  dans  l'ouverture  béante  de  ce  cirque.  Le  consciencieux 
érudit  escalada  même  la  montagne  jusqu'à  l'ermitage  de  San 
Pedro  el  Viejo,  mais,  arrivé  au  bord  de  la  terrasse  qui  domine 
le  gouffre,  il  voulut  regarder  en  bas,  et  fut  pris  de  vertige. 

L'histoire  d'Arlanza  fut  longtemps  inséparable  de  celle  du 
comté  de  Castille  :  la  longue  liste  de  ses  abbés  authentiques 
commence  dès  912.  La  réputation  de  ses  saints,  ses  reliques, 
parmi  lesquelles  la  fameuse  Vierge  des  Batailles  de  Fernân 
Gonzalez,  les  miracles  qui  se  multipliaient  auprès  des  tom- 
beaux des  premiers  anachorètes,  Pelayo,  Arsenio  et  Silvano, 
ou  des  saints,  Vicente,  Sabina  et  Cristeta,  attirèrent  dans  ces 
gorges  une  foule  de  prélats,  de  princes,  d'infanzons,  ainsi  qu'en 
témoigne  Gonzalo  de  Berceo,  à  propos  de  l'abbé  saint  Garcia, 
contemporain  du  Cid. 

Arlanza  n'est  plus  maintenant  qu'un  nom.  Les  dépouilles 
du  monastère  sont  allées  enrichir  Govarrubias,   qui  montre 


UNE  EXCURSION  AU  PAYS  DES  EPOPEES  l3- 

les  sépulcres  suspects  de  Fernun  Gonzalez  et  de  sa  femme 
Sancha,  le  musée  archéologique  de  Madrid,  où  a  été  déposée 
la  porte  romane,  enfin,  la  cathédrale  de  Burgos,  où  l'on 
voit,  à  langle  nord -est  du  cloître  supérieur,  un  tombeau 
((  byzantin  »,  que  l'on  a  adjugé,  sans  aucun  fondement,  à 
Mudarra,  le  bâtard  de  Salas.  De  même  que  Cardena  et  que 
Silos,  Arlanza  s'enorgueillit  d'avoir  inspiré  l'un  des  monu- 
ments les  plus  vénérables  de  la  littérature  médiévale,  le 
poème  de  Fernân  Gonzalez,  dont  il  nous  reste  une  rédaction 
du  milieu  du  xin"  siècle,  mais  qui,  très  probablement,  sous 
une  forme  peu  différente,  remontait  plus  haut.  La  Geste  dut 
sortir  de  San  Pedro,  hypothèse  très  vraisemblable,  d'abord 
parce  qu'Arlanza  fut  pour  Fernan  Gonzalez  ce  que  Cardena 
devait  être  pour  le  Cid,  le  séjour  de  prédilection,  le  centre  où 
la  légende  se  cristallisa,  et  aussi  parce  que  le  souci  d'exalter  le 
couvent,  d'énumérer  ses  gloires,  de  faire  constater  ses  droits 
aux  largesses  souveraines  éclate  à  chaque  page.  «  Lorsque  tu 
auras,  brave  Comte,  arraché  le  pays  à  l'ennemi,  qu'il  te  sou- 
vienne de  notre  misérable  couvent,  et  n'oublie  pas  la  pauvre 
hospitalité  que  tu  y  reçus  : 

Quando  ovyeres  tu,  el  buen  Conde,  el  campo  arrancado, 
Vengate  en  mientes  que  somos  convento  laçrado 
Et  lion  se  te  olvide  el  pobre  ospedado.  » 

A  quoi  le  comte  répond  comme  un  homme  «  qui  comprend 
les  choses,  ensenado  »,  que  tout  ce  que  les  moines  deman- 
deront leur  sera  accordé,  et  il  énumère  complaisamment  les 
bienfaits  futurs.  «  Je  ferai  une  autre  église  d'un  plus  fort 
ciment;  j'y  placerai  mon  tombeau;  je  donnerai  de  quoi  entre- 
tenir plus  de  cent  moines  : 

Fare  otra  yglesia  de  mas  fuerte  çimiento, 
Fare  dentro  en  ella  el  mi  soierramiento , 
Dure  ay  donde  vivan  monges  mas  de  çiento.  » 

La  légende  locale  de  saint  Pelage,  racontée  tout  au  long 
dans  la  Geste,  est  fort  adroitement  présentée  pour  lier  le  sort 
de  la    Gastille  à  celui  du   monastère  de  San  Pedro.  Elle   dit 


l38  BULLETIN    HISPANIQUE 

comment,  certain  jour,  le  comte  Fernân  Gonzalez,  chassant  le 
sanglier  dans  ces  parages,  dut  mettre  pied  à  terre  à  cet  endroit, 
pour  suivre  l'animal,  qui  gravissait  la  pente  de  ce  «  fyero 
lugar  ».  Le  chasseur  arriva  de  la  sorte  jusqu'au  sommet  de  la 
montagne.  Il  y  trouva  un  petit  ermitage  et  vit  le  sanglier 
miraculeux  aller  se  cacher  sous  l'autel.  Un  anachorète,  nommé 
Pelage,  habitait  cette  rustique  demeure.  Il  accueillit  le  comte, 
l'hébergea,  et  lui  prédit  les  victoires  qu'il  allait  remporter  sur 
le  roi  des  Maures,  Almanzor,  ainsi  que  les  destins  glorieux 
qui  l'attendaient  : 

Sera  por  todo  el  mundo  temido  la  ta  lança. 

La  prophétie  s'accomplit,  et  après  les  batailles  heureuses 
de  Cascajares  et  de  Hacinas,  le  comte  reconnaissant  accomplit 
ses  promesses.  Telle  est,  en  ses  lignes  essentielles,  la  légende 
d'Arlanza, 

J'ignore  oiî  se  trouve  actuellement  le  tableau  commémoratif 
de  la  victoire,  dont  des  copies  ornaient  au  xviii"  siècle  les 
murs  du  cloître;  mais  l'on  montre  encore  la  grotte  où  le 
puerco  sétait  réfugié,  et  celle  oii  vivaient  saint  Pelage  avec  ses 
deux  compagnons.  Cette  grotte  d'Arlanza  devait  être,  dans 
l'idée  du  trouvère,  comme  la  réplique  castillane  ou  le  pendant 
de  celle,  plus  célèbre,  de  Covadonga,  dans  les  Asturies. 

...  Nous  regagnâmes  Burgos  par  une  nuit  sans  lune.  Le  long 
de  la  route,  de  distance  en  distance,  de  grands  feux  brillaient, 
au  milieu  de  sortes  de  camps  retranchés,  que  formaient  des 
chariots  pesamment  chargés.  La  flamme  éclairait  de  reflets 
rougeâtres  les  faces  tannées  d'hommes  assis  en  cercle  autour 
du  foyer,  où  cuisait  le  souper  :  avec  la  fumée,  une  pénétrante 
odeur  de  genévrier  se  répandait  à  travers  les  landes.  A  quelque 
distance  du  cercle,  des  bœufs  dételés  ruminaient,  couchés  dans 
les  fougères,  tandis  que  les  chiens,  à  notre  approche,  s'élan- 
çaient, avec  des  intentions  évidemment  peu  hospitalières.  Ces 
voyageurs  étaient  les  bûcherons  de  la  sierra  de  Quintanar,  qui 
allaient  par  étapes  vendre  leurs  planches  de  sapin  à  la  foire 
annuelle  de  Burgos.  Chacune  de  ces  rencontres  fournissait 
une  excellente  occasion  à  Tune  de  nos  mules,   célèbre   à  la 


UNE  EXCURSION  AU  PAYS  DES  ÉPOPÉES  iSg 

ronde  pour  son  mauvais  caractère,  de  se  livrer  à  des  fantaisies 
inquiétantes,  dont  on  ne  venait  à  bout  quen  lui  jetant  un  sac 
sur  la  tête.  Elle  répondait  cependant  (par  antiphrase,  je  sup- 
pose) au  nom  de  «  la  Perla  »,  décidément  trop  prodigué  en 
Espagne.  Nous  réussîmes,  contre  toute  vraisemblance,  à  éviter 
le  fossé  ou  le  ravin,  qui  nous  guettaient.  Et  — je  Tavoue  sans 
fausse  honte  ■ — j'en  fus  personnellement  d'autant  plus  heureux 
que,  juché  sur  la  banquette  extérieure,  je  pouvais  mieux 
mesurer  l'arc  de  cercle  qui  devait  m'y  amener.  Aussi,  quelques 
heures  plus  tard,  j'aperçus  avec  plaisir,  tout  au  bas  de  la  cote, 
les  lumières  do  ÏEspolun  et  de  la  gare.  Je  ne  voulus  point  me 
souvenir  que  ces  lumières  étaient  des  lampes  électriques,  je 
fermai  les  oreilles  au  sifilet  du  chemin  de  fer,  si  violemment 
anachronique.  La  mémoire  toute  pleine  des  légendes  et  des 
grands  noms  parmi  lesquels  je  venais  de  vivre  quelques  jours, 
les  yeux  encore  éblouis  par  les  visions  d'autrefois,  je  trouvais 
quelque  peu  choquante  la  banalité  des  choses  familières.  En 
repassant  à  pied  près  de  l'Arc  de  Santa  Maria,  je  revis,  avec 
les  héros  protecteurs,  le  blason  de  la  vieille  cité  castillane,  et 
jamais  mieux  qu'au  retour  de  cette  excursion,  je  ne  compris 
le  sens  de  la  devise  qui  le  couronne  :  Caput  Ccistellae. 

Ernest  MÉRIMÉE. 


D^  MARINA  DE  ARAGON 

i523-i549 


Il  est  rare  que  l'on  sache  quelque  chose  de  précis  et  d'un 
peu  intime  sur  les  femmes  qu'ont  célébrées  les  poètes 
espagnols  du  xvi"  siècle.  Tout  au  plus  entrevoit- on,  dans  les 
hommages  enthousiastes  et  les  strophes  enflammées  de  leurs 
adorateurs,  quelques  silhouettes  gracieuses,  que  les  formules 
d'un  style  convenu  laissent,  d'ailleurs,  assez  indécises  et 
flottantes.  Nous  ne  saisissons  rien  des  traits  caractéristiques  de 
leur  nature  morale,  rien  ou  presque  rien  des  qualités  maî- 
tresses de  leur  cœur  ou  de  leur  esprit.  Les  effusions  de  la  poésie 
erotique  pétrarquesque,  —  que  l'on  songe,  par  exemple,  à  la 
Luz  de  F.  de  Herrera  —  les  subtilités  et  préciosités  de  la  galan- 
terie espagnole  des  cancioneros,  tout  cela  peut  être  ou  passionné 
ou  délicat,  mais  reste  superficiel,  d'une  psychologie  vraiment 
trop  sommaire.  A  quoi  bon  des  descriptions  qui  ne  font  rien 
revivre,  des  accumulations  d'épithètes  qui  ne  peignent  pas?  On 
ne  saurait  s'intéresser  à  des  images  si  fugitives  et  dépourvues 
à  ce  point  de  personnalité. 

Et  pourtant,  parmi  les  femmes  objets  du  culte  des  poètes 
de  cette  époque,  il  en  est  heureusement  quelques-unes  dont  la 
physionomie  plus  accusée  se  distingue  mieux;  dans  les  vers  de 
ceux  qui  les  ont  chantées,  nous  discernons  à  peu  près  ce  qui 
fut  un  jour  le  côté  saillant  de  leur  caractère,  les  dons  naturels 
et  les  vertus  acquises  qui  les  rendirent  particulièrement  char- 
mantes, qui  firent  qu'on  les  aima,  qu'on  les  regretta  et  les 
pleura.  L'une  d'elles  est  une  fille  d'honneur  de  l'impératrice 
Isabelle,  femme  de  Charles-Quint,  Dofia  Marina  de  Aragon, 
qui  appartenait  à  la  grande  maison  des  Aragon-Gurrea,  comtes 
de  Ribagorza,  issus  d'un  fils  naturel  du  roi  Jean  II'.  Son  frère 

i.  VoirD.  Francisco  Fernândez  de  Béthencourt,  Historia  genealôgica  y  herâldica  de  la 
Monarquia  espanola,  Casa  Real  y  Grandes  de  Espana,  t.  III  (Madrid,  1901),  p.  ^09  et  suiv. 


D'    MARINA    DE    ARAGON  \t\l 

D.  Martin,  sixième  comte  de  Ribagorza,  réunit  à  nouveau  à 
l'ancien  comté  aragonais  le  duché  valencien  de  Villahermosa, 
qui  avait  été  porté  en  Italie  par  le  mariage  d'une  Aragon, 
grand'tante  de  D"  Marina,  avec  Robert  de  San  Severino, 
prince  de  Salerne.  Cette  Aragon-là  s'appelait  également  D'*  Ma- 
rina, et  peut-être  donna-t-on  à  la  nôtre  ce  nom  en  souvenir 
de  sa  parente,  qui  toutefois  ne  put  être  sa  marraine  '  :  la  prin- 
cesse de  Salerne,  en  effet,  remariée  en  secondes  noces  au  prince 
de  Piombino,  mourut  vers  i5i3,  plusieurs  années  avant  la 
naissance  de  la  fille  d'honneur  de  Flmpératrice. 

Nous  ne  manquons  pas  de  renseignements  sur  les  plus  pro- 
ches parents  de  la  seconde  D"  Marina.  Le  père,  D.  Alonso 
de  Aragon  y  Gurrea,  cinquième  comte  de  Ribagorza,  se  con- 
tenta d'être  surtout  un  haut  et  puissant  seigneur,  un  de  ces 
personnages  très  décoratifs,  auxquels  les  souverains  aiment  à 
confier  des  emplois  d'apparat  et  dont  les  annalistes  mention- 
nent complaisamment  la  présence  dans  des  circonstances 
solennelles.  C'est  ainsi  que  le  vieux  Ferdinand  le  Catholique 
le  chargea  de  lui  amener  Germaine  de  Foix;  c'est  ainsi  que  les 
députés  d'Aragon  l'envoyèrent  quelques  années  plus  tard  les 
représenter  aux  Pays-Ras,  auprès  de  Charles,  et  qu'il  accompa- 
gna le  jeune  roi  dans  son  premier  voyage  en  Espagne  ;  c'est 
ainsi  qu'il  hébergea  dans  sa  ville  de  Pedrola  le  pape  Adrien  VI, 
lorsque  cet  ancien  précepteur  de  Charles  alla  prendre  posses- 
sion de  la  tiare;  qu'il  accompagna  Madame  d'Alençon  venue 
pour  visiter  son  frère  prisonnier,  qu'il  assista  au  mariage  de 
l'Empereur  avec  Isabelle  de  Portugal.  Très  attaché  naturelle- 
ment aux  privilèges  de  l'ancien  royaume  d'Aragon,  que  le 
nouveau  régime  centralisateur  allait  battre  en  brèche,  se  sentant 


I .  Le  R.  P.  Jaime  Nonell,  dans  son  ouvrage  intitulé  La  santa  Diiqiiesa,  vida  y  virtudes 
de  la  vénérable  y  excelentisima  senora  Doha  Luisa  de  Borja  y  Aragon,  condesa  de  Riba- 
gorza y  duquesa  de  Villahermosa,  Madrid,  1892,  p.  90,  nomme  notre  Marina  .Varh'na. 
Cette  erreur  lui  vient  d'un  auteur  du  xvii*  siècle,  le  R.  P.  Tomas  Muniessa,  premier 
bioo:raphe  de  D'  Luisa,  qui  publia  en  1691,  à  Saragosse,  une  Vida  de  la  V.  y  Ex"  S" 
D.  Luisa  de  Borja,  dont  le  P.  NoncU  s'est  beaucoup  servi.  A  la  page  83  de  la  réimpres- 
sion de  cet  ouvrage  (Madrid,  187G,  â  cargo  de  Julian  Peila),  le  nom  de  Marina  a  été 
altéré  en  Martina.  Peut-être  la  faute  ne  se  trouve-t-elle  pas  dans  l'édition  originale  de 
1G91  que  je  n'ai  pas  vue.  Le  nom  de  Marina  est  assez  commun  au  xvi*  siècle;  il  se 
rencontre  notamment  dans  la  famille  maternelle  de  Marina  de  Aragon,  les  Sarmiento 
comtes  de  Salinas. 


1^3  BULLETO    HISPAMQUE 

d'ailleurs  par  sa  naissance  et  son  nom  doublement  tenu  de  les 
défendre  et  comptant  peut-être  un  peu  trop  sur  sa  parenté  de 
la  main  gauche  avec  la  maison  royale,  il  encourut  en  une 
occasion  la  mauvaise  humeur  du  souverain  et  renonça  désor- 
mais à  figurer  dans  son  cortège;  s'étant  retiré  en  Aragon,  oiî 
il  se  disputa  avec  ses  voisins  aussi  fiers  et  intransigeants  que 
lui,  il  mourut,  âgé  de  soixante-trois  ans,  à  Saragosse,  le  3  novem- 
bre i55o.  Son  portrait  par  Rolam  de  Mois,  qui  le  représente 
vêtu  d'une  sorte  de  chamarre  ou  de  casaque,  la  main  droite 
sur  sa  dague,  la  main  gauche  sur  son  épée,  a  fort  grand  air; 
les  traits  sont  ceux  d'un  homme  d'une  soixantaine  d'années, 
hautain  et  rude'.  Ce  ricohombre  aragonais  eut  trois  femmes: 
une  Isabelle  Folch  de  Cardona,  une  Isabelle  de  Espés,  et,  en 
dernier  lieu,  il  épousa  D"*  Ana  de  Sarmiento,  dont  il  eut  quatre 
filles,  entre  autres  notre  Marina,  et  un  fils,  D.  Martin,  qui 
succéda  à  son  père  comme  comte  de  Ribagorza. 

Les  parents  d'Ana  de  Sarmiento  étaient  D.  Diego  Gomez 
de  Sarmiento  de  Villandrando,  comte  de  Satinas  et  de  Ribadeo, 
et  D"  Maria  de  UUoa,  fille  de  D.  Rodrigo  de  LUoa,  grand 
maître  des  comptes  (contador  mayor)  de  Henri  IV  et  des  Rois 
Catholiques  3.  Rolam  de  Mois  a  aussi  exécuté  l'image  de  celte 
troisième  femme  de  D.  Alonso  de  Aragon,  et  sa  peinture,  dans 
la  manière  de  Titien  3,  donne  l'impression  d'une  femme  de 
rare  distinction.  Si  Marina  ressemblait  à  sa  mère,  elle  en  hérita 
de  fort  beaux  yeux,  un  nez  pur  et  une  bouche  gracieuse  :  jolis 
détails  que  Rolam  de  Mois  a  peints  avec  délicatesse  dans  l'ovale 
très  allongé  de  la  figure  de  D''  Ana. 

De  l'enfance  de  D"  Marina,  qui  paraît  avoir  été  la  deuxième 
fille  du  troisième  mariage  de  son  père  '*,  nous  ne  savons  rien. 
On  peut  conjecturer  qu'elle  fut  élevée  dans  le  collège  de 
Buenavia,   fondé  par  D.   Alonso,   pour  l'éducation  des  filles 

1.  Ce  portrait  a  été  reproduit  dans  le  livre  du  P.  Nonell,  p.  66. 

2.  José  Pellicer,  Informe  del  origen  de  la  casa  de  Sarmiento  de  Villamayor,  Madrid, 
iC63,  fol.  96. 

3.  Reproduite  aussi  dans  l'ouvrage  du  P.  Nonell,  p.  92. 

!t.  R.  P.  Nonell,  l.  c,  p.  90.  D.  Francisco  F.  de  Béthencourt,  l.  c.,  t.  III,  p.  472, 
la  considère  comme  l'aînée;  mais  les  données  de  Nonell,  empruntées,  d'ailleurs, 
à  Muniessa,  paraissent  plus  exactes  et  sont  confirmées,  ainsi  qu'on  le  verra,  par 
d'autres  témoignages. 


D'    MARINA    DE    ARAGON  l/jS 

nobles,  à  proximité  de  sa  résidence  de  Pedrola.  Mais  quelles 
furent  ses  relations  avec  ses  parents,  avec  ses  nombreuses 
sœurs  de  deux  mariages,  avec  son  frère  D.  Martin,  avec  la 
femme  de  celui-ci,  D"  Luisa  de  Borja,  sœur  de  saint  François 
de  Borja  et  elle-même  vénérable,  la  Santa  Duquesa,  comme  on 
rappelle  dans  la  famille?  D.  Martin,  lui,  qui  fut  dans  sa  jeu- 
nesse menin  de  l'impératrice  Isabelle,  a  laissé  la  réputation 
d'un  amateur  instruit  et  d'un  érudit  ;  il  s'entourait  de  lettrés 
et  d'artistes,  —  c'est  lui  qui  ramena  de  l'étranger  Rolam  de  Mois, 
le  peintre  auquel  nous  devons  tant  de  portraits  de  la  maison 
ducale', — il  collectionnait  avec  goût  des  objets  d'art,  des 
médailles  et  des  armes  ;  il  aimait  à  bâtir  et  à  orner  ses  demeu- 
res :  Philippe  II  l'a  nommé  le  «  philosophe  aragonais  »,  ce  qui 
veut  dire  sans  doute  que  cet  Aragon  préférait  l'existence  pai- 
sible d'un  dilettante  mondain  aux  tracas  de  la  vie  de  cour  et 
aux  soucis  de  la  politique  a.  Sa  sœur  et  lui  appartinrent  donc 
à  la  maison  de  l'Impératrice;  mais  à  quel  moment  Marina 
entra-t-elle  dans  le  service  d'honneur  d'Isabelle  de  Portugal? 
Nous  ne  le  savons  pas  exactement;  tout  ce  que  nous  pouvons 
dire,  c'est  qu'Isabelle,  qui  épousa  l'Empereur  en  i526,  étant 
morte  en  iBSg,  l'introduction  à  la  cour  de  la  jeune  fille  se  place 
forcément  entre  ces  deux  dates.  En  i5/i3,  nous  le  verrons,  elle 
était  encore  très  jeune,  mais  toutefois   en  âge  de  se  marier, 

1.  lusepe  Martînez,  le  peintre  de  Philippe  IV,  nous  a  donné  des  renseignements 
assez  curieux  sur  ce  peintre,  son  genre  de  talent  et  ses  habitudes  de  gentilhomme 
qui  ne  condescendait  à  peindre  que  des  gens  de  qualité  qu'il  faisait  poser  chez  lui, 
sauf  les  dames,  auxquelles  il  accordait  la  faveur  d'aller  les  trouver  dans  leur  palais  : 
«  S.  E.  el  senor  duque  le  ocupô  [Ilolam  Mois]  en  hacer  retratos  de  la  genealogia  de 
su  casa,  sacândolos  de  originales  muy  anliguos,  los  cuales  eran  de  manera  muy  seca 
y  de  poco  dibujo;  mas  él  los  rcdujo  â  la  moderna  con  tanta  gracia  y  bondad,  sin 
defraudar  â  lo  parecido,  que  parecia  los  habia  sacado  del  mismo  nalural...  Su  ejer- 
cicio  principal  fuc  hacer  retratos  grandes  y  pequefios  :  no  hubo  en  aqucl  tiempo 
persona  de  cucnta  que  no  se  hiciera  retratar  de  su  mano,  y  en  particular  las  damas, 
porque  tuvo  tal  gracia,  que  sin  casi  sombras  los  hacia  muy  parecidos.  En  esto  imitô 
mucho  al  Tiziano  ...  no  se  dignô  de  hacer  retratos  â  gente  ordinaria,  teniéndose 
â  menos  de  cmplear  sus  manos  en  semcjante  gonte,  aunque  le  repagasen,  ni  tampoco 
ir  â  casa  de  ningun  caballcro  por  principal  que  fuese,  sino  solo  en  casa  lo  retrataba  : 
â  las  damas  solamente  iba  con  mucha  cortesîa  â  hacerlos  â  sus  palacios  y  casas. 
Tratôse  como  caballero,  teniendo  siempre  caballo  â  la  estaca,  y  su  casa  con  la  osten- 
tacion  que  merecia  su  ingénio.  »  (^Discursos  practicables  del  nobilîsimo  arte  de  lapintura, 
Madrid,  1866,  p.  187.)  L'éditeur  de  cet  ouvrage,  D.  Valcntin  Cardcrera,  signale  uu 
défaut  du  peintre  qu'on  peut  constater  dans  le  portrait  d'Ana  de  Sarmicnto,  celui 
de  peindre  les  bras  un  peu  longs. 

2.  Voir  l'ouvrage  de  M.  de  Béthencourt,  t.  III,  p.  678  et  suiv. 


lZ|4  BULLETIN    HISPANIQUE 

Or,  s'il  est  vrai,  comme  je  le  crois,  qu'elle  était  la  deuxième 
des  filles  de  D.  Alonso  et  D"  Ana,  la  naissance  de  Marina  se 
placerait  au  plus  tôt  en  l'année  i523,  car,  en  1622,  le  28  mars, 
D*  Adriana,  la  première  fille,  fut  baptisée  à  Pedrola  par  le 
pape  Adrien  VI  i. 

Avant  de  demander  à  la  poésie  ce  qu'elle  a  à  nous  appren- 
dre sur  Marina,  je  mentionnerai  seulement  deux  incidents  de 
sa  vie  que  nous  connaissons  par  d'autres  témoignages.  En 
i543,  la  fille  de  D.  Alonso  se  trouvait  à  Madrid,  auprès  de  sa 
grand'mère  maternelle,  D"  Maria  de  Ulloa,  dans  le  couvent 
de  San  Dorhingo  el  Real,  et  y  eut  avec  certain  étrange  person- 
nage une  assez  plaisante  conversation  sur  laquelle  nous 
aurons  à  revenir.  L'autre  incident  est  celui  de  ses  fiançailles, 
qui  précédèrent  de  peu  sa  mort.  On  nous  dit  que  la  maladie 
dont  elle  devait  mourir  la  rappela  à  Pedrola,  qu'elle  fut  enter- 
rée au  monastère  de  Santa  Catalina  de  Saragosse  et  que  son 
fiancé  fut  le  duc  d'Alcalâ^.  Une  peut  s'agir  ici  que  de  D.  Perafun 
de  Ribera,  deuxième  marquis  de  Tarifa,  qui  fut  créé  duc  d'Alcalâ 
de  los  Gazules  en  i557,  et  mourut  vice-roi  de  Naples  le  2  avril 
15723.  S'il  est  exact  que  ce  grand  seigneur  andalous  aspira 
à  sa  main,  la  chose  a  dû  se  passer  avant  la  création  du  titre 
de  duc  d'Alcalà  au  profit  de  D.  Perafân  et  alors  que  ce  person- 
nage n'était  encore  que  marquis  de  Tarifa,  car  Marina,  nous 
allons  le  voir,  mourut  au  plus  tard  en  lô/ig. 

Une  notice,  d'une  concision  lapidaire,  de  la  vie  de  Marina 
nous  a  été  conservée  dans  un  sonnet  que  le  secrétaire  de 
Charles-Quint  et  de  Philippe  II,  Gonzalo  Pérez,  père  du  fameux 
Antonio,  composa  en  Thonneur  de  la  jeune  fille  si  prématu- 
rément enlevée  à  l'admiration  et  à  l'afTection  de  tous  ceux  qui 
la  connaissaient.  De  ce  sonnet  nous  possédons  deux  versions  : 
la  première  a  été  insérée  dans  une  traduction  espagnole  des 
Emblèmes  d'Alciat,  par  Bernardino  Daza,  qui  fut  publiée 
ù  Lyon  en  iSiig.  Le  privilège  de  ce  livre  à  Guillaume  Rouille 
el  Macé  Bonhomme  est  du  9  août  i548,  la  dédicace  de  Daza 

1.  Bélliencourt,  l.  c,  t.  III,  p.  U']2. 

2.  Béthencourt,  l.  c,  t.  III,  p.  /172,  et  R.  P.  Muniessa,  /.  c,  p.  83. 

3.  Diego  Ortiz  de  Zùniga,  Anales  eclesiasticos  y  seculares  de  Sevilla,  éd.  de  1795, 
t.  III,  p.  378,  et  t.  IV,  p.  6  et  59. 


D'    MAIU.N.V    DE    ARAGON  1^5 

à  Juan  Vuzqucz  de  Molina  du  i"  juillet  lô/jg,  et  l'achevé  d'im- 
primer du  17  août  de  la  même  année.  Le  sonnet  de  Pérez 
se  trouvant  tout  à  la  fin  du  volume,  il  pourrait  avoir  été 
communiqué  ù  Daza,  au  cours  de  limpression,  comme  une 
pièce  récemment  écrite  à  propos  du  fatal  événement,  qui 
se  serait  passé  dans  cette  même  année  ou  un  peu  plus  tôt'. 

Soneto  a  forma  de  Emblema  dcl  niiiy  M.  y  miiy  H.  seiîor  G.  Ferez  à 
la  muerle  de  Doua  Marina  de  Aragon.  Dialogo. 

Quien  yaze  aqui?  yo  soy  Dona  Marina. 
Que  sangre?  de  Aragon,  que  no  déniera. 
Porque?  porque  quiçà  mejor  me  fuera, 
Y  no  acabara  en  suerte  tan  malina. 

Que  fue  tu  vida  acà  ?  con  la  diuina 
Emperatriz  biui,  que  su  dama  era. 
Fuiste  casada?  no,  bien  lo  quisiera. 
Pues  quien  te  lo  estoruô?  tu  lo  adeuina. 

Biuiste  descansada?  ni  aun  un  hora. 
Fuiste  hermosa?  no  se,  el  mundo  lo  diga. 
En  que  edad  acabaste?  mal  lograda. 

De  que  mal?  de  dolor.  Fuiste  senora? 
Ni  aun  de  mi  libertad,  y  ansi  en  fatiga 
Llegè  (sic)  a  la  triste  y  vltima  jornada. 

Cette  première  version,  en  somme,  parle  de  la  naissance  de 
Marina,  de  ses  fonctions  de  fille  d'honneur  de  l'Impératrice, 
d'un  mariage  manqué  et  d'une  fin  prématurée  (mal  lograda) 
causée  par  un  profond  chagrin.  L'autre  version,  qui  se  trouve 
dans  un  manuscrit  de  la  Bibliothèque  nationale  de  Paris  (Esp. 
373,  fol.  234'°),  est  moins  heureuse  de  forme,  —  en  ceci  sur- 
tout que  les  deux  tercets  ne  disent  rien  et  terminent  platement 
le  sonnet;  —  le  poète  y  exprime,  d'ailleurs,  à  peu  près  les 
mêmes  idées  que  dans  la  première,  mais  ajoute  ce  détail 
précis  que  Marina  mourut  à  vingt-six  ans 2,  et  que  la  mort  la 


1.  Celte  version  du  sonnet  de  Pérez  a  été  reproduite  dans  une  «Brève  noticia  de 
Gonzalo  Ferez,  padre  del  célèbre  Antonio  Pérez,  escrita  por  el  jesuita  Esteban 
de  Arteaga  y  Lopez  »  (Coleccion  de  doc.  inêd.  para  la  historia  de  Espaha,  t.  XllI,  p.  548). 

3.  Ces  vingt-six  ans  combinés  avec  Tannée  lôig,  date  probable  delà  mort  de 
Marina,  nous  donnent  bien  lôaS  comme  date  de  naissance;  ce  qui  tend  à  prouver 
que  Marina  fut  la  seconde  fille  de  D.  Alonso  et  de  D*  .\na. 


l46  BLLLETIN    IJISPAMQUE 

surprit    au   moment -où   elle   allait   se  marier   (mi   lalatno    el 
sepulchro). 

Soneto  de  Gonçalo  Ferez  a  la  sepultiira  de  Dona  Marina  de  Aragon, 
hija  del  conde  de  Ribagorça. 

Dona  Marina  fuy,  mi  sangre  ha  sido 
aquella  de  Aragon,  clara  y  preçiada; 
mi  vida  nunca  verme  descansada  ; 
mi  suerte  no  alcançar  lo  que  he  querido. 

Mi  talamo  el  sepulchro.  y  mi  marido 
la  obscura  sombra  fue  desta  morada, 
do  en  anos  veynte  y  sey[s]  la  muerte  ayrada 
mi  clara  y  mucha  luz  a  sclaresçido  i. 

;0  tu  que  por  aqui  passar  quisieres, 
no  pares  a  mirar  la  piedra  dura 
que  ençierra  mis  despojos  mal  logrados  ! 

Si  en  tanta  tristeza  no  te  vieres, 
que  te  niegue  consuelo  tu  ventura 
en  todos  otros  casos  desastrados. 

Mais  le  chantre  le  plus  inspiré  de  la  pauvre  novia  fut  Diego 
de  Mendoza.  Dans  le  recueil  de  ses  poésies,  il  y  a  quatre  pièces 
qui  ont  trait  à  Marina  :  un  sonnet,  une  élégie,  deux  épîtres.  Le 
sonnet,  très  insignifiant  et  très  faible,  ne  compte  pasa;  l'élégie, 
au  contraire,  malgré  des  maladresses  coutumières  au  poète, 
qui,  incomplètement  maître  de  l'idiome  poétique,  n'arrive 
qu'avec  peine  à  trouver  une  forme  adéquate  à  ses  pensées  sou- 
vent ingénieuses  et  même  profondes,  et,  malgré  une  fin  décon- 
certante où  le  récit  de  l'histoire  d'Orphée  apparaît  sans  que 
l'on  sache  trop  pourquoi,  cette  élégie,  toute  vibrante  d'une 
émotion  des  plus  sincères,  a  des  passages  fort  réussis  où 
l'heureux  choix  de  l'expression  riAalise  avec  la  délicatesse  du 
sentiment.  Les  épîtres,  écrites  du  vivant  de  Marina  et  qui  lui 
furent  adressées  de  Venise,  où  Mendoza  remplissait  les  fonc- 
tions d'ambassadeur,  sous  le  couvert  d'une  Maria  de  Pefia, 
criada  de  la  jeune  fille,  affectent  le  ton  plaisant  que  Mendoza 

1.  Le  mot  sclaresçido  est  une  mauvaise  leçon  pour  oscurecido. 

3.  Non  moins  insignifiant  est  un  autre  sonnet  «  Sobre  el  sepukro  de  D'  Marina  de 
Aragon  »,  qui  figure  parmi  les  poésies  de  Gutierre  de  Cetina  {Obras  de  Gutierre  de 
Cetinaj  éd.  Hazanas,  Séville,  1896,  t.  I,  p.  118). 


D-*    MAR1>A    DE    ARAGON  1^7 

empruntait  volontiers  aux  auteurs  italiens  de  capitoU  bur- 
lesques ;  mais  l'allure  facétieuse  des  deux  morceaux  n'empêche 
pas  qu'on  y  sente  le  culte  respectueux  et  tendre  que  Mendoza 
avait  voué  à  la  jeune  fille. 

Voyons  d'abord  les  cpîtresi.  Mendoza  était  resté  quatre  ans 
(a  cabo  de  quatro  anos  de  parlido)  sans  donner  de  ses  nouvelles 
à  Marina  et  à  sa  suivante.  Ces  quatre  ans  doivent  se  compter 
probablement  à  partir  de  lôSy;  vers  la  fin  de  cette  année,  en 
effet,  il  quitta  la  Catalogne  et  Barcelone  pour  se  rendre  en 
Angleterre  où  il  avait  charge  de  représenter  l'Empereur  auprès 
d'Henri  VIII,  a^ec  Eustache  Cliapuisa.  Dans  une  lettre  à 
D.  Francisco  de  Los  Cobos,  datée  de  Londres  le  28  février  i538, 
il  rappelle  la  bonne  vie  de  Barcelone  et  exprime  ses  regrets 
d'avoir  dû  y  renoncer  3,  ce  qu'il  marque  aussi  dans  la  première 
épître  : 

Porque  como  descrece  Barcelona 
Y  huye  aquella  playa  gloriosa, 
Asi  va  enflaqueciendo  la  persona. 

Son  séjour  en  Angleterre  ne  dura  que  quelques  mois;  en 
août,  Charles-Quint  l'envoya  aux  Pays-Bas,  et  nous  avons  de 
lui  des  lettres  datées  de  Bréda  du  i4  septembre  i538i.  Puis 
il  reçoit  la  mission  de  remplacer  à  Venise  l'ambassadeur 
D.  Lope  de  Soria;  les  instructions  qu'on  lui  adresse  sont  du 
19  avril  1539  5.  Il  remplit  ces  nouvelles  fonctions  auprès  de  la 
Seigneurie  au  moins  depuis  le  mois  d'octobre  de  cette  année  tî, 
et    son  ambassade,    souvent  interrompue    par    des    missions 

1.  Çà  et  là,  dans  mes  citations  de  Mendoza,  je  rectifle  le  texte  défectueux  de  l'édi- 
tion de  W.  I.  Knapp  (Obras  poélicas  de  D.  Dieijo  Hurtado  de  Mendoza,  dans  la  Coleccion 
de  libros  espanolcs  raros  o  curiosos,  t.  XI,  Madrid,  1877),  à  l'aide  des  manuscrits  de  la 
Bibliothèque  nationale  de  Paris,  Esp.  268  et  Esp.  3n  :  ce  dernier,  on  le  sait,  contient 
des  corrections  autographes  du  poète. 

2.  Calendar  of  Slate  Papers.  Spain,  Londres,  1888,  vol.  V,  part  2,  p.  iG5,  33(3  et  iaf). 

3.  Parlant  d'un  banquet  auquel  il  avait  assisté  à  Hampton  Court,  Mendoza  écrit  : 
«  Yo  querria  passar  estas  xiras  con  el  gran  Mos.  Çaragoça  tante  como  aqui,  que  aun- 
quc  esta  es  buena  vida  para  quien  eslâ  mostrado  (acostumbrado?)  â  ella,  yo  tuvicra 
por  mejor  la  de  Barcelona  »  (Calendar,  vol.  V,  part  3,  p.  439). 

4.  Calendar,  Londres,  1890,  vol.  VI,  part  i,  p.  39.  Il  est  question  du  séjour  de 
D.  Diego  en  Angleterre  et  de  son  voyage  aux  Pays-Bas  dans  l'épîtrc  qu'il  adressa  à 
Gonzalo  Ferez  (éd.  Knapp,  p.  4G7). 

5.  Calendar,  vol.  VI,  part  i,  p.  i4C. 

0.  Sa  présence  à  Venise  est  signalée  dans  une  lettre  du  marquis  d'Aguilar,  Rome, 
le  ."«g  octobre  iSSg  {Calendar,  vol.  VI,  part  1,  p.  199). 


1^8  SOMMAIRE    DES    REVUES 

spéciales  à  Trente,  à  Sienne  ou  ailleurs,  se  continua  jusqu'en 
i547'.  Ce  serait  donc  en  i54i  ou  environ  qu'il  aurait  rimé  la 
première  et  peut-être  aussi  la  seconde  épître  à  Maria  de  Pefia. 
Dans  la  première,  intitulée  :  «  A  Maria  de  Pefia,  criada  de  doua 
Marina  de  Aragon,  en  loor  de  la  fealdad,  »  Mendoza,  après 
s'être  disculpé  en  invoquant  les  fatigues  du  voyage  et  les 
devoirs  de  sa  charge,  reproche  à  son  tour  à  Marina  d'oublier 
ses  amis  :  «Heureux  celui  qui  réussit  à  ne  plus  l'aimer...  En 
coûte  t-il  tant  d'écrire  quelques  lignes  à  un  Vénitien?  Et  après 
l'on  me  traitera  de  mal  appris!  » 

ç  Que  le  cuesta  escribir  a  un  Veneciano 
Una  letra,  un  borron  o  una  cruceta? 
i  Y  despues  que  me  traie  de  villano  ! 

«  Je  me  vengerai;  je  demanderai  au  dieu  que  nous  adorons, 
non  pas  qu'elle  perde  sa  beauté,  —  c'est  un  mal  qui  vient  sans 
qu'on  l'appelle  et  elle  perdrait  ce  dont  elle  a  le  moins  de  souci, 
—  mais  je  lui  demanderai,  à  ce  dieu,  de  la  tourmenter  en  la 
persuadant  qu'un  jour  naîtra  une  autre  D""  Marina  semblable 
à  elle,  et  qu'elle  sera  contrainte  de  voir  celte  rivale  grandir  et 
prospérer  sous  ses  yeux.  » 

Querria  que  le  entrasse  una  mohina 
Creyendo  que  algun  dia  ha  de  nacer 
En  este  mundo  otra  dona  Marina  ; 

Y  que  ella  misma  viesse  en  el  crecer 
En  gracia  y  en  valor  y  en  discrecion 
Una  que  le  pudiesse  parecer. 

((  Dites-lui  donc,  amie  Pena,  de  ne  point  se  montrer  si  con- 
fiante, si  présomptueuse  ;  il  est  parfois  dangereux  de  vouloir 
marcher  sur  le  fil  de  l'épée.  » 

No  sea  tan  bizarra  y  confiada  ; 
Que  no  es  siempre  seguro  el  caminar 
Por  encima  del  filo  de  la  espada. 

Mendoza  entame  ensuite  le  sujet  de  son  épître  bernesque, 
«  l'éloge  de  la  laideur,  »  qu'il  traite  avec  quelque  gaucherie, 

I.  vida  de  Don  Diego  Hurlado  de  Mendoza,  clans  l'étlition  de  Valence,  1776,  de  la 
Guerra  de  Granada,  p.  xsxv. 


U'    MARINA    DE    ARAGON  l49 

et  la  transition  qui  nous  ramène  à  Marina  manque  de  cette 
désinvolture  bouffonne  qui  seule  rend  ces  paradoxes  suppor- 
tables chez  les  meilleurs  Italiens.  «  J'ai  voulu  vous  dire  tout 
cela,  dame  Pena,  afin  que  vous  puissiez  engager  votre  maî- 
tresse à  nous  traiter  avec  moins  de  hauteur.  La  fraîcheur,  la 
jeunesse  passeront;  je  sais,  au  surplus,  qu'elle  n'y  attache 
aucun  prix,  possédant  ce  qui  seul  a  de  la  durée.  » 

He  querido  deziros  este  todo 
Porque  podais  a  vuestra  ama  aconsejar 
Que  no  nos  ponga  a  todos  tan  del  lado. 

Mire  que  cl  verdegay  se  ha  de  acabar, 
Dado  que  ella  le  estima  harto  poco, 
Pues  tienc  lo  que  siempre  ha  de  durar. 

Au  bord  d'une  onde  limpide  et  fraîche,  Mendoza  construira 
à  Marina  un  temple,  oîi,  vêtu  de  pourpre,  il  accomplira  les 
rites  en  lui  sacrifiant  des  cœurs  humains,  des  désirs  mêlés  à 
des  soucis.  Puis,  après  une  allusion  «aux  rois  ses  ayeux», 
le  poète  évoque  quelques  idées  tristes  :  la  haine,  les  destins 
contraires,  l'animosité  des  méchantes  langues  (el  rencor  de  las 
lenguas  maliciosas),  qui  semblent  indiquer  que  Marina,  plusieurs 
années  avant  sa  maladie  et  sa  mort,  avait  eu  à  souffrir 
douloureusement  dans  ses  affections,  n'avait  point  vu  se 
réaliser  ses  rêves  de  jeune  fille. 

L'autre  épître,  dont  le  sujet  est  «  la  fondation  de  Venise  », 
débute  très  agréablement.  Mendoza  trouve  un  moyen  gracieux 
d'expliquer  pourquoi  il  s'adresse  à  Pena  et  non  directement 
à  sa  maîtresse  ;  il  se  compare  au  pauvre  pèlerin  de  Rome  ou 
de  Compostelle,  qui,  uniquement  préoccupé  d'atteindre  le 
terme  de  son  pénible  voyage,  n'a  d'yeux  que  pour  le  sanctuaire 
dont  l'édifice  se  détache  comme  un  point  lumineux  au  milieu 
de  la  ville;  il  s'approche,  mais,  saisi  de  confusion  et  de  honte, 
il  n'ose  chercher  la  grande  image  ;  il  s'arrête  devant  une 
moindre,  la  première  qui  s'offre  à  ses  regards,  et  il  adore 
de  loin  les  autels.  «  Tel  moi,  »  dit  Mendoza,  «  pénétré  de  la  valeur 
de  votre  maîtresse,  je  me  contente,  dame  Pena,  d'être  entendu 
de  vous.  »  Ces  quelques  tercets,  inspirés  par  un  sentiment  vrai, 

Bull,  hispan.  n 


lOO  BULLETIN    HISPANIQUE 

disent  bien  ce  qu'ils  veulent  dire  et  font  image;  ils  comptent 
parmi  les  meilleurs  qu'ait  jamais  écrits  ce  fin  lettré  : 

El  pobre  peregrino,  quando  viene 
A  Roma  o  a  Santiago  en  romeria 
Por  voto  esprcsso  o  devocion  que  tiene, 

Va  entre  si  discurriendo  por  la  via 
La  gloria,  religion  y  pïedad 
Del  proposito  santo  que  le  guia. 

No  le  mueve  grandeza  de  ciudad; 
Las  casas  o  dineros  o  manjares 
No  le  hazen  mudar  de  voluntad. 

Llegando,  se  présenta  a  los  lugares 
Sagrados  y  de  mas  veneracion, 
Dende  lexos  adora  los  altares  ; 

Porque  siendo  de  humilde  condicion, 
Ni  se  atreue  ni  puede,  va  que  quiera, 
OfTrecer  mas  de  cerca  su  oracion. 

Escoge  en  las  imagenes  de  fuera 
Lna  para  rezar  lo  que  le  plaze, 
Indigno  de  tocar  a  la  primera... 

Pues  yo,  sefiora  Pefia,  etc. 

Le  reste  n'a  plus  rien  de  commun  avec  Marina  :  D.  Diego  ne 
pense  qu'à  amuser  ses  deux  lectrices  par  un  tableau  assez 
fantaisiste  de  l'histoire  de  la  fameuse  république,  où  les  inci- 
dents célèbres,  tels  que  le  sposalizio  du  Doge  avec  la  mer  et 
les  détails  piquants  de  la  festa  délia  Sensa,  comme  on  disait 
à  Venise,  tiennent  une  grande  place. 

Quand  Mendoza  écrivit-il  son  In  memoriam?  L'élégie  »  en  la 
muerle  de  D"  Marina  de  Aragon  »  ne  contient  rien  qui  permette 
de  la  dater  avec  quelque  précision;  il  est  probable  qu'elle  est 
du  même  temps  que  le  sonnet  de  Gonzalo  Ferez.  Outre  le  mérite 
de  la  forme,  qui,  comme  il  a  été  dit,  est  réel  au  moins  dans  quel- 
ques parties,  cette  pièce  en  a  d'autres;  elle  est  la  seule  qui 
nous  initie  à  la  vie  intérieure  de  Marina,  qui  analyse  ses  sen- 
timents, qui  précise  les  traits  de  son  caractère,  qui  éclaire  un 
peu,  quoique  trop  faiblement  encore,  les  causes  de  ses  peines 
et  de  ses  maux.  Surprise  par  la  mort  au  moment  de  son 
complet  épanouissement,  dans  la  fleur  de  sa  beauté, 

En  el  colmo,  en  la  flor  de  hermosura 
De  arrebalada  muerte  salteada, 


D"    MARINA    DE    ARAGON  IDI 

Marina  a  été  aussi  pleurée   qu'elle  avait  été  adulée  pendant 
le  peu  d'années  qu'il  lui  fut  donné  de  vivre  : 

Fuiste,  doiîa  Marina,  tan  llorada 
Quanlo  cl  poco  que  en  esta  luz  viviste 
Tu  vida  merecio  ser  alabada. 

«  Qui  fut  plus  admirée  et  plus  servie,  qui  le  méritait  mieux, 
qui  en  fit  jamais  si  peu  de  cas?  »  La  mort  impitoyable  fut 
soudaine,  inattendue  : 

Te  arrebalo  delante  nuestros  ojos 
En  el  tiempo  que  menos  lo  pensaste. 

Et  cette  vie  de  peu  de  jours,  si  cruellement  interrompue  et 
brisée,  suggère  à  Mendoza  la  comparaison  maintenant  rebattue 
—  qu'un  poète  de  nos  jours  éviterait  ou  qu'il  chercherait 
au  moins  à  renouveler  par  quelque  trouvaille  d'expression  — 
de  l'épi  moissonné  dans  sa  fleur,  de  la  jeune  pousse  trop  tôt 
coupée  par  une  main  imprudente,  mais  qui,  au  temps  de 
Mendoza,  caressait  loreille  novice  des  Espagnols  non  encore 
rassasiés  des  adaptations  italiennes  ou  de  l'imitation  de  la 
poésie  classique  : 

Si  el  trigo  no  es  maduro  en  el  arista, 
No  corta  el  segador  la  mies  en  berza 
Antes  de  la  sazon  venida  y  vista. 

No  pone  en  verde  rama,  aunque  se  tuerza, 
La  hoz  antes  de  tiempo  el  hortelano, 
Hasta  que  se  endurece  y  toma  fuerza. 

Dans  les  tercets  suivants,  il  s'applique  à  décrire  les  grâces 
captivantes  de  la  jeune  fille,  à  peindre  les  nuances  délicates 
de  sentiment  qui  apparaissaient  dans  sa  conversaciôn.  Elle 
a  une  façon  douce  de  décourager  (manso  desengano)  les  trop 
entreprenants  qui  les  oblige  à  l'aimer,  malgré  qu'ils  aient 
perdu  tout  espoir  de  l'attendrir;  elle  sait  guérir  les  blessures 
que  son  simple  aspect  a  causées.  L'âme,  l'allure  et  les  pensées 
restent  dignes  du  grand  lignage  dont  elle  descend.  Mais  à  quoi 
bon  invoquer  l'histoire  et  rappeler  lo  souvenir  de  tant  de  rois? 
Ce  serait  faire  tort  à  ses  mérites  propres.  «  Quel  abandon  dans 


l53  BULLETIN    HISPANIQUE 

sa  parole  et  quel  à-propos!  Quelle  clairvoyance,  quelle  sagesse, 
quelle  simplicité!  On  eût  dit  qu'elle  montrait  son  cœur 
ouvert.  » 

[Que  descuido  en  la  habla,  que  concierto; 

Que  aviso,  que  prudencia,  que  Uaneza! 

Parecia  mostrar  el  pecho  abierto. 

«  J'ai  quitté  mon  pays,  »  dit  Mendoza,  <(  le  cœur  triste,  pour 
chercher  au  loin  plus  de  gloire,  plus  dautorité;  mais  le  destin 
a  tellement  coupé  les  ailes  de  mon  ambition  que  je  me  sens 
vaincu.  J'aurais  mieux  fait  de  suivre  tes  traces,  de  me  conten- 
ter d'une  plus  modeste  existence,  de  ne  pas  te  considérer 
comme  le  couronnement  suprême  d'autres  efforts,  mais  de 
réaliser  en  toi  seule  mon  bonheur.  » 

Sali  triste  de  mi  naturaleza 
A  buscar  en  provincias  apartadas 
Mayor  reputacion,  mayor  grandeza. 

Tienenme  ahora  los  hados  tan  cortadas 
De  la  gloria  las  alas  que  me  canso  ; 
Mejor  fuera  parar  en  tus  pisadas, 

Correr  con  la  fortuna  bajo  y  manso 

Y  no  tomari  por  fin  merecer  verte, 
Mas  en  verte  poner  fin  y  descanso. 

A  les  prendre  à  la  lettre,  ces  tercets  signifient  que  Mendoza 
avait  vraiment  aimé  Marina  et  avait  pensé  l'épouser.  «  Heu- 
reux ceux  qui,  groupés  autour  de  toi,  t'ont  aidée  à  franchir  le 
terrible  pas!.,.  Heureux  celui  dont  tu  pris  congé,  qui  entendit 
les  paroles  que  tu  prononças  et  à  qui  en  mourant  tu  dis  adieu  ! 
Tu  as  souffert  des  peines  sans  fin,  tu  n'as  vécu  que  peu  d'années 
de  vie,  tu  as  lutté  incessamment  contre  ta  destinée,  rien  de  ce 
que  tu  désirais  ne  t'a  réussi.  » 

Infinitos  trabajos,  pocos  dias, 
Contino  contrastar  con  la  fortuna 

Y  salirte  al  rêves  quanto  querias. 

«  Née  sous  un  astre  favorable,  les  gens  t'adoraient  comme 
une  déesse,  fortune  à  toi  seule  réservée.  Les  autres  femmes 

I.  Le  texte  de  Knapp,  au  lieu  de  tomar,  a  temer,  qui  ne  donne  aucun  sens. 


D'    MVRIW    l)i:     \H\G(')\  153 

qui  t'observaient  s'efforçaient  de  te  ressembler,  mais  sentaient 
bientôt  l'inutilité  de  leurs  efforts  et  s'en  étonnaient...  L'Espagne 
entière  a  pris  le  deuil  en  apprenant  ta  mort,  et  jamais  l'Èbrc 
n'a  tant  crû  par  les  pluies  et  neiges  que  lui  envoient  ses 
montagnes  que  par  les  larmes  que  nous  y  avons  versées.  » 
Mendoza  souhaiterait  que  l'art  pût  reproduire  l'image  de 
Marina  et  la  fît  en  quelque  manière  revivre.  Espoir  vain  : 
qui  y  réussirait?  Ni  couleur,  ni  pierre,  ni  métal,  ni  génie  ne 
pourrait  atteindre  ce  degré  de  perfection;  et,  d'ailleurs,  «bien 
fou  celui  qui  prétendrait  rendre  la  vie  dans  ce  monde  terrestre 
à  celle  qui  dans  l'autre  jouit  de  la  vie  éternelle!  » 

;  0  cuidado  de  loco  perenal, 
Querer  en  este  siglo  dar  la  vida 
A  quien  vive  en  el  otro  va  inmortal  ! 

L'élégie  se  termine  en  fait  ici  ;  il  eût  mieux  valu  que  Mendoza 
ne  l'amplifiât  pas  de  cette  digression  oiseuse  sur  Orphée  qui 
affaiblit  l'impression  du  morceau  et  éteint  le  lyrisme  de  bon 
aloi  qui  jusqu'alors  avait  soutenu  le  poète  et  lui  avait  inspiré 
des  accents  dont  on  ne  saurait  nier  la  sincérité  ni  l'éloquence. 
Savoir  finir  est  un  art  qui  n'est  pas  commun  chez  les  poètes 
espagnols;  on  peut  leur  appliquer  en  général  ce  que  disait 
Gracian  :  «  Todo  se  les  va  a  algunos  en  començar  y  nada 
acaban;  inventan,  pero  no  prosiguen...  impaciencia  de  ânimo, 
tacha  de  Espar.oles.  » 

Que  conclure  de  tout  ceci?  Certaines  expressions  de  l'élégie, 
je  l'ai  remarqué  déjà,  accusent  de  la  part  de  Mendoza  une 
affection  plus  que  respectueuse,  un  attachement  très  réel  et 
des  regrets  cuisants  de  s'être,  à  un  moment  de  sa  vie,  éloigné 
de  la  jeune  fille,  d'avoir  sacrifié  à  ses  rêves  ambitieux  les 
années  qu'il  aurait  dû  consacrer  à  l'aimer  et  à  la  servir.  C'est 
ce  qu'on  peut  croire  ;  mais  il  faut  aussi  se  méfier  du  style  poé- 
tique de  l'époque,  il  faut  éviter  d'être  dupe  d'un  langage  con- 
ventionnel qui  n'a  que  trop  sévi  depuis  Pétrarque  dans  la 
poésie  italienne  et,  à  son  exemple,  dans  la  poésie  espagnole. 
En  l'absence  d'autres  témoignages  plus  probants,  laissons  donc 
dans  la  pénombre,  dans  un  vague  mvstérieux,  les  relations  de 


l54  BULLETIN    HISPANIQUE 

D.  Diego  et  de  D*  Marina,  l^e  s'agirait-il  que  d'un  amour  de  tête, 
d'un  culte  purement  spirituel?  Ce  genre  d'érotisme  ne  convien- 
drait pas  mal  au  dilettante  affiné  par  la  lecture  des  Grecs,  par 
un  commerce  assidu  avec  les  maîtres  du  platonisme  et  du 
pétrarquisme  italien.  Quoi  qu'il  en  soit,  l'amour  de  Mendoza, 
platonique  ou  non,  lui  a  dicté  quelques  vers  heureux,  quelques 
pensées  touchantes  :  n'en  demandons  pas  plus.  Sur  d'autres 
points,  l'élégie  semble,  au  premier  abord,  assez  explicite;  mais, 
à  y  regarder  de  près,  le  sens  exact  des  mots  qui  semblaient 
le  plus  révélateurs  nous  échappe.  Mendoza  insiste  sur  les  nom- 
breux mécomptes  de  Marina,  sur  la  longue  lutte  qu'elle  sou- 
tint contre  sa  destinée:  rien,  dit-il,  ne  lui  a  réussi.  Dans  le 
concert  d'hommages  adressés  à  la  fille  d'honneur,  il  y  en  eut, 
sans  doute,  qui  touchèrent  son  cœur  un  peu  plus  que  d'autres, 
et  au  jeu  des  gakmteos  de  palacio  peut-être  donna-t-elle  des 
gages  qui  enchaînèrent  sa  liberté  et  lui  valurent  ensuite  de 
graves  déceptions.  Beaucoup  de  conjectures  sont  permises, 
mais  il  serait  impertinent  de  les  formuler.  Contentons-nous  de 
savoir  qu'à  partir  au  moins  d'un  certain  moment  la  jeune  fille 
ne  fut  pas  heureuse  ;  rien  ne  lui  réussit  plus  :  saliôte  al  rêves 
quanto  querias! 

Et  cependant  sa  vie  eut  aussi  ses  rayons  de  soleil,  ses 
moments  d'expansion,  de  gaîté  franche  et  même  d'espièglerie. 
La  note  attristée,  presque  lugubre  par  instants,  de  l'élégie  de 
Mendoza  ne  nous  rend  pas  du  tout  la  Marina  telle  qu'elle  se 
révéla  à  d'autres  contemporains,  et  notamment  à  certain 
aventurier  quelque  peu  picaresque,  du  nom  de  D.  Alonso  Enrî- 
quez  de  Guzmân,  et  qui  se  donnait  à  lui-même  le  sobriquet 
significatif  de  «  gentilhomme  déconfit  »  (caballero  noble  desba- 
ratado)^.  Le  personnage  en  question,  se  trouvant  à  Madrid  en 
i5/i3,  alla  rendre  visite  à  D''  Maria  de  Ulloa,  retirée,  en  sa  qua- 
lité de  veuve,  à  Santo  Domingo  el  Real  et  qui  avait  auprès 
d'elle  trois  de  ses  petites-filles,  dont  notre  Marina.  Dès  que 
D.  Alonso  fut  entré,  la  jeune  fille,  s'adressant  à  lui,  dit  à  brûle- 


I.  «Libro  de  la  vida  y  costunabres  de  Don  Alonso  Enriquez,  caballero  noble  desba- 
ratado,  »  dans  la  Coleccion  de  documentos  inéd.  para  la  hist.  de  Espana,  t.  LXXXV, 
p.  4o6. 


D"    MARINA    l>r:    AHAGO.N  I  ,)0 

pourpoint  :  «  Connaissez-vous  les  aulcls  que  D^  Maria  de  Llloa  a 
édifiés  dans  sa  demeure?  —  Non,  »  répondit  l'autre.  —  «  Et  vou 
lez-vous  les  voir? —  A  votre  disposition,  »  dit  Alonso,  pensant 
que  ce  serait  pour  un  autre  jour.  Mais  Marina,  ordonnant  à  un 
page  de  prendre  un  flambeau  et  de  les  accompagner,  conduisit 
D.  Alonso  de  chambre  en  chambre,  de  corridor  en  corridor, 
jusqu'à  l'autre  bout  de  la  maison.  Un  grand  vent  soufllait  dans 
ces  parages  et  menaçait  d'éteindre  la  lumière.  Alonso,  de  son 
naturel  assez  avantageux,  se  posa  cette  question  :  «  Si  cette 
lumière  s'éteint,  de  deux  choses  l'une,  ou  bien  je  me  tiendrai 
à  distance  et  passerai  pour  un  imbécile,  ou  bien  je  m'appro- 
cherai d'elle  et,  en  ce  cas,  je  lui  manque  de  respect.  »  Et,  inter- 
pellant le  page,  il  lui  recommanda  de  ne  pas  laisser  la  lumière 
s'éteindre.  Marina  dit  alors  :  «  Gela  n'a  aucune  importance.  » 
D.  Alonso,  de  plus  en  plus  ému,  s'écria  :  «  Pecadorde  mi,  qu'est-ce 
que  cela  veut  dire?  »  Puis,  arrivant  aux  autels,  D.  Alonso  se 
jeta  aux  pieds  de  celui  du  milieu  «  qui  invitait  le  mieux  à  la 
dévotion  »,  et,  après  avoir  récité  un  Ave,  il  adressa  à  la  Mère 
de  Dieu  cette  prière  :  «  Par  la  joie  que  tu  ressentis  lorsque 
l'ange  t'annonça  que  le  Seigneur  était  en  toi,  secours-moi 
dans  cette  détresse  et  réconforte-moi.  »  Soudain  apparut  une 
duègne  comme  descendue  du  ciel,  car  D.  Alonso  n'avait  pas 
souvenir  de  l'avoir  vue  parmi  celles  qui  étaient  au  service  de 
D'  Maria.  «  Soyez  la  bien-venue,  Madame,  »  lui  dit-il  ;  «  par  ma 
foi,  sans  vous  nous  étions  fort  seuls,  et  comme  le  diable  ne 
dort  pas...  »  A  ces  mots,  la  malicieuse  Marina,  qui  s'était  par- 
faitement rendu  compte  des  sentiments  de  son  compagnon, 
riposta  :  «  Écoutez-moi,  Don  Alonso,  et  sachez  bien  qu'on  n'a 
jamais  rien  fait  de  mal  qu'à  l'aide  d'une  duègne.  »  Le  pauvre 
Alonso  se  retira  assez  penaud,  et  d'autant  plus  qu'ayant  rendu 
compte  de  l'incident  aux  parents  de  Marina,  la  friponne,  pour 
mieux  narguer  le  cavalier,  déclara  qu'elle  recommencerait  une 
fois  et  cent  fois  la  promenade  seule  avec  lui  et  même  plus 
seule  encore  :  «  Ce  dont  Dieu  me  garde!  »  dit  en  finissant  Don 
Alonso,  non  sans  dépit  :  ce  coureur  d'aventures  et  de  bonnes 
fortunes  venait  de  recevoir  une  leçon  supérieurement  admi- 
nistrée et  dont  il  dut  se  souvenir  longtemps. 


l5G  BULLETI»    HISPA^'1QL1E 

Voici  en  son  jargon  informe  le  récit  du  «  gentilliomme 
déconfit  ))  : 

Lo  que  me  pasô  con  una  dama  en  Madrid  en  el  ano  de  15U3,  mes  de  mayo  ;  y 
porque  es  caso  de  admiracion  y  endiscrecion,  y  esta  prohibido  contarlo  à  los 
vivos,  doy  por  testigo  à  la  ilustrisima  seiîora  doiïa  Maria  de  Mendoza  y  à  la 
ilastre  senora  dona  Francisca  Sarmiento,  su  hermana,  y  al  seîïor  don  Alvaro  de 
Mendoza. 

Tiene  atencion  el  caso  de  admiracion,  porque  représenta ndolo  el  auctor, 
que  es  al  mismo  que  le  acaecio,  le  tiemblan  las  carnes.  Habeis  de  saber  que 
en  el  dicho  lugar  esta  una  senora  de  gran  linaje  y  no  ménos  fama  de  hon- 
rada  y  cristianisima,  que  se  Uama  D"  Maria  de  UUoa,  viuda,  madré  del 
S""  Conde  de  Satinas,  la  cual  tiene  en  su  casa  très  nietas  muy  honradas  y 
hermosas,  de  tierna  edad,  aunque  no  tan  ninas  que  no  se  podrian  ya  casar.  La 
una  es  hija  del  Conde  de  Ribagorza,  en  Aragon;  llâmase  D"  Marina  de  Ara- 
gon. Es  una  dama  que  fué  de  la  Emperatriz,  nuestra  Seùora,  que  esta  en 
gloria,  tan  hermosa,  tan  discreta  y  valerosa  que  en  verdad  yo  no  hallo  â 
que  la  pueda  comparar,  sino  es  â  la  lima  D^  Maria  de  Mendoza.  Yendo  yo 
â  ver  à  su  abucla  y  a  estas  seiloras  en  Santo  Domingo  el  Real,  do  real  y  san- 
tamente  tiene  hecha  su  casa  y  morada,  que  era  noche,  y  me  dijo  esta 
D'  Marina,  ângel  o  diable,  6  quien  que  es  :  «  S"^  D.  Alonso,  ^  habeis  visto  los 
altares  de  mi  S'"  D'  Maria  de  UUoa  en  esta  su  casa?»  Yo  le  dije  :  «  ISo 
senora.»  Respondiôme  :  «  Quereis  que  os  los  muestre.^»  Yo  le  dije: 
u  Guando  Vmd.  fuere  servida,  »  creyendo  fuera  otra  dia. 

Luégo  se  levantô  ligera  y  esparcida,  y  dijo  a  un  paje  :  «  Toma  ese  cande- 
lero.  »  Y  mandole  pasar  adelante,  y  luégo  â  mi,  y  ella,  y  no  mas,  y  pasainos 
por  muchas  câmaras  y  recâmaras  y  muchos  corredores  y  ventanas  por  muy 
gran  rato,  andando  cabe  la  lumbre  muy  gran  viento,  y  en  mi  pensamiento 
tormento,  y  la  casa  como  encantada,  sola  y  grande,  considerando  ;  pecador 
de  mi!  que  es  esto  6  que  ha  de  ser  si  la  vêla  se  apaga,  porque  si  me  desvio 
délia,  déjola  sola  y  quedo  necio  y  apocado;  si  me  llego  â  ella,  desacdtome  y 
desverguénzome.  Yo  decia  al  paje  :  «  Mira  no  se  te  mate  la  vêla.  »  Ella  res- 
pondiô:  «No  va  nada  en  ello,  S"^  D.  Alonso.  »  Yo  entre  mi  :  «  [Oh,  pecador 
de  mi'!  ,;  que  es  esto?»  Y  ansi  como  llegamos  6  los  altares,  que  son  très, 
fuime  al  de  medio,  que  me  pareciô  mâs  devoto,  y  recé  un  Ave  Maria,  como 
oracion  mâs  brève,  y  dije  a  una  imâgen  de  la  Madré  de  Dios  :  «  Senora,  por 
aquel  gozo  que  sentisle  cuando  el  Angel  te  trajo  la  nueva  cômo  el  Seiîor  era 
contigo,  que  me  socorras  en  este  trabajo,  y  me  des  gozo  y  alegn'a.  »  Entonces 
pareciô  una  dueùa,  que  juro  por  Dios  que  me  pareciô  que  bajaba  del  cielo, 
y  que  no  lo  dejo  de  créer  ansi,  porque  he  mirado  por  todas  las  duenas  de  la 
gra  £)a  Maria  de  Ulloa,  y  no  vi  aquella  otro  dia  que  fui  con  mi  S'"  D"  Maria  â 
corner  alla,  y  estuve  todo  el  dia  con  ellas.  Entonces  dije:  «  j  Oh,  senora, 
seais  muy  bien  venida,  que  â  fé  que  estabamos  muy  solos  sin  vos,  y  como  el 
diablo  no  duerme!...  »  Respondiô  la  S"  D"  Marina,  que  como  discreta  cono- 
ciô  mi  temor,  y  como  valerosa  y  generosa  quiso  gustar  dél  :  «  Mira,  S'  Don 
Alonso,  hâgoos  saber  que  nunca  se  hizo  mal  recado  sino  con  dueiïa.  » 

Contempla,  hombres  humanos  de  carne  y  de  hueso,  que  tormento  tan 
extrano,  que  miedo  tan  grande,  que  verguenza,  que  corrimiento  pasô  por  el 
pobre  hombre;  y  luégo  df  mucha  priesa  para  volverme  do  estaba  su  agùela 


D*    MAUINA    DE    AUAGON  1 57 

y  primas,  y  el  S' D.  Alvaro  de  Mendoza;  e  no  fué  menester  poca  priesa,  segun 
era  léjos,  y  yo  eslaba  penado  y  congojado,  de  lo  cual  dimos  luégo  cuenta  â 
losdichos;  y  despues  olro  dia  [â]  mi  S"  D^  Maria  e  la  S'^D^Francisca,  tornan- 
dole[s]  ;i  decir  esta  inalvada  esfazarda  que  entraria  otra  vez  y  otras  ciento 
conniigo  tan  sola  y  mâs,  de  lo  cual  me  guarde  Dios.  Amen,  amen. 

Ce  passage  des  Mémoires  du  Desbaratado  a,  en  tout  cas,  le 
mérite  de  dissiper  l'impression  mélancolique  que  nous  avait 
laissée  l'élégie  de  Mendoza.  On  aime  à  penser  que  la  jeune 
fille,  dont  les  dernières  années  ont  été  obscurcies  par  des  tris- 
tesses el  des  souffrances,  a  ri  aussi,  a  plaisanté,  a  vécu  des 
moments  de  vie  joyeuse  et  folâtre;  il  y  a  donc  eu  pour  elle  des 
jours  heureux  comme  il  y  a  eu  des  jours  sombres  :  destinée 
commune  à  beaucoup  d'autres.  C'est  tout  ce  qu'il  est  permis 
de  dire,  et  l'on  commettrait  une  imprudence  si  l'on  prétendait 
deviner  davantage;  mais  sachons  gré  au  moins  à  son  fervent 
adorateur  D.  Diego  et  à  d'autres  témoins  d'avoir  levé  pour 
nous  quelques  coins  du  voile  et  de  nous  avoir  montré,  sous 
des  aspects  divers,  la  gentille  âme  espagnole  de  D^  Marina 
de  Aragon. 

Alfred  MOREL-FATIO. 


p.  CORNEILLE  JU&E  PAR  UN  HONGROIS 


Dans  le  premier  chapitre  de  son  livre  sur  P.  Corneille  et  le 
théâtre  espagnol^,  M.  Huszar  me  fait  l'honneur  dangereux  de 
m'opposer  à  tous  ceux  qui,  avant  moi,  se  sont  occupés  du 
sujet  qu'il  traite 3,  et  il  me  déclare  à  peu  près  le  seul  à  avoir 
envisagé  cette  question  du  point  de  vue  véritable  qui  est,  bien 
entendu,  le  sien.  Malheureusement,  j'ai  le  désavantage  d'être 
Français,  et,  par  suite,  incapable  de  parler  de  Corneille  avec 
l'indépendance  d'esprit  nécessaire.  M.  Huszar  est  dans  une 
situation  autrement  privilégiée,  puisque  la  nature  lui  a  donné, 
pour  regarder  la  France  et  l'Espagne,  des  yeux  hongrois,  lumi- 
neusement impartiaux.  Il  se  propose  donc  de  compléter,  de 
préciser  et  de  rectifier  mes  conclusions.  Gomment  ?  C'est  ce 
que  je  vais  essayer  d'indiquer  le  plus  rapidement  possible. 
J'avoue  que  des  scrupules  se  sont  d'abord  présentés  à  mon 
esprit;  mais  je  me  suis  souvenu  des  raisons  supérieures  qu'in- 
voquait M.  Faguet  dans  un  délicieux  article  des  Débats  sur  le 
poète  norvégien  de  Au  delà  des  forces  humaines.  Comme 
d'aucune  manière  je  ne  puis  m'empêcher  de  penser  avec  un 
cerveau  français,  la  certitude  de  mon  inévitable  partialité  me 
rassure.  Je  serais  autrement  inquiet  si  j'avais  à  juger  la  supé- 
riorité d'un  original  sanscrit  sur  une  adaptation  arabe  ou 
pehlvie. 

Il  n'est  qu'un  point  sur  lequel  M.  Huszar  se  déclare  réduit  à 
ses  propres  recherches;  mais  ce  point  a  son  importance,  qui 
est  grande.  Il  s'agit,  en  effet,  de  savoir  si,  oui  ou  non,  la  Comedia 
a  exercé  son  influence  sur  les  premières  comédies  de  Corneille. 
Si  la  réponse  est  oui,  n'en  pourra-t-on  pas  conclure  que,  dans 
son  essence  même,  le  génie  cornélien  dérive  de  l'Espagne?  Si, 

I.  Paris,  Emile  Bouillon,  igoS. 
a.  P.  ag  et  3o. 


1>.    COUNEILLE    JLGÉ    PAK    UN    HONGROIS  IO9 

au  contraire,  la  réponse  est  non,  il  sera  légitime  de  prétendre 
que  la  Comedia  a  surtout  permis  au  plus  glorieux  fondateur  de 
notre  théâtre  classique  de  prendre  conscience  de  lui-même  et 
de  se  dégager  des  ornières  où  s'enlisaient  ses  contemporains. 
M.  Huszâr  soutient,  bien  entendu,  la  première  de  ces  deux 
opinions.  Mais  quelles  preuves  apporte- t-il!*  Il  faut  d'abord 
constater  qu'il  ne  nous  indique  aucun  texte  espagnol  à  rappro- 
cher d'un  passage  de  Corneille  plus  ou  moins  vaguement  ana- 
logue. Au  lieu  de  bonnes  raisons,  il  ne  nous  présente  guère 
que  des  hypothèses  toujours  fantaisistes  et  parfois  étonnantes. 
Je  ne  m'arrêterai  pas  longtemps  sur  les  expressions  qui  lui 
paraissent  venir  de  la  Comedia.  Corneille  n'avait  pas  besoin  de 
lire  Lope  ou  Calderon  pour  faire  dire  à  ses  héros  «  ma  chère 
âme»  ou  «quatre  mots  à  quartier».  Quant  aux  hyperboles 
antithétiques  comme  «  adorable  cruelle  »  ou  «  monstre  de  la 
nature»,  elles  étaient  courantes  dans  le  roman  contemporain. 
II  n'y  a  qu'un  mot  qui  semble  avoir  une  origine  directement 
espagnole,  c'est  celui  de  «  veillaque  »,  et  ce  mot  n'apparaît  que 
dans  V Illusion  comique  à  partir  de  laquelle,  en  effet,  l'influence  de 
l'Espagne  commence  à  s'exercer  sur  Corneille.  M.  Huszâr,  lui, 
rencontre  cette  influence  jusque  «  dans  les  moindres  bagatelles  » . 
C'est  ainsi  qu'il  nous  apprendra  que  la  formule  :  «  C'est  beau 
comme  le  Cid  »  n'est  qu'une  adaptation  de  l'expression  fameuse 
«  c'est  du  Lope  ».  II  n'est  d'ailleurs  pas  embarrassé  pour  prêter  à 
Toccasion  aux  premiers  héros  de  Corneille  des  termes  espagnols. 
Ne  nous  dit- il  pas,  à  propos  de  la  Galerie  du  Palais,  qu'Aronte 
conseille  à  Lysandre  d'user  des  «  celos  »  dans  l'intérêt  de  son 
amour?  Il  appert  nettement  de  ce  passage'  que  M.  Huszâr  sait 
traduire  «jalousie»  en  espagnol,  mais  il  ne  nous  est  nulle- 
ment prouvé  qu'Aronte  en  sût  faire  autant  2. 

Je    ne    suis    pas    davantage    convaincu    que    Corneille    ait 

I.  P.  î3i. 

3.  M.  Huszâr  semble  connaître  l'espagnol.  Aussi  suis-je  surpris  de  rencontrer  dans 
son  livre  les  formes  suivantes:  antiquo  (p.  121);  representacions  (p.  iS.'t);  galans 
(p.  161)  ;  un  auto  sacramentale  (p.  181)),  etc.  Je  ne  crois  pas  non  plus  que  M.  Huszâr  se 
fasse  une  idée  bien  juste  de  l'origine  du  nom  des  comédies  de  cape  et  d'épée  quand  il 
écrit:  «  La  plupart  des  pièces  retentissent  du  cliquetis  des  épées;  il  n'en  est  pas  où  il 
n'y  ait  quelques  duels,  aussi  leur  nom  de  comedias  de  capa  y  espada  en  indique- 1- il 
assez  le  caractère  »  (p.  i5C). 


l6o  BULLETIN    HISPANIQUE 

emprunté  à  la  Comedia  les  considérations  sur  l'amour  ou  les 
dissertations  sur  l'honneur  dont  parle  M.  Huszâr.  M.  Huszâr  les 
trouvera  quand  il  voudra  dans  les  romans  et  surtout  dans  les 
tragi-comédies  qui  parurent  en  France  avant  le  CidK  Mais  je 
doute  fort  qu'il  le  veuille  jamais.  Il  préfère,  en  effet,  nous  faire 
sentir  partout  l'arôme  de  la  Comedia,  et  surtout  là  oii  serait  en 
défaut  un  odorat  ordinaire.  Constatant,  par  exemple,  que 
Corneille  évite  les  aparté,  «  il  n'est  pas  impossible  »,  écrit-il  % 
«  qu'il  ait  songé  au  drame  espagnol  qui  en  abuse.  »  En  présence 
d'arguments  de  ce  genre,  je  serais  curieux  de  voir  comment  on 
pourrait  méconnaître  que  Corneille  est  un  simple  copiste  de  la 
Comedia.  Les  autres  découvertes  de  M.  Huszâr  ont  à  peu  près 
la  même  valeur.  Vous  croyez  peut-être  que  le  fameux  «  moi  »  de 
Médée  n'est  qu'une  ingénieuse  traduction  du  uMedea  superest» 
de  Sénèque?  Point  du  tout.  Bien  qu'il  fût  de  Cordoue^  Sénèque 
n'est  pas  assez  Espagnol.  Ce  moi  «  pour  lequel  les  critiques 
français  semblent  avoir  épuisé  toutes  les  louanges  «3,  Corneille 
l'a  tiré  de  YEn  esta  vida  de  Calderon,  à  moins  que  ce  ne  soit  de 
la  pièce  de  Lope  intitulée:  Querer  la  propia  desdicha.  On  vous 
avait  jadis  enseigné  que  la  u  nourrice  «  était  un  personnage  de 
l'ancien  théâtre  français  que  Corneille  put  remplacer  par  la 
suivante  grâce  à  l'importance  grandissante  et  au  nombre  nou- 
veau des  actrices.  Sachez  donc  que  la  présence  de  ce  personnage 
doit  nous  faire  songer  à  un  «  gracioso  en  jupon  »,  et  que  sa 
disparition  ne  s'explique  bien  que  par  l'invasion  de  la  «  criada  » 
espagnole.  Apprenez  encore  qu'il  n'y  eut  pas  sous  Richelieu 
assez  de  duels  pour  expliquer  ceux  qu'on  rencontre  dans  les 
comédies  de  Corneille,  et  gardez -vous  d'imaginer  pour  Méliie 
et  Clitandre  cette  explication  vraiment  trop  simpliste  que  leur 
auteur  connaissait  V Hypocondriaque  de  Rotrou  ainsi  que  Cléa- 
génor  et  Doristée.  Vous  en  arriveriez  peut-être  à  supposer  que 
la  Veuve  ou  la  Galerie  du  Palais  ont  jailli  des  mêmes  sources 
que  la  Céliane  ou  la  Célimène.  Et  vous  paraîtriez  alors  ignorer 


1.  C'est  ce  que  j'ai,   en   partie,   indiqué  déjà  dans  les  chapitres  II  et  III  de  mon 
étude  sur  La  Comedia  espagnole  en  France  de  Hardy  à  Racine.  Paris,  Hachette,  1900. 

2.  P.  2  3o. 

3.  Cf.  le  livre  de  M.  Huszâr,  p.  siS. 


p.    CORNEILLE    Jl  GÉ 'F'AU    IN    HONGROIS  l6t 

qu'en  i63o  a  été  publié  un  volume  de  coinedias  de  Lope  dans 
lequel  se  rencontrent  la  Verdad  sospechosa  et  Aniar  sin  saber  ci 
quien.  Osez  me  dire  maintenant  que  si,  dès  i63o,  Corneille  a 
connu  ce  recueil,  il  est  étrange  quil  n'en  ait  pas  davantage 
profité.  Je  vous  répondrai  que,  si  vous  aviez  le  flair  castillan 
de  M.  Huszàr,  vous  retrouveriez  dans  ses  premières  comédies 
des  peintures  de  la  jalousie  et  du  dédain  qui  vous  rappelle- 
raient la  manière  du  «  phénix,  des  génies  »  i.  Laissez -moi  enfin 
vous  avertir  que  les  décors  de  la  Galerie  du  Palais  ou  de  la 
Place  Royale  ne  sont  pas  aussi  parisiens  que,  dans  la  candeur  de 
votre  âme,  vous  seriez  tenté  de  le  supposer.  11  n'a  pas  suffi  à 
Corneille  de  jeter  les  yeux  autour  de  lui.  11  a  dû  surtout  se  rap- 
peler que  chez  Lope  et  ses  disciples  «  une  partie  tout  au  moins 
de  l'action  se  déroulait  sur  des  places  publiques  de  Madrid  :  le 
Prado,  la  Calle  Mayor,  etc.  n^. 

Avec  de  pareils  arguments,  on  n'aurait  pas  de  peine  à  établir 
que  la  littérature  française  tout  entière  n'est  qu'un  décalque 
maladroit  de  la  littérature  espagnole.  Si  c'est  là  ce  que  M.  Huszâr 
entend  par  une  méthode  «  scientifique  »,  nous  ne  donnons 
pas  à  ce  mot  le  même  sens.  Nous  ne  nous  entendrions  pas 
davantage  sur  la  définition  du  mot  «  honor  ».  M.  Huszâr,  pour  les 
besoins  de  sa  thèse,  l'explique  ainsi  :  «  les  mérites  appréciés  par 
la  raison  3.  »  C'est  bien  là  la  conception  que  se  font  de  l'amour 
les  héros  des  premières  comédies  de  Corneille  ;  ce  n'est  pas 
celle  qu'ont  de  l'honneur  les  héros  de  Lope  et  de  Calderon. 
Celle-là,  on  peut  en  trouver  le  germe  dans  ce  culte  farouche  de 
l'indépendance  individuelle  qu'affiche  l'Alidor  de  la  Place 
Royale.  Mais  Alidor  ne  doit  rien  ni  au  Sancho  de  la  Hermo- 
sura  aborrecida  de  Lope  ni  au  Gomez  Arias  de  Calderon.  Il  est 
le  fils  de  l'imagination  cornélienne  que  l'ardente  imagination 
des  dramaturges  espagnols  n'échauffera  si  bien  que  parce 
qu'elle  l'entraînera  où  la  poussaient  déjà  ses  propres  impul- 
sions.  C'est,  d'ailleurs,  une  constatation    qu'une   étude    plus 


t.  Ai-jc  besoin  de  préciser  que  pareille  épithcte  ne  saurait  convenir  qu'à  Lope  de 
Vega  ? 

3.  P.  a34. 
3.  P.  a36. 


l62  BLLLETO    HISPAMQUE 

approfondie  des  littératures  de  l'Europe  nous  conduirait  plus 
d'une  fois  à  faire;  une  œuvre  littéraire  ne  dépasse  les  frontières 
natales  et  n'exerce  au  dehors  une  véritable  influence  qu'à  la 
condition  de  rencontrer  un  milieu  où  elle  ne  paraisse  pas 
dépaysée.  On  ne  l'imite  qu'autant  qu'on  se  retrouve  en  elle. 
L'auteur  de  la  Place  Royale  n'aurait  pas  tressailli  à  la  lecture 
des  Prouesses  du  Cid  s'il  n'avait  pas  eu  l'imagination  espagnole. 
Il  ne  les  aurait  pas  profondément  transformées  s'il  n'avait  pas 
eu  l'esprit  et  le  bon  sens  français.  Il  n'en  aurait  pas  tiré  un 
chef-d'œuvre,  s'il  n'avait  pas  eu  le  génie  de  Pierre  Corneille. 

Voilà  des  vérités  banales  que  ne  ruine  pas  l'argumentation 
deM.  Huszar.  Elle  ne  nous  offre,  d'ailleurs,  aucune  considération 
nouvelle.  Elle  reprend  les  jugements  de  ces  critiques  «  man- 
geurs de  Français  »  parmi  lesquels  M.  Huszar  ne  veut  point  qu'on 
le  range.  Je  crois  bien,  pour  ma  part,  qu'il  ne  faut  pas,  en 
effet,  le  mettre  dans  cette  catégorie.  Mais,  en  vérité,  les  raisons 
supérieurement  impartiales  qu'il  invoque  ne  sont  trop  souvent 
que  des  affirmations  gratuites  et  dont  nous  n'avons  jamais  à  nous 
féliciter.  M.  Huszar  est-il  amené  à  parler  du  loyalisme  espa- 
gnol? Il  imagine  que  notre  Roi -Soleil  était  une  sorte  de 
despote  oriental,  tandis  qu'au  contraire,  le  culte  du  monarque 
en  Espagne  n'était  pas  servile  puisqu'on  voyait  en  lui  le  repré- 
sentant temporel  de  Dieu'.  Il  oublie  sans  doute  que  Bossuet 
a  dit  plus  d'une  fois  en  français  «  que  son  retratos  los  reyes  de 
Dios  ».  Et  n'oublie-t-il  pas  le  théâtre  d'un  certain  Racine  quand 
il  refuse  à  notre  xvn^  siècle  la  connaissance  de  l'amour  impé- 
tueux pour  ne  lui  accorder  que  les  jeux  d'une  fantaisie  galante? 
Je  ne  vois  pas  non  plus  pourquoi  nous  reconnaîtrions  avec  lui 
que  le  drame  romantique  représente  un  degré  plus  avancé  de 
l'évolution  littéraire.  On  pourrait  plus  légitimement  soutenir 
qu'il  a  réalisé  sur  notre  scène  une  forme  moins  pure  et  aujour- 
d'hui même  moins  vivante  que  notre  tragédie  classique.  Et  la 
meilleure  explication  à  donner  de  ce  fait  se  rencontre  précisé- 
ment dans  un  reproche  que  nous  adresse  M.  Huszar  et  qui  est 
pour  nous  le  plus  bel  éloge.  «  En  France,  écrit-il,  la  raison 
dirige,   contrôle  l'imagination;   elle   ne  tolère  aucun  écart  ni 

I.  p.  191. 


1'.    (.(lUMilM.E    JIGK    l'AK    IN    HONGROIS  l63 

aucun  excès  de  sa  part.  Ce  rôle  modérateur  du  bon  sens  qui  a  pour 
principe  ne  quid  nimis  ne  peut  être  que  défavorable  à  la  poésie 
subjective',  n  Fort  bien.  Mais  la  poésie  dramatique  se  confon- 
drait-elle par  hasard  avec  la  lyrique?  Et  ne  doit- elle  pas  être, 
au  contraire,  objective  et  non  point  subjective? 

M.  Huszâr  ne  me  paraît  pas  plus  équitable  dans  les  deux 
seules  critiques  précises  qu'il  veut  bien  m'adresser.  Relevant  les 
contradictions  où  tombe  M.  de  Schack,  j'ai  noté  qu'il  fait  à  la 
Comedia  un  éloge  d'avoir  espagnolisé  la  matière  antique  ou 
étrangère,  et  à  nos  tragiques  un  crime  de  l'avoir  francisée. 
M.  Huszar  me  reproche  cette  observation.  Pourquoi.^  Parce  que 
les  héros  de  la  Comedia  lui  ont  été  fournis  par  la  société  de  son 
temps  et  de  son  pays,  tandis  que  chez  ceux  de  Corneille  «  on  » 
ne  retrouve  que  le  cachet  de  l'esprit  antique  et  de  l'esprit 
espagnole  Je  n'ai  rien  à  répliquer  sinon  que  M.  Huszâr  a  tort  de 
mettre  on  où  il  aurait  fallu  je.  Si  M.  Huszar  ne  voit  pas  dans 
l'Emilie  de  Cinna  une  française  de  la  Fronde,  s'il  n'entend  pas 
dans  Polyeucte  l'écho  des  préoccupations  religieuses  contem- 
poraines, c'est  qu'il  a  des  yeux  et  des  oreilles  d'une  nature 
toute  spéciale.  Son  légitime  désir  d'avoir  raison  l'entraîne 
même  parfois  à  manquer  non  seulement  de  justesse,  mais 
encore,  et  c'est  plus  grave,  de  justice.  J'avais  fait  remarquer 
que  la  conception  de  l'honneur  devient  dans  le  théâtre  de 
Calderon  plus  rigoureuse  et  plus  inhumaine  qu'au  temps  de 
Lope.  Et  j'ajoutais  en  parlant  de  ses  héros:  a  Jamais  dans  leur 
âme  une  lutte  douloureuse,  une  révolte  contre  un  préjugé  qui 
offense  la  nature  et  la  religion.  »  M.  Huszar  m'objecte  un  mono- 
logue de  Juan  de  la  Roca.  Je  ne  vois  pas  que  ce  monologue 
aille  contre  mon  observation  puisqu'il  se  contente  d'exposer,  en 
l'acceptant,  la  doctrine  farouche  de  l'honneur.  Je  n'en  reconnais 
pas  moins  que  M.  Huszâr  a  parfaitement  le  droit  d'attacher  à  ce 
discours  une  plus  grande  importance  que  je  ne  le  fais.  Mais  où 
prend-il  cet  autre  droit  de  me  faire  dire  de  tout  le  répertoire 
espagnol  ce  que  j'indique  au  contraire  comme  la  caractéristique 
de  la  seule  école  de  Calderon  ?  Quand  j'ai  eu  à  parler  de  la  Come- 

I.    p.    30I. 
3.    P.    31 I. 


l64  BULLETIN    HISPANIQUE 

dia  envisagée  d'une  manière  générale,  voici  ce  que  j'ai  écrit: 
«  D'admirables  combats  pourraient  s'engager  entre  l'idée  de 
l'honneur  et  les  sentiments  les  plus  forts,  amour  ou  piété  filiale, 
amitié  ou  reconnaissance.  Mais  si  la  Comedia  les  indique  souvent, 
elle  ne  les  développe  jamais».  Je  ne  crois  pas  que  M.  Huszâr 
puisse  me  signaler  beaucoup  de  pièces  espagnoles  qu'en  par- 
lant de  la  sorte  j'aurais  injustement  appréciées.  Je  ne  crois 
même  pas  d'ailleurs  qu'il  soit  au  fond  d'un  autre  avis  que  moi. 
M.  Menéndez  y  Pelayo,  qu'il  considère  non  sans  raison  comme 
un  modèle  de  critique  objective,  lui  a  appris  que  les  héros  des 
drames  tragiques  de  Calderon  sont  des  assassins  de  sang-froid 
qui,  loin  de  céder  à  un  élan  de  passion,  obéissent  avec  une  bru- 
talité sophistique  à  une  odieuse  convention  sociale».  Et  n'a-t-il 
pas  lui-même  écrit  :  «  C'est  à  peine  si  dans  la  Comedia  espa- 
gnole la  voix  de  l'humanité  ou  de  la  charité  se  fait  entendre  a.  » 
M.  Huszâr  ne  m'aurait  pas  fait  un  reproche  injuste  s'il  avait 
tenu  compte  de  la  distinction  que  je  crois  nécessaire  entre  l'âge 
de  Lope  et  celui  de  Calderon,  Le  malheur  est  qu'au  lieu  de  pré- 
ciser mes  conclusions,  il  lui  arrive  plus  d'une  fois  de  mettre  sur 
le  même  plan  et  d'envelopper  dans  un  même  jugement  des 
œuvres  qui  appartiennent  à  des  phases  très  distinctes  dans 
l'évolution  d'un  genre  ou  d'un  génie.  A  lire  ses  deux  derniers 
chapitres,  on  ne  se  douterait  guère  que  l'auteur  d'Héraclius  et 
de  Don  Sanche  n'a  ni  les  mêmes  théories  ni  la  même  méthode 
d'imitation  que  le  poète  du  Cid  et  d'Horace.  M.  Huszâr  ne  semble 
préoccupé,  quand  il  parcourt  le  théâtre  de  Corneille,  que  d'y 
relever  tous  les  passages  où  il  respire  l'odeur  de  la  Comedia.  C'est 
peut-être  qu'il  se  fait  de  l'invention  littéraire  une  idée  assez  mes- 
quine. On  le  surprendrait  fort  sans  doute  en  lui  disant  qu'il  n'y 
a  pas  un  seul  sujet  de  fable  qui  soit  sorti  de  l'imagination  de  La 
Fontaine,  et  que  La  Fontaine  est  cependant  un  des  artistes  les  plus 
originaux.  A  mesure  que  l'élude  des  littératures  comparées  se 
précisera  et  s'élargira,  elle  nous  fera  mieux  comprendre  que 
rien  ne  naît  de  rien,  et  que  la  matière  littéraire  est  toujours  à  la 
disposition  de  tous.  Le  sujet  traité  n'a  qu'une  importance  secon- 

I.  Cf.  Menéndez  y  Pelayo.  Calderon  y  su  leulro,  Madrid,  i885,  p.  aSO  et  3oo. 
3.  P.  i63. 


p.    (JOK.NEILLE    JLGÉ    PAR    L>    HO>GROIS  l65 

daire.  Il  n'est  qu'un  prétexte  ou  une  occasion;  il  ne  prend  une 
valeur  propre  qu'en  s'illuslrant  des  couleurs  d'une  nation  et  d'un 
homme  de  génie.  Si  la  question  des  rapports  du  théâtre  de 
Corneille  et  du  drame  espagnol  m'avait  paru  intéressante,  c'est 
précisément  parce  que  je  n'y  voyais  pas  seulement  l'élude,  en 
elle-même  assez  vaine,  des  sources  de  nos  pièces  classiques. 
La  Comedia  n'a  pas  été  pour  nous  une  simple  mine  d'intrigues 
que  nous  aurions  trouvées  tout  aussi  bien  ailleurs.  Elle  a 
donné  à  notre  tragédie  la  première  idée  de  ses  véritables 
ressorts.  Outre  ce  service,  dont  on  ne  saurait  exagérer  la  gran- 
deur, elle  lui  en  a  rendu  un  autre,  plus  considérable  encore. 
Elle  lui  a  permis  de  s'affirmer  en  s'opposant  à  elle.  Par  ce  qu'il 
supprime  et  par  ce  qu'il  ajoute  comme  par  ce  qu'il  emprunte^ 
P.  Corneille  nous  révèle  le  plus  pur  du  goût  français  et  le 
meilleur  de  son  propre  génie. 

Que  ce  goût  et  ce  génie  échappent  à  M.  Huszar,  il  convient, 
sans  trop  s'en  inquiéter,  de  le  regretter  toutefois.  M,  Huszar  est 
un  homme  qui  a  beaucoup  lu  et  dont  on  ne  saurait  suspecter  la 
bonne  foi.  Il  est  fâcheux  que  ses  préférences,  d'ailleurs  légiti- 
mes, pour  la  forme  libre  du  drame,  l'empêchent  de  comprendre 
l'originalité  et  la  beauté  de  la  tragédie  cornélienne.  Son  livre 
réjouira  le  cœur  des  étrangers  qui  nous  font  encore  l'honneur 
d'être  jaloux  de  la  diffusion  en  Europe  de  notre  théâtre  classi- 
que. Il  plaira  à  tous  ceux  d'entre  les  Espagnols,  et  ils  sont 
nombreux,  qui  consentent  à  incliner  Lope  et  Calderon  devant 
Shakespeare  à  condition  qu'on  leur  sacrifie  Corneille  et  Racine 
et  Molière  par-dessus  le  marché.  Il  nous  a  valu  un  article  très 
pénétrant  de  M.  Brunetière  qui  conclut  une  série  de  critiques 
judicieuses  par  un  éloge  d'autant  plus  flatteur  pour  M.  Huszar 
qu'il  était  plus  inattendu'.  Il  a  le  mérite  incontestable  d'appeler 
notre  attention  sur  l'influence  de  cette  littérature  espagnole 
que  nous  sommes  loin  d'avoir  étudiée  en  raison  de  son  impor- 
tance. C'est  assez  et  plus  qu'il  n'en  faut  pour  nous  consoler  de 
sa  hongroise  impartialité. 

E.  MARTINENCIIE. 

1.  Cf.  Revue  des  Deux  Mondes  du  i"  janvier  igoo. 
Bull,  hispaii.  la 


SILHOUETTES    CONTEMPORAINES 

M.  MENÉNDEZ  Y  PELAYO' 


Les  étudiants  de  l'Universilé  de  Madrid  remarquèrent,  il  y  a 
trente  ans  de  cela,  un  nouveau  venu,  tout  frais  déljarqué  de  sa 
province,  et  qui  ne  payait  guère  de  mine.  Gringalet,  lair 
maladif,  accoutré  d'un  énorme  carrick  de  forme  surannée,  il 
rappela  à  tel  de  ses  camarades^  Charles  Bovary,  avec  sa  fameuse 
casquette,  au  début  du  chef-d"œu\re  de  Flaubert.  Mais  on  sut 
bientôt  à  qui  l'on  avait  affaire  :  ce  garçon  malingre,  presque  un 
enfant  encore,  qui  bégayait  et  paraissait  si  gauche  et  si  timide, 
se  révéla  comme  un  sujet  hors  ligne  et  conquit  l'admiration 
générale.  Dans  les  couloirs  étroits  de  l'Université,  il  refaisait  aux 
autres  étudiants  la  leçon  du  maître,  ou  bien  encore  leur  récitait 
des  vers  en  castillan,  en  latin,  en  catalan,  en  italien,  avec  un 
enthousiasme  communicatif,  qui  triomphait  souvent  de  la 
paresse  de  sa  langue  et  faisait  oublier  son  bégaiement.  Une 
légende  se  forma  bientôt  sur  son  compte.  Un  jour,  paraît-il, 
à  la  Bibliothèque  Nationale,  il  avait  émerveillé  les  érudits  les 
plus  compétents  et  fait  la  leçon  aux  docteurs.  Valera  était  là 
avec  Hartzenbusch  et  quelques  autres,  qui  discutaient  sur  un 
manuscrit.  Le  jeune  Menéndez  y  Pelayo  travaillait  à  une  table  : 
il  entend  la  discussion,  se  lève,  s'approche,  demande  respec- 
tueusement la  permission  de  donner  son  avis,  et  résout  la 
difficulté.  Sa  réputation  franchit  bientôt  les  murs  de.  l'Univer- 
sité ;  on  parlait  de  lui  partout  comme  de  la  plus  forte  tête  de  la 
jeunesse  contemporaine,  comme  d'un  nouveau  Pic  de  la  Miran- 
dole,  qui  étonnerait  le  monde,  et  l'Espagne  entière  saluait  avec 

1.  Cette  silhouette  est  la  première  partie  d'une  élude  complète  sur  l'œuvre  de 
AI.  Menéndez  y  Pelayo  qui  paraîtra  dans  un  volume  de  la  Bibliothèque  espagnole,  chez 
Picard.  Elle  est  publiée,  en  même  temps  qu'ici,  dans  la  f{evue  philomathique  de 
Bordeaux. 

24  Le  regretté  Leopoldo  Alas, 


SILHOUETTES  CONTEMPORAINES  167 

joie  le  jeune  prodige,  sur  le  front  de  qui  elle  vovait  rayonner 
déjà  l'auréole  du  génie. 

Des  espérances  aussi  brillantes  auraient  pu  être  déçues  :  elles 
ne  le  furent  pas.  Quelques  années  plus  tard,  à  l'âge  de  vingt 
deux  ans,  M.  Menéndcz  y  Pelayo  obtenait  au  concours  la  chaire 
d'Histoire  critique  de  la  littérature  espagnole  à  l'Université 
Centrale,  laissée  vacante  par  la  mort  d'Amador  de  los  Rios. 
Une  série  de  publications  importantes,  où  le  talent  de  l'écrivain 
faisait  valoir  la  science  de  l'érudit,  ouvrit  bientôt  après  au 
jeune  professeur  les  portes  de  l'Académie  Espagnole.  Il  avait 
vingt-cinq  ans.  On  ne  cite  pas  d'exemple  d'une  telle  précocité. 
Depuis  lors,  les  honneurs  se  sont  accumulés  sur  sa  tète,  mais 
son  activité  littéraire  ne  s'est  pas  ralentie.  Ses  travaux  ont  en 
partie  renouvelé  l'histoire  de  la  littérature  et  de  la  pensée  espa- 
gnoles. Rien  de  plus  important  n'a  été  écrit  sur  l'Espagne 
depuis  un  demi-siècle  que  ses  quarante  Aolumes  de  critique 
littéraire  et  philosophique.  L'homme  a  largement  tenu  —  on 
le  voit —  les  promesses  de  l'étudiant. 

Ses  compatriotes  lui  en  ont  su  gré,  et  si  la  médisance  espagnole 
n'épargne  guère  le  talent  qui  a  fait  ses  preuves,  je  dois  dire 
cependant  que  je  n'ai  jamais  entendu  en  Espagne  apprécier  de 
deux  façons  l'œuvre  de  M.  Menéndez  y  Pelayo.  Ceux  qui  ne 
partagent  pas  ses  idées  sont  d'accord  avec  ses  amis  pour  recon- 
naître son  mérite.  On  le  considère  un  peu  comme  une  gloire 
nationale,  que  tout  le  monde  a  intérêt  à  respecter  et  à  défendre. 
Interrogez  un  Espagnol  cultivé  :  il  vous  dira,  avec  cette  familia- 
rité charmante  qui  traite  toujours  les  hommes  célèbres  en  amis 
intimes,  que  Marcelino  est  un  cerveau  extraordinaire,  que 
Cervantes  l'eût  volontiers  nommé,  comme  Lope  de  Vega,  un 
mônstruo  de  la  nataraleza,  qu'il  sait  tout  (jtodo  lo  sabe!),  qu'il  est 
le  dernier  des  grands  humanistes,  qu'il  joint  à  une  sensibilité 
de  poète  la  capacité  de  travail  d'un  bénédictin,  les  qualités 
d'un  Scaliger  à  celles  d'un  Leopardi  ;  —  et  il  se  plaindra  sans 
doute  à  vous  qu'un  écrivain  de  cette  valeur  soit  à  peine  connu 
en  France  de  quelques  spécialistes,  et  que  son  nom  ne  soit 
même  pas  arrivé  encore,  comme  celui  de  Georges  Brandes  par 
exemple,  aux  oreilles  de  notre  grand  public. 


l68  BULLET1>'    HISPANIQUE 

On  serait  tenté  de  se  méfier  un  peu  de  ces  magnifiques 
éloges  et  de  les  mettre  sur  le  compte  de  l'hyperbole  castil- 
lane. Eh  bien,  pour  une  fois,  la  méfiance  serait  ici  mauvaise 
conseillère.  M.  Menéndez  y  Pelayo  est,  en  effet,  une  des  person- 
nalités littéraires  les  plus  originales  et  les  plus  curieuses  de 
ce  temps,  et  je  ne  crois  pas  qu'il  y  ait  aujourd'hui  en  France 
—  ni  même  en  Danemark  —  un  critique  joignant  à  l'érudition 
la  mieux  informée  sur  tout  ce  qui  touche  à  la  littérature  et  à 
l'histoire  de  son  pays  un  goût  plus  délicat  et  plus  compré- 
hensif,  une  culture  plus  vaste  et  plus  vraiment  européenne. 


J'ai  entendu  M.  Menéndez  y  Pelayo  professer  à  Madrid  dans 
une  petite  salle  de  l'Université,  devant  une  douzaine  d'audi- 
teurs, au  temps  où  on  l'aurait  pris  pour  le  plus  jeune  de  ses 
élèves;  combien  j'enviai  alors  ceux  qui  avaient  l'heureuse 
fortune  d'étudier  sous  un  maître  dont  l'enseignement,  d'une 
chaleur  communicative,  devait  être  si  excitateur  de  pensée  et 
de  recherches  !  Les  années  ont  passé  depuis  (pour  nous  deux, 
hélas!),  mais  dans  l'homme  mûr  d'aujourd'hui,  un  peu 
épaissi  par  le  travail  sédentaire,  la  barbe  légèrement  argentée, 
on  retrouve  toujours,  dès  qu'il  s'anime  un  peu,  le  même 
entrain  et  la  même  jeunesse.  Les  yeux  bleus  ont  gardé  de 
leur  expression  si  vive  et  si  mobile.  Le  geste  est  aussi  nerveux 
et  impatient.  L'enthousiasme  n'a  rien  perdu  de  sa  flamme.  Je 
le  vois  encore  me  recevant  dans  sa  bibliothèque  de  Santander, 
une  bibliothèque  immense,  digne  d'un  érudit  de  la  Renais- 
sance, dans  un  corps  de  logis  à  part,  avec  trois  vastes  salles, 
garnies  de  livres  jusqu'au  plafond.  Incapable  de  tenir  en  place, 
il  arpente  la  pièce  d'un  pas  saccadé  tandis  que,  dans  une  cau- 
serie étonnante  de  verve,  il  répand  pour  moi  les  trésors  de  son 
érudition,  m'oriente  un  peu  dans  ce  labyrinthe  de  la  littérature 
espagnole,  s'exalte  sur  un  nom,  sur  une  œuvre,  s'interrompt 
pour  me  citer  une  tirade  de  vers,  ou  bien,  tout  d'un  coup, 
monte  à  une  échelle  pour  atteindre  le  livre  rare,  le  manuscrit 
précieux  qu'il  me  fait  valoir  avec  la  ferveur  du  bibliophile.  Et 
pendant  que  je  l'écoute  charmé,  que  je  l'observe,  je  comprends 


SILHOUETTES    COMEMPORAINES  169 

mieux  l'œuvre  de  l'écrivain  en  saisissant  sur  le  vif  le  tempé- 
rament de  l'homme. 

M.  Menéndez  y  Pelayo  est,  avant  tout,  un  cérébral.  Je  ne  crois 
pas  qu'on  puisse  imaginer  un  cas  d'intellectualisme  plus 
aigu.  Il  est  si  absorbé  que  le  monde  extérieur,  la  vie  pratique, 
les  détails  matériels  existent  à  peine  pour  lui  :  on  sourit  par- 
fois d'une  négligence  dans  sa  mise,  on  conte  ses  distractions  de 
savant  ou  de  poète.  Depuis  l'enfance,  il  a  vécu  plongé  dans  les 
bouquins  :  c'est  un  rat  de  bibliothèque.  Rien  ne  pouvait  satis- 
faire sa  curiosité  universelle  :  on  songe  à  ce  que  nous  dit  Rabelais 
de  son  Pantagruel,  que  «  tel  était  son  esprit  entre  les  livres, 
comme  le  feu  parmi  les  brandes,  tant  il  l'avait  infatiguable  et 
strident».  Pas  d'ouvrage  si  aride,  si  indigeste,  qu'il  n'ait  le 
courage  de  dévorer  jusqu'au  bout.  Il  a  tout  lu,  tout  retenu  : 
son  cerveau,  merveilleusement  organisé,  classe  et  emmagasine 
sans  fatigue.  Mais  la  culture  livresque  n'a  pas  chez  lui  desséché 
la  sensibilité  ni  tari  les  sources  de  l'énergie.  Il  a  une  âme 
passionnée,  un  tempérament  de  feu;  à  la  nervosité  si  tendue  de 
tout  son  être,  à  la  chaleur  et  à  l'âpreté  mordante  de  son  verbe, 
on  ne  peut  douter  que  cet  érudit  eût  pu  faire  au  besoin  un 
apôtre,  un  homme  d'action.  La  volonté  ne  lui  eût  pas  manqué 
à  coup  sûr,  ni  l'audace.  L'homme  qui,  par  un  effort  opiniâtre, 
s'est  corrigé  du  bégaiement  —  tout  comme  Démosthène  — 
pour  devenir  un  maître  de  la  parole,  sait  remporter  une 
victoire  sur  lui-même.  Et  rappellerai-je  la  belle  crânerie  avec 
laquelle,  le  jour  où  il  concourait  pour  sa  chaire  de  professeur, 
il  fit,  avant  de  commencer  sa  leçon  publique,  un  grand  signe 
de  croix,  pour  affirmer  devant  tous  ses  convictions  de  chrétien? 
Voilà  des  traits  qui  caractérisent  l'homme.  Il  est  bien  de  sa 
race,  d'une  race  combative  et  exaltée  d'aventuriers,  de  soldats, 
de  moines. 

A  la  fougue  de  ce  tempérament,  à  cette  ardeur  insatiable  de 
savoir,  à  cette  merveilleuse  puissance  de  travail,  nous  devons 
une  œuvre  bien  vivante,  qui  n'est  pas  celle  d'un  pur  érudit, 
absorbé  à  éplucher  des  textes,  ou  d'un  critique  dilettante,  isolé 
dans  sa  tour  d'ivoire.  Comme  ces  grands  humanistes  du  xvi^ 
siècle  auxquels  on  revient  toujours  à  le  comparer,  il  se  lança 


T-JO  BULLETIN    HISPANIQUE 

dans  les  lettres  avec  l'impétuosité  d'un  conquistador;  mais  il  con- 
serva toujours  la  fraîcheur  de  l'émotion  et  le  sens  de  la  poésie. 
Pour  lui,  comme  pour  eux,  les  livres  ne  furent  jamais  des  choses 
mortes  :  il  en  fit  toujours  jaillir*  la  vie  ou  la  beauté.  Pas  plus 
qu'eux  enfin  il  ne  boucha  de  parti  pris  ses  oreilles  au  bruit 
des  idées  qui  s'entrechoquaient  autour  de  lui  dans  le  monde; 
il  partagea  les  passions  des  hommes  de  son  temps  et  prit  part 
à  leurs  luttes.  11  aima  les  polémiques  violentes,  où  il  mania 
l'ironie,  linvective  et  les  in-oclavos  avec  autant  de  vigueur  et 
d'adresse  que  d'autres  des  armes  plus  meurtrières.  Et  voilà 
pourquoi  ses  livres  vivent  d'une  vie  si  intense.  Dans  ceux 
mômes  où  il  y  a  le  plus  de  bibliographie  et  de  science  aride, 
on  sent,  à  certains  moments,  palpiter  une  âme.  Ne  vous  arrêtez 
pas  à  la  surface  :  cherchez  bien  au  fond,  et,  selon  le  mot  de 
Pascal,  sous  l'auteur  ou  l'érudit  vous  serez  étonné  et  ravi  de 
trouver  l'homme. 

Deux  passions  maîtresses  animent  tous  ses  écrits  :  son 
patriotisme  traditionaliste  et  sa  foi  religieuse;  on  pourrait 
même  presque  dire  que  celle-ci  est  subordonnée  à  celui-là, 
qu'il  est  Espagnol  avant  d'être  catholique,  et  catholique 
parce  qu'Espagnol.  Il  a  mis  tout  son  cœur  et  tout  son  talent 
au  service  de  cette  cause,  la  réhabilitation  de  l'Espagne  histo- 
rique et  littéraire  et,  par  suite,  du  catholicisme  espagnol, 
auquel  est  indissolublement  liée  la  gloire  de  l'ancienne 
Espagne. 

Réhabiliter  l'Espagne,  c'est  réfuter  les  attaques  injustes  dont 
elle  a  été  l'objet  de  la  part  des  encyclopédistes,  des  historiens 
protestants,  et  aussi  des  libéraux  espagnols,  qui  font  cause 
commune  sur  ce  point  avec  les  pires  ennemis  de  leur  pays. 
C'est  prouver  qu'elle  n'a  pas  été  un  facteur  négligeable  dans 
l'œuvre  de  la  civilisation.  Et  M.  Menéndez  y  Pelayo  s'appliquera 
surtout  à  mettre  en  lumière,  par  une  belle  ordonnance  de 
preuves,  le  rôle  qu'elle  a  joué  dans  l'histoire  de  l'humanité  et 
l'apport  qu'elle  a  fourni  à  la  science  et  à  la  pensée  moderne. 

Mais  réhabiliter  l'Espagne,  c'est  aussi  expliquer  sa  grandeur 
passée  en  montrant  qu'elle  doit  au  catholicisme  tout  ce  qu'elle  a 
produit  de  meilleur.  Elle  n'a  compté  dans  le  monde  que  tant 


SILUOLKTTES    CONTEMPOU  VI\ES  I7I 

qu'elle  lui  est  restée  fidèle.  A  ceux  qui  le  traitaient  de  néo- 
catholique, M.  Menéndez  y  Pelayo  répondit  jadis  par  cette 
déclaration  de  fière  allure  :  «  Je  suis  catholique,  ni  nouveau 
ni  vieux,  mais  catholique  «  mâcha  martillo,  comme  mes  parents 
et  mes  aïeux,  et  comme  toute  l'Espagne  historique,  fertile  en 
saints,  en  héros  et  en  savants  un  peu  plus  que  l'Espagne 
moderne.  »  Le  catholicisme  est  pour  lui,  avant  tout,  la  forme  reli- 
gieuse adéquate  au  tempérament  espagnol,  la  discipline  intel- 
lectuelle et  morale  dont  il  ne  peut  se  passer.  De  là,  condam 
nation  sans  réserve  de  la  Révolution,  des  idées  modernes,  du 
libéralisme,  autant  de  fléaux  dont  meurt,  paraît  il.  l'Espagne 
d'aujourd'hui,  renégate  do  son  passé. 

On  ne  saurait  dire  assez  quelle  sincérité  d'accent,  quelle 
chaleur  d'éloquence,  et  aussi  à  l'occasion  quelle  ironie  cin- 
glante l'auteur  met  ici  au  service  de  ses  convictions.  Mais  si  la 
passion  est  favorable  au  talent,  si  elle  donne  au  style  coloris 
et  chaleur,  elle  peut  offusquer  le  jugement,  et  l'historien  ou 
le  critique  risque  gros  jeu  à  se  laisser  entraîner  par  elle. 
Qu'une  chose  soit  espagnole,  c'est  déjà  pour  M.  Menéndez  y 
Pelayo  une  raison  de  la  louer,  qui  dispense  presque  de  toute 
autre.  Même  en  matière  purement  littéraire  les  arrêts  de  cet 
Aristarque  ne  laissent  pas  d'être  influencés  par  son  espagnolisme 
intransigeant.  On'  lui  reprochait  naguère  par  exemple  d'avoir 
écoulé  plus  qu'il  ne  convient  sa  rancune  de  patriote  en  appré- 
ciant les  poètes  de  Cuba  dans  son  Anthologie  des  Poètes  hispano- 
américains.  De  même  son  catholicisme  porte  vraiment  trop  la 
marque  espagnole.  Nous  ne  lui  ferons  pas  un  grief  sans  doute 
de  n'avoir  pas  ménagé  les  traits  mordants  à  la  dévotion  mon- 
daine ((  des  personnes  nommées  en  France  bien  pensantes  »  et 
à  certaine  littérature  ecclésiastique  française,  «  due  à  des  cha- 
noines ou  à  des  abbés  épris  de  l'architecture  ogivale  et  du 
styte  fleuri^,  ou  à  des  comtes  et  marquis  légitimistes,  de  lignée 
plus  ou  moins  ancienne  3;  »  il  a  raison  de  regretter  que  cette  mode 
de  religion  élégante  et  cette  littérature  à  l'eau  de  rose  ait  franchi 

1.  Enrique  Pifieyro,  llombrcs  y  Gloriax  de  America.  Paris,  Garnier,  igoS. 

2.  En  français  dans  le  texte. 

3.  A  propos  de  V Histoire  de  Christoplie  Colomb,  par  Roselly  de  Lorgnes  (Estudios  de 
Critica  literaria,  segunda  série,  p.  aSS). 


l'y 2  BULLETIN    HISPANIQUE 

les  Pyrénées' .  Mais  nous  ne  pouvons  nous  empêcher  de  croire  que 
son  catholicisme,  pour  s'affirmer  bien  espagnol,  tantôt  prend  un 
air  trop  farouche,  tantôt  se  montre  un  peu  débonnaire.  Certes 
M.  Menéndez  y  Pelayo  badine  agréablement  sur  ce  lieu  commun, 
qui  rend  l'Inquisition  responsable  de  tous  les  maux  dont  a 
souffert  l'Espagne';  mais,  en  dépit  de  son  talent  d'avocat, 
l'apologie  sans  réserve  de  l'Inquisition  qu'il  veut  nous  faire 
accepter  est  une  gageure  perdue  d'avance.  Et,  d'autre  part, 
s'agit-il  de  justifier  Fray  Gabriel  Téllez  d'avoir  écrit  de  jolies 
comédies  fort  licencieuses,  peu  dignes  de  son  habit  monas- 
tique, cet  apologiste  intolérant  trouvera  soudain  des  trésors 
d'indulgence;  il  nous  dira  (et  de  quel  ton!)  que  «la  dévotion 
était,  à  cette  époque,  joviale,  confiante,  espagnole...  Personne 
ne  se  scandalisait  de  ce  qu'un  moine  eût  de  la  bonne  humeur 
et  écrivît  des  œuvres  de  passe-temps,  en  mettant  à  profit  pour 
cela  les  admirables  facultés  poétiques  que  Dieu  lui  avait  accordées^» 
Décidément,  de  Torquemada  ne  tombons-nous  pas  dans  Esco- 
bar? 

Il  ne  s'agit  pas  ici  d'apprécier  des  idées,  mais  de  définir  un 
tempérament  d'écrivain.  Si  la  passion,  qui  veut  avoir  raison  à 
tout  prix,  entraîne  parfois  M.  Menéndez  y  Pelayo  au  paradoxe 
et  à  de  trop  subtils  distinguo,  elle  fait  de  lui  un  maître  polémiste. 
La  polémique  est  peut-être  la  forme  littéraire  qui  convient  le 
mieux  à  son  humeur  :  elle  excite  son  talent  et  féconde  sa  pensée. 
La  réfutation  est  pour  lui  la  vraie  manière  de  dogmatiser.  Il  se 

1.  «  Aujourd'hui  que  même  le  catholicisme  nous  est  traduit  de  Paris,  les  vrais 
Espagnols  se  trouvent  comme  des  étrangers  dans  leur  pays.  »  (Id.,  p.  172.) 

2.  Voici  le  passage  qui  est  fort  piquant  {La  Ciencia  espahola,  tercera  ediciôn,  I, 
102): 

<(  Ce  nom  terrorifique  d'Inquisition,  croquemitaine  d'enfants  et  épouvantait  de 
sots,  est  pour  beaucoup  la  solution  de  tous  les  problèmes,  le  Deiis  ex  machina  qui 
tombe  du  ciel  dans  les  situations  difficiles.  Pourquoi  n'y  avait-il  pas  d'industrie  en 
Espagne?  A  cause  de  l'Inquisition.  Pourquoi  y  avait-il  de  mauvaises  mœurs  comme 
dans  tous  les  pays  et  dans  tous  les  temps,  excepté  dans  la  bienheureuse  Arcadie  des 
poètes  bucoliques  ?  A  cause  de  l'Inquisition.  Pourquoi  les  Espagnols  sont-ils  paresseux  ? 
A  cause  de  l'Inquisition.  Pourquoi  y  a-t-il  des  courses  de  taui'eaux  en  Espagne?  A 
cause  de  l'Inquisition.  Pourquoi  les  Espagnols  dorment-ils  la  sieste?  A  cause  de 
l'Inquisition.  Pourquoi  y  avait-il  de  mauvaises  auberges  et  de  mauvaises  routes  et  de 
mauvais  dîners  en  Espagne  au  temps  de  M"°  d'Aulnoy  ?  A  cause  de  l'Inquisition,  à 
cause  du  fanatisme,  à  cause  de  la  théocratie.  Involontairement  on  songe  à  certaine 
satire  latine  du  xvn*  siècle.  Adam  et  Eve  péchèrent  conseillés  par  les  Jésuites.  Caïn 
tua  Abel  parce  que  Caïn  et  Abel  se  confessaient  aux  Révérends  Pères.  » 

3.  Estudios  de  Critica,  segunda  série.  Madrid,  1895,  p.  171. 


SrLIIOLEÏTES    CONTEMPORAINES  178 

pose  en  s'opposant.  Si  vous  voulez  trouver  dans  son  Histoire 
des  idées  esihéliqiies  ce  qu'il  pense  sur  le  beau,  cherchez-le  dans 
les  pages  si  amusantes  où  il  écrase  sous  le  ridicule  la  doctrine 
d'un  jésuite  allemand,  le  Père  Jungmann.  Il  aime  la  guerre  de 
plume  et  sa  verve  batailleuse  n'épargne  personne.  Ce  sont  des 
polémiques  retentissantes  contre  les  écrivains  de  l'école  libé- 
rale, comme  Revilla,  coupables  d'avoir  exagéré  les  méfaits  de 
l'Inquisition  et  nié  l'existence  d'une  philosophie  espagnole, 
qui  lui  valurent  ses  premiers  succès  d'écrivain.  Mais  il  n'est  pas 
homme  à  laisser  le  dernier  mot  de  la  discussion  même  à  un 
dominicain,  qui  lui  fait  la  leçon  sans  l'avoir  bien  lu  et  suspecte 
son  orthodoxie  :  car  il  est  à  noter  que  ce  catholique  militant 
ne  fut  jamais  plus  malmené  que  dans  des  feuilles  catholiques; 
on  voit  de  ces  choses.  Et  comme  il  faut  bien  donner  un  spé- 
cimen de  son  talent  de  pamphlétaire,  pourquoi  ne  citerais-je 
pas,  de  préférence,  le  début  d'une  de  ses  répliques  au  R.  P. 
Fonseca,  de  l'Ordre  des  Frères  Prêcheurs?  On  y  verra  que  sa 
plume  est  aussi  acérée  à  l'occasion  contre  un  adversaire  théo- 
logien que  contre  un  disciple  des  encyclopédistes. 

Il  y  a  un  peu  moins  d'un  an  que  tomba  entre  mes  mains  un  cahier 
in-folio  qui  portait  sur  sa  couverture  :  Bouquet  dédié  à  saint  Thomas 
d'Aquin  par  les  Pères  Dominicains  du  collège  de  Corias.  Je  le  par- 
courus avec  curiosité,  et  médiocre  ne  fut  pas  ma  surprise  de  constater 
que  le  Bouquet  littéraire  en  l'honneur  de  saint  Thomas  n'était  autre 
chose  qu'un  Bouquet  en  défaveur  de  mon  himible  personne.  En  effet, 
et  laissant  de  côté  d'autres  allusions  moins  importantes,  on  y  trouve 
dirigés  contre  moi,  me  désignant  à  chaque  page  plusieurs  fois  par 
mon  nom,  pas  moins  de  vingt-deux  folios  en  petits  caractères,  qui 
équivaudraient  à  cinquante  s'ils  étaient  imprimés  dans  le  même  corps 
que  le  reste  du  Triduum  (car  le  Bouquet  porte  aussi  ce  second  titre). 
D'aucune  manière  je  ne  voudrais  paraître  irrévérencieux  envers  une 
communauté  religieuse,  que  je  ne  dois  pas  rendre  responsable  des 
épanchements  littéraires  d'un  de  ses  individus.  Ce  qui  m'attriste,  c'est 
de  voir,  que,  lorsqu'il  y  a  en  Espagne  tant  de  philosophes  ratio- 
nalistes, krausistes,  positivistes  et  d'autres  espèces  sans  nombre  qu'il 
aurait  été  très  opportun  de  réfuter,  d'écraser,  de  confondre  en  l'hon- 
neur de  l'Ange  des  Écoles  et  pour  la  célébration  de  sa  fête,  la  seule 
pensée  qui  soit  venue  à  l'esprit  de  ces  fds  de  saint  Dominique  et  de 
ces  frères  de  saint  Thomas  a  été  de  clouer  au  pilori  un  écrivain  connu 


1^4  UULLI:T1>    lIISPAiNIQLE 

comme  catholique  et  de  le  passer  aux  verges  pendant  trois  jours  consé- 
cutifs (le  Triduum),  ni  plus  ni  moins  que  s'il  s'agissait  de  l'ennemi 
le  plus  pernicieux  de  la  philosophie  catholique  en  Espagne  i. 

Le  morceau  est  joli;  n'est-il  pas  piquant  de  constater  que  le 
tour  a  quelque  chose  de  voltairien? 

L'âge  a  calmé  la  fougue  de  M.  Menéndez  y  Pelayo  et  il 
n'écrirait  plus  aujourd'hui  avec  une  vivacité  si  agressive.  Dans 
les  éditions  récentes  de  ses  œuvres  de  jeunesse,  tout  en  respec- 
tant le  texte  primitif,  il  corrige  parfois  en  note  quelques  intem- 
pérances de  langage  et  atténue  la  brutalité  de  certains  jugements, 
en  particulier  sur  les  contemporains.  Avec  l'enrichissement 
de  sa  pensée  par  l'étude  et  l'expérience,  son  intelligence  est 
devenue  plus  tolérante  et  plus  compréhensive,  son  dogmatisme 
moins  tranchant;  ses  idées  ont  évolué,  mais  sans  modifier 
pourtant  sur  les  points  essentiels  les  convictions  qui  inspi- 
rèrent ses  premiers  travaux;  il  nous  le  déclare  avec  trop 
d'insistance  pour  que  nous  ayons  le  droit  d'en  douter.  Du  reste, 
depuis  quelques  années,  il  délaisse  les  études  philosophiques 
et  religieuses  qui  le  passionnèrent  jadis.  Tandis  qu'en  France 
nos  meilleurs  critiques,  unLemaître^  unBrunetière,  lassés  delà 
pure  littérature,  se  sont  tournés  vers  l'action  politique  ou  l'apos- 
tolat, l'auteur  de  la  Science  espagnole  et  des  Hétérodoxes  se  repose 
de  la  lutte  en  se  confinant  de  plus  en  plus  dans  les  recherches 
d'histoire  littéraire.  Il  étudie  l'évolution  des  idées  esthétiques 
en  Espagne  et  ailleurs,  fait  une  Anthologie  des  poètes  espagnols, 
multiplie  les  éditions  et  les  préfaces,  élève  un  monument  gran- 
diose à  la  mémoire  de  Lope  de  Vega.  Et  il  continue  à  travailler 
ainsi,  avec  un  labeur  aussi  opiniâtre  que  jamais  et  une  foi  aussi 
ardente,  à  la  noble  tâche  à  laquelle  il  a  consacré  sa  vie  :  la 
glorification  de  l'Espagne  dans  ses  écrivains  et  ses  penseurs. 


Quand  on  vient  de  relire  dans  son  ensemble,  comme  je  l'ai 
fait  avant  d'écrire  ces  pages,  l'œuvre  de  M.  Menéndez  y  Pelayo, 
on  est  émerveillé  tout  d'abord  de  l'aimable  aisance,  de  la  spon- 

I.  La  Ciencia  espahola,  tercera  ediciôn,  1888,  III,  p.  76. 


SILHOUETTKS    CCJNTEMPOKVINKS  I -[) 

tanéité  de  son  talent.  C'est  là  une  qualité  proprement  espa- 
gnole. Les  grands  écrivains  de  l'Espagne  ont  été,  en  général, 
des  improvisateurs  et  non  des  polisseurs  de  phrases.  Ils  ont 
le  génie  naturel,  et  quand  ils  atteignent  à  la  perfection  de  la 
forme,  c'est  par  l'heureuse  réussite  d'un  premier  jet.  De  là,  le 
charme  des  poètes  espagnols,  qui  semblent  vraiment,  lorsqu'ils 
sont  inspirés,  parler  sans  effort,  et  comme  par  un  don  divin,  la 
langue  des  vers. 

Une  prose  du  meilleur  aloi,  facile  et  limpide,  à  laquelle  ne 
manquent,  à  l'occasion,  ni  le  souffle  oratoire  ni  l'image  poé- 
tique, mais  sans  les  défauts  souvent  signalés  de  la  prose  cas- 
tillane, la  verbosité  oiseuse,  l'abus  des  clichés  et  des  épithètes 
banales;  l'art  de  l'exposition  claire  et  attrayante;  une  faculté 
d'assimilation  merveilleuse;  une  large  sympathie  pour  toutes 
les  beautés  littéraires  ;  une  intelligence  ouverte  à  toutes  les 
idées,  voilà  les  rares  mérites  par  lesquels  M.  Menéndez  y  Pelayo 
se  place  au  premier  rang  des  écrivains  de  son  pays  et  des  cri- 
tiques de  notre  temps. 

Mettez  au  fond,  et  comme  support  de  tout  le  reste,  une  très 
solide  culture  classique.  M.  Menéndez  y  Pelayo  a  appris  le  grec  et 
le  latin,  comme  on  ne  les  apprend  plus  enEspagne.  Sa  familiarité 
avec  les  poètes  lalinsetgrecs,  qu'il  s'estsouvent  essayé  à  traduire 
en  vers  castillans  d'excellente  facture,  lui  valut  d'acquérir  ce 
goût  délicat  que  donne  seul  le  commerce  assidu  de  l'antiquité, 
le  grand  goût,  comme  dit  quelque  part  Sainte-Beuve.  Il  serait 
curieux  de  savoir  exactement  comment  et  sous  quelle  direction 
se  fit  son  initiation  aux  littératures  classiques.  Sans  doute  en 
revient-il  une  part  à  Mila  y  Fontanals,  son  maître  à  l'Univer- 
sité de  Barcelone'.  Milà  n'était  pas  seulement  un  médiéviste 
émineht,  qui  l'initia  à  la  rigoureuse  méthode  de  l'érudition 
moderne;  c'était  un  véritable  lettré,  un  esthéticien  aux  vues 
générales,  et  M.  Menéndez  y  Pelayo  reçut  de  lui  une  em- 
preinte. Il  lui  est  sans  doute  redevable,  au  moins  en  partie,  de 
son   humanisme.   A  cette   influence,   je  joindrais    volontiers 

I.  M.  Mcncndcz  y  Pelayo  a  rendu  un  bel  hommage  k  Milâ  dans  sa  réponse  au 
discours  de  réception  de  M.  Menéndez  Pidal.  Discursos  leidos  ante  la  lieal  Academia 
Espanola  el  19  de  octobre  de  190'2.  Madrid,  1902,  p.  79-81. 


176  BULLETIN    HISPANIQUE 

celle  de  M.  Juan  Yalera,  le  critique  raffiné,  le  délicat  poète 
épris  de  l'idéal  grec,  l'élégant  traducteur  de  Daphnis  et  Chloé. 
Celui  qu'il  nomme  «  mon  doux  Valera»,  et  pour  qui  il  professa 
toujours  l'admiration  la  plus  tendre,  put  lui  révéler  le  véri- 
table art  classique,  entendu  à  la  manière  de  Chénier  et  de  Leo- 
pardi,  et  lui  apprendre  à  le  distinguer  du  classicisme  de 
collège,  qui  n'en  est  qu'une  contrefaçon. 

L'ardeur  de  sa  nature  devait  porter  M.  Menéndez  y  Pelayo 
à  des  intransigeances  en  matière  de  littérature  comme  en 
matière  de  religion.  Dès  ses  débuts,  en  homme  qui  aime  à 
casser  les  vitres,  il  proclama  avec  éclat  son  credo  littéraire 
comme  il  avait  fait  son  credo  théologique.  Le  R.  P.  Fonseca  et 
les  partisans,  nombreux  alors,  des  idées  de  l'abbé  Gaume  en 
furent  scandalisés.  On  vit  le  champion  des  idées  catholiques 
arborer  l'étendard  de  l'art  païen,  traduire  YOaristys  de  Théo- 
crite,  et,  dans  un  ouvrage  d'érudition  qui  a  toute  la  portée 
d'un  manifeste  littéraire,  offrir  Horace  comme  unique  et 
suprême  modèle  aux  poètes  de  son  pays.  On  s'étonnera  de 
cette  préférence  accordée  à  Horace  sur  les  poètes  grecs  ;  mais 
l'imitation  d'Horace  est  plus  dans  la  tradition  espagnole  :  c'est 
de  lui  que  Fray  Luis  de  Léon  s'inspira  pour  écrire  ses  précieux 
chefs-d'œuvre.  M.  Menéndez  y  Pelayo  glorifie  dans  Horace 
le  génie  latin,  génie  clair  et  joyeux,  qu'il  oppose  à  la  mélan- 
colie nuageuse  de  la  poésie  allemande,  dont  il  déplore  l'inva- 
sion nouvelle  en  Espagne.  Lisez  les  vers  enthousiastes  qu'il 
adresse  à  son  poète  favori  : 


Heureux  temps,  celui  des  Grecs  et  des  Latins! 

Calme  et  sérénité,  doux  concert 

de  toutes  les  forces  qui  résident  dans  l'homme; 

éternelle  jeunesse,  vigueur  éternelle, 

culte  sublime  de  la  forme. pure, 

évocation  sans  fin  de  l'harmonie  ! 

Horace,  le  croirais-tu?  De  graves  docteurs 

affirment  que  les  chants  discordants 

qui  plaisent  au  Sicambre  et  au  Scythe 

ou  au  Germain  opiniâtre  et  nébuleux 

éclipsent  tes  œuvres  immortelles, 

polies  par  la  main  des  Grâces, 

comme  par  un  habile  ciseau  un  bloc  de  marbre  de  Paros 


SILHOUETTES  CONTEMPORAINES  I77 

Loin  de  moi  les  brouillai-ds  liypcrboréeus! 

Qui  t'aurait  dit  que  dans  un  âge  futur 

la  domination  des  Teutons  et  des  Slaves, 

dans  la  loi,  dans  l'art  et  dans  la  science, 

s'imposerait  à  notre  race  latine, 

et  que  des  noms  que  tu  n'aurais  j)u  prononcer 

parce  qu'ils  sonneraient  mal  dans  ta  belle  langue, 

etîaceraient  ton  nom  ? 

Que  le  Danube  et  le  Rhin,  vaincus  autrefois, 

roulent  là-bas  avec  orgueil  leurs  ondes  impériales; 

je  préfère  les  paisibles  courants 

du  Tibre,  du  Géphise  et  de  l'Eurolas. 

Viens  ici,  vieux  livre;  viens,  âme  d'Horace; 

je  suis  latin  et  je  veux  t'adorer'. 


Je  ne  me  charge  pas  d'expliquer  comment  l'auteur  des  Hété- 
rodoxes concilie  ses  sentiments  chrétiens  avec  cette  adoration 
passionnée  d'un  poète  aussi  profane  qu'Horace  et  cette  exal- 
tation de  l'idéal  païen.  Le  fait  est  que  M.  Menéndez  y  Pelayo, 
pas  plus  que  les  hommes  de  la  Renaissance,  ne  semble  voir 
de  contradiction  irréductible  entre  sa  foi  relig-ieuse  et  sa  foi 
esthétique. 

Il  ne  s'en  est  pas  tenu  —  est-il  besoin  de  le  dire?  —  à  la  doc- 
trine littéraire  de  son  Iloracio  en  Espana,  doctrine  bien  étroite 
encore.  Une  admiration  trop  exclusive  d'Horace  serait  un 
mauvais  signe  ;  elle  indiquerait  qu'on  est  insensible  à  des 
beautés  poétiques  supérieures.  Dans  la  suite,  on  voit  son  goût 
s'enrichir  de  plus  en  plus,  jusqu'à  comprendre  des  formes  d'art 
qui  lui  étaient  d'abord  antipathiques.  Son  gros  volume  sur  l'es- 
thétique allemande  témoigne  jusqu'à  quel  point  il  est  revenu 
de  ses  préventions  contre  l'esprit  allemand.  Sa  jolie  étude  sur 
Henri  Heine  poète  répare  le  dédain  avec  lequel  il  traita  jadis 
les  siispirillos  genndnicos,  pour  employer  une  expression  célèbre 
de  Nùnez  de  Arce.  Il  reste  toujours  classique  de  culture  pre- 
mière, mais  classique  dans  le  sens  le  plus  large  du  mot,  et 
sans  rien  rejeter  de  ce  que  l'art  moderne  et  romantique  a  pro- 
duit d'excellent. 

Il  est  permis  de  regretter  que  M.  Menéndez  y  Pelayo,  par 
un  excès  de  scrupule  scientifique  et  par  une  juste  mésestime 

t.  Odas,  epistolas  y  tragédies.  Madrid,  i883,  p.  ai  et  aa. 


178  BLLLEïIN    HISPAMQUE 

pour  «  ces  travaux  faciles  et  aimables,  que  l'on  décorait,  nous 
dit-il,  dans  notre  jeunesse  du  nom  de  critique    littéraire  »  ', 
semble  aujourd'hui  se  méfier  un  peu  trop  de  son  talent  comme 
d'un  privilège  dangereux.  De  cet  esprit  supérieur,  qui  a  exploré 
tout  le  champ    de  la  littérature  nationale  et  a  répandu  sans 
compter  les  idées  nouvelles  (à  moins  qu'il  ne  rendit  siennes 
par  une  forme  lumineuse  celles  que  d'autres  n'avaient  pas  su 
exprimer),  on  attend  autre  chose  que  les  besognes  auxquelles 
il  laisse  envahir  de  plus  en  plus  une  trop  grande  partie  de 
son  temps.  Je  ne  veux  pas  médire  de  l'érudition;  je  sais  que 
l'histoire    littéraire    ne  peut   s'en    passer   et  les    découvertes 
fécondes  qu'elle  doit  à  la  méthode  sûre  et  hardie  d'un  Menén- 
dez  Pidal.  Je  ne  songe  pas  à  méconnaître  le  mérite  qu'on  peut 
avoir  à  bien  copier  un  manuscrit  ou  à  établir  un  texte;  mais 
ce  n'est  là  après  tout  que  le  gros  œuvre  de  l'histoire  littéraire, 
qu'il  convient  de  laisser  à  des   ouvriers   consciencieux,   spé- 
cialisés dans   ces    travaux  méritoires.    A  coté  des  recherciies 
érudites  il  restera  toujours  une  place,  et  la  plus  haute,  pour  la 
critique  de  goût,  la  critique  philosophique  ;  et  comment  ne  pas 
reconnaître  que  M.  Menéndez  y  Pelayo  y  serait  sans  rival,  s'il 
voulait  s'y  consacrer  tout  entier?  Je  déplore  qu'il  use  ses  forces 
à  des  tâches  trop  modestes,  dont  d'autres  s'acquitteraient  aussi 
bien,   voire    même  mieux  que   lui  (je   le  dis    sans  ombre  de 
malice).  Ne  croit-il  pas  que  répandre  des  idées   suggestives, 
interpréter    avec  profondeur   et  sympathie  les   chefs-d'œuvre 
d'une  littérature   plus  étudiée  que  comprise,  serait  pour  ses 
hautes  facultés  de  penseur  et  d'artiste  un  plus  digne  emploi 
que  de  s'épuiser  à  des  publications  érudites,  pour  lesquelles  lui 
manquent  le  temps  et  peut-être  la  vocation  ?  Assez  d'hispani- 
sants zélés  s'occupent  de  publier  des  textes,  dont  bon  nombre, 
par  parenthèse,  pourraient  aussi  bien  rester  inédits.  Ce  qui 
peut-être  nous   manque  le  plus  sur  l'Espagne,  ce   sont   des 
livres  vivants,  des  livres  d'idées,  des  études  un  peu  fouillées  sur 
les  grands  écrivains,  des  travaux  de  vraie  critique.  De  qui  les 
espérer  désormais,  si  M.   Menéndez  y  Pelayo  est  absorbé  par 

I.   Réponse  à  M.  Menéndez  Pidal,  p.  O9  de  la  brochure  citée  plus  haut. 


SlLtlOLETtES    CO.NtEMPOnAlNES  Î79 

son  édition  de  Lope  de  Vega,  entreprise  qui  aurait  suffi  à  rem- 
plir une  existence  humaine? 

M.  Menéndez  y  Pelayo,  dans  une  de  ses  dernières  préfaces, 
se  plaint,  non  sans  quelque  amertume,  de  ce  qu'en  Espagne 
quiconque  s'occupe  de  critique  se  heurte  à  l'indiflerence  géné- 
rale et  doit  se  résigner  à  un  monologue  perpétuel.  Voilà  qui 
explique  bien  des  choses.  J'essaye  de  m'imaginer  ce  qu'aurait 
pu  être  l'œuvre  de  M.  Menéndez  y  Pelayo  s'il  avait  vécu  en 
France,  au  milieu  de  circonstances  plus  favorables,  qui  l'au- 
raient stimulé  à  remplir  tout  son  mérite.  11  aurait  pu  compter 
sur  un  public  fidèle  de  lecteurs,  mais  qui  exige  de  ses  écrivains 
qu'ils  prennent  la  peine  de  se  faire  lire.  Respectant  ce  prin- 
cipe de  la  division  du  travail,  qui  s'impose  dans  tout  milieu 
organisé,  il  aurait  laissé  à  d'autres  la  bibliographie  et  la  revi- 
sion des  textes  pour  se  limiter  à  la  critique,  à  la  manière  de 
Sainte-Beuve  ou  de  ïaine,  pour  ne  parler  que  des  morts.  S'il 
avait  touché  à  l'érudition,  ce  n'aurait  été  que  pour  assurer 
une  base  solide  à  ses  jugements  littéraires.  Il  aurait  publié 
alors  plus  de  livres  comme  son  élégante  étude  sur  Caldcron, 
comme  ses  Essais  littéraires  ou  philosophiques,  petits  chefs- 
d'œuvre  où  il  nous  montre  comment  il  sait,  quand  il  lui  plaît, 
unir  la  solidité  du  fond  à  l'agrément  de  la  forme.  S'il  avait 
abordé  des  sujets  plus  vastes  et  entrepris  une  histoire  des  idées 
esthétiques  ou  du  lyrisme  espagnol,  sans  rien  sacrifier  de 
l'abondance  de  ses  documents  ni  de  la  richesse  de  ses  aperçus, 
il  n'aurait  pas  négligé  l'art  de  la  composition  (cet  art  si  latin!) 
et  il  nous  aurait  donné  des  ouvrages  clairs  et  vigoureux, 
écrits  à  la  française,  au  lieu  de  cette  suite  de  volumes  trop 
touffus  et  sans  air,  à  l'allemande,  où  abondent  les  pages  supé- 
rieures de  haute  critique,  mais  d'où  rien  ne  se  dégage  en 
pleine  lumière,  ni  aux  yeux  ni  à  l'esprit.  Surtout,  enfin,  si 
la  maison  Hachette  avait  songé  à  publier,  dans  sa  Collection 
des  Classiques,  une  édition  de  Lope  de  Vega,  elle  lui  aurait 
épargné  le  labeur  de  la  diriger;  elle  aurait  choisi  un  spécialiste, 
mieux  désigné  que  lui  pour  ce  long  et  minutieux  travail. 
Et  M.  Menéndez  y  Pelayo  aurait  eu  le  loisir  de  nous  donner, 
dans  la  vigueur    de    son  âge,   le    livre   nécessaire    sur  Lope, 


l8o  BLLLETl.N    HISPAMQLE 

une  biographie  vivante  de  cet  homme  extraordinaire  dont 
la  vie  fut  le  plus  prodigieux  des  romans,  une  étude  complète 
de  son  œuvre,  faisant  le  départ  de  ce  qui  n'est  que  pur  fatras 
pour  imposer  à  l'admiration  de  tous  ce  qui  mérite  vraiment  de 
survivre. 

Laissons  ce  badinage.  Le  livre  sur  Lope  de  Vega,  dont  il  a 
réuni  tous  les  matériaux  et  que  de  doctes  introductions  aux 
poésies  du  poète  ne  suffiraient  pas  à  remplacer,  M.  Menéndez 
y  Pelayo  nous  doit  et  se  doit  à  lui-même  de  l'écrire.  On  lui 
en  attribue  le  dessein;  espérons  qu'il  ne  nous  fera  pas  trop 
longtemps  attendre,  jusqu'après  l'achèvement  de  son  édition, 
ce  qui  serait  presque  nous  renvoyer  aux  calendes  grecques. 
Qu'il  se  décharge,  s'il  le  faut,  sur  des  collaborateurs  bien 
choisis,  d'une  partie  de  sa  tache  matérielle;  d'autres  pourraient, 
à  son  défaut,  éditer  l'œuvre  de  Lope;  je  ne  vois  pas  qui  pourrait 
comme  lui  nous  apprendre  à  la  bien  lire  et  à  la  goûter,  en 
faisant  revivre  l'homme  dans  son  milieu.  Voilà  pour  lui  le 
meilleur  moyen  de  mériter  la  gratitude  des  lettrés  de  tous  les 
pays,  et  de  servir  utilement  la  mémoire  du  grand  dramaturge 
longtemps  méconnu,  qu'il  se  propose  de  remettre  à  sa  vraie 
place,  c'est-à-dire  au  premier  rang  parmi  les  poètes  modernes. 

Buius  DE  TAXNENBEUG. 


EXTRAIT  DU  RAPPORT 

SUR  LE 

CONCOURS  DE  L'AGRÉGATION  D'ESPAGNOL  ET  D'ITALIEN 

en    1902 


Monsieur  le  Ministue, 

En  1902,  le  nombre  des  candidats  inscrits  a  été  le  même  pour 
l'espagnol  et  pour  l'italien  :  treize,  dont  une  candidate  femme  pour 
chacune  de  ces  langues. 

Douze  candidats  espagnols  ont  affronté  le  concours  et  dix  seulement 
ont  subi  toutes  les  épreuves  préparatoires;  tandis  que  les  treize  candi- 
dats italiens  ont  tous  traité  les  sujets  de  l'écrit.  Le  jury  a  déclaré 
admissibles  aux  épreuves  orales  quatre  candidats  pour  l'espagnol  et 
cinq  pour  l'italien. 

Thème  esp.\g>'Ol.  —  Le  texte  choisi  était  une  page  de  Michelet  (Le 
soldat  espagnol  et  le  soldat  français  à  Rocroy)  qui  ne  contient  aucune 
difficulté  de  vocabulaire,  mais  dont  le  ton  particulièrement  vif  et  bref 
ne  peut  passer  le  plus  souvent  dans  la  traduction  qu'en  donnant  à 
celle-ci  une  couleur  et  une  allure  plus  françaises  qu'espagnoles.  Bien 
peu  de  candidats  ont  senti  ce  danger  et  su  tourner  cette  difficulté  ;  la 
plupart  ont  traduit  littéralement,  sans  se  préoccuper  du  caractère 
différent  de  la  construction  et  du  génie  des  deux  langues.  Un  seul 
paraît  manifestement  s'être  efforcé  d'éviter  l'écueil  d'une  traduction 
trop  servile:  la  plupart  ont  prodigué  le  gallicisme.  L'incorrection 
matérielle  dépare  un  trop  grand  nombre  de  thèmes;  elle  devient 
vraiment  choquante  dans  la  deuxième  moitié  de  la  liste.  Les  dernières 
copies  accusent  une  ignorance  de  la  grammaire  et  du  vocabulaire  que 
l'on  ne  saurait  qualifier  trop  sévèrement;  il  est  très  regrettable  que 
certains  candidats  abordent  ce  concours  avec  une  préparation  si 
évidemment  insuffisante. 

Yersiox  espagnole.  —  Cette  version  était  un  fragment  du  discours 
sur  la  langue  et  la  littérature  espagnoles  de  Francisco  de  Mcdina  qui 
sert  de  prologue  à  l'édition  des  poésies  de  Garcilaso  de  la  Vega,  com- 
mentées par  Fernando  de  Ilerrera  (Séville,  i58o).  Le  ton  assez  éloquent 
et  remonté  de  ce  manifeste  qui  rappelle  par  moments  celui  de  notre 
Du  Bellay,  la  structure  étudiée  des  périodes  et  la  recherche  de  certaines 
Bull,  hispan.  i5 


l83  BLLLET1>    lUSPAMQL  E 

expressions  créaient  des  difficultés  qui  n'ont  été  ni  senties  ni  surmon- 
tées par  la  plupart  des  candidats.  Plusieurs  mots,  même  d'un  usage 
encore  courant,  n'ont  pas  été  compris.  Presque  tous  les  candidats  ont 
mal  interprété  grangeria  dans  la  phrase  «  no  se  abaten  al  servicio  y 
grangerias  del  vulgo  »,  d'autres  ont  traduit  hollado  par  u  parcouru», 
sabio  par  «sage»  (gros  contresens),  yornada^  par  «journées»,  pere- 
grinas  par  «recherchées»,  fautes  qui  attestent  une  pratique  très 
insuffisante  de  la  langue  la  plus  usuelle.  En  somme,  cette  épreuve  a 
été  jugée  médiocre  dans  l'ensemble;  deux  copies  seulement  ont  obtenu 
une  note  dépassant  la  moyenne... 

Les  candidats  espagnols  ont  eu  à  disserter  en  fraxç.us  sur  la 
question  suivante  :  «  Exposer  les  idées  de  Juan  del  Encina  sur  les 
origines  et  les  formes  de  la  versification  castillane.  »  Il  est  surprenant 
que  deux  candidats  aient  renoncé  à  traiter  un  sujet  dont  on  peut  dire 
qu'il  n'était  que  Panalyse  sommaire  d'un  texte  du  programme.  Deux 
dissertations  seulement  ont  mérité  des  notes  au-dessus  de  la  moyenne, 
et  dans  l'une  d'elles  les  correcteurs  ont  apprécié  une  connaissance 
précise  des  Leys  d'amors,  la  poétique  provençale  dont  l'influence  a  été 
grande  au  delà  des  Pyrénées,  en  Catalogne  et  en  Caslille.  Les  autres 
ont  été  jugées  médiocres  ou  tout  à  fait  mauvaises  :  il  est  évident  que  la 
plupart  des  candidats  n'avaient  examiné  que  très  superficiellement  le 
petit  traité  d'Encina  et  n'avaient  étudié  aucune  des  questions  qui  y 
sont  soulevées  ;  l'un  a  confondu  l'alexandrin  (dont  Encina  ne  parle  pas) 
avec  le  vers  A'arle  mayor;  un  autre  n'a  rien  compris  à  la  valeur  donnée 
par  l'auteur  aux  mots  pié  et  verso ,  un  troisième  qui  n'avait  sans  doute 
pas  lu  VArle  delrobar,  a  attribué  à  Encina  les  idées  sur  la  versification 
qui  se  trouvent  dans  la  lettre  du  marquis  de  Santillane  au  connétable 
de  Portugal;  un  quatrième,  enfin,  s'est  égaré  dans  des  considérations 
générales  sur  la  poésie  arabe  tout  à  fait  étrangères  au  sujet  et  d'ailleurs 
sans  valeur  ni  portée.  Pour  le  style,  on  a  noté  quelques  fâcheuses 
incorrections,  des  tournures  ou  trop  familières  ou  trop  cherchées,  et, 
ce  qui  est  plus  surprenant,  des  hispanismes,  tels  que:  «le  moyen  âge 
informait  encore  la  pensée  des  sages  à  ce  tournant  fameux  de  l'his- 
toire »,  ou  «  la  première  tentative  de  révolution  hasardée  par  Santillana 
avait  échoué,  pour  être  prématurée  »... 

Dissertatiox  ex  langue  espagnole.  —  On  avait  demandé  aux  candi- 
dats une  étude  comparée  de  l'Histoire  du  soulèvement  de  la  Catalogne 
en  i64o  de  Melo,  de  la  Guerre  de  Grenade  de  Mendoza  et  de  V Expédition 
des  Catalans  en  Grèce  de  Moncada.  Les  candidats  étaient  invités  à 
insister  de  préférence  sur  le  premier  de  ces  ouvrages  qui  était  inscrit 
au  programme  :  les  deux  autres  pouvaient  leur  donner  l'occasion  de 
montrer  l'étendue  de  leurs  lectures.  Quelques  copies  témoignent  d'une 
étude  suffisante  de  ce  chapitre  d'histoire  littéraire  :  l'une  d'elles  prouve 
que  l'auteur  a  voulu  se  faire  sur  le  sujet,  et    sur  Melo  en  particulier, 


CO.NCULRS    DE    L  AGRKGATION    D  ESrAG.NoL    ET    U  ITALIEN  ibo 

une  opinion  personnelle,  et  qu'il  ne  s'en  est  pas  tenu  aux  jugements 
sommaires  et  souvent  superficiels  des  manuels.  Mais  le  plus  grand 
nombre  révèle  une  connaissance  trop  incomplète  de  la  matière,  que 
l'on  remplace  par  des  banalités  et  des  développements  vagues.  Il  est 
certain  que  plusieurs  candidats  ont  souffert  du  manque  de  livres  et  de 
secours  dont  ils  se  plaignent  non  sans  raison  ;  cependant  ils  auraient 
pu  tirer  de  la  seule  lecture  des  textes  beaucoup  plus  et  beaucoup  mieux 
qu'ils  n'ont  fait,  s'ils  avaient  à  un  plus  haut  degré  l'habitude  de  la 
réflexion  et  de  la  composition.  Cette  dernière  laisse  beaucoup  à  désirer, 
à  peu  près  dans  toutes  les  copies.  On  ne  paraît  avoir  nul  souci  d'une 
juste  et  habile  disposition  des  diverses  parties  qui  forment  un  tout  ni 
de  leur  importance  relative.  L'art  de  tracer  un  plan  avec  logique  et 
exactitude  se  perd  de  plus  en  plus,  et  à  côté  de  celte  lacune  s'en 
révèle  une  autre  chez  trop  de  candidats  :  l'insuffisance  des  lectures  et 
le  peu  de  richesse  de  l'information  littéraire  qui  donnent  souvent  au 
développement  une  maigreur  et  une  sécheresse  fâcheuses... 

A  l'oral,  le  jury  a  constaté  avec  quelque  regret  que  les  conseils  qu'il 
avait  adressés  l'an  dernier  aux  candidats  n'ont  pas  produit  tout  l'efi'et 
qu'il  en  attendait.  La  préparation  des  auteurs,  surtout  des  auteurs 
difficiles  que  le  jury  choisit  à  dessein,  et  dont  il  ne  met  au  programme 
que  des  morceaux  assez  courts,  n'a  pas  été  prise  suffisamment  au 
sérieux.  Dans  l'interprétation  de  deux  passages  du  Coloquio  de  los 
perros  de  Cervantes,  l'un  des  candidats  a  commis  le  contresens  qu'il 
fallait  éviter  en  traduisant  par  «  naturel  distinct  »  ce  qui  signifie 
((  instinct  naturel  »  ;  un  autre  n'a  pas  su  expliquer  comme  il  convenait 
les  allusions  de  Cervantes  à  la  poésie  pastorale  de  son  temps.  La 
version  aussi  de  la  scène  de  l'hidalgo  campagnard  dans  l'Alcade  de 
Zalaniea,  qui  est  célèbre,  a  montré  qu'on  ne  s'était  pas  appliqué  à  en 
résoudre  les  difficultés  consistant  en  jeux  de  mots  que  seule  la  con- 
naissance de  certains  usages  ou  institutions  de  l'époque  permet  de 
bien  saisir. 

En  conséquence,  le  jury  ne  peut  que  répéter  ce  qu'il  a  déjà  dit.  Il 
faut  que  tous  les  auteurs  du  programme  soient  lus  attentivement,  il 
faut  que  les  aspirants  au  concours  les  étudient  et  s'exercent  à  mettre 
en  français  surtout  les  passages  les  plus  difficiles  qu'il  est  impossible 
de  traduire  sans  préparation  d'une  façon  simplement  satisfaisante. 

Les  leçons  de  grammaire  ont  été  meilleures  pour  l'espagnol  que 
pour  l'italien.  Le  jury  a  écouté  avec  plaisir  une  leçon  pleine  et  bien 
dite  sur  les  principaux  suffixes  diminutifs  espagnols,  leur  origine  et 
leur  emploi,  et  une  autre  leçon  sur  le  comparatif  et  le  superlatif  des 
adjectifs  espagnols,  formation  et  syntaxe,  où  le  candidat  a  fait  preuve 
d'érudition  et  aussi  d'une  réelle  aptitude  à  saisir  les  procédés  et  les 
tendances  du  langage  populaire.  Les  leçons  des  deux  meilleurs  concur- 
rents italiens  sur  le  participe  passé  et  sur  la   conjugaison   d'essere 


l84  BULLETIN    HISPANIQUE 

comparée  avec  celle  du  français  être,  qui  contenaient  de  bonnes  par- 
ties, prêtaient  plus  à  la  critique  et  n'ont  pas  dépassé  de  beaucoup  la 
moyenne.  Les  autres  leçons,  tant  peur  l'espagnol,  que  pour  l'italien, 
sont  restées  au-dessous  de  ce  qu'il  convient  d'exiger  de  futurs  profes- 
seurs de  grammaire. 

L'épreuve  du  thème  suggère  des  remarques  analogues  à  celles  qui 
ont  été  présentées  à  propos  de  la  version.  Là  aussi,  la  préparation 
faisait  défaut  :  certains  auteurs,  inscrits  au  programme  et  dont  le 
vocabulaire  ofTre  des  mots  rares,  ou  des  expressions  difficiles  à  rendre, 
auraient  dû  être  lus  avec  plus  de  soin  et  les  candidats  auraient  dû 
consacrer  plus  de  temps  à  des  exercices  répétés  de  traduction. 

Les  deux  meilleures  leçons  de  littérature  dans  la  langue  étrangère, 
ont  été,  pour  l'espagnol,  une  leçon  sur  le  poème  de  Fernand  Gonzalez, 
et,  pour  l'italien,  une  leçon  sur  les  Odi  barbare  de  Carducci.  D'autres 
leçons  n'ont  été  qu'estimables,  et  plusieurs  ont  péché  par  une  regret- 
table pauvreté  de  fond  et  de  trop  nombreuses  négligences  de  compo- 
sition et  de  diction.  Le  jury  a  été  frappé  de  la  brièveté  de  certaines  de 
ces  leçons.  S'il  n'ajoute  pas  grande  importance  à  ce  que  les  candidats 
remplissent  strictement  les  trois  quarts  d'heure  qui  leur  sont  alloués, 
encore  faut-il  qu'ils  parlent  pendant  le  temps  qui  est  nécessaire  au 
complet  développement  d'un  sujet. 

Une  innovation  du  concours  de  '1902,  la  note  avec  coefficient  a 
donnée  à  la  prononciation,  semble  avoir  produit  d'assez  bons  résultats. 
Les  candidats  ont  certainement  apporté  plus  de  soin  cette  année  à  pro- 
noncer correctement,  et  l'importance  que  le  jury  attache  à  cette  partie 
de  l'examen  les  a  convaincus  de  l'utilité  qu'il  y  a  pour  eux  à  séjourner 
le  plus  longtemps  possible  à  l'étranger  et  à  se  familiariser,  par  une 
pratique  journalière,  en  parlant  et  en  entendant  parler,  avec  la  phoné- 
tique et  le  vocabulaire  de  l'idiome  qu'ils  se  proposent  d'enseigner. 

Le  programme  du  prochain  concours  de  igoS  répond  assez  exacte- 
ment au  précédent.  Pour  l'espagnol,  il  contient  un  auteur  de  plus  :  il 
a  paru,  en  effet,  à  propos  d'accorder  une  place  à  la  littérature  du 
xviii'  siècle,  sans  diminuer  celle  des  autres  périodes,  et  le  choix  du 
jury  s'est  porté  sur  les  Salnetes  de  Ramôn  de  la  Gruz,  qui  offrent  un 
excellent  spécimen  du  langage  familier  de  l'époque  en  même  temps 
qu'un  tableau  fort  exact  de  la  société  madrilègne  au  déclin  de  l'ancien 
régime.  Le  jury  espère  que  les  futurs  concurrents  étudieront  avec  une 
attention  soutenue  tous  ces  auteurs,  tant  au  point  de  vue  de  l'intelli- 
gence exacte  des  textes  que  des  questions  littéraires  qu'ils  soulèvent  ; 
il  espère  aussi  qu'ils  profiteront  mieux  de  la  préparation  organisée 
pour  eux  dans  plusieurs  facultés  des  lettres,  qu'ils  se  feront  régulière- 
ment corriger  des  devoirs  et  ne  compteront  plus,  comme  cela  est  arrivé 
à  plusieurs,  sur  une  heureuse  inspiration  le  jour  de  l'examen.  L'expé- 
rience a  démontré  ce  que  ce  calcul  avait  d'imprudent.  La  préparation 


CONCOURS    DE    l'aGRÉGATION    d'eSPAGNOL    ET    d'iTALIEN  1 85 

à  l'agrégation  d'espagnol  et  d'italien  n'est  pas,  il  est  vrai,  organisée 
dans  un  aussi  grand  nombre  de  centres  universitaires  qu'il  serait  dési- 
rable, mais  enfin  elle  existe,  et  les  candidats  le  savent,  puisque,  pour 
la  plupart,  ils  se  font  inscrire.  Se  faire  inscrire  est  bien;  s'exercer  et 
demander  des  conseils  serait  mieux  encore. 

Veuillez  agréer,  Monsieur  le  Ministre,  l'assurance  de  mes  sentiments 
les  plus  respectueux. 

Le  Président  du  jury  d'agrégation  d'espagnol  et  d'italien. 
A.  Morel-Fatio. 


VARIÉTÉS 


Coche  Simon. 

M.  Rosiès,  professeur  d'espagnol  au  lycée  d'Agen,a  bien  voulu  nous 
indiquer  un  passage  du  livre  de  E.  Rodriguez-Solis,  Majas,  manolas 
y  chulas,  Madrid,  1886,  p.  i3,  où  il  est  question  de  la  voilure  appelée 
simôn.  Voici  ce  que  dit  cet  auteur  :  «  No  existian  (vers  le  milieu  du 
xviii'  siècle  à  Madrid)  mas  que  seis  coches  simones,  asi  llamados  por- 
que  el  primero  que  tuvo  este  trâfico  fué  un  tal  Simôn  Gonzalez,  al 
que  Fernando  VI,  porlos  servicios  que  le  habia  prestado  en  las  jorna- 
das  â  los  Sitios  Reaies,  le  concediô  el  privilegio  de  que  solo  él  pudiera 
tener  seis  coches  de /îec/iera;,  para  alquilar  al  pùblico,  permitiéndole 
tener  otro  mas  de  réserva  por  si  se  le  estropeaba  alguno.  »  Rodriguez- 
Solis  ne  cite  pas  son  autorité,  mais  il  ne  peut  avoir  inventé  ce  qu'il  dit. 
D'où  l'on  doit  conclure  que  le  français  Simon  Garrou  signalé  ici  même 
(Bulletin  hispanique,  t.  IV,  p.  36o)  comme  ayant  donné  son  nom  au 
fiacre  espagnol  n'a  pas  eu  cet  honneur,  qui  reviendrait  à  un  confrère 
espagnol  antérieur  d'une  vingtaine  d'années. 

A.  M.-F. 


Simôn  y  ayuda 

(Moreto,  El  Desdén  con  el  desdén,  acte  1",  se.  4) 

Lorsque  Carlos  dit  à  Polilla  qu'il  a  imaginé  un  stratagème  pour 
triompher  du  dédain  de  Diana  et  lui  demande  son  concours  (tu  me 
has  de  ayudar),  Polilla  répond  : 

Seré  Simôn  y  ayuda. 

Que  signifie  cette  réplique?  Il  semble  tout  d'abord  que  le  valet 
plaisant  contrefasse  la  locution  connue  Dios  y  ayuda  i,  qui  se  dit,  selon 
Govarruvias,  «  de  la  cosa  que  es  dificultosa,  y  es  menester  poner 
diligencia  en  ella,  y  juntamente  encomendarlo  â  Dios.  »  Mais  pour- 
quoi Simôn?  Remarquons  qu'il  y  a  ici  une  variante.  Le  texte  d'une 
édition  ancienne  que  je  possède   et  qui  paraît  être  une  suelta  du 

xvii°  siècle  porte  : 

Seré  Sinon  y  ayuda. 

I.  Inutile  d'insister  sur  le  sens  accessoire  d'ajuda,  qu'une  certaine  intonation  de 
l'acteur  devait  recommander  au  gros  rire  des  mosqueteros. 


\AUIÉTÉS  1H7 

Si  cette  leçon  était  admise  (et  elle  répondrait  assez  I/ien  à  l'invitation 
de  Carlos  :  alla  has  de  cntrar),  il  fiiudrait  comprendre  :  «  Je  serai  le 
Grec  Sinon  et  saurai  pénétrer  dans  la  forteresse  que  tu  veux  attaquer 
comme  l'autre  dans  Troie.  »  Les  allusions  à  Sinon  sont  fréquentes 
dans  la  littérature  dramatique  du  wn"  siècle;  je  ne  rappellerai  que  le 
Redondo  qui,  dans  Madarse  por  mejorarse,  d'Alarcôn  (acte  II,  se.  8), 
dit  à  son  maître  : 

jEstremado  pensamientol 

Manos  à  la  ejecucion; 

Que  hoy  seré  Griego  Sinon. 

Mais  peut-être  n'y  a-t-il  pas  lieu  de  substituer  Sinon  à  Simon.  Dans 
un  romance  de  Quevedo  (n»  ôaG  de  léd.  Janer),  que  Gonzalez  de  Salas 
a  intitulé  «  Fiesta  de  toros  literal  y  alegorica  »,  le  poète  se  peint  arrivant 
au  Palais,  à  l'appartement  du  Comte-Duc,  et  il  continue  : 

Topé  il  Simon,  â  quien  diccn 
Mago,  los  que  no  le  hallan, 
Ayuda,  los  que  entran  luego, 
Leproso,  los  que  no  hablan. 

A  propos  de  Simon,  Gonzâles  de  Salas,  l'éditeur  des  six  premières 
Muses  de  Quevedo,  met  en  note  :  «  Un  portero  del  Conde  Duque,  »  et 
renvoie,  pour  les  épithètes  infligées  à  ce  portier  par  les  solliciteurs, 
aux  passages  de  l'Évangile  où  il  est  question  des  trois  Simon  :  Simon 
le  Mage,  Simon  qu'on  chargea  de  porter  la  croix  du  Christ,  Simon  le 
Lépreux.  Le  portier  Simon  occupait-il  encore  son  poste  lorsque  fut  écrit 
le  Desdén?  Moreto  débuta  au  théâtre  vers  i()4o  et  le  Simon  du  Comte- 
Duc  était  déjà  en  fonctions  en  iGaô,  l'année  de  la  reddition  de  Bréda, 
comme  en  témoigne  ce  romance  de  Don  Antonio  de  Mendoza  intitulé  : 
((  Loa  que  représenté  Pedro  de  Villegas  en  la  Comedia  que  se  hizo  en 
Palacio  por  las  nuevas  de  Bredâ  »  et  dont  voici  les  premiers  vers  : 

He  de  entrar,  Senor  Granados? 
De  quando  acà  porteria? 
Que  el  Conde  no  tiene  puerta 
Serrada  como  la  Villa. 
A  un  soldado  como  yo 
Empellon  y  baçuquinhal 
Sabràlo  el  Conde,  que  a  nadie 
Negô  la  oreja  y  la  silla. 
Tengase,  entre,  ô  buen  Simon, 
Que  sin  hazer  simonia 
De  par  en  par  te  hallan  siempre 
Puerta  abajo  y  puerta  arriba'. 

I.  El  Fenix  castellano,  D.  Antonio  de  Mendoça,  éd.  de  Lisbonne,  1690,  p.  78. 


i88 


BULLETIN    HISPANIQUE 


Toutefois,  s'il  était  démontré  que  Moreto  n'a  pas  pu  connaître  le 
Simon  du  Comte-Duc  et  n'a  pas  pensé  à  lui,  il  n'en  résulterait  pas 
qu'on  dût  renoncer  à  ce  nom  dans  le  passage  du  Desdén.  Le  romance 
de  Quevedo  indique  que  le  peuple  donnait  au  Simon  porteur  de  la 
croix  le  sobriquet  à'ayiida,  sobriquet  qui  doit  venir  des  anciennes 
représentations  de  la  Passion  oii  (nous  le  savons  par  les  Mystères 
français)  le  Gyrénéen  était  vigoureusement  interpellé  et  houspillé. 
j  Simon,  ayuda!  lui  criait-on  sans  doute  dans  le  pas o  où  il  figurait,  et 
c'est  de  cet  incident  que  pourrait  s'être  souvenu  le  Polilla  de  Moreto, 
Concluons  donc  que  Gh.  Habeneck  «  a  probablement  bien  rendu  la 
pensée  de  Polilla  en  traduisant:  «Je  serai  ton  Simon  de  Cyrène,  je 
t'aiderai,  » 

A.  M. -F. 


Literatura  popular.  Màs  cantares  populares  toledanos 
III.  Cantares  de  Quintos 


;  Adiôs  Impérial  Toledo 
que  te  quedas  sin  bandera  ; 
nos  llevan  â  sortear 
al  corral  de  Talavera  ! 

Toledo  ya  no  es  Toledo 

pues  si  hoy  lo  que  ha  sido  fuera 

el  sorteo  de  este  aiïo 

no  se  haria  en  Talavera  ' . 

Mi  novia  me  dijo  anoche 
al  estar  en  la  ventana  ; 
Si  te  vas  a  ser  soldado 
me  voy  contigo  â  la  Habana. 

Mi  novia  me  dijo  ayer 
paseando  en  las  Vistillas: 
Si  te  vas  a  ser  soldado 
me  voy  contigo  a  Manila, 

Adiôs  padre  y  adios  madré, 
Adiôs  virgen  del  Sagrario, 


que  nos  llevan  â  Melilla 
a  ver  a  nuestros  hermanos, 

A  la  voz  de  ]  Viva  Espana  ! 
Nos  marchamos  â  Melilla 
â  vengar  nuestros  hermanos 
y  castigar  las  kâbilas. 

Quintos  del  noventa  y  très, 
preparar  arma  y  mochila, 
para  ir  â  pelear 
a  los  campos  de  Melilla. 

A  Melilla  me  voy, 
te  lo  vengo  â  decir, 
que  me  voy  â  embarcar 
con  la  guardia  civil. 

Salir,  toledanas, 
salir  al  balcon, 
y  oiréis  â  los  quintos 
el  liltimo  adiôs. 


I.  Chefs-d'œuvre  du  théâtre  espagnol  traduits  pour  la  première  fois  et  annotés, 
Paris,  [1862,]  p.  126. 

a.  Aludcn  los  dos  al  acto  de  celebrar  el  sorleo  de  quintos  en  Talavera  hace  unos 
aïïos.  Al  présente,  es  en  Toledo. 


VAniETES 


189 


IV.    ViLLANCICOS 


ESTRIBILLO 

Poslores,  venid, 
Pastores,  llegad 
A  adorar  al  Ai/To 
Que  ha  nacido  ya 

Esta  noche  es  Noche  buena 
y  no  es  noche  de  dormir, 
que  esta  la  Virgen  de  parto, 
y  a  las  doce  ha  de  parir. 

Ha  de  parir  un  ninito, 
rubio,  blanco  y  Colorado, 
que  ha  de  scr  un  pastorcito 
para  cuidar  su  ganado. 

Esta  noche  ha  de  nacer, 
Manolito,  el  buen  Jésus; 
esta  noche  ha  de  nacer 
para  morir  en  la  cruz. 

Esta  noche  ha  de  nacer, 
Manolito,  el  buen  Jésus; 
para  niorir  por  el  honibre 
enclavado  en  una  cruz. 

La  Virgen  esta  de  parto  ; 
la  diô  el  parto  en  el  camino  : 
entre  la  mula  y  el  buey 
nacio  el  Gordero  divine. 

San  José  se  fue  por  lena, 
y  era  tarde  y  no  venfa  ; 
cuando  volviô  san  José 
ya  habfa  parido  Maria. 

En  Belén  tocan  a  fuego; 
del  portai  salen  las  Hamas; 
es  que  en  Belén  ha  nacido 
el  Redentor  de  las  aimas. 

En  el  portai  de  Belén 
hay  una  piedra  redonda 
donde  puso  Dios  los  pies 
para  subir  d  la  gloria. 


En  el  portai  de  Belén 

hay  estrclla,  sol  y  luna; 

la  Virgen  y  san  José 

y  el  Mno  que  esta  en  la  cuna. 

En  el  portai  de  Belén 
ha  nacido  Manolito 
siete  veces  mas  bonito 
que  Juanito  el  de  Isabel. 

Un  pastor,  haciendo  sopas, 

en  el  aire  divisô 

un  ângel  que  le  decia  : 

«  Ya  ha  nacido  el  Redentor.  » 

Los  pastores  que  supieron 
que  Jesiîs  nacio  en  Belén, 
con  panderas  y  zambombas 
todos  le  fueron  a  ver. 

Los  pastores  no  son  hombres, 
que  son  ângeles  del  cielo  ; 
en  el  portai  de  Belén 
ellos  fueron  los  primeros. 

Los  pastores  de  Belén 
todos  juntos  van  por  lena, 
para  calentar  al  _\ino 
que  naciô  la  Noche  buena. 

Todos  le  llevan  al  INiiïo, 
yo  no  tengo  que  llevarle  : 
las  alas  del  corazôn 
le  llevaré  por  panales. 

Todos  le  llevan  al  Ni  no, 
yo  no  tengo  que  llevarle  ; 
le  llevaré  una  camisa 
que  se  la  ponga  su  madré. 

En  el  portai  de  Belén 
pastorcitos  han  enlrado, 
y  al  Nino  recién  nacido 
lèche  y  tortas  le  han  llevado. 


190 


BULLETI.N    HISPANIQUE 


Los  magos  y  los  paslores 
en  el  portai  han  entrado, 
y  al  Nino  recién  nacido 
reunidos  han  adorado. 

La  Virgen  quiso  sentarse 
é  la  sombra  de  un  olivo, 
y  las  hojas  se  volvieron. 
por  ver  al  recién  nacido. 

La  Virgen  se  fué  a  lavar 
sus  blancas  manos  al  ri'o; 
el  sol  se  quedô  parado 
y  la  mar  perdiô  su  ruido. 

La  Virgen  y  san  José 
caminan  para  el  Egipto, 
y  Uevan  entre  los  dos 
al  hermoso  Jesucristo. 

San  José  era  carpintero 
y  la  Virgen  costurera, 
y  al  Niùito  pequenito 
le  enviaban  a  la  escuela. 

cQuieres  que  juguemos,  Nino, 
al  juego  del  esconder  ?... 
escôndele  Tû  en  mi  pecho 
y  yo  en  Ti  me  esconderé. 

Tû  mi  amor   me  pides,  Nino  : 
sin  corazôn  no  ama  nadie  ; 
Si  ïû  me  bas  robado  el  mio, 
(  cômo  quieres  que  te  ame?... 

OTRO    ESTRIBILLO 

Dame  el  aguinaldo 
Si  me  le  has  de  dar, 
que  la  noche  es  corta 
y  hay  mucho  que  andar. 


Nos  ha  nacido  un  Niilo 
que  es  gloria  de  Israël, 
mas  blanco  que  el  armiilo. 
mas  dulce  que  la  miel. 


ç_  Sabes  tû.  zagalito, 
sabes  tû  donde  esta.'... 
—  Lo  se  :  en  el  portai ito, 
de  Belén  de  Judâ. 


Pues  vamos,  pastorcitos. 
corramos  â  Belén. 
veamos  â  ese  Nino 
loémosle  también. 

En  unas  pobres  pajas 
se  encuentra  reclinado  ; 
esas  son  las  alhajas 
de  este  Dios  humanado. 

t  Sabéis  porqué  tan  pobre 
alli  quiso  nacer?... 
por  el  amor  al  hombre  : 
le  quiere  enriquecer. 

El  nos  harâ  dichosos 
con  dicha  sin  igual, 
si  puros,  fervorosos 
llegamos  al  portai. 

Enséname  el  camino 
por  donde  a  él  se  va 
j  Ay!  es  muy  peregrino; 
es  el  de  la  humildad  ' . 


Juan  Moraleda  Esteba^. 
I.  Villancicos  que  cantan  las  religiosas  capuchinas  de  Toledo. 


BIBLIOGRAPHIE 


Joseph  Gudiol  y  Cunill,  Nocions  de  arqueologia  sagrada  catalana. 
Vich,  1902;   I   vol.  in-S"  de  6^7  pages. 

Le  Musée  épiscopal  de  Vich,  fondé  par  un  éminent  prélat,  D.  Joseph 
Morgades  y  Gill,  est  sans  doute,  à  l'heure  qu'il  est,  le  plus  riche  et  le 
plus  intéressant  de  l'Espagne  si  l'on  excepte  les  musées  de  Madrid,  et  à 
coup  sur  le  premier  de  la  Catalogne.  11  a  cette  originalité  qu'il  est 
constitué  presque  uniquement  par  des  objets  recueillis  dans  la  région, 
et  permet  d'étudier  dans  tout  leur  développement  séculaire  l'art  et 
l'industrie  catalans;  de  plus,  comme  il  est  naturel  puisqu'il  est  de 
création  épiscopale,  tout  ce  qui  se  rapporte  à  la  religion  et  au  culte 
y  est  particulièrement  en  honneur.  Enfin,  il  a  la  bonne  fortune  d'être 
actuellement  conservé  par  un  jeune  prêtre  associé  de  bonne  heure  aux 
reclierches  et  aux  efforts  de  l'illustre  Morgades,  amoureux  de  ses 
collections,  ardent  à  l'étude  et  formé  d'ailleurs  par  la  meilleure  disci- 
pline, celle  qui  consiste  à  regarder  chaque  jour  et  à  chaque  heure,  à 
interroger  en  les  maniant  tous  les  objets^précieux  d'un  musée. 

M.  Joseph  Gudiol,  que  notre  Société  hispanique  s'honore  d'avoir  pour 
correspondant,  a  eu  l'heureuse  idée  de  mettre  à  profit  son  érudition  si 
solidement  établie  pour  écrire  des  Notions  cVarchéologie  catalane. 

Ce  titre  est  trop  modeste  ;  sans  doute,  l'objet  principal  du  livre  est 
d'apprendre  au  public  ce  qu'il  est  à  même  de  connaître  actuellement 
de  l'art  en  Catalogne,  et  de  rendre  dorénavant  plus  faciles  et  produc- 
tives les  recherches  dans  ce  domaine  très  peu  exploré  jusqu'à  pré- 
sent, bien  qu'il  soit  d'une  richesse  si  abondante.  Mais  le  livre  donne  plus 
encore  ;  c'est  sans  doute  un  manuel  d'archéologie  catalane,  c'est  aussi 
un  traité  d'archéologie  générale.  En  effet,  l'auteur  prépare  ses  lecteurs 
à  l'étude  des  antiquités  de  sa  province  par  l'étude  de  toutes  les  anti- 
quités des  pays  classiques,  depuis  les  âges  les  plus  reculés  de  la  préhis- 
toire; par  exemple,  les  chapitres  111  et  IV  sont  consacrés  aux  anti- 
quités grecques  en  général,  sans  application  directe  à  la  Catalogne. 
Il  y  aurait  là,  peut-être,  un  défaut  assez  grave  de  composition  et  de 
méthode,  si  M.  Gudiol  n'avait  en  vue  d'initier  tout  un  public  très 
novice  encore  à  une  science  fort  peu  cultivée  en  Espagne.  Sans  doute 
il  a  songé  sans  cesse  à  instruire  les  séminaristes  catalans,  si  l'on  en 
juge  par  ces  lignes  de  la  lettre  probatoire  du  chanoine  Jaume  CoUell 


192  BLLLETIN    HISPANIQUE 

mise  en  tête  du  volume  :  «  Pour  les  séminaristes  surtout,  cette  œuvre 
sera  très  utile,  car  elle  a  l'avantage  d'être  abondamment  illustrée  ',  et, 
après  l'avoir  lue,  les  révérends  prêtres  comprendront  pourquoi  l'Église 
donne  aujourd'hui  tant  d'importance  à  l'archéologie,  par  laquelle, 
ainsi  que  Ta  dit  le  pape  Léon  XIII  félicitant  le  savant  maître  de  l'archéo- 
logie chrétienne  Jean  B.  de  Rossi,  se  forgent  de  nouvelles  armes  pour 
défendre  la  vérité  catholique...  »  M.  CoUell,  ami  et  quelque  peu  colla- 
borateur de  M.  Gudiol,  est  bien  placé  pour  connaître  ses  plus  intimes 
intentions. 

Pour  moi,  j'aurais  préféré  voir  le  livre  allégé  de  toute  cette  sorte 
d'introduction  accessoire,  et  j'aurais  loué  sans  restriction  tous  les  cha- 
pitres où  il  est  question  des  monuments  propres  à  la  Catalogne,  depuis 
l'époque  grecque  et  l'époque  romaine  jusqu'à  nos  jours.  Il  y  est  tour  à 
tour  question  des  antiquités  romaines,  romanes,  romano-chrétiennes, 
wisigothiques,  gothiques  et  de  la  Renaissance,  et  par  antiquités  il  faut 
entendre  tous  les  arts  de  l'architecture,  de  la  ferronnerie,  de  la  céra- 
mique, de  l'orfèvrerie,  du  vêtement,  du  mobilier,  ainsi  que  l'épigra- 
phie,  la  sigillographie,  la  diplomatique.  Et  sur  chacun  de  ces  sujets 
les  renseignements  sont  nombreux,  précis,  bien  classés  et  datés;  les 
exemples,  empruntés  aussi  souvent  qu'il  est  possible  au  musée  de 
Vich,  sont  bien  choisis  et  typiques. 

Joignez  à  cela  le  charme  de  la  langue  catalane,  qui  sonne  si  agréa- 
blement à  nos  oreilles  françaises,  et  l'on  applaudira  au  jugement  du 
jury  barcelonais,  qui  a  distingué  ce  bel  ouvrage  au  concours  Martorell 
de  1902,  à  la  libéralité  de  la  capitale  catalane,  qui  a  fait  spécialement 
pour  lui  les  fonds  d'un  très  honorable  accessit. 

Pierre  PARIS. 

Louis  XI,  Jean  II  et  la  Révolution  catalane  (i/iôi-i/iyS).  Thèse 
pour  le  doctorat  présentée  à  la  Faculté  des  lettres  de  l'Uni- 
versité de  Paris  par  Joseph  Calmette.  Toulouse,  Privât,  1902; 
6i4  pages  in-8°. 

Cette  thèse,  présentée  sous  sa  première  forme  à  l'École  des  Chartes 
en  1900  pour  l'obtention  du  diplôme  d'archiviste-paléographe,  avait 
été  très  remarquée  et  avait  valu  à  son  auteur  d'être  classé  le  premier 
de  sa  promotion  :  M.  Calmette  y  montrait  non  seulement  une  érudi- 
tion solide  et  étendue,  mais  une  maturité  d'esprit  et  une  sûreté  de 
jugement  bien  rares  chez  un  débutant.  Sous  sa  nouvelle  forme  encore 
élargie  et  plus  poussée  dans  le  détail,  ce  chapitre  de  l'histoire  de  la 
Catalogne  au  xv«  siècle,  des  longs  démêlés  des  Catalans  avec  leur 
souverain  légitime  Jean  II  et  des  tentatives  qu'ils  firent  pour  se  sous- 

1 .  On  voudrait  cette  illustration  plus  abondante  encore  et  plus  artistique. 


BIBLIOGKAPUIE  igS 

traire  à  son  autorité  en  s'appuyant  tantôt  sur  l'un,  tantôt  sur  l'autre, 
est  devenu  tout  à  fait  excellent.  Comme  l'indique  le  titre  de  son  livre, 
M.  Calmelte  a  cherché  avant  tout  à  expliquer  les  diverses  phases  de 
l'intervention  de  Louis  XI  dans  les  afTaires  de  la  Catalogne,  mais  il  n'a 
pas  négligé  les  autres  côtés  du  sujet,  qui  réclamait  une  connaissance 
approfondie  des  faits  en  même  temps  que  des  institutions  du  pays  oii 
eut  lieu  cette  lutte  acharnée  de  douze  années.  Ses  conclusions  sont 
fort  sévères  pour  Louis  XI,  mais  il  faut  convenir  en  effet  que  l'incohé- 
rence de  la  politique  du  roi  de  France  grandit  singulièrement  la 
figure  de  son  compétiteur  Jean  II,  qui  mérita  son  triomphe  par  sa 
ténacité  méthodique  et  la  netteté  de  ses  vues.  On  appréciera  chez 
M.  Calmette,  outre  l'exposé  fort  habilement  décrit  des  détails  des 
négociations  et  des  faits  de  guerre,  un  chapitre  précieux  sur  l'organi- 
sation du  gouvernement  de  la  Catalogne  au  \\'  siècle  dont  le  méca- 
nisme assez  compliqué  est  indispensable  à  connaître,  si  l'on  veut  se 
Tendre  un  compte  exact  de  beaucoup  d'incidents  du  litige.  Nous 
souhaitons  vivement  que  M.  Calmette  continue  ses  études  dans  le 
domaine  de  l'histoire  des  pays  catalans  dont  il  vient  de  relater  un 
épisode  avec  non  moins  de  talent  que  de  savoir. 

A.  M.-F. 

La  Perfecta  casada,  por  el  Maestro  F.  Luys  de  Léon,  texte  del 
siglo  XVI.  Reimpresion  de  la  lercera  ediciôn,  con  variantes 
de  la  primera,  y  un  prôlogo  por  Elizabeth  Wallace,  miem- 
bro  del  cuerpo  de  profesores  de  Icnguas  romances  de  la 
Universidad  de  Chicago.  Chicago,  The  University  of  Chicago 
Press,   1908;  XXVII  et  119  pages  in-S". 

M"'  Wallace  s'est  proposé  de  nous  restituer  le  texte  du  célèbre 
traité  de  Fr.  Luis  de  Leôn  tel  qu'il  a  été  définitivement  établi  par  l'au- 
teur dans  la  dernière  édition  publiée  de  son  vivant,  celle  de  Sala- 
manque,  1587;  et  pour  permettre  de  se  rendre  compte  des  change- 
ments introduits  par  Fr.  Luis  dans  le  texte  primitif,  elle  a  relevé  les 
variantes  de  la  première  édition  de  i583.  L'étude  de  la  Perfecta 
casada  ainsi  restaurée  nous  permet  d'apprécier  l'œuvre  néfaste  accom- 
plie par  les  éditeurs  modernes  et  prouve  une  fois  de  plus  combien  il 
faut  se  défier  de  ce  qu'ils  nous  offrent.  Dans  l'espèce,  même  le  meil- 
leur éditeur  et  le  plus  consciencieux,  j'entends  le  P.  Merino,  n'a  res- 
pecté ni  l'orthographe  ni  la  ponctuation  de  l'original;  quant  à  la 
réimpression  du  Merino,  devenu  assez  rare,  qui  a  été  faite  à  Madrid 
en  i885,  on  ne  saurait  la  qualifier  assez  sévèrement  afin  de  mettre  en 
garde  ceux  qui  pourraient  avoir  à  s'en  servir.  M"'  Wallace  montre  que 


igi  BULLETIN    HISPAMQUE 

l'éditeur  a  changé  de  son  autorité  (1)  privée  une  quantité  de  passages. 
Le  texte  de  la  Biblioleca  Rwadeneyra  compte,  comme  bien  l'on  pense, 
parmi  les  plus  mauvais. 

Après  une  bibliographie  des  éditions  importantes  de  la  Perfecta 
casadà,  M"'  Wallace  nous  donne  un  aperçu  très  intéressant  des 
variantes  entre  les  éditions  de  i583  et  1087,  et  elle  cherche  à  déterminer 
les  motifs  qui  ont  guidé  l'auteur  dans  ses  corrections.  Les  change- 
ments apportés  dans  l'ordre  des  mots  l'ont  conduite  à  étudier  le 
rythme  de  la  prose  de  Fr.  Luis.  S'appuyant  sur  l'observation  de 
Nebrija  :  «  No  se  espante  ninguno  porque  dixe  que  la  prosa  tiene  su 
medida,  porque  es  cierto  que  la  tiene,  e  aun  por  aventura  muy  mas 
estrecha  que  la  del  verso,  »  M"'  Wallace  signale  chez  son  auteur  des 
traces  d'une  sorte  de  cursus  qui  ne  saurait  être  dû  au  hasard,  car 
Fr.  Luis  a  certainement  modifié  la  contexture  de  bien  des  phrases 
pour  leur  donner  un  mouvement  rythmique  qu'elles  n'avaient  pas 
dans  la  première  édition.  La  question  mériterait  d'être  examinée  de 
près,  et  il  faut  au  moins  savoir  gré  à  M""  Wallace  de  l'avoir  posée  et 
exactement  définie. 

Cette  nouvelle  édition  de  la  Perfecla  casada,  si  bien  conçue,  paraît 
avoir  été  exécutée  avec  infiniment  de  soin  et  de  conscience;  elle  fait 
beaucoup  d'honneur  à  l'éditrice  et  à  l'Université  de  Chicago  qui  l'a 
accueillie  dans  ses  Decennial  Publications. 

A.  M. -F. 

Geschichte  des  neueren  Bramas  von  Wilhelm  Creizenach.  Dritter 
Band.  Renaissance  and  Reformation.  Zweiter  Theil.  Halle  a. 
S.,  Max  Niemeyer,  igoS;  xii-596  pages  in-8". 

Cette  histoire  du  drame  moderne  est  un  des  plus  beaux  travaux 
d'érudition  de  notre  temps,  et  fait  autant  d'honneur  à  la  science  qu'au 
talent  d'exposition  de  son  auteur.  Le  tome  111  que  nous  annonçons 
complète  la  période  de  la  Renaissance  et  de  la  Réforme  :  M.  Creize- 
nach y  a  consacré  plus  de  cent  pages  à  la  littérature  dramatique  de 
l'Espagne  et  du  Portugal,  depuis  Juan  del  Encina  jusqu'à  Antonio 
Ferreira,  et  ces  pages  non  moins  remarquables  par  l'information  pré- 
cise que  par  les  vues  ingénieuses  ou  pénétrantes  annulent  le  premier 
volume  tout  à  fait  arriéré  de  Schack  et  feront  oublier  le  barbouillage 
de  Klein.  Fort  heureusement,  M.  Creizenach  a  pu  tirer  parti,  pour  le 
théâtre  religieux,  de  la  si  importante  et  si  méritoire  publication  de 
M.  Léo  Rouanet  :  Colecciôn  de  autos,  farsas  y  coloquios  del  siglo  xvi, 
qui  a  mis  à  notre  portée  une  masse  de  textes  inaccessibles,  dont 
l'étude  sera,  à  bien  des  égards,  des  plus  profitables. 

A.  M. -F. 


BIBLIOGRAPHIE  ]  (JO 

Lope  de  Vega  and  Ihe  Spanish  Drama,  being  the  Taylorian  Lecture 
(1902),  by  James  Fitzmaurice- Kelly.  Glasgow,  Gowans  and 
Gray,  1902  ;  63  pages  in-8". 

Conférence  fort  agréable  et  très  nourrie,  telle  qu'on  pouvait 
l'attendre  de  l'hislorien  anglais  de  la  littérature  espagnole.  On  constate 
avec  plaisir  que  la  ïaylor  Institution  d'Oxford  ne  néglige  pas  l'Es- 
pagne, et  certes  les  auditeurs  de  M.  Fitzmaurice -Kelly  ont  dû  être 
satisfaits  de  leur  leclurer  qui  leur  a  appris  bien  des  choses  dont  ils 
auraient  eu  de  la  peine  à  s'instruire  ailleurs. 

A.  M.-F. 

Corneille  and  the  spanish  Drama,  by  3.  B.  Segall.  New- York, 
Golumbia  University  Press,  1902;  in- 12,  i/jy  p. 

Cet  ouvrage  de  vulgarisation,  composé  à  peu  près  en  même  temps 
que  celui  de  M.  E.  Martincnche  (La  Comédie  espagnole  en  France), 
n'apporte  rien  de  bien  nouveau  sur  cette  question,  souvent  traitée 
déjà,  il  est  vrai,  mais  sur  laquelle  il  y  avait  encore  à  dire,  ainsi  que 
l'ont  démontré  M.  Martinenche  d'abord,  et  depuis  M,  Husziir,  dans 
son  livre  :  P.  Corneille  et  le  théâtre  espagnol.  [Cf.  Brunetière,  Rev.  des 
Deux-Mondes,  1"  janvier  1903.]  Il  y  a  deux  façons  d'étudier  un  pareil 
sujet,  dont  la  première,  il  est  vrai,  n'est  qu'une  préparation  à  la 
seconde.  On  peut  signaler  par  le  menu  tous  les  emprunts  faits  aux 
modèles,  et  c'est  une  recherche  qui  a  évidemment  son  utilité,  puisque 
toute  conclusion  doit  s'appuyer  sur  ces  données;  on  peut  ensuite 
étudier  comment  l'imitateur  a  utilisé,  transformé,  perfectionné  ou 
gâté  son  modèle,  essayer  enfin  de  juger  les  mérites  de  l'un  et  de 
l'autre.  M.  Segall  s'en  est  tenu  de  préférence  à  la  première  partie  de 
sa  lâche.  Après  quelques  pages  manifestement  trop  incomplètes  (i-5) 
sur  l'influence  de  la  littérature  espagnole  sur  la  française,  il  passe  en 
revue  les  pièces  de  Corneille  011  il  voit  des  imitations  de  drames 
espagnols  (Les  premières  comédies,  Clitandre,  L'illusion  comique. 
Le  Cid,  le  Menteur,  la  Suite  du  Menteur,  Héraclius,  D.  Sanche.)  L'ou- 
vrage se  termine  brusquement  par  trois  pages  sur  cette  dernière 
tragédie,  sans  aucune  réflexion  d'ensemble,  sans  aucune  conclusion. 
C'est  une  simple  suite  de  notes  où  l'analyse  des  pièces  occupe  la  plus 
grande  partie  du  livre,  et  ne  contribue  que  médiocrement  à  en 
augmenter  l'intérêt  :  la  doctrine  y  manque  autant  d'ampleur  que 
d'originalité.  D'autre  part,  on  pourrait  croire,  à  l'absence  de  toute 
référence  et  citation  bibliographique,  que  ce  sujet  est  étudié  pour  la 
première  fois,  ou  que,  de  propos  délibéré,  l'auteur  a  écarté  comme 
oiseuse  l'abondante  littérature  où  il  aurait  pu  puiser.  Ce  petit  livre  est 
d'ailleurs  édité  avec  tout  le  soin  et  l'élégance  auxquels  nous  a  habitués 
l'Université  Columbia.  ^    lyj 


ig6  BULLETIN    HISPANIQUE 

Isidoro  Maiquez  y  el  teatro  de  su  tiempo,  por  Don  Emilio  Cotarelo 
y  Mori.  Madrid,  imprenta  de  José  Perales  y  Martinez,  1902; 
856  pages  in-8°. 

Ce  livre  est  bien  plus  qu'une  biographie  du  célèbre  acteur  Isidoro 
Maiquez,  c'est  une  histoire  du  théâtre  et  de  la  littérature  dramatique 
espagnole  depuis  les  dernières  années  du  xvm"  siècle  jusqu'au 
premier  quart  environ  du  xix«  siècle  (Maiquez  est  mort  en  iSao),  qui 
continue  les  deux  écrits  publiés  par  M.  Cotarelo,  en  1896  et  1897, 
sur  Maria  Ladvenant  et  sur  la  Tirana.  La  documentation  sûre  et 
d'une  extraordinaire  richesse  donne  une  valeur  solide  à  cette  étude, 
un  peu  difficile  à  lire,  mais  qui  devra  être  sans  cesse  consultée  par 
quiconque  s'occupera  désormais  d'une  époque  du  théâtre  espagnol, 
malheureusement  bien  pauvre  et  bien  indigne,  à  coup  sûr,  du  génie 
de  Maiquez.  Deux  appendices  comprenant  l'état  des  compagnies  des 
théâtres  de  Madrid  de  1794  à  1819,  et  un  catalogue  des  œuvres  repré- 
sentées sur  ces  théâtres  dans  la  même  période,  constituent  un  réper- 
toire de  renseignements  dont  il  est  aisé  d'apprécier  l'utilité. 

A.  M. -F. 

Discursos  leidos  ante  la  Real  Academia  Espanola  en  la  recepciôn 
pdblica  de  D.  Ramon  Menéndez  Pidal  el  i9  de  octubre  de  1902. 
Madrid,  Tello,  1902;  96  pages  in-8\ 

Le  thème  du  discours  d'entrée  à  l'Académie  Espagnole  lu  par  D.  Ra- 
mon Menéndez  Pidal  est  une  élude  des  plus  savantes  sur  les  origines 
et  la  signification  du  Condenado  por  desconfiado .  L'éminent  érudit  a 
montré  que  l'idée  de  la  pièce  est  empruntée  à  deux  contes  fort  anciens 
d'origine  orientale  dont  l'un  n'a  été  retrouvé  jusqu'ici  que  dans  des 
versions  médiévales;  il  n'a  pas  réussi,  il  est  vrai,  à  découvrir  la  source 
immédiate  du  drame,  et  là  011  il  a  échoué,  il  n'est  pas  vraisemblable 
que  d'autres  réussissent.  Aux  données  des  deux  contes  se  sont  mêlées, 
dans  ce  drame,  comme  il  est  arrivé  souvent  au  xvii"  siècle,  des  idées 
théologiques,  et  M.  Pidal  signale  justement  et  avec  beaucoup  de  finesse 
chez  l'auteur  du  Condenado  un  écho  des  disputes  sur  la  grâce  entre  les 
partisans  de  Molina  et  ceux  de  Banez.  On  s'étonne  un  peu  que  M.  Pidal 
n'ait  pas  discuté  l'attribution  de  la  pièce  à  Tirso  de  Molina,  qui  a  été 
contestée.  Il  admet,  lui,  qu'elle  est  bien  du  fameux  mercenaire,  mais 
on  voudrait  connaître  ses  raisons. 

Dans  sa  réponse  au  récipiendaire,  D.  Marcelino  Menéndez  y  Pe- 
layo,  après  avoir  retracé  l'histoire  des  études  relatives  à  la  poésie  épi- 
que castillane,  qui  sont  le  domaine  où  M.  Pidal  règne  maintenant  en 
maître  incontesté,  a  prononcé  un  éloge  senti  et  admirablement  juste 
de  son  nouveau  confrère,  auquel  s'associeront  tous  ceux  qui  connais- 


BIBLIOGRAPHIE  I97 

sent  les  rares  qualités  du  jeune  savant  dont  les  brillants  débuts  mar- 
queront une  date  dans  l'histoire  littéraire  de  l'Espagne.  Que  de  beaux 
travaux  n'avons-nous  pas  à  attendre  de  celui  qui,  en  quelques  années, 
a  déjà  renouvelé  avec  une  science  profonde  et  une  méthode  parfaite  tant 
de  sujets  de  la  plus  ancienne  littérature  de  son  pays  ! 

A.  M. -F. 

Enrique    Pineyro,   Nombres  y  cjlovias    de   America.    Garnier, 
Paris,   1908;   I  vol.  in -12,  356  p. 

Nous  ne  pouvons  que  recommander  brièvement  ici  ce  nouveau 
livre  de  M.  Piiïeyro,  si  honorablement  connu  par  ses  publications 
antérieures.  Il  se  compose  de  neuf  articles,  de  longueur  fort  diverse, 
mais  qui  tous  (et  c'est  ce  qui  fait  l'unité  de  l'œuvre)  se  rapportent 
à  l'histoire  ou  à  la  littérature  de  l'Amérique.  Le  plus  important  de  ces 
Essais  est  le  premier  :  Le  conflit  entre  l'esclavage  et  la  liberté  aux 
États-Unis  de  1850  à  1861.  On  y  trouvera  des  pages  intéressantes  sur 
«  la  Cabane  de  l'Oncle  Tom  »  et  son  influence  sur  la  politique  du 
temps,  les  premiers  projets  d'annexion  de  Cuba,  l'histoire  de  l'auda- 
cieuse entreprise  de  John  BroAvn  ;  on  sera  heureux  surtout  d'y  sentir 
le  généreux  souffle  libéral  qui  animait  les  pages  du  «  Quintana  »  du 
même  auteur.  La  biographie  du  grand  pédagogue  et  philosophe 
cubain  José  de  la  Luz  y  Caballero,  se  lira  avec  profit,  même  (et  je 
serais  presque  tenté  de  dire  surtout)  après  celles  qu'ont  rédigées 
J.-L  Rodriguez  et  Manuel  Sanguily.  Signalons  encore  parmi  les  cha- 
pitres de  ce  livre,  très  plein  de  choses,  celui  consacré  à  la  vie  de  San 
Martin  par  le  général  Barlolomé  Mitre,  et  plusieurs  articles  critiques 
sur  la  littérature  ancienne  ou  moderne,  relatifs  à  Andrés  Bello, 
à  Pedro  Mârtir  de  Angleria  [Un  reporter  de  casas  de  America  en  et 
siglo  XV],  et  à  José  Maria  Heredia,  le  célèbre  lyrique  cubain,  où 
l'auteur  proteste,  avec  une  vivacité  toute  patriotique,  contre  certains 
jugements  des  critiques  espagnols  contemporains.  Un  index  très 
complet  termine  l'ouvrage. 

E.  M. 

Miguel  de  Unamuno,  Paisajes.   Salamanca,   coleccion  Galon, 
1902;  69  p. 

Cette  élégante  collection  salmantine  vient  de  s'enrichir  d'une  jolie 
plaquette,  où  l'éminent  recteur  de  la  vieille  Université  a  réuni  quel- 
ques pages  pittoresques  et  humoristiques,  dans  lesquelles  ses  amis 
retrouveront  avec  plaisir  le  poète  qu'ils  connaissent  bien.  La  des- 
cription de  la  Flécha,  la  ferme  des  bords  du  Tonnes  où  Fr.  Luis  de 
Leôn  composa  quelques-unes  de  ses  œuvres,  lui  inspire  un  commen- 
taire ingénieux  et  éloquent  du  grand  poète  mystique.  Le  ((  Coucher  du 
Bull,  hispaii.  i4 


IqS  BI  LI.KTIN    IIISI'AMQLE 

Soleil  »  à  Salamanque  nous  a  rappelé  quelques  moments  charmants 
passés  avec  l'auteur  sur  le  chemin  de  la  Flécha,  alors  que  les  mille 
clochers  de  la  ville  se  découpaient  magnifiquement  dans  l'or  et  dans 
la  pourpre  du  couchant. 

E.  M. 

Miguel  de  Unamuno.  —  En  lorno  al  casticismo  (Biblioteca  de 
Ciencias  sociales).  Madrid,  Fernando  Fé,  1902;  212  pages 
in-8°,  2  pesetas. 

Le  recteur  de  l'Université  de  Salamanque  est  l'un  des  penseurs  les 
plus  originaux,  l'un  des  écrivains  les  plus  alertes,  et  peut-être  le  litté- 
rateur universitaire  le  plus  goûté  en  Espagne  depuis  que  Clarin  n'est 
plus.  Je  me  demandais  avec  inquiétude,  en  ouvrant  ce  volume,  s'il 
y  était  brandi  des  anathèmes  contre  tout  ce  qui  tend  à  polluer  le  casli- 
cismo  national.  Crainte  mal  fondée.  L'aimable  recteur  n'est  pas  un 
pontife;  il  ne  distribue  que  des  idées,  toutes  larges  et  productives. 
Une  phrase  de  sa  conclusion  donne  la  ligne  de  sa  pensée  :  «  Con  el 
aire  de  fuera  regenero  mi  sangre,  y  no  respirando  el  que  exhalo.  » 
M.  Unamuno  pense  d'ordinaire  par  images  ;  or,  image  juste,  idée 
juste. 

De  mi  pals,  misceldnea  histôrica  y  literaria,  por  D.  Carmelo  de 
Echegaray.  San  Sébastian,  F.  Jornet,  1901;  i  vol.  petit  in-S" 
de  vn-342  pages.  3  pis. 

D.  Carmelo  de  Echegaray  est  un  croyant  et  un  lettré.  11  ne  connaît 
pas  seulement  les  auteurs  espagnols.  Les  grands  écrivains  italiens  et 
français  lui  sont  également  familiers.  Mais  s'il  les  possède  et  les  aime, 
ce  n'est  pas  à  eux  cependant  que  vont  les  intimes  préférences  de  son 
cœur.  L'historiographe  du  Guipuzcoa,  le  «  cronista  de  las  Provincias 
vascongadas  »,  comme  il  se  qualifie  lui-même,  habite  Guernica, 
près  de  cet  u  arbre  du  serment  »  que  célèbre  un  chant  fameux,  à 
l'ombre  de  cette  sorte  d'enceinte  sacrée  qui  rappelle  celle  des  Mouradié 
de  Brousse  et  qui  fait  qu'on  éprouve,  dans  l'antique  petite  ville 
biscayenne,  le  même  frisson  poétique  et  religieux  que  dans  la  vieille 
capitale  des  Osmanlis.  Basque  de  nom  et  d'origine,  D.  Carmelo  de 
Echegaray  a  le  culte  de  son  pays  et  de  sa  race.  Rien  de  ce  qui  intéresse 
l'Euskal-erria  ne  lui  est  étranger.  Ce  qu'il  s'efforce  de  montrer,  au 
cours  du  volume  que  nous  analysons,  c'est  que  «  la  race  euskarienne, 
dont  nul  n'ose  révoquer  en  doute  la  grandeur  dans  le  champ  de 
l'action  et  de  la  volonté,  sait  aussi  produire  des  poètes,  qu'ins- 
pirent, fortifient  et  ennoblissent  le  saint  amour  de  Dieu  et  le  saint 
amour  de  la  patrie  »  (p.  85).  La  patrie  dont  il  s'agit  ici,  ce  n'est  pas 


BIBLIOGRAPHIE  îgg 

la  grande  patrie  espagnole,  c'est  la  petite  patrie  basque.  M.  Echegaray 
est  un  fervent  régionalisle.  De  tous  les  articles  dont  il  a  composé  sa 
gerbe,  le  meilleur,  à  mon  sens,  est  celui  qui  porte  le  titre  de  «  Bein  da 
beliko  ».  C'est  une  éloquente  protestation  contre  les  excès  de  la  manie 
centralisatrice,  qui  sévit  au  delà  comme  en  deçà  des  Pyrénées,  un 
chaleureux  plaidoyer  en  faveur  de  la  «  lengua  de  Aitor  »,  toute  «  saturée 
d'arômes  silvestres  »,  un  manifeste  vibrant  de  foi  contre  la  tyrannie 
des  idiomes  nobles  qui  étouffent  l'originale  franchise  des  parlers 
locaux.  Pourquoi  n'y  aurait-il  pas  une  renaissance  littéraire  basque, 
comme  il  y  en  a  une  catalane?  Ceux  qui  ont  horreur  de  l'artificiel  et 
du  convenu,  ceux  qui  estiment  qu'une  œuvre  n'est  viable  que  dans 
la  mesure  où  elle  se  rapproche  de  la  nature,  ceux  qui  gardent  le  sens 
des  beautés  de  création  spontanée  et  populaire  applaudiront  à  ce  bon 
combat  contre  la  plaie  des  civilisations  modernes  :  l'uniformité.  Les 
pages  que  dicte  à  M.  Echegaray  sa  passion  du  sol  natal  sont  excel- 
lentes, nourries  d'idées  saines  et  d'aperçus  heureux,  embrasées  par 
un  souffle  généreux  qui  charme  et  entraîne.  Nos  romanciers  à  la 
mode,  confinés  dans  l'éternelle  et  banale  peinture  de  l'adultère  parisien, 
trouveraient  du  profit  à  les  lire.  Elles  valent  pour  toutes  les  sociétés, 
d'organisme  appauvri,  qui  se  stérilisent  dans  la  servile  reproduction 
des  poncifs  ;  elles  intéressent  la  littérature  comparée,  et,  à  ce  titre,  elles 
méritaient  d'être  signalées  ici. 

G.  RADET. 

A.  R.  Gonçalves  Vianna.  As  orthographias  portuguesas.  Lisboa, 
Typographia  da  Academia,  1902;  xxvi-iSGpp.  in-8°. 

L'orthographe  du  portugais  est  loin  d'atteindre  à  la  perfection  de 
l'orthographe  espagnole  ou  italienne.  Comme  en  français,  on  a  con- 
servé en  portugais  des  graphies  étymologiques  telles  que  theatro, 
Christo,  phrase,  rhetorica,  catarrho,  syllaba.  (Cp.  l'espagnol  teatro, 
Cristo,Jrase,  retôrlca,  catarro,  silaba.)  On  écrit  applaudir,  attençào, 
accomodar,  abbade,  addiçào,  aggrava,  illudir,  aniinoniaco,  anno, 
a/fins^,  bien  qu'on  ait  toujours  prononcé  aplaudir,  atençào,  acomodar, 
abade,  adiçào,  agrava,  iludir,  amoniaco,  ano,  afins.  Le  double  ss  'de 
fosso,  riisso,  se  prononce  comme  le  ç  de  caça,  preço,  c.-à-d.  comme  l's 
sourd  du  français;  1*5  de  coser  ne  diffère  pas  du  z  de  cozer  :  tous  deux 
ont  la  valeur  du  z  français.  Le  ch  de  bicho,  qui  est  une  variété  de  ch 
français,  équivaut  à  ïx  que  nous  trouvons  dans  lixo;  c'est  encore  un 
son  ch,  quelque  peu  atténué,  que  représente  5  à  la  fin  d'une  syllabe, 

I.  Ces  exemples  sont  tirés  de  l'admirable  petite  grammaire  que  M.  F.  Adolpho 
Coelho  a  écrite  pour  les  élèves  des  écoles  primaires  :  Noçûes  elementares  de  grammalica 
portugucza,  Porto,  1891  ;  in-8°,  voy.  le  chapitre  :  Da  representaçûo  varia  dos  sons,  pp.  28 
et  ss. 


200  BULLETIN    HISPAMQLE 

devant  une  consonne  sourde  :  caspa,  /esta  se  prononcent  caspa,Jesta; 
devant  une  consonne  sonore,  ïs  prend  le  son  du  j  français  (atténué)  : 
desdem,  Lisboade\\ennentdezdem,  Lizboa.  Il  s'en  faut  donc  de  beaucoup 
que  la  même  lettre  soit  toujours  prononcée  de  la  même  manière  ;  com- 
parez encore  les  différentes  valeurs  données  à  \'x  dans  fixo  (ficso),  pro- 
ximo  (pro-simo),calix  (caUs),expor  (eispor),  exame  (elzame).  La  repré- 
sentation des  voyelles  et  des  diphtongues,  surtout  la  représentation 
des  voyelles  et  des  diphtongues  nasales,  dont  le  portugais  possède 
une  si  riche  collection,  établit,  elle  aussi,  un  très  grand  désaccord  entre 
l'écriture  et  la  prononciation  :  \'i  atone  de  vizinho,  ministro  se  pro- 
nonce comme  \'e  sourd  de  dedal,  verào;  l'o  et  Ye  atones  s'affaiblissent 
d'ordinaire  en  u  et  en  i  :  lado,  portào,  roer  se  prononcent  ladu,  piirtâo, 
rue?'  et  erguer,  egreja,  cear  aboutissent  à  irgiier,  igreja,  ciar.  Cet 
affaiblissement  de  l'e  et  de  l'o  se  retrouve  dans  les  diphtongues  orales 
ou  nasales  :  pao  (esp.  palo),  mao  (esp.  malo),  sae  (esp.  sale),  moe 
(*mole)  sont  prononcés  pau,  maii,  sai,  moi;  comparez  encore  pôe  (esp. 
pone),  sermôes  (esp.  scrmones)  qui  deviennent  jdô/,  serinais  i.  Quant 
aux  groupes  de  sons  au  et  ai,  ils  sont  représentés  dans  l'écriture  soit 
par  ào,  àe,  soit  par  ain,  em.  Ainsi  mâo,  innào,  erain,  forain,  màe,  hem, 
sem,  ameni  doivent  être  prononcés  mâa,  irniâu,  erâu,  Joràu,  mai,  bai, 
sài,  amài^.  Un  pareil  état  de  choses  appelait  une  réforme.  Au  xvi°  siècle, 
on  songeait  déjà  à  la  faire,  et  il  semble  bien  que,  de  nos  jours,  elle  soit 
sur  le  point  d'aboutir.  M.  Ernesto-Carlos  Kosa  donnait  récemment  un 
aperçu  du  mouvement  réformiste  en  Portugal^  :  on  est  étonné  qu'il  ne 
fasse  pas  mention  de  l'important  ouvrage  de  M.  Vianna  que  nous 
allons  maintenant  examiner. 

M.  Vianna,  dont  tous  les  romanistes  connaissent  les  belles  études 
sur  les  sons  et  l'orthographe  du  portugais^,  est,  sans  contredit,  l'un 
des  hommes  les  mieux  qualifiés  pour  discuter  les  problèmes  que  sou- 
lève la  question  orthographique.  Dès  i885,  il  publiait  des  Bases  de 


1.  Sans  parler  de  la  nasalisation  de  l'élément  faible  de  la  diphtongue:  pour  être 
exact,  il  faudrait  écrire  pôî,  serniôïs. 

2.  Les  poètes  du  centre  du  Portugal  font  rimer  mue  avec  bem.  Autrefois,  ce  dernier 
mot  était  prononcé  bëi.  La  confusion  des  diphtongues  ai  et  êi  est  assez  récente;  on  les 
distingue  encore  au  Brésil,  dans  l'Alentejo  et  dans  l'Algarve  (voy.  Vianna,  p.  CG). 

3.  Le  Réformiste,  publié  à  Paris,  en  orthographe  simplifiée,  par  M.  Jean  Barès.  Voir 
dans  le  numéro  de  décembre  1902  :  a  La  simplificacion  ortografique  du  Portugais.  » 

Voir  aussi,  dans  le  Bolelim  da  Direccâo  Gérai  de  Jnslruccûo  publica,  1902,  fasc.  l.-V, 
pp.  287  et  ss.,  le  compte  rendu  d"une  délibération  du  Conseil  supérieur  de  l'Instruc- 
tion publique  sur  l'orthographe  portugaise. 

!*.  Bornons-nous  à  citer  :  Essai  de  phonétique  et  de  phonologie  de  la  langue  portugaise 
d'après  le  dialecte  actuel  de  Lisbonne',  dans  le  tome  Xll  de  la  Romania  (i883).  (Ce  travail 
a  été  remanié  en  portugais  sous  le  titre  de  :  Exposiçâo  da  pronuncia  normal  portuguesa, 
Lisboa,  1892.)  Proposta  para  a  fixaçâo  da  acentuaçûo  grdjica  portuguesa,  l.isboa,  1894. 
Bases  da  transcripçâo  portuguesa  de  nomes  estrangeiros,  Lisboa,  1900.  Et  plusieurs  articles 
dans  la  Revista  de  Educaçâo  e  Ensino (i9>SG-iSç)0),  la  Revisla  Lusitana  (1887-1892),  la  Revue 
Hispanique  (1899). 


niRUOGRAPHIE  20I 

l'orthographe  portugaise  en  collaboration  avec  le  savant  orientaliste 
M.  G.  de  Vasconcellos  Abreu».  Puis,  les  deux  auteurs  faisaient  éditer 
à  Paris,  chacun  un  livre  où  ils  employaient  l'orthographe  préconisée 
dans  leur  opuscule  2. 

,M.  de  Vasconcellos  et  M.  Vianna  sont  membres  correspondants 
dé  l'Académie  royale  des  Sciences  de  Lisbonne.  Sur  leur  initiative, 
l'illustre  compagnie  fit  imprimer  un  questionnaire  de  cent  quinze 
articles,  rédigé  par  M.  Vianna  avec  beaucoup  d'habileté.  Sans  émettre 
d'opinion  personnelle,  il  y  montrait  les  incertitudes  et  les  contradictions 
de  l'orthographe  portugaise  et  demandait  par  quels  moyens  il  serait 
possible  d'y  remédier.  Chaque  académicien  reçut  de  ce  travail  un 
exemplaire  où  avaient  été  réservés  de  larges  espaces  pour  les  réponses. 
On  allait  enfin  pouvoir  établir  un  système  orthographique  uniforme: 
les  diverses  solutions  proposées  seraient  discutées  et  mises  aux  voix; 
celles  qui  en  réuniraient  le  plus  grand  nombre  seraient  adoptées  et 
imposées  au  public...  M.  Vianna  se  plaça  sous  l'orme  et  attendit  du 
10  mai  1900  au  a/j  janvier  1901.  A  cette  date,  l'Académie  n'avait 
encore  rien  reçu:  M.  Vianna  et  le  secrétaire  de  la  section-^  devaient 
être  les  seuls  à  répondre  aux  questions  proposées,  L'Académie  récom- 
pensa leur  zèle  en  décidant  l'impression  de  leurs  réponses,  et  celles 
de  M.  Vianna  ont  été  réunies  sous  le  titre  de  :  As  orthographias 
portuguesas, 

M.  Vianna  est  un  adversaire  résolu  de  l'orthographe  étymologique, 
il  supprimera  donc  Vh  d'un  mot  comme  thealro,  il  écrira  mirlo  au 
lieu  de  myrtok  et  n'admettra  plus  l'emploi  de  lettres  redoublées  : 
atlençào,  anno,  seront  remplacés  par  alençào,  ano.  Cependant, 
M.  Vianna  ne  songe  pas,  comme  l'a  fait  un  peu  aventureusement 
M.  Araujo  en  Espagne 5,  à  remplacer  l'orthographe  traditionnelle  par 
une  orthographe  rigoureusement  phonétique  où  chaque  son  de  la 
langue  serait  invariablement  représenté  par  la  même  lettre;  il  juge 
qu'on  n'a  pas  le  droit  de  défigurer  une  langue  littéraire  et  veut,  en 

1.  Basex  da  ortografia  portuguesa,  Lisboa,  i885. 

2.  A  lileratura  e  a  relijiâo  dos  Arias  na  India  (Vasconcellos  Abrcu).  Mâgoas  de  Wer- 
ther (Vianna).  Chez  Guillard,  Aillaud  et  C". 

3.  L'Académie  royale  des  Sciences  de  Lisbonne  est  divisée  en  deux  classes  ou 
sections;  la  deuxième  est  celle  des  Sciences  morales  et  politiques  et  des  Belles-Lettres. 

4.  L'article  où  il  est  traité  de  la  suppression  des  lettres  étymologiques  est  un  des 
plus  intéressants  du  recueil.  La  question  est  ainsi  posée  (p.  i3)  :  (cConvirâ  expungir 
o  h  dos  grupos  ch  =  c,  th  =  t,  e  substituir  ch  por  qu,  rh  por  r,  ph  por/,  y  por  i:^  No 
caso  contrario,  que  leis  e*  regras  sem  excepçào  determinarào  o  emprègo  dèsses 
vestigios  etymologicos,  inuteis  para  a  leitura  »  ?  M.  Vianna  conserve  provisoirement  un 
h  initial  justifié  par  l'étymologie,  il  supprime,  au  contraire,  l'/imédial;  il  ne  soccupe 
pas  de  mots  comme  anhelar,  Alhambra  qu'on  écrira  sans  doute  anelar,  Alambra 
à  cause  de  la  valeur  particulière  donnée  en  portugais  aux  groupes  nh  et  Ui  (banho, 
batalha).  Cp.  encore  inhalar,  inhabil,  inhumano,  anhydro,  etc.  =  inalar,  inâbil,  inumano, 
anidro. 

5.  Voir  Romania,  tome  XXIV  (1896),  pp.  398  et  sqcj. 


302  BILLEÏIN    IIISI'AMQUE 

conséquence,  respecter  la  tradition  orthographique;  son  unique  but 
sera  de  régulariser  cette  tradition  et  de  la  ramener  à  des  principes 
bien  déterminés.  C'est  ainsi  qu'il  conserve  le  double  ss  à  l'intérieur 
des  mots,  entre  deux  voyelles,  parce  que  c'est  là  une  façon  commode 
de  distinguer  1'^  sourd  defosso,  rasso  (cp.  l'espagnol /o5o,  riiso)  de 
Vs  sonore  de  casa^  preso,  mais  il  exige  que  prosegiiir  (pro-seguirj, 
presentir  (pre-sentir)  soient  remplacés  par  prosseguir,  pressentira 
A  côté  de  passo  (esp.  paso),  il  laissera  subsister  braço  (anc.  esp. 
braço),  bien  que  la  valeur  du  ç  soit  actuellement  en  portugais  exac- 
tement la  même  que  celle  de  Vs  sourd;  dans  l'ancienne  langue,  en 
effet,  le  ç  était  soigneusement  distingué  de  Vs,  comme  en  espagnol,  et 
cette  distinction  subsiste  encore  aujourd'hui  dans  les  provinces  du 
Nord  du  Portugal 2.  Pour  des  raisons  analogues,  gozar  sera  main- 
tenu à  côté  de  ousar.  Par  contre,  des  graphies  actuellement  usitées, 
comme  assucar,  socegar  devront  être  remplacées  par  açucar,  sos- 
segar'^.  Cp.  encore  mez,  portuguez  qui  devront  céder  la  place  à  mes 
(mensem),  portugues  (portagalensem)  et  simples,  ourives  qu'on  écrira 
plus  correctement  simplez  (simplicem),  ourivez  (aarificem).  Malgré  les 
prononciations  irguer,  purtâo,  M.  Vianna  continuera  à  écrire  ergiier, 
portào  parce  que  l'affaiblissement  de  la  voyelle  dans  les  mots  de  ce 
genre  n'a  probablement  pas  toujours  existé  en  portugais,  et  qu'on  ne 
le  trouve  pas  dans  le  portugais  du  Brésil i.  M.  Vianna  condamne 
même  irmào,  inteiro,  inveja  et  isençào  qui  sont  d'un  usage  courant 
et  donne  la  préférence  à  ermào  (esp.  hermano),  enteiro  (esp.  entero), 
enveja  (galicien  envexa)  et  esençào. 

On  voit  par  ces  derniers  exemples  que  l'orthographe  usuelle  a 
parfois  transcrit  exactement  les  voyelles  affaiblies  dans  une  syllabe 
atone  :  les  anciens  batees,  cascavees,  anees  sont  maintenant  devenus 
bateis,  cascaveis,  aneis;  à  côté  de  pao,  mao,  on  peut  écrire  pau,  mau, 
et  à  côté  de  màe,  on  trouve  aussi  mai.  M.  Vianna  propose  qu'on  écrive 
ceu  au  lieu  de  ceo  et  sai,  moi,  carocois  au  lieu  de  sae,  moe,  carocoes. 
Il  semble  qu'on  n'aurait  pas  eu  trop  de  peine  à  faire  également 
accepter  razàu  (razôis),  pàu  (pais)  au  lieu  de  razào  (razôesj,  pào 
(pàes),  mais  des  mots  comme  cào  (càes),  sazào  (sazôes)  naçào  (naçôesj, 

1.  Que  faire  d'un  mot  comme  dessoldar?  Il  faudra,  sans  doute,  pour  éviter  une 
prononciation  erronée,  séparer  le  préfixe  du  verbe  et  écrire  dessoldar  (pr.  des  -solder). 

2.  Dans  toute  la  province  de  Trâs-os-Montes  (Vianna,  p.  48)  et  dans  une  partie  de 
la  Beira  et  du  Minho  (p.  66).  La  confusion  des  deux  sons  remonte  probablement  au 
xvn*  siècle.  Au  xvi*  siècle,  dans  les  Lusiades,  il  y  a  déjà,  à'  la  rime,  des  exemples  de 
confusion  entre  les  sonores  médianes  :  tristeza  rimant  avec  empresa,  mais  —  eça  ne 
rimerait  pas  avec  —  essa. 

3.  Açucar:  le  grec  ffxxy  apov  a  été  transmis  auxEspagnols  et  aux  Portugais  par 
les  Arabes,  d'où  la  présence  du  ç.  Sossegar,  à  côté  de  l'ancien  sessegar,  vient  plutôt 
de  scssicare  (Garolina  Michaëlis)  que  de  subsedicare  (Storm).  Voir  Vianna,  p.  72. 

Ix.  De  plus,  en  écrivant  irguer,  purtâo,  on  mettrait  ces  formes  en  désaccord  avec 
celles  011  la  voyelle  est  accentuée  et  ne  s'est  pas  affaiblie  :  érgo  et  porta. 


BIBLIOGHVl'HIE  ÎOO 

coraçâo  (coraçôes),  etc.  sont  nombreux  dans  la  langue  et  l'on  n'a  pas 
voulu  songer  à  altérer  leur  physionomie  en  les  écrivant  conformément 
à  leur  prononciation. 

Il  est  une  solution  proposée  par  M.  Vianna  qui  n'ira  pas,  je  crois, 
sans  soulever  d'objection  :  la  diphtongue  au  que  l'on  entend  à  la  finale 
des  troisièmes  personnes  du  pluriel  est  transcrite  par  âo  dans  une 
syllabe  tonique,  par  am  dans  une  syllabe  atone.  On  écrit  sào  (son), 
estào  (estcin),  dào  (dan),  vâo  (van);  on  écrit  au  futur  ^erào  (serdn), 
darào  Ulardn),  cantarào  (cantardn)  et,  partout  ailleurs,  eram  (eran), 
davam  (dahan),  canlaram  'canlaron  ,  disserani  (dijeron;.  Cependant 
l'habitude  s'était  peu  à  peu  introduite  d'écrire  aussi  erào,  cantarào, 
disserào.  On  devait,  semble- t-il,  être  heureux  de  voir  s'uniformiser 
la  représentation  de  la  diphtongue,  et,  dans  une  réforme  de  l'ortho- 
graphe, la  suppression  des  graphies  eram,  disseram  pouvait  être  har- 
diment proposée  i.  Néanmoins,  M.  Vianna  les  conserve  :  il  trouve  qu'il 
est  d'une  nécessité  absolue  de  distinguer  dans  l'écriture  des  formes 
telles  que  canlaram  (cantdveranti  et  cantarào  (cantardn)  et  de  réserver, 
en  conséquence,  la  diphtongue  ào  pour  les  finales  accentuées  2. 
M.  Vianna  a  même  songé  un  instant  à  faire  revivre  l'ancienne  graphie 
ec  qui  représentait  autrefois  la  diphtongue  èi,  laquelle  est  aujourd'hui 
uniformément  représentée  par  em.  On  écrit  desdem,  armazem,  viagem, 
margem,  virgem,  contem,  sostem,  fazeni,  dizem^.  Pour  les  substantifs, 
M.  Vianna  ne  ferait  aucune  distinction  entre  la  syllabe  tonique  et  la 
syllabe  atone,  il  écrirait  desdce,  armazèe,  vidgèe,  mdrgèe,  vîrgèe, 
comme  il  écrit  razào,  ôrgào  (ôrgano),  sôtào  (sôtano),  Rôdào  (Rôdano). 
Dans  les  verbes,  au  contraire,  la  syllabe  atone  se  distinguerait  de  la 
syllabe  tonique  ;  à  côté  de  estào,  on  aurait  contée,  sostèe,  mais  en 
regard  de  amam,  cantam,  on  mettrait  vendem,  fazem,  dizem, 
podem,  etc.  ;  la  symétrie  serait  parfaite  :  cependant,  il  n'est  pas  à 
souhaiter  qu'on  suive  M.  Vianna  dans  cette  réforme. 

Il  nous  reste  maintenant  à  examiner  la  question  intéressante  de 
l'accent  écrit.  Le  portugais  avait  autrefois  un  accent  grave  qu'il  serait 
peut-être  avantageux  de  remettre  en  usage.  Il  lui  reste  un  accent  aigu 
et  un  accent  circonflexe  ;  ce  dernier  indique  que  la  voyelle  sur  laquelle 
il  est  placé  est  une  voyelle  fermée  :  crê  (crédit j,  le  (lêgit),  vê  (indetj. 
L'accent  aigu  dislingue,  au  contraire,  les  voyelles  ouvertes  :  si  l'on 
voulait  indiquer  que  \'e  de  seca  (secca  dans  l'orthographe  courante) 
a  la  même  valeur  que  celui  du  français  sèche,  on  écrirait  séca.  Les 
accents  portugais  modifient  donc,  comme  en  français,  la  valeur  de  la 

I.  C'est  ce  qui  a  été  fait  par  MM.  Lcite  de  Vasconccllos,  Julio  Morcira  et  Eiiiphanio 
Dias;  cp.  Vianna,  p.  69. 

a.  Pourquoi  ne  pas  écrire  d'une  part  serûo,  darûo,  cantni-âo  et  érâo,  dâvâo,  cantarào, 
dissérâo,  d'autre  part? 

3.  Rappelons  que  desdem  (desdri),  fa:em  (fazêi),  dizem  (dizêi)  se  prononcent  desdâi, 
fazâi,  dizni  dans  le  dialecte  de  Lisbonne.  Voir  plus  haut. 


204  BI  LLETIN    HISPAMOIJE 

voyelle,  mais,  de  plus,  ils  indiquent  aussi,  parfois,  la  place  de  l'accent 
tonique.  Cependant,  cette  place  de  l'accent  tonique  n'est  pas  indiquée 
d'une  façon  bien  rigoureuse  et  il  faut  louer  M.  Vianna  de  vouloir  intro- 
duire en  Portugal  le  système  d'accentuation  qu'ont  adopté  les  Espa- 
gnols, lequel  est  bien  près  d'être  parfait.  La  chose  ne  va  pas  sans  quel- 
ques difficultés.  En  écrivant,  par  exemple,  cômodo,  cônego,  académico , 
fénico,  on  entend  marquer,  par  l'accent  aigu,  la  syllabe  tonique;  mais 
ne  pourrait-on  croire  aussi  que  cet  accent  aigu  indique  une  voyelle 
ouverte?  Or,  il  se  trouve  que  dans  certaines  régions,  cette  voyelle  est 
précisément  une  voyelle  fermée.  On  supprimerait  peut-être  la  difficulté 
en  notant  les  voyelles  ouvertes  par  un  accent  grave,  comme  en  français, 
et  en  ne  laissant  à  l'accent  aigu  qu'une  fonction,  celle  d'indiquer  la 
voyelle  tonique  '. 

Il  y  a  en  portugais  nombre  de  mots  qui  ne  diffèrent  l'un  de  l'autre 
que  par  la  qualité  de  la  voyelle.  Tel  est  seda  qui,  avec  une  voyelle 
ouverte,  a  le  sens  de  siège,  avec  une  voyelle  fermée,  celui  de  soie.  On 
comprend  qu'il  y  ait  intérêt  à  indiquer  par  un  accent  si  la  voyelle  est 
ouverte  ou  fermée,  aussi  M.  Vianna  écrit-il  sêda  et  séda.  Comparez 
encore  côr  (côr),  avô  (avô),  tôrre  (tôrre),  espôso  (espôso),  colhêr 
(colhérj,  estrêla  (eslréla),  destêrro  {deslérro).  Je  proposerais  plutôt 
cor,  avb,  torre,  espôso,  colhèr,  eslrhla,  destêrro.  M.  Vianna  distingue 
par  un  accent  grave  les  voyelles  ouvertes  atones,  pourquoi  n'emploie- 
rions-nous pas  le  même  signe  pour  les  voyelles  ouvertes  toniques, 
lorsque  c'est  la  qualité  de  ces  voyelles  qui  nous  préoccupe  particu- 
lièrement 2? 

Versailles,  janvier  igoS. 

J.  SAROÏHANDY. 


I.  L'o  et  l'e  toniques  de  comodo,  conego,  académico,  fenico  sont  ouverts  à  Lisbonne, 
fermés  dans  la  Beira.  Au  contraire,  l'a  tonique  de  candido,  ansia  est  fermé  à  Lisbonne, 
ouvert  dans  le  Minho  et  une  partie  du  Douro  (Vianna,  p.  88).  Pour  être  exact,  on 
devra  écrire  cômodo,  cânego,  académico,  fénico  à  Lisbonne,  cômodo,  cônego,  académico, 
fénico  dans  la  Beira  et  inversement  on  écrira  cândido,  dnsia  à  Lisbonne,  cdndido,  dnsia 
dans  le  Minho  et  le  Douro.  Dans  ces  mots,  ce  que  l'on  veut  marquer,  ce  n'est  pas  la 
qualité  de  la  voyelle,  mais  la  place  de  l'accent  tonique,  et  il  serait  avantageux  d'avoir 
un  signe  spécialement  affecté  à  cet  usage;  si  l'on  adoptait  l'accent  aigu,  comme  en 
espagnol,  cômodo,  cônego,  académico,  fénico,  cdndido,  ânsia  ne  présenteraient  d'incon- 
vénient en  aucune  partie  du  pays.  Au  lieu  d'écrire  cortêsmente,  comme  le  fait 
M.  Vianna  (p.  g/i),  on  écrira,  à  la  façon  espagnole,  cortêsmente. 

2.  M.  Vianna  écrit  mdlhinha,  dàninho,  prhgar,  pègada  (p.  gB),  pour  indiquer  que  la 
voyelle  de  ces  mots  n'est  pas  une  voyelle  sourde,  mais  une  voyelle  ouverte.  M"°  Caro- 
line Michaëlis  avait  déjà  écrit  elle  aussi  prègador  à  la  page  35  de  sa  biographie  de 
l'infante  D*  Maria  de  Portugal,  vèdores  à  la  page  ii/i  (Vianna,  p.  120).  Cp.  encore 
l'usage  que  fait  M.  Vianna  de  l'accent  grave  dans  cette  phrase  :  «  a  pronuncia  que  no 
abecedario  se  dâ  as  letras  e,  0,  é  com  e,  0  abertos  »  (p.  8.^).  A  en  juger  par  ces  exemples, 
l'usage  français  de  l'accent  grave  pourrait  être  introduit  sans  grande  opposition  dans 
l'orthographe  portugaise.  D'ailleurs,  n'est-il  pas  arrivé  que  des  particularités  ortho- 
graphiques du  français  n'aient  que  trop  bien  réussi  à  s'acclimater  en  Portugal? 

Cependant,  après  avoir  réservé  l'accent  aigu  pour  marquer  la  place  de  l'accent 


BIBLIOGIIAPHIE  20;> 

tonique,  l'accent  grave  et  l'accent  circonflexe  pour  indiquer  la  qualité  des  voyelles 
ouvertes  ou  fermées,  si,  dans  un  mot  donné,  la  place  de  l'accent  et  la  qualité  de  la 
voyelle  tonique  pouvaient  à  la  fois  donner  lieu  à  une  hésitation,  on  n'aurait  plus  le 
moyen  de  lever  le  double  doute  qui  se  présenterait  à  l'esprit  du  lecteur.  Ce  n'est,  je 
dois  le  dire,  le  cas  pour  aucun  dos  mois  apportés  dans  la  discussion  par  M.  Vianna. 
Ce  n'est  pas  le  cas  pour  ceii,  mnnteu,  pour  reis,  manleis,  pour  sois  {p.  g'i),  faroisip.  50), 
pour  joia,  comboio  dont  M.  V'ianna  propose  de  noter  par  un  accent  aigu  la  voyelle 
ouverte  et  qui  peuvent  être  écrits  tout  aussi  bien  :  chu,  manleu,  rhis,  batèis,  farùis, 
sois,  jôia,  combùio 

M.  Vianna  songe  encore  à  utiliser  l'accent  grave  pour  distinguer  Vu  qui  se  pro- 
nonce dans  les  groupes  gue  (gui)  :  arghir,  à  côté  de  seguir;  l'espagnol  distingue  cet  u 
par  un  tréma  :  argiiir,  anligiiedad.  Écrivant  argiiir,  agîientar,  M.  Vianna  se  croit  tenu, 
à  cause  de  la  symétrie,  d'écrire  aussi  delinqiiir,  eqiiestre,  fréquente,  eloqhencia.  Il  con- 
serverait gua^,  quatro,  quaresma;  mais  an  lieu  àe quatorze,  quota  dont  Vu  ne  se  pronooce 
pas,  il  propose,  sans  hésitation,  catorze,  cota.  La  véritable  solution  serait  d'adopter 
pour  tous  les  mots  cités  l'orthographe  espagnole  et  d'écrire  ecuestre,  frecuente,  elo- 
cucncia,  cual,  cuatro,  cuaresrna,  aussi  bien  que  catorze,  cota.  Le  son  k  serait,  dans  ces 
mots,  uniformément  représenté  par  c,  ce  qui  est  bien  quelque  chose,  et,  de  plus, 
le  principe  de  symétrie,  auquel  M.  Vianna  semble  décidé  à  tout  sacrifier,  ne  rece- 
vrait pas,  de  ce  fait,  une  très  grave  atteinte.  Nous  écririons  ga  (ca),  go  (co),  gu  (eu), 
gue  (eue),  gui  (cuij  d'une  part;  gue  (que),  gui  (qui)  d'autre  part.  Devant  e  (i)  les  sons 
k  (g)  seraient  représentés  par  les  groupes  qu  (gu),  partout  ailleurs  par  c  (g)  :  peut-on 
désirer  une  symétrie  plus  parfaite  dans  la  représentation  des  deux  sons?  Sans  doute, 
en  regard  de  argliir,  aguentar,  il  faudrait,  en  toute  rigueur,  écrire  delinciiir,  frcciiente, 
mais  il  n'est  pas  douteux  qu'il  ne  soit  permis  d'omettre  un  diacritique  lorsque  son 
emploi  ne  présente  aucune  utililc. 


SOMMAIRES  DES  REVUES 

GOJJSACRÉES    AUX    PAYS 

DE    LANGUE   CASTILLANE,  CATALANE  OU   PORTUGAISE 


Boletin  de  la  R.  Academia  de  la  Historia. 

Janvier  1902.  —  R.  Ramîrez  de  Arellano  :  Un  documento  nuevo 
de  Beatriz  Enriquez  de  Arana.  [Contrat  de  louage  qui  tend  à  prouver 
que  Béatriz  ne  fut  jamais  mariée  avec  Christophe  Colomb.  i5i6]. — 
Fidel  Fit  a.  Patrologia  latina.  Renallo  gramâtico  y  la  conquista  de 
Mallorca.  [Complète,  par  des  documents  biographiques  et  bibliogra- 
phiques, ce  que  Migne  nous  a  laissé  sur  l'un  des  plus  savants  écri- 
vains de  l'école  de  Barcelone  dans  la  première  moitié  du  xii"  siècle.]  — 
Variétés  et  nouvelles. 

Février.  —  M.  Danvila  :  Très  documentos  inédites  referentes  al 
matrimonio  de  los  Reyes  Catôlicos.  i468,  69,  70.  —  Fidel  Fixa  : 
Inscripciones  romanas  de  la  Puebla  de  Montalban,  Escalonilla  y 
Méntrida.  —  Documents  divers. 

Mars.  —  F.  R.  de  Uhagôn  :  Desafio  entre  Rodrigo  de  Benavides 
y  Ricardo  de  Merode.  [Publie,  d'après  un  ms.  de  la  Bibl.  nat.  de 
Madrid,  une  relation  inédite  de  ce  duel  fameux,  qui  eut  lieu  en  1 556.]  — 
Documents  divers.  VI.  F.  Fita  :  El  principado  de  Cataluiîa;  razôn  de 
este  nombre. 

Avril.  —  CoNDE  de  Cedillo  :  Rapport  sur  le  Libro  primero  de 
Cabildos  de  Lima  [publié  en  1900  par  la  municipalité  de  cette  ville].  — 
Fidel  Fita  :  D.  Pedro  de  Albalat,  arzobispo  de  Tarragona,  y  D.  Ferrer 
Pallarés,  obispo  de  Valencia.  Cuestiones  cronolôgicas.  —  Parmi  les 
Nolicias,  renseignements  curieux  sur  les  cap-marks  ou  écuelles  (cazo- 
letas  ou  cazuelas)  de  certains  monuments  préhistoriques  espagnols. 

Mai.  —  Mariano  Parro  :  Signos  lapidarios  del  Castillo  de  Monzon 
(Huesca)  y  de  la  catedral  de  Toledo.  [Nombreux  fac-similés  de  ces 
marques  de  tailleurs  de  pierre.]  —  Rivett-Carnag  :  La  piedra  de  la 
coronacion  en  la  abadia  de  Westminster  y  su  conexiôn  legendaria  con 
Santiago  de  Compostela.  —  Macineira  Pakdo  :  Ejemplares  gallegos 
y  portugueses  de  la  escritura  hemisférica.  [Détails  curieux  sur  les 
écritures  préhistoriques.]  —  F.  Fita  :  Concilies  tarraconenses  en 
1248,  49,  5o. 

Juin.  —  Manuel  de  Ossuna  :  Estudios  histôricos  y  psicolôgicos 
acerca  de  las  islas  Canarias.  —  Documents.  Valverde  Perales  :  Anti- 
gûedades  romanas  y  visigôticas  de  Baena.  —  Alfredo  Chavero  : 
Colegio  de  ïlatelolco.  [Documents  nouveaux  sur  la  date  de  fondation 


SOMMAlUb;    DES    UEVLES  207 

et  l'organisation  de  ce  célèbre  collège  mexicain.]  —  F.  Fit.v  :  Article 
critique  sur  le  Cours  de  Littérature  celtique  de  H.  d'Arbois  de  Jubain- 
ville.  —  M''  DE  MoNSALUD  :  Nuevas  inscripciones  romanas  de  Extre- 
madura.  [Mérida,  Ibahernando.J  —  Le  Préteur  L.  Cornélius  Pusio. 
[Reproduction  de  l'art,  de  H.  Dessau  dans  le  Bulletin  hispanique.]  — 
Discours  (du  M'"  de  la  Vega  de  Armijo  et  de  Menéndez  Pelayo)  pro- 
noncés le  24  mai,  au  Palais  des  Bibliothèques  et  Musées,  à  propos  de 
la  majorité  du  Roi. 

Juillet- Septembre.  —  M.  Serrano  y  Satvz  :  Francisco  Hernândez  y 
el  Bachiller  Antonio  de  Medrano,  Sus  procesos  por  la  Inquisiciôn 
(lôig  à  i533).  [Documents  intéressants  relatifs  à  ces  deux  célèbres 
procès,  publiés  d'après  les  papiers  de  l'Inquisition  de  Tolède.]  — 
Francisco  Codera  :  Deux  inscriptions  arabes.  —  José  G.  de  Arteche  : 
I  Rapport  sur  différents  ouvrages  relatifs  aux  guerres  de  Napoléon.] 
—  FoROJiDO  :  El  tumbo  de  Valdeiglesias  y  D.  Alvaro  de  Luna.  [Récit 
contemporain  de  l'exécution  du  Connétable.]  —  Fernândez  de  Velasco  : 
Pedro  Merino  en  San  Quintin.  [Documents  relatifs  à  ce  personnage  qui 
s'empara  du  connétable  de  Montmorency  à  Saint -Quentin,  et  que  l'on 
avait  appelé  jusqu'ici  Sedano.]  —  F.  Fita  :  Concilio  inédito  de  San 
Celoni  en  1168.  Bulas  inéditas  de  Alejandro  III  y  Benedicto  YIII. 

Octobre.  —  R.  Ramîrez  de  Auellano  :  Estudios  biogràficos.  [Deux 
études  très  documentées,  la  première  sur  Pero  Tafur,  l'auteur  des 
Andanças  e  viajes,  où  sa  biographie  est  rectifiée  et  enrichie,  la  seconde 
sur  un  Gonzalo  de  Ayora,  veinticuatro  de  Cordoue  qui  est  peut-être  le 
même  que  le  chroniqueur  de  ce  nom.]  —  F.  Fita  :  Sébastian,  obispo 
de  Arcâvica  y  de  Orense.  Su  crônica  y  la  del  rey  Alfonso  III.  [La  chroni- 
que dite  de  Albelda  serait  due  à  Sébastian,  évêque  d'Orense,  et  la  chro- 
nique attribuée  à  Sébastian  serait  l'œuvre  du  roi  Alfonso  III  elMagno.] 

Novembre.  —  Fidel  Fixa  :  Patrologia  latina.  Apringio,  obispo  de 
Beja.  [Article  critique  très  étudié  sur  le  livre  de  D.  Marins  Férotin, 
Apringius  de  Beja.  Son  commentaire  ■  de  l'Apocalypse,  Paris,  1900. 
Discussion  des  sources.  Étude  des  manuscrits,  particulièrement  de 
celui  de  Barcelone.]  —  A.  Rodrîguez  Villa  :  Francisco  de  Lisola. 
[Compte  rendu  du  livre  de  M.  Longin  sur  le  diplomate  Franc- 
Comtois,  1613-74,  et  publication  de  lettres  inédites  en  espagnol.]  — 
Cesâreo  Feunâîsdez  Duro  :  La  mujer  espanola  en  Indias. 

Décembre.  —  Fernandez  Duro  :  Nuevos  autôgrafos  de  Cristobal 
Colon  y  relaciones  de  ultramar.  [A  propos  de  la  publication  de  la 
duchesse  de  Berw^ick  et  d'Albe.]  —  Francisco  R.  de  Uhagôn  :  Libros 
publicados  por  el  Sr.  Archer  M.  Iluntington.  —  F.  Fixa  :  Inscripciones 
visigôticas  y  suévicas.  [Duenas,  Bafios  de  Cerrato,  S.  Salvador  de 
Vairâour,  S.  Juan  de  Banos  de  Bande,  S.  Pedro  de  Rocas.]  —  Arteche  : 
Lusitania  y  su  primer  coronel.  [Compte  rendu  critique  du  livre  de 
M.  Ibânez  Marin  sur  le  Régiment  de  Lusitanie.]  E.  M. 


208  BULLETIN    HlSPAMQl  E 

Bolelin  de  la  Societad  Arqueolôgica  Luliana. 

Août  1901.  —  Bartolomé  Ferra:  ïechos  arlisticos...  (Apuntes  de 
mi  cartera)  (suite).  —  E.  Aguilô  :  Actes  de  la  elecciô  de  Sindichs... 
Cfin).  [Documents  latins,]  —  Alf.  Damiâns  y  Mante  :  Revoluciô 
dels  pagesos  mallorquins  en  lo  segle  xv.  [Documents  des  Archives 
municipales  de  Barcelone.  Suite  dans  les  n"'  de  sept.-décemb.  1901, 
mai-juin  1902.] —  Db.  Gabriel  Mesquida  :  Vida  de  Sor  Anna  Maria... 
(suite).  [Suite  dans  les  n°'  208,  209,  262,  267.] 

Septembre.  —  B.  Ferra  :  Moneslir  de  la  Real.  Ordinacions  pera  el 
regimen  interior...  [Statuts  établis  par  l'abbé  Don  Fr.  Père  Mayans. 
XVII'  siècle.  Suite  dans  les  trois  n"'  suivants.]  —  M.  P.  Pre  :  Calviâ. 
Apuntacions  historiques.  [Livres  d'Actes  du  Conseil  de  Calviâ, 
XVI'  siècle  et  suivants.  Suite  dans  les  deux  n"'  suivants  et  mai  1902.] 
—  E.  Aguilô:  Notes  dels  Llibres  de  Dades...  Any  iSSa. 

Octobre.  —  P.  Sampol  y  Ripoll  :  Anuario  bibliogrâfîco  de  Mallor- 
ca,  1900.  [Suite  dans  les  deux  n"  suivants.]  —  Planche  :  Saint-Elie 
(in  basilica  vaticana). 

Novembre.  —  E.  Aguilô  :  Acte  de  pau  d'un  dels  bandos  de 
Petra  (i368).  [Document  latin.] 

Décembre.  —  Antoi  M'  Algover  :  Folk-Lore  Balear.  [Traditions 
populaires  de  Majorque.  Suite  dans  le  n°  suivant.]  —  E.  Aguilô  : 
Documents  curiosos  del  sigle  xiv.  Testament  de  Sayt  Mili,  juhéu... 
[16  août  1377.  Document  latin.] 

Janvier -Février -Mars  4902.  —  E.  Aguilô:  Transacciô  sobre  la 
successiô  del  règne  de  Mallorca...  [VIII  kalendas  octobris  anno 
Domini  millesimo  CGC  XX"  quinto.  Zaragoza.  Document  latin.]  — 
Miguel  Bonet  :  Sobre  reparto  de  fincas  a  los  Tortosines...  (1281). 
[Deux  documents  latins.] —  Gabriel  Llabrés  :  Asalto  de  la  Ciudad  de 
Mallorca  en  1239. 

Avril.  —  Gabriel  Llabrés  :  Guillermo  de  Torrella,  poeta  mellor- 
quin  del  siglo  xiv.  [Étude  biographique  et  bibliographique  avec 
deux  documents  latins  :  le  testament  et  le  codicille  du  poète,  une 
analyse  et  un  extrait  de  la  Faula.]  —  E.  Aguilô  :  Cartas  curiosas  del 
siglo  XIV.  [Document  latin  :  Le  roi  Hugo  de  Chypre  annonce  à  la 
reine  Jeanne  de  Naplcs  une  victoire  sur  les  Turcs  due  à  l'intervention 
de  saint  Jean-Baptiste.]  —  E.  Aguilô  :  Donatius  reyals  a  Fr.  Joan  de 
Fornells...  [Document  latin.] 

Mai.  —  P.  A.  Sanxo:  Sobre  l'oficideCorredorReal.  [Trois  documents 
catalans  :  ordonnances  el  privilèges  du  dit  office  ;  opposition  et  réplique.] 

Juin.  —  E.  Aguilô  :  Requesta  de  mestre  Bartomeu  Caldentey 
y  Altres...  [pour  prohiber  au  médecin  juif  Isaac  l'exercice  de  la 
médecine.  i488].  —  E.  Aguilô  :  Jaume  II  d'Aragô  eximeix  al  rey  en 
Sanxo  de  Mallorca...  (i3ai).  T. 


SOMMAIHE    DES    HEVLE5 


209 


Butlletl  del  Centre  exciirsionista  de  Calalunya. 


Juillet  1909.  —  Ceferi  Rocafort.  Excursio  als  estanys  y  vull  de 
Capdella.  —  Chronique.  —  Conférences  et  lectures.  [Compte  rendu  de 
la  lecture  d'une  trilogie  grecque  traduite  en  catalan.]. 

Août.  —  Llui's  Coll  y  Espadalet.  Excursio  a  la  Montanya  de  Sant 
Gregori  fins  a  Gerona.  —  Cels  Gomis.  La  luna  segons  el  poble. 

Septembre.  —  N.  Fo>t  y  Sagué.  Sota-terra.  [Excursion  souterraine 
au  Priorat,  etc.]  —  C.  Gomis.  La  luna  segons  el  poble  (rin). 

Octobre.  —  J.  Masso- Torrents.  Excursio  a  Ribes,  Montgrony,  La 
Tobla  de  Lillet,  Berya,  La  Portella,  etc.  —  N.  Fo:<t  y  Sagué.  Sota- 
terra  (fin). 

Novembre.  —  Pau  ïeixidor.  Yespella.  —  Rose.ndo  Serra.  La  con- 
servaciô  de  les  belleses  naturals  de  les  montanyes. 

Décembre.  —  Chronique.  [Excursion  au  Masnou,  pour  visiter  des 
mosaïques,  peintures,  sculptures,  etc.  Visite  à  la  bibliothèque  pro- 
vinciale, laquelle  possède  i5o,ooo  volumes.] 

Janvier  1901.  —  Cels  Gomis.  Literatura  oral  catalana  [Dictons]. 
—  Chronique.  [Compte  rendu  d'une  conférence  sur  une  excursion  au 
Val  d'Aran  et  au  Canigou.] 

Février.  —  N.  Font  y  Sagué,  El  castell  de  Requesens.  —  C.  Gomis. 
Literatura  oral  catalana  isuile}.  —  Chronique.  [Compte  rendu  d'une 
lecture  par  M.  J.  Masso  Torrents  des  œuvres  de  Georges  de  Sanl- 
Jordi,  poète  du  xv'  siècle,  et  d'une  visite  au  musée  géologique  du 
séminaire  Conciliai-  de  Barcelone.] 

Mars.  —  Séance  publique:  discours  du  secrétaire;  discours  du 
président,  M.  Raimond  Picô  y  Campanar,  sur  Rutilius  ^'umatianus.  — 
Liste  des  membres.  —  Chronique.  [Compte  rendu  d'une  conférence  de 
M.  Joseph  Bernard  y  Durand  sur  la  littérature  catalane  au  \vC  siècle, 
et  d'une  conférence  sur  la  découverte  au  Masnou  des  restes  d'une 
construction  présumée  visigothique.] 

Avril.  —  BoNAVENTURA  CoNYLL.  El  temple  de  la  Sagrada  Familia 
[église  en  construction].  —  N.  Font  y  Sagué.  Per  que  sant  Jordi  es 
patrô  de  Catalunya.  —  Chronique.  [Comptes  rendus  de  la  séance 
d'inauguration  de  l'exposition  des  documents  figurés  sur  les  curiosités 
de  Barcelone  disparues  au  cours  du  xix'  siècle,  et  de  plusieurs  confé- 
rences :  sur  l'art  dans  les  églises  de  Barcelone  au  xix"  siècle,  sur  la 
littérature  catalane  au  xix'  siècle,  etc.  Compte  rendu  d'une  visite  aux 
Archives  de  la  couronne  d'Aragon.] 

Mai.  —  JoAQUiM  DE  GisPERT.  Dc  la  Junquera  a  la  Masia  de  Riu- 
mayor.  —  C.  Gomis.  Literatura  oral  catalana  (suite).  —  Ramon  Arabia 
Y  SoLANAs.  —  A  la  bona  memoria  de  n'Artur  Osona.  Chronique. 
[Comptes  rendus  dc  l'exposition  sur  les  curiosités  de  Barcelone  et  des 


3IO  BILLETI.N    HISPANIQUE 

conférences  sur  la  littérature  catalane  au  xix'  siècle,  sur  M*'  Mor- 
gades,  créateur  du  magnifique  musée  de  Vich,  décédé  évêque  de 
Barcelone;  de  M.  Martel,  sur  la  science  spéléologique,  et  de  diverses 
excursions.] 

Juin.  —  Père  Pages  y  Rueda.  Artur  Osona.  [Article  nécrologique 
sur  ce  pyrénéiste  infatigable  dont  toutes  les  terres  catalanes  connais- 
saient l'originale  personnalité.]  —  Victor  Balaguer.  [Brève  notice  sur 
cet  illustre  barcelonais.]  —  C.  Gomis.  Literatura  oral  catalana  (suite). 
—  Chronique.  [Comptes  rendus  de  conférences  sur  les  classiques 
catalans,  par  M.  J.  Massô-Torrents,  sur  la  formation  et  le  caractère  de 
la  langue  catalane,  par  M.  Rosendo  Sorra,  etc.] 

Les  numéros  de  juillet  1900  à  juin  1901  inclus  contiennent,  en 
outre,  la  fin  de  l'Art  religiôs  en  et  Rossellà.  Phototypies  :  Ciboires 
d'Argelès  et  de  Prunet;  Reliquaire  de  Serdinya  ;  Croix  de  Collioure;. 
Pierre  sépulcrale  d'un  évêque  d'Elne;  Chasuble  et  chape  de  Catelar; 
Porte  du  logis  abbatial  de  saint  Michel  de  Cuxa  et  de  l'église  de 
Villefranche  de  Confient;  Porte  de  l'église  de  Corneilla  de  Confient; 
Vantaux  de  la  porte  de  l'église  de  Marcevol;  Face  sud  de  l'église 
Saint-Jean  de  Perpignan  [A  rapprocher  du  parti  de  cette  église 
gothique  certains  édifices  romains];  Choix  de  colonnettes  du  cloître 
d'Elne;  Fonts  de  la  Real  de  Perpignan;  Croix  et  custode  de  Rigardâ. 
[On  me  permettra  d'adresser  par  la  voie  du  Bulletin  hispanique  un 
public  et  cordial  merci  au  Butlleti,  qui  a  bien  voulu  publier  cette 
belle  réédition  de  mon  livre  sur  l'Art  religieux  en  Boussillon.  Ma 
reconnaissance  va  surtout  à  mon  ami  Masso- Torrents,  qui  a  été 
l'instigateur  de  cette  entreprise  et  qui  a  fait  preuve,  dans  la  difficile 
besogne  de  la  traduction,  d'autant  de  zèle  que  de  talent.] 

J.-A.  B. 

Rtvisla  de  la  Asociaciôn  artîstico-argueolôgica  barcelonesa. 

Janvier -Février  1902.  —  M.  de  Berlaxga  :  Estudios  epigrâficos. 
Alhaurin  tlluro?  [arrive  sur  cette  question  à  des  résultats  purement 
négatifs,  mais  redresse  certaines  erreurs  historiques].  —  Joseph  Mas  : 
Taula  del  Cartulari  de  S.  Cugat  del  Vallès.  [Suite.  Se  continue  dans 
les  trois  numéros  suivants.]  —  Joaiv  Pié  :  Anals  inédits  de  la  Vila  de 
■la  Selva  del  Camp  de  Tarragona.  [Suite  de  cette  intéressante  publi- 
cation, qui  se  continue  dans  les  numéros  suivants.] —  Emilio  Grahit  : 
La  junta  de  Gerona  en  sus  relaciones  con  la  de  Cataluna  en  1808  y 
1809.  [Suite.  Continuation  aux  numéros  suivants.] 

Mars-Avril.  —  Jlst  Cassador:  Una  questiô  iconolôgica.  [Étude,  en 
catalan,  sur  la  vieille  coutume  de  vêtir  les  statues  des  saints  et  de  la 
Vierge  en  Catalogne.] 

Mai- Juin.  —  Joan  Segura  :  Bandolerisme  en  los  sigles  xvi  y  xvii. 


SOMMAIUL    DES    REVUES  311 

[En  catalan.  Bien  documenté.  Suite  en  sept.-oct.j  —  Joaquim  de 
GisPERT  :  La  Magestat  de  Sant  Româ  de  Clusa.  [Étude  en  catalan  sur 
un  crucifix  d'une  église  du  nord  de  la  Catalogne.] 

Juillet-Août.  —  M.  de  Berlanga  :  Estudios  numismâticos.  De 
algunos  manuales  de  numismâtica  clâsica.  [Suite  dans  le  numéro  sui- 
vant.] —  F.  Her>â>dez  Sanz  :  Los  naus  6  novctas  de  Menorca.  [Élude 
sur  les  monuments  mégalithiques,  en  forme  de  bateau  renversé,  qu'on 
rencontre  dans  l'ile  de  Minorque.] 

Septembre -Octobre.  —  Câ>dido  Gômez  :  Invençôes  e  dcscobri- 
-mentos  dos  Portuguezes.  [Étude  en  portugais  sur  les  principales 
inventions  scientifiques  ou  industrielles  et  les  découvertes  géogra- 
phiques des  Portugais  depuis  i335.] 

A. 


ARTICLES  DES  REVUES  FRANÇAISES  OU  ETRANGERES 

coceris'ant  les  pays 
DE  LANGUE  CASTILLANE,  CATALANE  OU  PORTUGAISE 


Revue  celtique,  janvier  1902:  J.  de  Leite  de  Vascongellos,  Les 
Celtes  de  la  Lusitanie  portugaise  (traduit  du  tome  II  des  Religiôes  da 
Lusitanid). 

Revue  critique,  a/i  février  1902  :  A.  Thomas,  Compte  rendu  de 
Estudos  de  philologia  mirandesa  et  de  Esquisse  d'une  dialectologie  por- 
tugaise de  J.  Leite  de  Yasconcellos ;  —  3i  mars:  C.  So>>eck.,  Compte 
rendu  de  Ibn-el-Athir  et  de  Al Bayanôl-Moghrih,  traduits  par  E.  Fa- 
gnan;  —  Ch.  Dejob,  Compte  rendu  de  //  sacco  di  Rama  del  MDXXVII , 
de  D.  Orano;  —  7  avril:  R.  D.,  C.  r.  de  0  santo  maiiyr  Barlaam,  de 
Fr.  M.  Esteves  Pereira  ;  —  Fr.  Picavet,  C.  r.  de  Die  Psychologie  des 
Juan  Luis  Vives,  de  G.  Hoppe;  —  H.  Léo:«ardo>,  C.  r.  de  Sainte 
Thérèse,  de  H.  Joly  ;  —  12  mai:  A.  Thomas,  C.  r.  de  Cronica  Troyana, 
éditée  par  A.  Martinez  Salazar  et  M.  R.  Rodriguez. 

Revue  de  Géographie,  septembre  1902  :  Commandant  R.  Bourgeois, 
La  République  de  l'Equateur. 

Revue  historique,  janvier-avril  1902  :  H.  Léo>ardo>-,  C.  r.  de  Spain, 
ils  greatness  and  decay  (l-^t79-17S8),  de  M,  A.  S.  Hume;  —  Em.  Bour- 
geois, C.  r.  de  Prim  de  H.  Léonardon; —  J.  Calmette,  C.  r.  de  Los 
Vescontes  de  Bas  en  la  illa  de  Sardenya,  de  J.  Mirct  ;  —  mai-aoùt  1902  : 
G.  Desdevises  du  Dézert,  Le  Conseil  de  Castille  au  xviu'  siècle;  C.  r. 


2  12  BULLETIN    IIISPA.MQLE 

de  Origenes  histôricos  de  Cataluna;  —  septembre  -  décembre  :  H.  Léo- 
NARDON,  C.  r.  de  Diplomdlicos  espaîioles:  Don  Cristôbal  de  Moura;  — 
.T.  Calmette.  C.  r.  de  Investigaciôn  hislôrica  sobre  el  vizcondado  de 
Caslellbô. 

Revue  des  Pyrénées,  mars-avril  1901  :  Pu.  Torreilles,  De  Barce- 
lone à  Valence  en  1819;  —  J.  Fontes,  Quelques  mathématiciens  espa- 
gnols au  xvr  siècle;  —  mai-juin:  Orotava,  Un  drame  sensationnel 
en  Espagne  :  Electra. 

Revue  des  Questions  historiques,  janvier  1901  :  L'abbé  Torreilles, 
Le  rôle  politique  de  Marca  et  de  Serroni  pendant  les  guerres  de  Cata- 
logne, 1 644-1660;  —  G.  de  Grandmaison,  M.  de  Norvins  et  les  princes 
d'Espagne  à  Rome,  i8ii-i8i3;  —  R.  P.  Bliard,  Dubois  et  Saint- 
Simon.  Une  ambassade  extraordinaire  à  Madrid  (1721-1723);  — 
1"'  octobre  1902:  Fr.  Rousseau,  La  participation  de  l'Espagne  à  la 
guerre  d'Amérique;  —  G.  de  Grandmaison,  Napoléon  en  Russie,  1812, 
d'après  les  documents  inédits  des  archives  espagnoles. 

Romania,  janvier  1901  :  A.  Mohel-Fatio,  Le  débat  entre  Anton  de 
Moros  et  Gonzalo  Davila;  R.  J.  Guervo,  Canoa;  Sabana;  —  avril- 
juillet  :  R.  Menéndez  Pidal,  compte  rendu  de  Juan  Riiiz,  Libro  de 
Buen  Amor,  par  J.  Ducamin;  A.  Dauzat,  compte  rendu  de  Estudos 
de  philologia  mirandesa,  par  J.  Leite  de  Vasconcellos ; —  octobre: 
0.  Klob,  a  Vida  de  sancto  Amaro,  texte  portugais  du  xiv"  siècle; 
H.  SucHiER,  La  fille  sans  mains,  texte  catalan  du  xiv°  siècle. 

Zeitschrift  fur  Romanische  Philologie,  1901,  i  :  P.  de  Mugica, 
compte  rendu  de  Voces  usadas  en  Chile,  par  A.  Echeverria,  et  du 
Diccionario  de  la  lengua  castellana  de  la  R.  Acadcmia  espanola;  — 
2,  3,  5,  6  :  C.  MiCHAELis  de  Vasconcellos,  Randglossen  Zum  allpor- 
tugiesischen  Liederbuch;  —  4  :  Hugo  Albert  Rennert,  Ueber  Lope  de 
Vega's  El  castigo  sin  venganza;  —  H.  Schuchardt,  Span.  cazarete, 
port,  caçarete;  —  6:  E.  Herzog,  Zusammenfassendes  lo  im  Spanis- 
chen;  —  G.  C.  Keidel,  Notes  on  /Esopsic  Fable  Literature  in  Spain 
and  Portugal  during  the  Middle  Ages;  —  A.  Horning,  Span.  lelo, 
emperador;  span.  pg.  rozar;  span.  marica.  G.  C. 


31  mai  1903. 


LA  RÉDACTION  :  E.  MÉRIMÉE,  A.  MOREL-FATIO,  P.  PARIS, 
G.  CIROT,  secrétaire;  G.  RADET,  directeur-gérant. 

Bordeaux.  -    Imprimorje  G,  QOCKOUILHOU,  rue  Ouiraude,  II, 


Vol.  V.  Jiùllet- Septembre  1903  N'  3. 


TUES  OBJETOS  MALACITANOS  1)E  EPOCA  INCIEIITA 


Al  terminar  el  siglo  décimo  quinto  espira  la  edad  média  y 
surge  el  renacimiento  venido  del  Oriente  de  donde  habia 
también  venido  nuestra  primitiva  civilizacion  con  las  pri- 
meras factorîas  mercantiles  de  los  fenicios,  como  vino  doce 
siglos  mas  tarde  la  religion  purisima  del  Grucificado.  Con  la 
sociedad  hazanosa  y  caballeresca  del  décimo  seslo  concurre  a 
avalorar  nuestras  glorias  olra  de  sabios  insignes,  que  delei- 
tândose  en  el  estudio  de  los  clasicos,  recorre  nuestros  despo- 
blados  en  busca  de  ruinas  venerandas,  copiando  los  mârmoles 
escritos  que  a  su  paso  encuentra  y  recogiendo  cuanlas  monedas 
viejas  descubre  al  hacer  remover  el  suelo  de  los  olvidados 
villares.  De  esta  manera  es  como  el  cardenal  Gaspar  de  Castro, 
el  arzobispo  Antonio  Agustîn  y  el  profesor  complutense 
Ambrosio  de  Morales  con  otros  eruditos  hispanos  echaron  por 
aquel  tiempo  los  cimientos  de  la  epigrafia,  de  la  numismâtica 
y  de  la  arqueologia  hispana,  cuyas  ciencias  generalizadas  muy 
pronto  en  el  resto  de  la  Europa  produjeron  en  el  décimo 
octavo  maestros  tan  ilustres  como  Muratori,  Eckhel  y  Wic- 
kelman,  precursores  ilustres  de  Bartolomé  Borghesi,  Teodoro 
Mommsen  y  Emilio  Hûbner,  ante  los  que  no  lenemos  hoy  que 
citar  por  desgracia  nuestra  nombre  alguno  espanol  de  lanla 
monta. 

Los  que  en  aquellos  siglos  ya  lejanos  mostraron  entre 
nosotros  mas  amor  para  esos  timbres  de  nuestras  pasadas 
grandezas  se  complacieron  en  sacar  del  olvido  con  singular 
entusiasmo  los  reconditos  anales  de  poblaciones  del  todo  desa- 
parecidas  6  bien  trasformados  no  mas  por  el  inquieto  desa- 
sosiego  de  los  musulmanes,  escribiendo  largos  pancgiricos 
henchidos  de  exagerados  elogios,  que  no  era  dable  hermanar 
con  la  severa  imparcialidad  hislorica,  pagando  de  este  modo 

AFB. —  Bull,  hispan.,  V,  igoS,  3.  i5 


2l4  BULLETIN    HISPAMQLE 

un  tributo  de  respeto  a  la  tradicion  pagana,  que  habîa  infil- 
trado  en  sus  espiritus  el  renacimiento  clàsico.  Si  los  mas 
graves  escritores  de  la  edad  de  oro  de  las  letras  latinas  no 
titubearon  al  afirmar  que  las  murallas  de  la  Roma  quadrata 
habîan  sido  levantadas  por  dos  principes  de  la  sangre  real  del 
Lacio,  hijos  de  un  dios,  amamantados  por  una  loba,  y  que  el 
fundador  del  imperio  descendîa  en  linea  recta  de  la  mas 
bella  de  las  divinidades  olîmpicas  ;  no  es  dable  estranar  que 
nuestros  historiadores  posteriores  à  la  reconquista  persistan 
en  hacer  venir  a  Tubal  a  poblar  la  Espana,  a  INabucodonosor 
a  civilizarla  con  sus  soldados,  a  Santiago  a  evangelizarla,  por- 
que  escribiendo  taies  cosas  seguian  las  huellas  tradicionales  de 
un  pasado  aun  persistente  en  la  memoria  de  todas  las  clases 
allas  y  bajas  y  mas  vivo  en  la  de  mayor  cultura.  Lo  verdade- 
ramente  estrano,  lo  que  no  se  comprende  es  que  con  el  rodar 
de  los  siglos  y  el  progresar  de  la  serena  critica  taies  impre- 
siones  no  solo  no  se  hayan  borrado,  sino  se  encuentren  enri- 
quecidas  con  la  pretendida  llegada  de  los  progenitores  de 
Salomon  con  los  ojos  diagonales,  la  piel  pajiza,  los  pomulos 
salientes,  sumida  la  barba,  y  achatada  la  frente,  que  arriban 
con  la  mision  providencial,  al  decir  de  sus  admiradores  de 
estos  tiempos,  de  dar  a  nuestros  mas  remotos  antepasados 
sus  heUisimos  signos  grâficos,  su  exquisiio  gusto  artîstico  y  su 
deliciosa  indumentaria,  con  otros  encantos  que  no  son  para 
revelados  y  de  los  que  por  fortuna  no  queda  ni  el  menor 
rastro. 

En  vano  ha  sido  que  la  escuela  historica  contemporânea, 
que  prescindiendo  de  rancios  filosofismos  como  de  estraviados 
fanatismos  y  agena  al  amanerado  convencionalismo  de  secta, 
se  apoya  no  mas  que  en  fuentes  indubitadas,  depuradas  por  la 
critica,  se  haya  esforzado  en  inculcar  por  la  voz  elocuente  de 
ilustres  profesores  alemanes  en  el  ânimo  de  los  que  entre 
nosotros  sienten  aficion  a  este  género  de  esludios  las  sencillas 
reglas  a  que  deben  sugetar  sus  trabajos,  huyendo  de  la  pomposa 
vocingleria  de  los  analistas  musulmanes,  como  de  la  mistica 
maravillosidad  de  los  de  la  reconquista.  Todos  estos  esfuerzos 
ban  venido  a  resultar  estériles  por  que  nadie  ha  querido  resi- 


THES    UUJETOS    MALACITANOS    DE    EPOCA    INCIEKTA  2  10 

gnaise  a  escoger  por  tcma  de  sus  invcstigaciones  la  vida  de  un 
pueblo  6  de  un  personage,  cuyos  orîgenes  no  sean  deslum- 
bradorcs,  tanto  mas  cuanto  seinejante  parsimonîa  coarta  tirâ- 
nicamente  la  libre  facultad  del  aulor  para  engalanarlos  a  su 
placer  dcrrochando  en  obsequio  del  favorecido  los  tesoros  de 
su  mas  brillante  fantasia.  Cuando  hice  estampar  los  Monu- 
menlos  del  mnnicipio  JJavio  malacKaito,  intenté  sin  embargo 
demostrar  practicamente  de  que  manera  exigîa  la  escuela 
critica  independiente  que  se  trataran  semcjantes  argumentos. 
Lleno  del  mas  ardiente  deseo  de  propagar  taies  canones  his- 
toricos  y  de  dar  a  conocer  los  importantes  documentos  que  la 
suerte  me  habia  proporcionado  el  ser  el  primero  en  traducir 
y  esponer  en  castellano,  puse  con  verdadero  entusiasmo  mi 
libro  a  la  venta  haciendo  Uegar  antes  algunos  ejemplares  a 
Académicos  y  Profesores  de  los  mas  caracterizados.  Con 
cândida  impaciencia  esperaba  conocer  el  juicio  que  confiaba 
hiciese  al  menos  la  prensa  profesional  de  mi  trabajo,  llegando 
a  su  colmo  mi  desencanto  al  notar  su  persistente  silencio  y  al 
ver  que  los  que  habîa  creido  obsequiar  hacicndoles  conocer 
tan  celebrados  monumentos,  ni  aun  se  habian  dignado,  en 
Espana  tan  solo  por  supuesto,  acusarme  su  recibo  con 
rarisimas  excepciones,  entre  las  que  recuerdo  un  literato 
de  gran  renombre,  que  se  liabîa  arrogado  las  funciones  de 
consejero  y  amparador  de  mi  incxperiencia,  quien  entre  frases 
de  ponderado  afecto  y  de  inestimable  franqueza  calificaba  mi 
trabajo  de  un  arido  inventarlo  de  documentos  sin  hilaciôn  alguna 
entre  si.  Cuando  cran  va  pasados  diez  anos,  el  librcro  a  quien 
habîa  enlregado  la  cdicion,  esperando  le  dièse  salida,  me  la 
devolvio  intégra,  sin  haber  logrado  vender  en  tanto  tiempo 
nuis  que  cinco  ejemplares  a  otros  tantos  ingleses,  que  desco- 
nocîan  el  castellano.  Entonces  formulé  el  voto  que  no  he  que- 
brantado  de  regalar  esta  y  cuantas  obras  tornase  a  publicar 
antes  de  esponcrme  de  nuevo  a  otra  vergiienza  analoga,  que 
va  hubiera  sido  en  mî  imperdonable.  Tan  triste  desengafio 
parece  que  debiera  haberme  decidido  a  formar  el  proposito  de 
no  volver  a  ocuparme  de  un  argumento  que  me  habîa  sido 
tan  ingrato;  pero   circunstancias  imprcvistas   se    impusieron 


2l6  BULLETIN    HISPANIQUE 

â  mi  voluiitad.  El  profesor  Hûbner  me  hizo  ver  que  habiame 
dejado  engafiar  por  la  supercherîa  del  que  usurpando  el 
nombre  de  Mediiia  Conde,  que  no  era  el  suyo,  habîa  inventado 
â  su  capricho  epigrafes  que  con  suma  candidez  habîa  yo  acep- 
tado  como  genuinos.  Entonces  crei  un  deber  mio  ineludible  el 
hacer  patente  el  error  cometido  en  la  primera  ocasiôn  propicia 
rindiendo  â  la  verdad  historica  el  debido  tributo  de  respetoi. 
Habiendo  descubierto  mas  tarde  en  el  archivo  de  la  estin- 
guida  casa  de  Valdeflores  los  primeros  pliegos  impresos  de  la 
coleccion  de  textes  griegos  y  latinos  referentes  â  la  Hispania, 
que  reunio  dicho  marqués  con  ânimo  de  publicarlos,  habién- 
dole  sorprendido  la  muer  te  antes  de  realizarlo,  y  no  esperando 
que  ya  hoy  manuscrite  de  tanta  importancia  vieralaluzpùblica, 
formé  el  proposito  de  realizar  por  mi  mismo  trabajo  de  suyo 
tan  penoso,  pero  de  importancia  suma  para  los  estudios 
historicos  de  la  peninsula  ibérica.  Gomencé  a  realizarlo  con  el 
mayor  entusiasmo  y  al  estractar  las  decadas  de  Tito  Livio 
tropezé  con  un  pasage  en  el  que  antes  no  habîa  fijado  la  aten- 
ciôn  y  decîa  de  esta  maneraa  :  «  ingens  in  Hispania  ulteriore 
»  coartum  est  bellum  :  M.  Helvius  eam  provinciam  obtinebat  : 
»  is  litteris  senatum  certiorem  fecit  Gulcham  et  Luxinium 
»  regulos  in  armis  esse;  cum  Culcha  decem  et  septem  oppida, 
»  cum    Luxinio    validas    urbes    Carmonem    et    Baldonem,   in 

1.  Siempre  lie  adniirado  la  frescura  y  cl  desenfado  de  este  singular  personage; 
condenado  como  falsificador  por  el  Arzobispo  de  Granada  y  el  Présidente  de  la 
Audiencia,  confirmada  con  algiina  agravaciôn  la  sentencia  por  el  Rey,  suspcndidopor 
su  mismo  delito  del  cargo  dislinguido  que  ejercia  y  privado  de  publicar  libro  alguno, 
parccia  que  debiera  haberse  curado  de  su  monomani'a  de  inventar  antigûedades 
modernas;  pero  muy  al  contrario  sus  facultades  para  el  fraude  tornaron  â  su  pasada 
actividad  desde  el  momento  en  que  comienzan  â  salir  de  las  zanjas,  que  se  abrian  para 
los  cimientos  del  edificio  que  se  empezaba  A  construir  de  la  Real  Fâbrica  de  Tabacos, 
hoy  transformada  en  Aduana,  estatuas  y  pedestales  con  leyendas  latinas  que  se 
apresurô  â  dar  à  conocer  apendizando  estas  ùllimas  con  algunas  de  su  invenciôn 
particular,  en  hqjas  impresas  que  periôdicamenfe  publicaba  bajo  cl  nombre  de  su 
sobrino  Cecilio  Garci'a  de  la  Lena.  Estas  hojas  formaron  una  obra  plagada  de  errores 
cuyo  primer  voliimen  ha  tenido  los  honores  de  la  reimprcsiôn.  Los  capitulares,  los 
regidores,  los  vcinte  y  quatro,  los  mayorazgos  desocupados  y  los  estrangeros  que 
afiuian  al  puerto  debieron  ir,  llevados  por  su  misma  curiosidad,  â  visitar  las  obras  del 
nuevo  edificio  en  construcciôn,  y  sorprende  el  considerar  que  no  hubiera  quien 
confrontase  lo  encontrado  con  lo  que  se  iba  publicando  descubriendo  de  contado  la 
supercherîa.  El  falsario  debîa  conocer  la  desidia  6  lo  torpeza  de  los  mâs  ilustrados 
moradores  de  la  ciudad  cuando  tan  descaradamente  abusaba  de  su  credulidad  fin- 
giendo  hasta  cuatro  epigrafes  de  su  invenciôn  :  CIL.  II,  17/1*,  175*,  176*,  177*. 

2.  Lib.  XXXIII.  21-6  â  8  ann.  V.  G.  557.  A.  G.  197. 


TUES    OBJETOS    MAr-ACITANOS    DE    ÉPOCA    INCIEllTA  217 

»  maritima  ora  Malaciiios,  Sexelanosque  et  Baeturiam  et  qiiae 
»  nondum  animos  mutaverint  ad  finitimoium  motus  consur- 
»  rectura.  » 

Sin  mucho  esfuerzo  comprcndî  que  habia  de  reslablccerse  el 
pasage  corrigiendo  desde  luego  los  très  nombres  geograficos 
Baldonem,  Mulacinos  y  Sexetanos,  que  eslan  errados,  restable- 
ciendo  su  verdadera  leccion  que  debiera  ser  Ursonem,  Mala- 
citanos  y  Sexitanos,  resultando  con  ello  ser  un  texto  referente 
a  Malaca  entre  cuyas  fuenles  hisloricas  debia  figurar,  no 
habiendo  sin  embargo  tenido  desde  enlonces  ocasion  de  publi- 
carlo.  Como  por  aquel  tiempo  un  critico  inmorfal  al  juzgar  el 
libro  que  lleva  por  tîtulo  Los  Bronces  de  Lascula,  Donanza  y 
Aljuslrel,  tuvo  la  amabilidad  de  advertirme  que  no  habia 
sabido  redactar  la  porlada,  comprendi  sin  esfuerzo  alguno  que 
era  a  la  sazon  completamente  inùlil  la  Copilaciôii  de  fuenies 
histôricas  hispanas,  que  estaba  preparando  porque  iba  a  llegar 
inoportunamente,  en  razon  a  lo  cual  desisti  por  complète  de 
mi  empenoi. 


I.  Esta  obra  debîa  componerse  de  diversas  sccciones  comprendiendo  la  primera  los 
textes  intcgros  de  los  escritorcs  griegos  y  ronianos  que  se  ociipan  de  las  Hispanias 
ordenados  cronolôgicamente  con  sujcciôn  â  la  fecha  en  que  vivieron  sus  respectives 
autoi'es,  arrancando  desde  los  tiempos  mâs  remotos  de  que  se  conservari  noticias 
hasta  que  los  X'isigodos  concluyeron  cou  la  dominaciôn  romana  en  la  Penînsula.  La 
segunda  debiera  al^razar  una  traducciôu  castellana  de  todos  estos  mismos  textes, 
colocados  ya  en  forma  de  anales,  siguiendo  el  ôrden  regular  de  los  sucesos  â  que  se 
refiercn  aunque  los  redactores  hubiesen  vivido  muy  posteriormenle  â  los  acontc- 
cimientos.  El  resiimen  de  estas  dos  sccciones  estaria  representado  por  un  Indice  en 
estremo  detallado  de  nombres  y  materias  con  indicaciôn  exacta  de  las  fuentes  histô- 
ricas de  que  proccdian,  lodo  ello  precedido  de  una  introducciôn  crilica  en  la  que  se 
diera  cuenta  de  la  importancia  de  cada  autor  estraclado,  de  dôude  tome  sus  iiifor- 
maciones  y  dcl  crédito  que  debiera  darse  â  sus  alirmaciones.  La  segunda  parte  de 
esta  obi-a  habia  de  abrazar  ante  todo  los  fotograbados  nids  exactes  de  las  variantes 
cpigrâficas  de  las  moncdas  griegas,  pûnicas,  ibéricas,  obulconenses  y  tartcsias 
acuiïadas  en  las  Hispanias  ademâs  de  las  inscripciônes  îberas,  cuyes  originales  se 
conservan,  adicionados  con  les  Iraslados  mâs  fieles  de  las  que  de  ellas  hubiesen  desa- 
parecido.  Como  corolario  indispensable  de  toda  esta  série  de  tan  importantes  como 
anliquisimos  documentes  hispanos  se  hacia  indispensable  una  nueva  seccién  desti- 
nada  al  estudio  detenido  de  los  diverses  alfabelos  no  romanos  usados  en  la  penînsula 
antes  que  terminara  la  segunda  guerra  pûnica  coinparândolos  con  los  mâs  arcâicos, 
fenicios,  helenes  é  italiota,  tratando  sin  la  mener  violencia  de  haccr  la  concordancia 
mâs  racional  de  estos  ûltimos  con  los  ibères,  obulconenses  y  tartesios.  Sirviendo  de 
introducciôn  â  materia  tan  abstrusa  fuera  de  todo  punto  imprcscindible  hacer  pré- 
céder esta  segunda  parte  de  un  prefacio  en  el  que  se  espusiera  la  marcha  que  habia 
seguido  la  histeria  en  orden  â  la  manera  de  redactarla  por  escribas  y  cronistas  desde 
que  se  comenzaron  âgrabar  en  les  mures  de  los  temples  egii^cios  les  primeros  anales 
faraônicos  hasta  que  Mariana  hace  imprimir  su  historia  neo-latina  de  Espana, 
seguido  todo  ello  de  una  esposicién  abrazando  el  desarrollo  que  entre  nosolros  ha 


2l8  BULLETIN    HISPANIQUE 

No  por  ello  quiso  sin  embargo  la  suerte  que  dejase  de 
ocuparme  de  las  cosas  antiguas  referentes  a  Malaca,  ya  respon- 
diendo  a  dudas  suscitadas  por  la  interpretacion  del  célèbre 
pasage  de  Avieno  sobre  la  supuesta  Isla,  la  laguna  y  el  puerto 
seguro,  que  afirma  el  autor  del  periplo  del  siglo  vi  antes  de 
J.  C.  traducido  por  Avieno  cerca  de  nueve  mas  tarde,  que  se 
encontraba  en  frente  de  dicha  ciudad  bastulopena,  ya  con  el 
intento  de  reunir  en  pocas  paginas  la  nota  detallada  de  los 
descubrimientos  arqueologicos  realizados  en  su  recinto  6  en 
algunos  puntos  de  la  misma  provincia,  sin  que  ninguno  de 
estos  trabajos  destinados  al  estrangero  debiera  imprimirse 
dentro  sino  fuera  de  Espana.  Pero  entre  todos  los  hallazgos 
inéditos  realizados  en  esta  poblacion  ùltimamente,  hay  espe- 
cialmente  très  por  demâs  curiosos  sobre  los  cuales  no  me  he 
atrevido  6  no  he  podido  formar  un  juicio  cabal  que  me  con- 
dujera  a  una  exacta  clasificacion^  si  bien  he  creido  de  algun 
interés  Ôonsignar  sus  especiales  circunstancias  haciéndolos  a 
la  vez  del  dominio  pùblico,  para  evitar  que  pasen  con  mi 
silencio  al  inmenso  espoliario  del  olvido,  donde  van  à  perecer 
tantas  grandezas  humanas. 


I 


El  viejo  castillo  de  Gibralfaro  dominaba  en  el  siglo  xv, 
cuando  tuvo  lugar  la  reconquista  de  la  Mâlaga  arabe,  el 
antiguo  puerto  de  mar,  boy  completamente  cegado,  que  se 
estendîa  desde  el  sitio  en  que  comienza  el  camino  actual  de  la 
Farola  terminando  en  las  inmediaciones  de  la  desembocadura 

lenido  la  ciencia  numismalica  desde  Antonio  Agustîn  hasta  Celeslino  Pujols  y  Camps 
y  en  el  estrangero  desde  Eneas  Vico  â  Spanhein  y  de  Bartholomé  Borghesi  â 
Mommsen.  El  complemento  de  esta  segunda  parte  habria  de  ser  otro  Index  rerurn  et 
verborum  de  esta  segunda  parle,  distinto  é  independiente  del  priniero.  No  me  faltaron 
alientos  para  emprcnder  desde  luego  animoso  este  vasto  Corpus  fonlium  Idstoricarum 
ad  Hispaniam  speclantium,  que  conflaba  llcvar  â  termino  en  un  plazo  no  muy  largo,  de 
pocos  aiïos  si  Dios  me  los  concedi'a  de  vida  y  me  daba  fuerza  y  perseverancia  para 
ello.  Pero  vino  à  matar  mis  ilusiones  anulando  mis  energias  el  ùltimo  desengano 
sufrido,  lan  inesperado  en  tal  momenlo,  que  puso  termino  por  entonces  â  la  série  de 
tantos  otros  como  habia  recibido.  Quedaron,  pues,  sin  terminar  estos  trabajos,  si 
bien  redactados,  sino  corregidos,  los  primeros  que  eran  para  mi  los  mâs  dificiles,  y 
po  lie  de  volver  ya  â  emprender  los  demâs  que  aun  me  restan. 


TRES  OnjETOS  MAL.VCITANOS  DE  ÉPOCA.  INCIEUT  V  2IQ 

del  Guadalmedina».  Al  pie  del  cerro  sobre  el  cual  se  asienta  la 
indicada  fortaleza,  corrîa,  faldeando  el  monte,  el  camino,  que 
de  esta  ciudad  iba  a  Vêlez.  Al  lado  izquierdo  de  esta  vîa  en 
direccioii  del  sol  saliente,  slguiendo  la  pendienle  de  aquella 
montaila  hasta  el  lug-ar  en  que  da  paso  a  una  canada,  se  han 
enconlrado  varios  sopulcros,  formados  algunos  de  ellos  de 
ladrillos  y  tcjas  de  inuclio  mayor  grueso  y  dimensiones  que 
los  usados  por  los  musulmanes  en  la  edad  média,  y  por  los 
cristianos  en  la  moderna,  en  este  rincon  de  Andalucîa.  Otras 
de  estas  tumbas  aparecian  construidas  con  grandes  lajas  de 
pizarra  que  por  allî  se  encuentran  profundamente  clavadas  en 
tierra  formando  el  arca,  que  habîa  de  recibir  el  cuerpo  muerto, 
que  se  cubrîa  luego  con  otras  losas  de  piedra  sin  labrar  como 
las  de  los  costados.  Dentro  de  estas  cavidades  se  han  encon- 
trado  huesos  humanos  sin  quemar,  algunos  objetos  de  cera- 
mica  como  lucernas  y  unguentarios,  varias  alhajas  como 
un  par  de  zarcillos  y  dos  puiseras  de  plata  de  forma  sencillî- 
sima  y  un  anillo  de  oro  en  cuya  piedra  se  ve  grabado  un 
lebrel  corriendo  como  el  que  aparece  en  los  reversos  de  las 
monedas  consulares  de  la  familia  Postumia  2.  Todos  estos 
objetos  han  sido  vistos  por  mi  y  existen  hoy  en  el  Museo 
Loringiano. 

Alla  por  los  aîlos  de  1887,  al  hacer  un  desmonte  por  aquellas 
alturas  se  dio  con  un  grupo  de  tumbas  como  las  ya  indicadas 
que  ofrecieron  tambien  su  contingente  de  pequenos  objetos  de 
cerâmica  ademas  de  diversas  monedas  romanas  de  cobre  de 
escaso  valor,  como  de  gente  pobre  que  no  habiendo  dejado 
bienes  con  que  costear  los  crecidos  gastos  de  la  incineracion 
y  el  columbario,  eran  soterrados  sin  quemar,  a  la  manera  que 
se  observa  en  los  enterramientos  de  los  esclavos  de  las  grandes 
posesiones  de  campo  descubiertos  en  nuestra  Vega.  En  uno  de 
los  sepulcros  de  las  faldas  del  Gibralfaro  de  la  época  que  acabo 
de  indicar,  al  levantar  las  losas  que  lo  cubrîan,  no  pudo  menos 
de  llamar  la  atencion  el  verlo  completamente  relleno  de  cal 


1.  Jorge  Braum,  Civitatcs  orbis  terranim.   Colonia,  1372.  Visla  en  perspecliva  de 
Malaga. 

2.  Cohen,  Monnaies  de  la  République  romaine,  page  272,  n°  S,  lab.  XXXV,  n*  7. 


520  BULLETIN!    HISPANIQUE 

hasta  los  bordes,  cuya  cal  descompuesta  primero  por  la  accion 
de  las  filtraciones  del  terreno  y  endurecida  después  por  el 
ardiente  sol  de  nuestros  veranos,  no  era  posible  sacar  del 
arca  funeraria  sino  rompiéndola,  habiendo  mostrado  al  saltar 
los  primeros  pedazos  que  se  habîan  estampado  en  ella  los 
contornos  del  cadaver  que  habia  cubierto  reproduciendo  a  la 
vez  los  pliegues  del  ancho  ropage  que  lo  envolvia.  Al  tener 
noticia  de  este  descubrimienlo  D"  Eduardo  J.  Navarro  fué 
inmediatamente  a  visitar  la  indicada  tumba,  examinando  los 
huesos  de  la  persona  allî  inhumada  y  los  pequenos  objetos  de 
barro  dentro  de  ella  encontrados,  sacando  la  convicciôii  por 
cuantos  detalles  observé,  que  se  trataba  de  una  sepultura 
romana  destinada  a  persona  no  muy  acomodada.  Pero  sobre 
todo  tuvo  la  satisfaccion  de  evitar  que  fuese  destruîdo  un 
trozo  de  este  curiosisimo  molde  formado  por  el  acaso,  que 
comprendi'a  la  cabeza  de  la  persona  encerrada  alli  por  tantos 
aiios,  llevando  su  amabilidad  hasta  el  estremo  de  regalarmelo 
al  volver  yo  del  estrangero,  donde  me  encontraba  al  veri- 
ficarse  el  hallazgo,  del  que  me  dio  los  cumplidos  detalles  que 
he  trascrito.  Bastantes  afios  llevaba  de  tener  en  mi  poder  esta 
mascara  sin  haber  encontrado  quien  me  sacara  un  vaciado  sino 
a  molde  perdido,  lo  cual  no  queria  consentir,  cuando  en  los 
primeros  meses  de  1899  acerto  a  venir  de  Granada,  a  restablecer 
su  salud,  un  joven  escultor  que  con  pericia  suma  se  ofrecio  a 
complacerme  sacando  la  reproduccion^  dejando  intégra  la 
estampacion  del  modelo  como  lo  hizo  en  los  dos  ejemplares  que 
reproducen  los  dos  fotograbados  que  acompanan  à  estas  lineas. 
No  puedo  espresar  con  palabras  el  vivo  interés  con  que  seguia 
las  diestras  manipulaciones  del  entendido  artista  y  la  ansiedad 
tan  grande  con  que  vî  salir  de  entre  sus  manos  el  primer 
vaciado  de  aquella  cabeza  innominada,  cuyas  muertas  facciones 
volvia  a  iluminar  el  sol  después  de  mas  de  mil  y  quinientos 
anos  de  haber  estado  oculta  bajo  tierra.  No  es  posible  com- 
prender  la  sorpresa  que  me  causé  contemplar  tan  estrana 
figura,  que  parecia  representar  la  exacta  cabeza  de  una  mora 
tal  como  las  habia  visto  en  el  Soco  de  Tanger  con  su  ancho 
manto  blanco  casi  velandole  el  rostro  y  ocultàndole  por  com- 


TRES    OBJETOS    M\I.\CITA.NOS    DE    KPOC.V    INCIEIVT.Y  32  1 

pleto  el  cabello,  mientras  el  grueso  cmbozo  cruzando  de  un 
hombro  a  otro  por  debajo  de  la  nariz,  le  cubria  la  boca.  Pero 
era  imposible  aceptar  semejante  conjetura,  no  siendo  dable 
suponer  que  se  hubiera  exhumado  el  cadaver  de  un  sepulcro 
romano,  dejando  sin  embargo  en  su  interior  los  objetos  de 
barro  que  contenia,  para  que  sirviese  de  tumba  a  una  maho- 
metana  que  hubiese  venido  a  la  Hispania  durante  la  segunda 
guerra  pûnica  6  Iras  las  huestes  de  Tarik  a  la  caîda  de  la 
monarquîa  visigolica.  Gonfieso  que  me  preocupo  largo  tiempo 
la  solucion  de  esta  duda  que  no  acertaba  a  esplicarme  satisfac- 
toriamente.  Recordaba  haber  visto  estatuas  de  vestales  cubierta 
la  cabeza  con  el  amictus,  que  Festo  dcnomina  suffibiilum,  por 
que  se  abrochaba  por  debajo  de  la  barba  con  una  fibula  ',  de 
emperatrices  y  de  emperadores  con  el  mismo  tocado  en  circuns- 
tancias  anâlogas;  pero  no  era  posible  suponer  que  la  sepultada 
al  pié  delGibralfaro  hubiese  sido  una  sacerdotisa  de  Vesta  ni  una 
soberana  de  Ronia,  quienes  Imbieran  sido  quemadas  al  morir 
con  toda  pompa  y  recogidas  sus  cenizas  en  copas  de  métal 
precioso.  Dirigiendo  mis  investigaciones  por  'otro  lado  traje 
también  a  la  memoria  esculturas  de  simples  matronas  cubiertas 
con  espeso  manto  cayendo  sobre  la  frente  como  una  estatua 
funeraria  de  la  Farnesina  en  Roma,  otra  descubierta  en  la  via 
de  las  tumbas  en  Pompeya^,  y  como  la  ligura  de  la  supuesta 
madré  de  Goriolano  que  se  ve  en  el  pasco  de  las  Thermas  de 
Tito;  pero  ninguna  de  estas  cabezas  aparecia  teniendo  por  el 
lado  de  la  cara  la  boca  tapada.  En  cambio  esta  circunstancia 
especial  concurre  precisamente  en  una  preciosa  estatuita  de 
barro  del  Colegio  romano  cubierta  con  la  xaAJTrtpa  de  las  jovenes 
griegas,  que  usaban  también  las  italiotas^  y  daba  entonces  a 
las  que  semejante  tocado  usaban  el  exactîsimo  aspecto  que 
ofrecen  las  mauritanas  de  hoy  vestidas  con  anâloga  indumen- 
taria.  La  cabeza  de  la  citada  estatuita  de  barro  del  aludido 
Museo  era  en  efecto  exactamente  anâloga  en  la  manera  como 
aparecia  cubierta  con  el  manto,  que  la  envolvia,  al  vaciado 


1.  Feslus,  vo  Suffibulum. 

2.  Reinach,  fiépert.  de  la  stat.  grecque  et  rom.,  II,  pag-.  6G8,  n.  5;  pag.  6G9,  n.  G. 

3.  Festus,  v"  Calyptra. 


2  22  BULLETIN    HISPANIQUE 

también  de  barro  del  molde  encontrado  en  el  sepulcro  romano 
de  la  antigua  via  de  Malaca  a  Vêlez,  cuya  mascara  pudo  ser  del 
rostro  de  alguna  contuvernal  de  cualquier  esclavo  rural,  acaso 
el  actor  6  el  villicus  de  determinado  fando  subarbanuniK  En  este 
punto  parece  que  no  podia  caber  duda  que  se  trataba  de  una 
esclava  6  de  una  liberta  sin  fortuna,  acaso  agregada  esta  ùltima 
al  servicio  de  la  casa  de  un  patrono,  y  que  muerta  en  la 
ciudad  6  extra  maros  habîa  sido  enterrada  en  una  modestisima 
tumba  por  los  cuidados  de  sus  mas  allegados  parientes  que  no 
poseîan  bienes  para  permitirse  otros  dispendios.  Desde  luego 
se  colige  que  no  era  una  muger  anciana  sino  rayaua  en  los 
treinta  anos;  lo  hundido  de  los  ojos  y  lo  saliente  de  los  pômulos 
acusan  los  estragos  de  la  enfermedad  que  la  privé  de  la  vida. 
Lo  que  no  es  posible  fijar  en  manera  alguna  es  la  época  en  que 
hubo  de  morir,  como  no  sea  de  una  manera  conjetural.  Como 
quiera  que  Malaca  fué  una  ciudad  autonoma,  federada  de  Roma, 
que  al  final  del  periodo  cartaginés  acuno  moneda  pùnica  de 
cobre  y  del  82  al  84  de  J.  G.  obluvo  por  voluntad  propia  y  sin 
imposiciôn  alguna  la  categoria  de  municipio  de  derecho  latino, 
recibiendo  de  Roma  un  codigo  de  leyes  del  que  aun  se  conserva 
una  tabla  conteniendo  varias  riibricas  de  tan  interesante  copi- 
lacion  juridica,  pudiera  suponerse  que  hasta  la  romanizacion 
compléta  de  la  ciudad  no  hubo  de  verificarse  la  inhumacion 
de  aquella  pobre  muger.  En  efecto  desde  fines  del  primer  siglo, 
adoptada  la  legislacion,  las  costumbres,  el  traje  y  la  religion 
de  la  capital  del  Imperio,  comienza  la  nueva  vida  de  la  Malaca 
romana  a  la  que  ponen  término  en  el  siglo  v  las  sucesivas 
invasiones  visigoticas  que  concluyeron  de  una  vez  con  la  domi- 
nacion  romana  de  la  peninsula.  En  los  très  siglos  que  médian 
del  uno  al  otro  acontecimiento  acaso  séria  sepultado  ese  cadavcr 
cuyas  facciones  ha  reproducido  la  fotografia  quince  siglos 
después  de  haber  desaparecido  del  mundo  de  los  vivos. 


I.  Sabido  es  que  el  sudarium  entre  los  romanos  equivalia  a  nuestro  panuelo  de 
bolsillo  y  que  los  cadàveres  eran  vestidos  antes  de  Uevarlos  al  buslutn,  al  ustrinum  à 
al  sepulcrum  como  acostumbraban  â  cslar  en  vida. 


TRES    OBJETOS    MALACITANOS    DE    ÉPOCA    INCIERTA  2  23 


II 

Por  los  anos  de  l8c)^  mi  excelente  amigo  D"  Domingo  de 
Orueta,  geologo  que  fué  dislinguidisimo,  me  manifesto  que 
haria  unos  veinte  las  nuevas  dragas  traidas  para  limpiar  los 
fondos  del  viejo  puerto  de  Malaga,  después  de  algun  tiempo 
de  trabajo  en  frente  de  la  que  fué  oficina  de  sanidad,  sitio  hoy 
por  completo  terraplenado,  sacaron  en  los  gângiles  una  barra 
cuadrada  de  plomo,  que  afectaba  la  forma  de  un  arco  de  cîrculo 
en  cuyo  centro  se  encontraban  practicadas  dos  hendiduras  en 
las  que  debieron  encajar  las  espigas  de  un  mango.  El  cua- 
drado  en  que  estas  dos  hendiduras  se  encontraban  era  de 
7  centimetros  de  alto,  ancho  y  grueso  y  el  brazo  de  cada  uno 
de  los  lados  ténia  unalongitud  de  21  milimetros  por  un  espesor 
en  su  arranque  de  unos  35  milimetros  reducidos  a  su  final  a 
unos  18,  siendo  su  largo  total  de  medio  métro.  El  ingeniero 
encargado  de  aquellas  obras  regalo  tan  estrano  objeto  à  la 
Academia  de  Ciencias  fisicas  y  naturales  de  esta  ciudad,  de 
la  que  en  mas  de  una  ocasion  habîa  sido  présidente  el  indicado 
Sr.  Orueta,  que  lo  hizo  guardar  en  la  pequeîia  coleccion  de 
aquella  sociedad,  donde  lo  he  examinado  con  detencion  y 
hecho  fotografiar  de  frente  y  de  costado.  Habîan  pasado  algunos 
anos  desde  su  descubrimiento  cuando  tuve  noticia  y  examiné 
esta  barra  de  plomo,  clasificada,  no  se  por  quién  ni  el  funda- 
mento  en  que  se  apoyaba,  de  Ancla  fenicia.  Recordaba  que 
Diodoro  Siculo  en  el  siglo  que  precedio  a  J.  G.  dejo  escrito  que 
aquellos  négociantes  asiâticos,  por  los  objetos  de  pacotilla  de 
escaso  valor  que  ofrecîan  a  los  terratenientes  de  la  peninsula 
liispana,  permutaban  la  plata  que  encontraban  entre  los  iberos 
en  copiosa  existencia  por  desconocer  estos  su  aplicaciôn,  con 
lo  que  aquellos  alcanzaban  grandes  beneficios,  por  lo  que, 
impulsados  del  deseo  de  lograr  taies  ganancias,  viendo  que 
llenas  sus  naves  del  dicho  métal  precioso,  aun  quedaba  mucho 
en  tierra  por  cargar  todavia,  idearon  el  suprimir  el  plomo  de 
las  anclas  sustituyéndolo  con  plata  '.  Pero  apesar  de  este  testi- 

I.  Diod.  Sic,  V,  XXXV,  V 


224  BULLETIN    HISPANIQUE 

monio  no  encontraba  que  el  trozo  de  aquel  métal  sacado  del 
fondo  de  la  antigua  ensenada  malacitana  hubiese  nunca  podido 
servir  de  ancla,  porque  semejante  barra  con  ser  de  plomo  no 
ofrecia  la  bastante  resistencia  para  penetrar  en  la  aiena  conte- 
niendo  al  buque  sin  garrear,  si  bien  su  hechura  se  ajustaba  a 
alguna  de  las  diversas  formas  de  âncorasantiquisimascomo  las 
que  se  ven  gravadas  en  varias  monedas  de  Hatria  de  los  Petru- 
cianos  y  de  Tiider  de  la  Umbria*.  Preocupado  con  taies  incerti- 
dumbres  acudi  a  mi  inolvidable  amigo  el  profesor  Hûbner, 
quien  por  su  parte  quiso  oir  antes  el  parecer  del  Sr.  W.  Assman, 
erudito  berlines,  especialista  en  nâutica  antigua,  quien  le 
aseguro  que  un  pedazo  de  plomo  muy  semejante  al  de  Mâlaga 
se  habîa  encontrado  en  Cyrene  de  Africa  y  aparece  figurado 
en  una  obra  inglesa  sobre  buques  antiguos^.  Como  las  anclas 
en  gênerai  se  componen  desde  los  tiempos  mas  remotos  de 
très  partes  6  séanse  de  uîîas,  que  son  las  que  se  clavan  en  el 
fondo  del  mar,  de  cana,  que  es  la  barra  de  hierro  a  cuyo 
estremo  encajan  las  unas  por  su  centro,  y  de  cepo  ô  parte 
superior,  que  va  sujeto  al  otro  estremo  de  la  cana  y  con  su 
peso  ayuda  a  la  accion  de  las  unas  para  hacerlas  entrar  mas 
profundamente  en  la  arena,  résulta  que  el  trozo  de  plomo 
encontrado  en  el  que  fué  puerto  de  Mâlaga,  como  en  el  de 
Cyrene,  corresponde  a  la  parte  del  ancla  llamada  cepo.  Y  puede 
asî  afirmarse  con  tanta  mayor  seguridad  cuanto  segûn  el  mismo 
seilor  se  encontraron  también  en  Cyrene  otros  dos  fragmentos 
al  parecer  de  las  unas,  en  uno  de  los  cuales  se  veîa  la  inscripcion 
griega  ZEYC-YriATOCj  tal  vez  el  nombre  del  buque  que  acaso 
se  llamaba  6  estuviera  consagrado  a  Jupiter  sumo.  Elya  aludido 
Sr.  Assman  no  duda  que  sea  igualmente  antiguo  el  fragmente 
malacitano,  si  bien  no  estima  que  baya  datos  bastantes  para 
afirmar  que  sea  fenicio,  griego.  6  romano;  pero  si  que  no  es 
de  la  edad  média  ni  posterior  a  la  reconquista,  porque  los  cepos 
de  estas  dos  épocas  no  eran  de  plomo.  Me  anade  ademâs  el 
mismo  profesor  Hûbner  que  segûn  informes  recogidos  en 
el  Museo  de  Berlin  puede  asegurarme   que    en  Atenas   y  en 

1.  Carrucci,  Le  monete  deW  Italia  antica,  tab.  LXII,  n.  3;  tab.  LVI,  n.  7  y  8. 

2.  Cecil  Torr,  Ancient  Ships,  fîg.  45. 


TUES    ObJETOS    AIALAGITANOS    DE    EPOCA    INCIERTA  2  33 

Salamina  haii  aparecido  también  olros  dos  fragmenlos  analogos 
al  de  Mâlaea, 


III 


En  el  mes  de  Agosto  de  i888  al  abrir  una  atargea  en  la  casa 
n"  i5  de  la  calle  de  Andrés  Pérez  de  esta  ciudad,  como  a  dos 
6  très  métros  de  profundidad  de  la  rasante  del  suelo  actual, 
hubo  que  atravesar  las  medianerias  de  la  finca  contigua  que 
sale  a  la  calle  de  Pozos  Dulces  y  esta  demarcada  con  el  n°  3i. 
Al  bacer  esta  reparacion,  entre  varios  restos  de  cerâmica 
vieja,  de  que  no  he  podido  tener  noticia  exacta,  bubo  de 
encontrarse,  segûn  aseguraba  el  dueno  de  ambas  fmcas,  que 
no  se  cuido  de  fijar  los  detalles  del  hallazgo,  un  busto 
diminuto  y  precioso  de  barro,  que  cedio  el  propletario  a 
D"  Eduardo  J.  Navarro,  quien  tuvo  la  amabilidad  de  regalar- 
melo  y  conservo  en  mi  poder,  Aparece  sin  deterioro  alguno  y  a 
primera  visla  trae  a  la  memoria  otras  figuras  anâlogas,  que 
habiendo  sido  juguetes,  crepundia,  de  alguna  nina  romana 
muerta  prematuramente,  sus  desolados  padres  las  colocaban 
en  la  tumba  de  su  hija  como  postrer  recuerdo  de  carino.  Y  en 
efecto  inducia  a  bacer  semejante  conjetura  el  considerar  que, 
en  la  misma  calle  de  Andrés  Pérez  i,  à  pocos  métros  de  dis- 
tancia  de  la  primera  casa  citada^,  se  descubrieron  en  1875 
monedas  y  cerâmica  romanas,  como  también  a  très  métros 
bajo  tierra,  un  alaud  de  plomo  con  restos  humanos  y  algunos 
dijes  de  oro  en  perfecto  estado  de  conservacion  que  al  présente 
se  encuentran  en  el  Museo  Loringiano^. 

Mide  el  pequenisimo  busto  de  barro,  que  boy  poseo,  cuatro 
centîmetros  de  alto  descansando  en  una  pcana  de  cinco  mili- 
metros.  El  molde  en  que  fué  vaciado  debio  ser  finîsimo  y  de 
una  ejecuciôn  muy  delicada,  componiéndose  de  dos  mitades, 
la  una  que  comprendia  la  cara  y  el  pecho,  asî  como  la  otra  la 
mayor  parte  de  la  cabeza  y  la  espalda.  El  artifice  que  vacio  la 


t.  N°'  6  y  8  de  la  acera  de  enfrenle. 

a.  N'  i5. 

3.  El  nuevo  Bronce  de  Ildlica,  Apcnd.  2",  pag.  Sacj. 


220  BULLETIX    HISPANIQUE 

figurilla  encontrada,  bien  por  falta  de  pericia  6  para  aligerar 
el  trabajo  que  preparaba  para  el  horno,  al  unir  una  milad  del 
buslo  cou  la  otra  solo  trato  de  quitarle  la  rebaba  mas  saliente 
producida  por  dicha  union  en  los  dos  lados  y  por  encima  de 
la  cabeza,  sin  cuidarse  de  marcar  con  el  buril  al  redcdor  de 
dicha  zona  el  pelo,  que  faltaba,  siguiendo  sus  ondulaciones 
que  bajan  suaves,  llevando  el  cabello  hasta  los  hombros  y 
sobre  la  espalda,  teniéndolo  mu\  correctamente  cortado  en  la 
frenle  y  cayendo  suelto,  flexible  y  sin  rizos,  por  detràs  sujeto 
por  una  ancha  cinta  labrada,  que  le  cine  la  cabeza  y  figura 
anudada  en  el  lado  izquierdo  con  un  gran  lazo  que  cae  airoso 
por  aquel  mismo  sitio.  Sobre  el  pecho  de  abultadas  formas  que 
por  la  manera  que  figura  levantado  induce  a  suponer  que  se 
quiso  represcntar  sujelo  por  el  mamilar,  aparece,  sino  el  borde 
superior  de  la  tûnica,  los  gruesos  pliegues  del  manto,  que  cruza 
de  un  hombro  a  otro  formando  en  el  centro  airoso  y  artistico 
seno. 

Gomo  acabo  de  decir,  el  adorno  de  la  cabeza  afecta  la  forma 
de  una  faja  estrecha  recamada  de  oro,  bordada  sobre  una  cinta 
con  la  que  ceilian  las  mageres  la  f rente,  como  en  el  siglo  sexto 
describia  san  Isidro  de  Sevilla  el  nimbus^,  que  Arnobio  deno- 
mina  tinibus^,  como  Claudiano^.  La  manera  como  acabo  de 
decir  que  aparece  tratado  por  el  artista  el  cabello  de  esta 
pequena  cabeza  trae  a  la  memoria  desde  luego  las  palabras  de 
Varron  cuando  afirma  que  en  lo  antiguo  no  hubo  peluqueros  en 
Roma,  como  lo  muestran  las  estatuas  de  los  antiguos,  cuya  mayor 
parte  tiene  el  cabello  y  la  barba  largas^,  habiendo  sido  segûn 
Plinio  el  viejo  el  priniero  de  todos  los  romanos  que  eslableciô 
el  afeitarse  diariamente  Scipion  el  Africano  très  siglos  antes  de 
J.  G.  5,  y  en  cuanto  a  los  matronas,  el  mismo  Varron  refiere 

I.  Isid.  hispal.  Orig.  XIX,  XXXI,  a. 

a.  Arnob.,  Adveisus  nationes,  II.  lu:  «  inmiuuerunt  frontes  limbis.» 

3.  Glaud.,  De  Malli  Theodos.  Cons  V.  ii8:  «  continuo  frontem  limbo  velatam 
pudicam.»  Sobre  otros  significados  de  nimbus  y  de  limbus  pueden  verse  Isid.  Orig., 
XXIII.  X.  3.  Serv.  in  Aen.  I.  v.  55.  Nonius  De  comp.  doct.  54i.  Serv.  in  Aen.  II.  6i5.  Al 
decir  faja  recamada  de  oro  describiendo  el  adorno  de  la  pequena  escultura,  no  es  por 
que  aparezca  asi  propiamente  en  la  figurilla  sino  por  trasladar  fielmente  la  descripciôn 
de  San  Isidro  de  Sevilla. 

4.  Var.,  R.  R.,  u,  lo. 

5.  Plin.,  H.  N.,  VII,  an. 


TUES    OBJETOS    MAI.ACITA.NOS    DE    EPOGA    INCIERTA  337 

que  las  madrés  de  familia  se  retorclan  el  cabello  sobre  la  nuca, 
sujeidndolo  cori  una  cinia  llamada  villa,  cuyo  cogido  se  decia 
tulalus^.  En  tiempo  de  Augusto  eran  ya  vaiios  y  mas  compli- 
cados  los  peinados  de  las  mugeres  romanas^  como  lo  demues- 
tran  las  moiiedas  que  consenan  grabadas  las  cabczas  de  las 
emperatrices  con  pelucas  y  aûadidos  en  extremo  caprichosos 
entre  las  que  sobresalîa  la  moda  de  las  cabelleras  confeccio- 
nadas  con  pelo  rubio  traîdo  de  Alemania^  cuando  no  se  tenîan 
con  algun  espccîfico'  cuyo  nombre  han  conseivado  los  poetas 
satii'icos  de  la  época  y  son  hoy  de  estremada  actualidad.  La 
suave  flexibilidad  del  cabello  de  esta  graciosa  figurita,  su 
natural  posicion,  tcndido  sobre  la  espalda  sin  trenzas  y  sin 
rizos,  parece  como  que  acusa  una  moda  anterior  a  Ovidio  y  a 
Marcial,  que  alcanzaron  esos  peinados  anliestcticos  que  vulga- 
rizaron  las  soberanas  con  su  estragado  gusto  al  comenzar  el 
imperio. 

Pero  apesar  de  lodas  estas  coincidencias  y  de  asegurarse  que 
tan  pequeno  busto  de  muger  se  encontre  entre  varios 
fragmentos  de  ceramica  antigua,  confieso  ingenuamente  que 
para  mi  estriba  toda  la  dificultad  en  fijar  con  probabilidades 
de  acierto  la  época  en  que  pudo  ser  esculpido  el  original  de 
que  se  saco  la  matriz  en  que  se  moldeo  esta  figurita,  no 
atrcviéndome  à  afirmar  si  lo  ejecutaria  un  artista  del  periodo 
romano,  del  renacimiento  6  de  fecha  aun  mas  moderna.  La 
cara  de  estaesculturita  siendo  preciosano  parece  de  tipo  arcaico, 
encontrândose  perfectamentc  conservada  para  haber  estado 
quince  siglos  bajo  ticrra,  no  debiendo  olvidarse  por  otra 
parte  que  en  la  centuria  décima  séptima  se  liallaba  esta- 
blecido  en  Mâlaga  Juan  de  Mena,  discipulo  de  Alonso  Cano, 
que  murio  en  1693,  siendo  enterrado  en  el  convento  del  Gister, 
donde  profesaron  dos  de  sus  hijos. 

En  resùmen,  pues,  très  son  los  objetos  mas  6  menos  anti- 
guos,  aun  inéditos,  encontrados,  uno  de  ellos  dentro  del 
recinto  de  la  Malaca  romana  y  los  otros  dos  extra   miiros,  a 

I.  Varr.,  L.  L.,  VII,  Uk. 

a.  Ovid.,  Ars  alnandi,  III,  vv.  i33  â  168. 

3.  Ovid.,  Amor.  I,  i4,  45.  Ars  ainandi,  III,  v.  iGô. 

!i.  Mart.  XIV.  2G  y  VIII,  33. 


228  BULLETIN    HISPAMQUE 

cortîsima  distancia  de  las  murallas  del  viejo  municipio,  en  el 
puerto  de  mar  y  en  el  castillo.  Al  darlos  a  conocer  he  estado 
muy  lejos  de  considerar  que  haya  procedido  con  acierto  al 
intentai'  clasificarlos,  sino  tan  solo  espuesto  algunas  conjeturas 
mas  o  menos  probables  y  no  otra  cosa,  dejando  el  formular 
apreciaciones  concretas  a  quiencs  para  ello  se  consideran 
autorizados,  puesto  que  por  mi  parte  solo  habré  de  repetir  al 
terminar  :  nos  rem  in  medio  relinquinius. 

Alhaun'n  el  Grande,  aide  Octubre  de  igoi. 


IV 

Hacîa  tiempo  que  tenîa  redactado  el  papel  précédente  y  me 
disponia  a  darlo  a  la  imprenta,  cuando  debi  a  la  amabilidad 
de  Mr.  Pierre  Paris  el  conocer  su  interesante  arliculo  publicado 
en  los  Mélanges  Perrot,  sobre  cierto  Bijou  phénicien  trouvé  en 
Espagne.  No  tengo  mas  que  elogios  que  tributar  a  este  estudio; 
pero  en  conciencia  me  veo  obligado  à  hacer  una  ligera  recti- 
ficacion  sobre  la  procedencia  de  la  joya  en  cuestion.  Dice  mi 
distinguido  amigo  el  autor  :  C'est  une  pendeloque  de  collier  ou 
bracelet  en  or  trouvé  à  Mdlaga,  y  por  mas  que  no  me  sea  posi- 
ble  dudar  que  asi  se  lo  hayan  afirmado  a  su  actual  poseedor, 
me  considero  en  el  deber  ineludible  de  espresarle  que  mien- 
tras  una  persona  de  reconocida  formalidad  no  manifieste  donde 
y  cuando  lo  vio  descubrir,  no  me  es  posible  dar  crédite  a 
semejante  afirmacion,  movido,  entre  otras  razones,  por  mi 
larga  esperiencia  en  semejante  género  de  noticias  inventadas 
espresamente  para  facilitar  con  tal  aliciente  los  medios  de 
venta. 

Aqui  como  en  otras  capitales  de  la  Penînsula  hay  corto 
numéro  de  industriales  que,  ejerciendo  el  conocido  oficio  de 
ropavejero  con  el  titulo  pomposo,  que  ellos  mismos  se  dan  de 
anticaarios,  no  solo  se  permiten  clasificar  los  objetos  que  ofre- 
cen  en  venta,  sino  que  también  forjan  la  novela  de  su  hallazgo 
con  todos  los  atractivos  que  a  mano  encuentran.  En  mi  juven- 
tud  cuando  se  desarroUo  entre  los  malaguefios  mas  acauda- 


TRES    OBJETOS    MALACITANOS    DE    ÉPOCA    IMCIERTA  239 

lados  la  aficion  à  los  cuadros  antiguos,  se  ofrecîan  en  abun- 
dancia  por  estos  corredores  intruses  supuestos  y  abundantes 
lienzos  de  Morales  y  Zurbaran,  de  Rubens  y  del  Espanoleto, 
de  Velâzquez  y  de  Murillo.  Paso  esta  moda  como  tantas  otras 
y  hoy  la  afluencia  de  forasteros  îi  la  poblacion,  como  estacion 
invernal,  en  determinada  época  del  afio,  ha  provocado  cierta 
aficion  a  las  antigûedades  locales,  dando  riendas  suellas  a  la 
fecunda  inventiva  de  los  celebérrimos  baralillcios.  He  visto 
ofrecer  en  venta  como  encontrado  en  las  faldas  del  Gibralfaro 
un  ainuleto  egipcio  traîdo  desde  Alejandria  a  Gibraltar  por  un 
inglés  que  vivia  en  dicho  Pefi6n,de  cuvo  objeto  se  deshicieron 
los  hijos  al  quedar  huérfanos.  He  tenido  en  la  mano  y  exami- 
nado  con  dctencion  un  pequenisimo  Des  de  métal  de  esmerada 
ejecucion  comprado  por  su  dueno  a  un  marinero  de  los  que 
navegan  en  pequenos  barcos  de  cabotage  siempre  a  la  vista  de 
las  playaSj'quien  lo  habia  adquirido  a  su  vez  en  un  punto  de  la 
Costa  vecina  a  Adra.  El  tal  dije  salio  al  mercado  como  descu- 
bierto  al  abrir  la  gran  via  que  une  la  Alameda  à  la  Plaza 
principal  de  la  poblacion. 

Por  ùltimo  lei  en  su  dîa  una  estensa  relaciôn  de  persona  que 
se  tiene  por  muy  périta  en  todo  linaje  de  conocimientos, 
dando  cuenta  a  un  amigo  ausente  de  como  se  habian  presen- 
tado  en  Mâlaga  los  primeros  cacharros  de  barro  que  conside- 
raba  prehistoricos,  que  procedian  de  la  celebérrima  fabricacion 
murciana  de  la  Alfaveria  de  Totana,  asegurando  muy  serio  por 
conclusion  que  el  a/iticiiario  que  los  ofrecia  en  venta,  hombre 
de  estrecha  concieiicia,  afirmaba  que  el  hallazgo  de  aquella 
ceràmica  peregrina  se  habia  verificado  cerca  de  Màlaga  en  los 
llamados  Cantales  de  la  costa  de  levante,  donde  aseguran  Jos 
topolatras  del  pais  que  esta  situada  la  célèbre  cueva  que  deno- 
minan  de  Craso,  de  que  habia  Plutarco  en  la  vida  de  tan 
conocido  agitador  romanoi.  Y  aqui  me  détendre  por  no  acu- 
mular  mas  testimonios  innecesarios. 

Si  el  dije  fenicio  tan  eruditamente  ilustrado  por  el  Sr. 
Paris  se  hubiera  encontrado  en  Malaga,  dado  el  caracter 
esencialmente  comunicativo  de  sus  moradores,  se  hace  dificil 

I.  Plut.  Cras.  VI. 
Bull,  hispan.  16 


230  BULLETIN    HISPANIQUE 

comprender  que  sigilosamente  se  hubiera  Uevado  a  Madrid  para 
darle  alli  salida,  sin  que  antes  no  hubiese  llegado  la  noticia  de 
su  hallazgo  a  los  oidos  de  los  diferentes  sujetos  que  en  esta 
ciudad  se  muestran  aficionados  a  semejante  género  de  adqui- 
siciones,  entre  los  que  se  cuentan  personas  que  me  son  muy 
allegadas,  y  que  tal  cosa  sucediera  sin  dejar  el  menor  rastro  de 
semejante  descubrimiento.  Por  todo  ello  y  aunque  no  tengo 
fundamento  alguno  para  dudar  de  que  baya  sido  encontrado 
en  Espafia  y  hasta  si  se  quiere  en  Andalucia,  me  sobran  sin 
embargo  motivos  para  dudar  que  hubiese  aparecido  en  Mâlaga, 
donde  de  continuo  resido,  mientras  alguién  del  pais,  que  me 
merezca  crédito,  no  manifieste  claramente  la  época,  el  lagar 
y  la  ocasiôn  en  que  hubo  de  verifîcarse  semejante  hallazgo  k 

M.-R.  DE  BERLÂNGA. 

Mâlaga,  ai  Diciembre  de  1902. 

1.  En  el  numéro  4  del  tomo  IV  de  este  Bulletin  à  las  paginas  291  y  292  aparecen  en 
cinco  lugares  distintos  los  signes  ibéricos  r  ASc)  en  vez  de  la  forma  genuina 
A  r  >  C-  que  es  como  deben  corregirse  aquellos. 


PRUDENCE  ET  LES  BASQUES 


Dans  mes  recherches  sur  l'histoire  des  Basques,  histoire  si 
obscure  dans  la  période  qui  s'étend  depuis  deux  ou  trois 
siècles  avant  l'ère  chrétienne  jusqu'à  sept  ou  huit  siècles  après, 
je  ne  pouvais  négliger  ce  grand  poète  chrétien,  qui  vécut,  au 
moins  les  dernières  années  de  sa  vie,  dans  la  ville  antique 
de  Calahorra  sur  l'Èbre.  Le  nom  latin  môme  de  Calahorra, 
Calagurris,  rappelle  la  langue  basque,  Escuara.  Quelle  que  soit 
la  signification  des  premières  syllabes  ',  les  deux  dernières  sont 
presque  certainement  le  basque  gorri,  «rouge»,  qui  paraît 
encore  aujourd'hui  dans  Mendigorri,  «mont  rouge»,  Bcugorry, 
«  fleuve  rouge»,  écrit  en  980  Baigiir^.  Deux  fois  nous  trouvons 
le  mot  écrit  Calagori,  Calagorritanis^. 

Nous  pouvons  donc  espérer  trouver  quelques  renseignements 
sur  les  Basques,  quelques  allusions  à  leurs  mœurs  et  coutumes, 
à  leur  genre  de  vie,  dans  les  œuvres  d'un  poète  habitant  de 
la  vieille  cité  euskarienne.  Ce  n'est  que  depuis  son  retour 
de  Rome,  et  pendant  son  séjour  à  Calahorra,  que  Prudence 
a  commencé  d'écrire  ou  de  publier  ses  poèmes. 

Il  me  faut  avouer,  dès  le  commencement  de  ces  notes,  que 
je  n'ai  pas  trouvé  dans  les  vers  de  Prudence  tout  ce  que 
je  m'attendais  à  y  découvrir.  D'abord,  Prudence  fut  chrétien,  il 
n'était  pas  du  tout  en  sympathie  avec  le  paganisme,  ni  avec  ce 
qui  restait  du  paganisme  parmi  les  Basques  de  son  temps. 
11  aimait  avec  passion  le  culte  et  la  liturgie  chrétienne,  il  l'a 
enrichie  des  plus  belles  de  ses  hymnes  ;  il  a  chanté  presque 
le  premier  les  gloires  et  les  mérites  des  martyrs  chrétiens  de 

1.  Kala,  en  basque,  signifie  «  sonde  »,  «  ligne  de  sonde  ».  Ce  mot  pourrait  avoir  rap- 
port avec  la  présence  de  la  rivière  Èbre,  le  Vasco  Iberas;  Peristephanon,  Hymne  il,  537. 

2.  Paul  Raymond,  Dictionnaire  topographique  du  département  des  Basses-Pyrénées, 
s.  V.  Paris,  Impr.  nationale,  i8G3. 

3.  Corpus  inscriptionum  latinarum,  t.  II,  agôg,  'Callagori;  Iu'aô,  Calagorrit.  Voyez 
aussi  C.  I.  L.,  V,  6987,  et  Calaguris  (var.  Caligorris,  Calagorris,  Ausonc,  Epist.,  XXIV, 
57,  édit.  Schenkl.  Hûbncr,  Monumenla  linguac  Ibericae,p.  227,  Berlin,  i8g3.  Calagorris 
aussi  dans  un  manuscrit  de  Prudence,  Drcssel,  p.  34a). 


332  BULLETIN    HISPANIQUE 

sa  patrie.  Son  plus  long  poème  consiste  en  deux  livres  Contra 
Symmachum,  le  dernier  grand  païen  à  Rome,  dont  la  défaite  au 
Sénat,  sur  la  question  de  l'autel  de  la  Victoire,  marque  la  défaite 
décisive  du  culte  païen  par  le  culte  chrétien.  De  plus.  Prudence 
fut  romain.  Le  latin,  à  cette  époque,  était  la  langue  non  pas 
seulement  officielle,  mais  naturalisée  en  Espagne.  Les  classes 
élevées  et  littéraires  avaient  perdu,  il  semble,  l'usage  de  tout 
autre  idiome.  Il  n'y  a  pas  un  mot  qui  dénote  la  moindre  con- 
naissance de  l'Escuara  par  Prudence.  Enfin,  comme  romain, 
quoique  provincial,  ayant  vécu  pendant  plusieurs  années  à 
Rome  même  (co  ter,  quaterque  et  septies  Beatus  Urbis  incola)  i, 
savant,  bien  élevé,  il  méprisait  la  bruta  quondam  Vasconum 
gentilitas^.  Mais,  —  lorsqu'il  chante  les  dix-huit  martyrs  de 
Saragosse  fCaesaraugusia  studiosa  Christi)^,  les  martyrs  Heme- 
terius  et  Chelidonius,  Calagurritani,  Martyr um  cum  membra  nostro 
consecravit  oppido,  sospitant  quae  mine  colonos  quos  Iberus  allait^, 
et  les  martyrs  de  Tarragone,  quorum  praesidio  fovemur  omnes 
terrarum  populi  Pyrenearumô^  —  il  se  souvient  avec  orgueil  de 
son  pays  natal.  Peut-être  pouvons-nous  conclure  d'une  phrase 
de  l'hymne  intitulé  Passio  S.  Cypriani  martyris,  —  Christum 
serit  ultimis  Iberis^,  —  que  toutes  les  populations  du  nord  de 
l'Espagne  n'étaient  pas  encore  entièrement  converties  au  chris- 
tianisme quand  Prudence  écrivait.  Ailleurs,  ces  indications 
sont  rares,  et  ce  n'est  que  dans  l'hymne  Circa  exequias  defuncti 
que  j'ai  trouvé  un  peu  de  ce  que  je  cherchais. 


Nous  avons  une  mention  des  rites  funèbres  des  tribus 
d'Espagne  dans  le  poème  Punicorum  de  Silius  Italicus  : 

Venere  et  Celtae  sociati  nomen  Hiberis  : 
His  pugna  cecidisse  decas  corpusque  cremari 

1.  Peristephanon,  II,  629. 
a.  Perist.,  I,  94. 

3.  IV,  54. 

4.  I,  116. 

5.  VI,  i46-i47. 

6.  XIII,  io4.  Nous  citons  le  plus  souvent  d'après  l'édition  Dressel  (Leipzig,  1860), 
mais  il  est  bon  de  consulter  toujours  l'édition  célèbre  d'Arevalus,  1788,  réimprimée 
par  Migne,  Patrologiae  cursus  completus,  t.  LIX,  LX. 


PRUDENCE    ET   LES   BASQUES  a33 

Taie  nefas  ;  caelo  credant  superisque  referri, 
Impastus  carpal  si  membra  jacentia  valtur'. 

Je  ne  sais  si  l'on  ne  peut  pas  regarder  comme  une  réminis- 
cence de  ces  lignes  les  vers  de  Prudence  : 

Rescissa  sed  ista  seorsum 
Proprios  revocanlur  in  ortus. 
Petit  halitus  aethera  fervens, 
Humus  excipit  arida  corpus  '. 


At  si  generis  memor  ignis 
Contagia  pigra  reciiset, 
Vehit  hospita  viscera  secam 
Pariterque  reportât  ad  astral. 


et  dans  le  Peristephanon,  hymne  I  : 

Jamne  credis,  briita  quondain  Vasconum  gentilitas, 
Quam  sacrum  crudelis  error  immolarit  sanguinem  ? 
Credis,  in  Deam  relatos  hostiaram  spiritus  ?'■* 

OU  s'ils  ne  sont  que  des  phrases  communes  à  tout  poète 
chrétien  de  l'époque.  11  est  certain  que  l'on  trouve  des  phrases 
semblables  sur  les  inscriptions  des  tombes  chrétiennes  de 
l'Espagne  5. 


Dans  l'hymne  Circa  exequias,  on  lit  : 

Honor  uliimus  accipit  artiis 
Etfuneris  ambitus  ornât. 
Candore  nitentia  claro 
Praeiendere  lintea  mos   est, 
Aspersaque  myrrha  Sabaeo 
Corpus  medicamine  servat^î. 

Gela  semble  se  rapporter  à  deux  habitudes  condamnées  par 
les  Conciles  de  l'Église,  mais  qui  se  sont  longtemps  conservées 

1.  Silius  Italicus,  Punicorum  Lib.,  III,  34o-3/43,  édit.  Bauer. 

2.  C'est  le  Cathemerinon  X  de  l'édit.  Dressel.  Vers  9- 12,  note.  Migne,  t.  LIX,  col. 
87G;  voyez  sur  ces  vers  Dressel,  p.  69,  note. 

3.  V.  ag-Si. 

4.  Vers  94-96. 

5.  Hûbner,  Inscriptiones  Hispaniae  Christianae,  Berlin,  1871. 

6.  V.  47-53. 


23^  BULLETDi    HISPANIQUE 

chez  les  Basques.  La  première  coutume  est  celle  d'habiller  le 
cadavre  des  vêtements  sacerdotaux  ou  ecclésiastiques.  La 
deuxième  est  d'envelopper  le  corps  de  draps  blancs. 

I. —  Il  est  formellement  défendu  dans  plusieurs  Conciles  de 
l'Église  de  couvrir  le  corps  des  défunts  de  vêtements  ecclésias- 
tiques. 

Concilium  Arvernense  primum,  a.  D.  535.  —  Can.  III  :  Cad.wera 
MORTUORUM  NON  OBVOLVENDA  PALLis  SACR.vTis.  Observandum  ne 
pallis  (ecclesiae)  vel  minisieriis  divinis  defunctonim  corpora  obvol- 
vantur.  —  Can.  VII  :  Ne  opertorio  corporis  dominici  defuncti 
SACERDOTis  CORPUS  OBTEGATUR.  Neopertoriodomiiiicicorporis  sacer- 
dotis  unquam  corpus,  duni  ad  tumulum  evehetur,  ohtegatar,  ne 
(et  9)  sacro  velamine  usibus  suis  reddito,  duni  honorantur  corpora, 
altaria  poUuantur. —  Sirmond,  I,  p.  2^2  et  2^3;  Maassen,  p.  67. 

Concilium  Autissiodorense ,  a.  D.  678  {?).  —  Can.  XII  :  Nemortuis 

EUCH.\RISTIA  DETUR  NECOSCULUM,  ET  NE  VELO  VEL  PALLA  INVOLVANTIA. 

Non  licei  mortuis  nec  eucharistiam  nec  osculum  iradi,  nec  vélo  vel 
pallis  corpora  eorum  involvi. —  Sirmond,  I,  p.  363;  Maassen,  p.  180. 
Dans  le  beau  livre  de  M.  Henry  O'Shea,  La  Maison  basque, 
il  est  parlé  de  l'usage  d'enterrer  les  grands  personnages  et  les 
desservants  assis  et  revêtus  des  insignes  de  leur  rang.  Il  ajoute 
en  note  :  «  Un  ami  de  ma  famille,  l'abbé  Marchand,  doyen  de 
Coarraze,  fut  inhumé  de  cette  façon  en  1869.  Le  maire  de 
Labarthe- Rivière  (arr.  de  Saint-Gaudens,  dép.  de  la  Haute- 
Garonne)  a  bien  voulu  m'écrire  le  i4  mai  18S6  :  u  L'usage  dans 
»  notre  contrée,  en  ce  qui  concerne  l'enterrement  des  desser- 
»  vants,  est  que,  lorsqu'un  curé  a  rendu  le  dernier  souffle,  on 
»  l'habille  de  ses  plus  beaux  habits  sacerdotaux,  tel  qu'il  est 
»  habillé  lorsqu'il  ofiRcie  à  la  messe,  avec  des  souliers  neufs 
»  qui  n'ont  jamais  été  portés.  On  l'assied  dans  un  fauteuil..., 
»  ensuite  on  le  met  dans  la  bière  tout  assis,  toujours  revêtu  de 
»  de  ses  ornements,  et  on  le  porte  à  l'église,  011  l'on  pose  le 
»  corps  sur  un  catafalque  assez  élevé  et  de  façon  qu'il  puisse  être 
»  vu  de  tout  le  monde.  La  cérémonie  terminée,  le  corps  tou- 
»  jours  assis,  et  dans  cette  posture,  et  revêtu  de  ses  ornements, 
»  on  referme  la  bière,  et  on  la  descend  dans  la  tombe'.  » 

I.  La  Maison  basque,  notes  et  impressions,  par  Henry  O'Shea.  p.  ai,  Pau,  1887.     . 


i>RLDF.Nci:  i:t  les  basques  a35 

Ce  même  honneur,  d'être  habillées  des  meilleures  robes  et 
ornements  de  leur  ordre,  est  accordé  aux  sœurs  dans  quel- 
ques districts  du  pays  basque.  On  met  le  cadavre -assis  sur  un 
Hiuteuil  au  parloir,  ou  à  la  salle  de  l'école.  J'ai  vu  aussi  le 
corps  d'un  laïque  porté  à  l'église  sur  une  bière  découverte  et 
vêtu  de  ses  plus  beaux  habits.  Je  demandai  pourquoi  on 
l'enterrait  ainsi  :  on  m'a  répondu  que  c'était  l'habitude  de  sa 
famille. 

L'usage  est  commun  en  Espagne  et  en  Portugal  et  dans  les 
contrées  de  la  Méditerranée  :  «  Le  linceul  consiste  dans  les 
meilleurs  habits  et  atours  que  portait  dans  sa  vie  celui  qui  est 
maintenant  un  cadavre.  On  a  soin  que  la  robe  ou  les  habits 
soient  de  couleur  noire'.  » 

11.  —  Quant  aux  vers 

Candore  nilentia  claro 
Praetendere  lintea  mos  est, 

voici  ce  qu'on  en  peut  dire. 

Le  comte  A.  de  Laborde,  dans  son  Itinéraire  de  r Espagne, 
dit  des  Basques  :  <(  La  musique  et  l'apparence  de  gaieté  prési- 
dent à  l'enterrement  des  enfants.  Lorsque  ceux-ci  meurent  avant 
l'âge  de  raison,  ils  sont  portés  à  découvert  au  lieu  de  la  sépul- 
ture, revêtus  d'habits  blancs,  et  la  tête  ornée  d'une  couronne 
de  roses  blanches;  des  musiciens  précèdent  le  cortège;  un 
enfant  de  chœur  porte  la  croix;  le  cortège  en  tumulte  décèle 
sa  joie  comme  pour  attester  la  félicité  de  l'innocence.  La  mère 
surmonte  sa  douleur,  en  offrant  au  ciel  sa  résignation. 
Quelque  peine  que  puisse  éprouver  le  Bizcaïen,  sa  foi  le  rend 
impassible,  et  il  prononce  tranquillement  :  Dios  lo  quiere,  Dieu 
le  veut^.  » 

En  Andalousie,  «  dans  quelques  villages,  la  mort  d'un  enfant 
est,  plutôt  qu'une  occasion  de  douleur,  un  motif  de  fête.  Les 
parents    mêmes,    qui    pleurent  sans    consolation   la   perte  de 


I.  Biblioteca  de  las  Tradiciones  populares  espanolas,  t.  I,  p.  ga;  s  vol.,  Séville,  i884- 
1886.  Les  habits  ne  sont  pas  toujours  noirs. 

■2.  Itinéraire  descriptif  de  l'Espagne,  par  le  comte  A.  de  Laborde,  3*  édit.,  p.  376, 
Didot,  Paris,  1817.  La  première  édition  parut  en  1806. 


236  RULLETIN    HISPANIQUE 

l'enfant  de   leurs   entrailles,    la  célèbrent  en  dévorant   leurs 
larmes  ' .  » 

Le  passage  cité  du  comte  de  Laborde  a  évidemment  fourni 
au  poète  anglais  William  Wordsworth  la  matière  de  deux 
sonnets  : 

XXIV 

In  due  observance  of  an  ancient  rite. 

The  rude  Biscayans,  when  their  children  lie 

Dead  in  tiie  sinless  time  of  infancy, 

Attire  the  peaceful  corse  in  vestments  white; 

And,  in  like  signof  doudiess  triumph  briglit, 
They  bind  the  unofîending  creature's   brows 
With  happy  garlands  of  the  pure  white  rose  : 
Then  do  a  festal  company  unité 

In  choral  song  ;  and,  white  the  uplifted  cross 
Of  Jésus  goes  before,  the  child  is  borne 
Uncovered  to  his  grave  ;  fis  closed  —  her  loss 

The  Mother  then  mourns,  as  she  needs  must  mourn  ; 
But  soon,  through  Christian  faith,  is  grief  subdued  ; 
And  joy  returns,  to  brighten  fortitude. 

XXV 

Feelings  ofa  noble  Biscayan  al  one  of  thèse  Fanerais. 
1810 

Yet,  yet,  Biscayans  !  we  must  meet  aur  Foes 
With  fîrmer  soûl,  yet  labour  to  regain 
Our  ancient  freedom  ;  else  t'were  worse  than  vain 
To  gather  round  the  hier  thèse  festal  shows. 

A  garland  fashioned  of  the  pure  white  rose 
Becomes  not  one  whose  father  is  a  slave  ; 
Oh  !  bear  the  infant  covered  to  his  grave  ! 
Thèse  vénérable  mountains  now  enclose 

A  people  sunk  in  apathy  and  fear. 

If  this  endure,  farewell,  for  us,  ail  good  ! 

The  awful  light  of  heavenly  innocence 

I.  Biblioteca  de  las  Tradiciones  populares,  t,  I,  p.  94. 


PRUDENCE    ET    LES    BASQUES  387 

Will  fail  to  illuminate  Ihe  infant's  hier  ; 

And  guilt  and  shame,  from  which  is  no  defence, 

Descend  on  ail  that  issues  from  our  blood'. 

Le  Père  G.  de  Henao,  S.  J.  (1612-1704),  dit  que  de  son 
temps,  dans  les  endroits  où  les  mœurs  castillanes  n'avaient  pas 
encore  pénétré,  les  femmes  mariées  allaient  aux  funérailles  en 
jupes  très  plissées  de  drap  blanc,  la  veuve  exceptée;  les  filles 
en  robes  noires  ou  de  couleurs  sombres,  avec  leur  chevelure 
éparse  sur  les  épaules  et  sur  la  figure  2.  En  Andalousie,  «si  le 
corps  est  celui  d'une  jeune  fille,  on  l'habille  d'une  robe  blanche, 
et  on  place  sur  la  tête  une  couronne  de  roses  blanches  ou  de 
fleurs  d'oranger,  laquelle  se  pose  sur  un  voile  qui  descend 
jusqu'aux  pieds.  Dans  quelques  villages  d'Andalousie,  on  a 
l'habitude  de  mettre  une  branche  de  palmier  sur  le  corps 
d'une  vierge  3.  » 

On  m'a  dit,  il  y  a  quarante  ans,  qu'une  coutume  pareille 
existait  alors  à  Saint-Béat  (Haute-Garonne)  :  on  porte  à  l'église 
le  corps  d'une  fille  non  mariée,  n'importe  de  quel  âge,  vêtu 
de  blanc,  à  bière  découverte. 

Mais  cet  usage  est  maintenant  condamné  par  l'Église  : 

Feretrum  in  qiio  reconditur  corpus  puellae  aut  pueri  innuplo- 
rum,  panno  ex  lana  vel  ex  serico  albo  in  signum  virginilatis  co- 
operiendum  non  est.  Ubi  autem  hujusmodi  consuetudo  invaluerit, 
Ha  al  facile  nequeat  immuiari,  iolerari  poiest  ;  ut  fascia  nigri 
coloris,  non  tamen  in  modum  crucis,  superponatur  panno  albo;  ita 
tamen  ut  in  quatuor  lateribus  appareat,  quo  fidèles  agnoscant 
defunctum  egere  suffragiis,  et  Ecclesiae  precibus  etiarn  proprias 
adjunganf*. 

L'usage  existe  dans  plusieurs  endroits  du  pays  basque 
d'enterrer  les  curés  et  les  prêtres  dans  le  porche  des  églises. 
La  coutume  remonte  à  une  haute  antiquité,  à  l'époque  oii 
il  fut  défendu  d'enterrer  les  morts  dans  les  églises,  privilège 

I.  The  Poetical  Works  of  William  Wordsworth  :  Poems  of  the  Imagination, 
vol.  III,  p.  81-82.  6  vol.,  Londres,  Moxon,  i85o. 

a.  Averiguaciones  de  las  Antiguedades  de  Guipûzcoa  por  P.  Galiriel  de  Henao,  S.  J., 
t.  III,  p.  49,  note.  7  vol.,  Lopez,  Tolosa,  Guipûzcoa,  189^. 

3.  Biblioteca,  I,  ga. 

4.  Acta  et  Décréta  Concilii  plenarii  Americae  Latinae  in  L'rbe  celebrati,  anno  Domini 
MDGCGXGIX,  t.  I,  S  47a,  p.  ao5;  a  vol.,  Romae,  typis  Vaticanis,  MDCGGC. 


238  BULLETIN    HISPANIQUE 

réservé  aux  martyrs  seuls.  Constantin  et  autres  empereurs 
furent  enterrés  dans  le  porche  ou  Vatrium  des  églises,  pas 
dedans.  On  en  fait  mention  dans  le  premier  Concile  de  Braga, 
Portugal  : 

Concilium  Bracarense  primum,  a.  D.  563.  —  Can.  XVIII.  De 
coRPORiBus  DEFUNCTORUM.  Item  placuît  ut  corpora  defunctorum 
nullo  modo  intra  basilicam  sanctorum  sepeliantar,  sed  si  necesse 
est,  de  foris  circa  murum  basilicae  usque  adeo  non  abhorret.  Nam 
si  firmissinium  hoc  privilegium  usque  mmc  retinent  civitales,  ut 
nullo  modo  intra  ambitus  murorum  cujuslibet  defuncti  corpus 
humetur,  quanto  magis  hoc  venerabilium  martyrum  débet  reve- 
rentia  obtinere.  —  Labbe,  t.  V,  col.  842. 

Ainsi  le  corps  de  saint  Augustin,  le  grand  missionnaire  et 
convertisseur  des  Anglo-Saxons,  fut  enterré  à  Cantorbéry,  dans 
le  porche  septentrional  de  l'église  de  Saint-Pierre  et  de  Saint- 
Paul,  le  26  mai  6o5  :  Mox  vero  ut  dedicata  est  (ecclesia),  intro 
illatum  et  in  porticu  illius  Aquilonali  decenter  sepultum  est;  in  qua 
etiam  sequentium  archiepiscoporum  omnium sunt  corpora  tumulata, 
praeter  duorum  tantummodo,  id  est  Theodori  et  Berctualdi,  quorum 
corpora  in  ipsa  ecclesia  posila  sunt,  eo  quod  praedicta  porticus 
plura  capere  nequimt  i . 

Mais  il  était  permis  par  les  Conciles  de  Meaux  et  de  Tribur 
que  les  corps  des  prêtres  et  d'autres  personnes  de  distinction 
fussent  enterrés  dans  l'église  même  : 

Concilium  Meldense,  a.  D.  845.  —  Can.  LXXII.  Ut  nemo 
quemlibet  mortuum  in  ecclesia  quasi  heredilario  jure,  nisi  quem 
episcopus  aut  presbyter,pro  qualitate  conversationis  et  vitae  dignum 
duxerit,  sepelire  praesumat.  —  Sirmond,  I,  p.  52. 

Concilium  Triburiense  (Tribur  ou  Teuver,  près  Mayence), 
a.  D.  895.  —  Can.  XVll.  Nemo  in  ecclesia  sepeliatur,  nisi  forte 
talis  sit  persona  sacerdolis,  aut  cujuslibet  justi  hominis,  qui  per 
vitae  meritum,  talem  vivendo  suo  corpori  dejuncto  locum 
acquisivit^.  —  Labbe,  t.  IX,  col,  45o. 


1.  Bedae   historia  ecclesiastica   gentis    Anylorum,   Lib.   II,  cap.    3.  Migne,  t.  XCV, 
col.  80. 

2.  Cf.  les  relevés  de  V Analyse  des  Conciles,  par  le  R.  P.  C.-L.  Richard,  t.  IV,  art. 
Sépulture,  p.  760,  Paris,  MDCCLXXIII. 


PRUDENCE    ET    LES    H.VSQUES  aSg 

Lorsque  je  demande,  dans  le  pays  basque,  pourquoi  on 
enterrait  les  prêtres  dans  les  porches  des  églises,  on  me 
répond  toujours  que  les  prêtres  le  voulaient  ainsi  par  humilité, 
de  manière  à  ce  que  tout  le  monde  passât  au-dessus  d'eux. 


* 
»  » 


Il  existe  un  autre  usage,  autrefois  très  répandu,  et  à  peine 

éteint  dans  les  Pyrénées-Occidentales;  Prudence  y  fait  allusion 

dans  ces  lignes  : 

Quid  lurha  snperstes  inepta 
Clangens  ululamina  miscet? 
Car  lain  bene  condita  jura 
Lncln  dolor  arguit  amens  ?  ' 

Ces  vers  rappellent  celui  de  Silius  : 

Barbara  nanc  patriis  ululantem  carmina  linguis^, 

Cicéron  nous  parle  de  cet  usage  de  chants  funèbres  et  des 
femmes  qui  faisaient  des  lamentations  et  des  cris  aux  enter- 
rements 3,  Il  nous  dit  que  c'était  une  chose  défendue  aux  Grecs 
par  Solon,  et  aux  Romains  par  la  loi  des  XII  Tables  :  Tabula  X. 
Mulieres  gênas  ne  radunto,  neve  lessiun  fiineris  ergo  habento.  — 
Lessum  quasi  lugubrem  ejulationeni,  dit  Cicéron  d'après  Aelius, 
car  la  signification  du  mot  était  presque  perdue  dans  son 
temps  :  Hoc  veieres  interprètes  non  salis  se  inlellegere  dixerunl. 
On  croyait  que  c'était  un  vêtement  funèbre  quelconque  :  sus- 
picali  vestimenti  atiquod  genus  funebris.  —  Isidore  de  Séville 
(070-636)  dit  :  Threnos,  quod  latine  lamentum  vocamus...  adhibe- 
banlur  autem  funeribus  atque  lanientis;  similiter  et  nunc^.  Il 
distingue  entre  l'hymne  et  le  chant  funèbre  :  Hymnus  est  canti- 
cum  laudantium...  cul  contrarias  est  threnus,  quod  est  lamenti 
Carmen  et  funeris  ^ . 

i.  ii3-4.  Migne,  LIX,  col.  884;  Dressel,  p.  63. 

2.  Punkorum  Lib.  III,  3/t6.  Voyez  aussi  le  récit  des  funérailles  de  Viriathe,  Appien, 
Iberica,  LXXII. 

3.  Cicéron,  De  Legibas  Lib.  II,  aS,  G5;  cf.  23,  ôg;  Fontes  juris  Romani  antiqui,  edidit 
C.  G.  Bruns,  edilin  sexta,  pp.  35-3-,  Friburgi  et  Lipsiae,  i883;  Girard,  p.  ig,  2'  édit. 

4.  Migne,  Patrologiae  cursus  latinae,  t.  LXXXll,  col.  120. 

5.  Idem,  col.  203. 


24o  BULLETIN    HISPANIQUE 

Le  threiius  est  défendu  par  le  troisième  Concile  de  Tolède  : 

Concillum  Tolelanum  III,  a.  D.  689.  —  Can.  XXII.  Religiosorum 
omniam  corpora,  qui  divina  vocatione  ab  hac  vita  recédant,  cum 
psalmis  tantummodo  et  psallentium  vocibus  debere  ad  sepulcra 
deferri  :  nam funèbre  carmen,  quod  vulgo  defunctis  cantari  solet,  vel 
peccatoribus  [pectoribus]  se  proximos  aut  familias  céder e  [caedere] 
omnino  prohibemus . . .  Sic  enim  Christianorum  per  omnem  mundum 
humari  oportet  corpora  defunctorum.  —  Labbe,  t.  V,  col.  2014. 

Le  Fuero  de  Vizcaya  ordonne  que  «  personne  ne  soit  assez 
hardi  pour  faire  aucune  lamentation,  déchirer  les  cheveux, 
égratigner  la  figure,  ni  frapper  la  tête,  ni  pousser  des  cris,  ni 
chanter,  ni  montrer  une  douleur  excessive,  sous  peine  d'une 
amende  de  1,000  maravédis  pour  chaque  personne,  et  pour 
chaque  fois  qu'elle  fait  le  contraire.  Et,  après  l'enterrement, 
que  nulle  femme  ne  fasse  dans  l'église  aucune  lamentation 
publique  pour  le  défunt  sous  peine  de  la  susdite  amende»'. 

Henao  dit  que  de  son  temps  les  lamentations  étaient  encore 
bruyantes.  «  Les  larmes,  les  soupirs,  les  gémissements,  les 
exclamations,  adressées  tantôt  au  défunt,  tantôt  à  soi-même, 
quelquefois  à  l'unisson,  tantôt  aiguës,  tantôt  graves,  font  une 
triste  harmonie.  »  Il  donne  comme  spécimen  de  ces  exclama- 
tions :  Ay  ene!  «  malheur  à  moi!  »  répété  dans  tous  les  tons, et 
les  chants  funèbres  que  les  Viscayans  appellent  Eresiac,  et  le 
cri  Arirrajo!  «  un  coup  à  ceci  !  »  en  nommant  la  figure,  l'épaule, 
la  poitrine,  ou  autre  partie  que  l'on  frappe;  et  quelquefois, 
frappant  la  veuve  sur  les  épaules  et  sur  le  dos  :  Galdu  ahiz  eia 
galadil  «  malheureuse,  tues  perdue,  afflige-toi ^ !  » 

Ces  coutumes  furent  prohibées  par  l'Église.  Le  Concile  de 
Tolède  de  i323  dit  : 

«  Quoiqu'il  soit  permis  de  pleurer  les  morts  par  un  mouve- 
ment de  piété  et  d'humanité,  nous  blâmons  néanmoins  l'excès 
de  la  douleur  qui  marque  que  l'on  désespère  de  la  résurrection 
future  ;  et  nous  réprouvons  absolument  l'abus  exécrable  qui 
fait  que,  quand  quelqu'un  vient  à  mourir,  on  voit  des  hommes 
et  des  femmes  marcher  par  les  rues  en  hurlant  et  en  faisant 

1    Fuero  de  Vizcaya,  Ley  VI,  lit.  35. 

2.  Averigmciones  de  las  Antigucdades  de  Cantabria,  t.  III,  pp.  46-5o,  notes. 


PRUDENCE    ET    LES    liASQLES  2^11 

des  cris  horribles  jusque  dans  les  églises,  et  commellaut 
d'autres  indécences  qui  approchent  des  rites  des  Gentils».  » 

Mais,  nonobstant  cette  défense,  l'usage  persistait.  Amador  de 
los  Rios  cite  la  Filosofia  Vulgar  de  Juan  de  Mal-Lara  parlant 
d'un  enterrement  en  i556  :  «  Après  eux  allaient  les  eiidechadoras 
(pleureuses)  chantant  sous  forme  de  romances  ce  qu'il  avait 
fait,  et  comment  il  est  mort.  L'Inquisition  dénonçait  tout  cela, 
comme  étant  affaire  de  païens  et  de  juifs,  et  sans  profit  pour 
l'âme;  quoique  sur  quelques  sarcophages  antiques  de  Sala- 
manque  et  d'ailleurs  on  puisse  voir  figurer  cette  procession  et 
les  endechadoras  en  marbre  2.  » 

Le  Père  Manuel  de  Larramendi,  S.  I.  (1690 -1766),  en  parle 
aussi  :  «  Pleurer,  gémir,  se  lamenter,  est  très  naturel  dans  ces 
circonstances,  et  l'usage  a  été  commun  partout.  Très  commun 
fut  aussi  l'emploi  ridicule  de  pleureuses  (planideras)  qui  se 
louaient  et  furent  payées  pour  pleurer  et  lamenter  à  grands 
cris  en  suivant  le  cortège.  Dans  les  fragments  des  lois  des 
Douze  Tables,  on  trouve  défendus  ces  cris  et  les  dépenses 
excessives  dans  les  funérailles  des  Romains.  Ce  qui  est  défendu 
aussi  dans  la  Recopilacion  liv.  I,  tit.  i,  loi  8,  faite  par  le  roi  don 
Juan  I",  à  Soria,  1080.  Il  y  avait  autrefois  en  Guipuzcoa  de  sem- 
blables pleureuses,  qui  s'appelaient  aldiaguilleac,  adiaguilleac  ; 
erostariac  en  Bizcaye.  Et  quoiqu'il  y  ait  longtemps  qu'on  ait 
abandonné  cette  coutume,  non  seulement  les  noms  basques  en 
sont  conservés,  mais  aussi  quelques  restes  de  cet  usage  :  car 
les  veuves  suivent  le  corps  de  leur  mari  non  seulement  pleu- 
rant à  chaudes  larmes,  mais  gémissant  et  parlant  à  haute  voix, 
proférant  tantôt  des  plaintes  sur  leur  malheur  et  sur  la  perte 
qu'elles  viennent  de  faire,  tantôt  des  lamentations  s,ur  leurs 
enfants  qui  demeurent  sans  secours  et  sans  subsistance,  tantôt 
elles  vantent  les  bonnes  qualités  du  défunt,  et  tout  cela  avec 
des  expressions  et  des  sentiments  si  vifs,  qu'ils  remplissent  de 
compassion  les  auditeurs  3.  » 

1.  Cf.  V Analyse  des  Conciles,  II,  p.  344. 

a.  Historia  crîlica  de  la  Literatura  Espanola,  par  D.  J.  Amador  de  Los  Rios;  tome  I, 
p.  453,  note,  Madrid,  i86i. 

3.  Corografia  de  la  Provincia  de  Guipuzcoa,  par  R.  P.  M.  de  Larramendi,  S.  J., 
p.  igi,  Barcelone,  1882,  et  3  vol.,  San  Sébastian,  1897. 


242  BULLETIN    HISPAMQUE 

Tout  cela  a  été  pratiqué  presque  de  nos  jours  dans  deux 
villages  de  la  vallée  d'Aspe,  Osse  et  Lescun,  limitrophes  du 
pays  basque.  On  y  appelait  ces  chants  funèbres  aurosis  (du 
basque  eroslari?).  J'ai  parlé  avec  des  personnes  qui  ont  connu 
la  dernière  de  ces  pleureuses,  Marie  la  Blanque  d'Osse.  Elle 
fut  improvisatrice  de  talent,  et  plusieurs  de  ses  bons  mots 
rythmés  étaient  répétés  au  village  il  y  a  trente  ans.  On  a 
renoncé  à  l'usage  des  aurosts  depuis  1860  environ,  en  grande 
partie  sous  l'influence  d'un  instituteur  protestant,  M.  Le  Bar- 
the.  Les  aurosts  donnaient  matière  à  de  grands  scandales. 
Quelques-uns  des  aurosts  de  Marie  la  Blanque  sont  imprimés 
dans  le  premier  volume  des  Poésies  béarnaises  k  Des  assistants 
qui  ont  entendu  celui  de  la  page  27^  m'ont  raconté  que 
Marie  fut  terrible  ce  jour-là.  Elle  ameutait  la  foule  contre  le 
veuf,  qu'elle  dénonçait  presque  comme  l'assassin  de  sa  femme. 
Mais  meilleur  comme  poésie  qu'aucun  des  aurosts  de  Marie  la 
Blanque  est  celui  de  M"'  Marie  Trouilh,  imprimé  par  M.  Pier- 
quin  de  Gembloux»  sous  le  nom  d'Une  fille  qui  venait  de  perdre 
sa  mère.  Il  commence  ainsi  : 

Noun  bestounetz  que  siey  tristo  hero 
Pusque  perdey  touto  ma  lumiero. 


Il  y  a  là  un  vrai  accent  de  douleur  et  d'amour  filial,  et  ce 
n'est  pas  un  morceau  banal  de  circonstance. 

Don  Luis  Montalto  nous  rapporte  que  l'usage  est  encore 
conservé  en  Extremadura  (Espagne)  :  «  On  me  dit,  mais  je 
n'ai  pas  pu  constater  le  fait  moi-même,  que  dans  plusieurs 
endroits  d'Extremadura  on  conserve  encore  la  coutume  païenne 
d'avoir  des  femmes  (lloronas)  qui  vont  aux  enterrements  verser 
des  larmes  que  la  famille  du  défunt  payes.  »  , 

Nous  pouvons  citer  aussi  les  coronachs  ou  caranachs  des  Gaels 
Écossais,  les  keen  d'Irlande  et  surtout  les  voceri  de  la  Corse  ^, 
comme  exemples  de  cet  usage  très  répandu. 

1.  Poésies  béarnaises,  par  E.  Vignancour,  2  vol.,  2'  édit.,  Pau,  1862. 

2.  Histoire  liUéraire  des  patois,  par  Pierquin  de  Gembloux,  p.  198,  Paris  et 
Berlin,  184 1. 

3.  Biblioleca  de  las  Tradiciones  populares  espafiolas,  tomo  I,  p.  96. 

4.  Les  chants  de  la  Mort  et  de  la  Vendetta  de  la  Corse,  par  J.-B.  Marcaggi,  Paris,  iSgS. 


PRUDENCE   ET    LES    IIASQL'ES  243 


Nous  trouvons  ainsi  parmi  les  Basques  espagnols  la  vieille 
coutume  dont  Homère,  Odyssée,  11,  96-100,  et  Virgile,  Enéide, 
IX,  486-g,  font  mention.  Une  mère  pour  ses  enfants,  une  fille 
pour  SCS  parents,  une  nouvelle  mariée  pour  son  mari  ou  pour 
elle-même,  file  et  tisse  chaque  année  un  morceau  du  drap  ou 
de  la  toile  mortuaire,  ou  du  linceul,  qu'on  appelle  en  basque 
Mezlidura  ou  Meztiliirai.  On  faisait  bénir  ces  draps  à  l'église 
le  jeudi  ou  vendredi  saint,  pour  les  associer  à  la  représenta- 
tion de  la  mort  et  au  suaire  du  Rédempteur.  Quelquefois  les 
nouvelles  mariées  mettaient  dans  la  grande  cheminée  leurs 
belles  robes  de  noces  pour  s'en  servir  toutes  sales  et  enfumées 
en  cas  où  elles  deviendraient  veuves,  car  ordinairement 
les  veuves  ne  portaient  que  des  vêtements  sales  et  enfumés  2. 


Honorer  les  sépultures,  les  tombeaux,  les  dernières  demeures 
des  morts,  est  un  usage  presque  universel.  Prudence  termine 
son  hymne  avec  ces  lignes  : 

Nos  tecta  fovebimus  ossa 
Violis  et  fronde  Jrequenti 
Titulamque  et  frigida  saxa 
Liquida  spargemus  odore. 

Les  voyageurs  dans  le  pays  basque,  au  commencement  du 
dernier  siècle,  font  mention  presque  tous  des  fleurs  dans  les 

I.  Henao  cite  quelques  strophes  d'un  poète  biscayen,  Martin  de  Amezaga,  noble 
et  de  date  assez  ancienne  (muy  noble  y  algo  antiguo),  qui  parle  de  ceci  : 
G  nobles  matronas,  o  Cantabras  taies 


Hilais  vuestra  tela,  un  tante  cada  ano 

Y  eslando    ya  hilada,  tejer  la  mandais, 

Y  para  mortaja  al  fin  la  guardais; 
Use  inaudito,  curioso  y  extrano. 


Que  para  libraros  del  Diablo  tacano 
Maldito  enemigo,  contrario  tan  fuerte 
Cada  aiio  niemoria  faceis  de  la  muerte 
Desviayos,  vivicndo,  de  todo  su  dano. 

Henao,  III,  5o,  note. 

2.  Idem,  m,  07. 


2Zi4  BULLETIN    HISPAMQUE 

cimetières  basques  :  «  Le  cimetière  foisonne  de  fleurs  et  de 
verdure.  C'est  un  jardin,  mais  un  peu  sauvage  et  silencieux, 
comme  on  voit  dans  les  rêves;  un  grand  tapis  de  velours 
brodé  de  glaïeuls  et  de  scabieuses,  troué  par  places,  usé  par  le 
temps  et  la  brûlure  des  étés,  et  qui  aurait  bien  envie  de  s'en 
aller  tomber  sur  la  grand'route  s'il  n'était  retenu  par  les 
longues  épingles  vertes,  les  ifs  et  les  cyprès  i.  » 

Mais  ceci  n'est  guère  que  le  vestige  d'une  bien  plus  grande 
vénération,  du  culte  des  sépultures.  Rozmital,  un  voyageur  alle- 
mand dans  les  provinces  basques  en  i/i65,  parle  des  «cierges 
allumés ,  des  prières  faites  devant  les  tombeaux  ornés  de  fleurs  »  ^ . 
Doiîa  Emilia  Pardo  Bazân  mentionne,  parmi  les  pratiques  exté- 
rieures dues  aux  morts,  a  orner  les  sépultures  de  fleurs  et 
d'autres  ornements,  mettre  cierges  et  autres  choses  aux 
sépultures  les  jours  des  saints  et  l'anniversaire  des  défunts. 
Quelques  personnes  y  tiennent  une  lampe  toujours  allumée  3.  » 

11  y  a  plusieurs  siècles  que  ces  pratiques  ont  été  condamnées 
par  l'Église. 

Concilium  Eliberitanum,  a.  D.  3o5.  —  Can.  XXXIV.  Ne  cerei 
IN  coEMETERus  iNCENDANTUR.  Ccreos  per  diem  plaçait  in  coemeie- 
rio  non  incendi  :  inqiiieicmdi  enim  sanctorum  spiritus  non  siint. 
Qui  haec  non  observaverint  arceantur  ab  ecclesiae  communione.  — 
Can.  XXXV.  Ne  faeminae  iix  coemeterus  pervigilent.  Plaçait 
prohiberi  ne  feminae  in  coemeteriis  pervigilent,  eo  qaod  saepe 
sub  obtenta  orationis  latenier  scelera  committant .  —  Labbe,  t.  1, 
col.  974. 

Concilium  Tuvonicum  II,  a.  D.  067. —  Can.[XXIlI].  Sunt  etiam 
qai  in  Jesiivitaie  cathedrae  Domini  Pétri  (Apostoli)  [cibos]  moriais 
ojferunt,  et  post  missas  redeuntes  ad  domos  proprias  ad  gentiliam 
revertantur  errores,  et  post  corpus  domini  sacratas  daemoni  escas 
accipiant  :  contestamur  illam  sollicitudinem  tam  pastores  qaam 
presbyteros  gerere,  ut  quemcamqae  in  hac  fatuitcUe  persistere 
viderint,  vel  ad  nescio  quas  petras  aut  arbores  ^,  aat  ad  fontes, 

I.  Henri  O'Shea,  La  Tombe  basque,  p.  2,  Pau,  1889. 

a.   Viajes  de  Extrangeros  par  Espana  en  el  siglo  xr,  par  J.  I.   Riano,  Madrid,  1879. 
3.  E.  Pardo  Bazân,  Folk-lore  yallego,  Biblioteca  de  las  Tradiciones  populares  espa- 
holas,  tomo  IV,  p.  82. 

i.  Voyez  pour  exemple,   dans  l'actuel  pays   basque,  Recherches  historiques  sur  le 


PRUDENCE    ET    LES    UASQLES  345 

designata  loca  gentillum,  perpetrare  quae  ad  ecclesiae  ralionem 
non  pertinent,  eos  ab  ecclesia  sancta  aiictoritate  repellani  nec 
participare  sancto  allario  permutant  qui  gentilium  observationes 
ciistodiunt.  —  Sirmond,  I,  p.  34 1  ;  Maassen,  p.  i33. 

Conciliiim  Braccarense  II,  a.  D.  572,  —  Can.  LXIX.  l\on  liceat 
Christianis  prandia  ad  defunctorani  sepulchra  déferre  et  sacrificia 
reddere  mortuorum  deo.  —  Labbe,  t.  V,  col.  914. 

Larramendi  parle  beaucoup  des  offrandes  de  cire  et  de 
pain  faites  au  clergé  par  les  femmes  de  Guipuzcoa,  non  seule- 
ment aux  funérailles,  mais  au  septième,  au  neuvième,  au 
trentième  jour  après,  et  aussi  au  premier  et  au  deuxième  anni- 
versaire. Ces  offrandes  étaient  faites  d'abord  à  la  tombe  même  : 
«  Pendant  le  Nocturne  et  avant  la  messe,  elles  apportent  à  la 
tombe  ou  à  la  sépulture  l'offrande  de  pain  et  de  cire,  les  petits 
cierges  allumés  mis  sur  le  pain,  les  flambeaux  et  les  torches 
sur  de  grands  bougeoirs  bas  autour  de  la  tombe...  Au  com- 
mencement de  l'épître,  elles  portent  le  pain  et  la  cire  dans 
l'église,  et  se  rangent  dans  l'église  pendant  la  lecture  de 
l'Évangile,  chacune  avec  son  pain  et  son  cierge  à  la  main. 
A  l'offertoire,  le  curé  monte  en  chaire  et  dit  les  noms  des 
défunts  à  l'intention  desquels  l'office  est  dit,  et  toute  l'assistance 
récite  un  Pater  et  un  Ave  à  leur  intention  '.  » 

Cette  ancienne  coutume  (costumbre  antigaa)  avait  une  grande 
valeur  pour  le  clergé.  «  Ce  serait  chose  incroyable,  »  dit  Larra- 
mendi, «  si  on  ne  le  voyait  pas,  que  la  quantité  de  pain  et  de 
cire  qu'on  ofl're,  et  ordinairement  cela  fait  la  portion  congrue, 
ou  la  plus  grande  partie  des  bénéfices  que  les  patrons  donnent 
aux  curés,  et  ils  pensent  ainsi  s'acquitter  de  leurs  obligations 
et  satisfaire  à  leurs  consciences  par  la  piété  des  autres,  mais  ils 
se  trompent  misérablement.  Dans  quelques  endroits,  on  amène 
à  la  porte  de  l'église  un  bœuf  ou  un  mouton  dont  on  fait 
l'offrande,  on  le  tue  après,  et  on  en  donne  la  valeur  en  argent 
au  cupé.  Dans  plusieurs  localités,  on  porte  à  l'église  du  pain  et 
de  la  cire  tous  les  jours,  pendant  deux  ans,  selon  la  fortune 

pays  basque,  par  M.  l'abbé  P.  Harisloy,  t.  I,  p.  52-53,  noie,   a  vol.,  Pau  cl  Bayonne, 
i883.  Je  pourrais  y  ajouter  d'autres  exemples  de  ma  propre  connaissance. 
I.  Larramendi,  Corograjia  de  Guipuzcoa,  p.  191 -3. 

Bull.  Idspan.  •" 


2^6  BULLETIN    HISPAMQUL 

de  la  famille,  et  selon  la  coutume  i.  »  «  Si  grande  est  la  piété 
envers  les  morts  en  Guipuzcoa  que  les  pauvres  mêmes  auraient 
honte  de  ne  pas  faire  ces  honneurs  2,  » 

Don  Pablo  de  Gorosabel  écrit  longuement  sur  ces  offrandes 
aux  enterrements  et  aux  funérailles.  Il  y  avait  non  seulement 
la  coutume  d'offrir  du  pain  et  de  la  cire,  mais,  dans  quelques 
endroits,  les  familles  plus  riches  amenaient  une  paire  de  bœufs, 
ou  un  bœuf  seul,  ou  un  mouton,  à  la  porte  de  l'église.  On  les 
ramenait  en  en  payant  la  valeur  comme  rançon.  Quelquefois 
les  animaux  étaient  tués  et  servaient  au  repas  funéraire.  Par 
exemple,  en  1787,  aux  funérailles  du  curé  d'Aiznarnazabal,  on 
présenta  à  la  porte  de  l'église  un  bœuf  avec  deux  pains  de 
quatre  livres  aux  cornes.  En  179G,  le  chapitre  de  Berastegui  exi- 
geait l'offrande  d'un  mouton  des  propriétaires,  et  de  deux  poules 
des  laboureurs  ;  mais  déjà  la  municipalité  s'opposait  à  une  telle 
exigence.  Les  Juntas  de  Zumaya  de  1766  avaient  essayé  de  res- 
treindre et  ces  dépenses  et  les  excès  qui  s'ensuivaient.  Il  y  avait 
grands  débats  entre  les  Juiilas  de  Guipuzcoa  et  les  évoques  de 
Pamplona  et  de  Calahorra  au  sujet  de  ces  offrandes.  Enfin,  en 
1771,  on  tomba  d'accord.  L'offrande  d'une  paire  de  bœufs  que 
l'on  traînait  à  la  porte  de  l'église  fut  défendue  comme  indécente. 
«Mais,  nonobstant,  considérant  le  peu  de  valeur  des  bénéfices, 
on  permettait,  dans  ce  cas,  au  clergé  de  recevoir  dix  huit 
ducats  comme  rançon  des  bœufs,  aussi  bien  que  les  offrandes 
de  pain,  de  vin  et  de  cire.  L'abus  de  proclamer  en  chaire  les 
noms  de  ceux  qui  font  les  offrandes  afin  d'exciter  l'émulation 
des  autres  est  défendu  3.  »  Le  clergé  opposa  bien  des  difficultés 
à  l'exécution  de  ce  décret.  D'autres  ordonnances  de  1774  et  de 
1783  limitèrent  encore  les  offrandes  au  clergé  aux  neuvaines 


I.  Idem,  p.  if)3-/|.  Grégoire  de  Tours  (ô/ii-ôgS)  raconte  l'histoire  d'une  veuve  qui 
fit  une  offrande  de  vin  (sexlarium  Gazeli  vini)  a  la  messe  tous  les  jours,  pendant 
toute  une  année,  à  l'intention  de  son  mari  défunt,  et  d'un  miracle  qui  lui  arriva 
ensuite.  De  Gloria  Martyriiin  et  Confcssorum,  III,  65  (6/i,  p.  786,  édit.  Kruscli).  _ 

3.  Larramendi,  idem,  pp.  igS,  194. 

3.  iXoticias  de  las  cosas  mémorables  de  Guipii:coa,  par  D.  Pablo  de  Gorosabel,  t.  IV, 
Lib.  VIII,  cap.  iv,  seccion  h,  (J  vol.,  Tolosa,  igoo. 

Henri  O'Slica,  La  Tombe  basque,  p.  i5-i6.  Une  noie  à  la  Liturgie  mozarabe  dit: 
MissA.  DEFU.NCTORUM  :  AUquaiulo  nomiita  ojfcrenlium  et  quae  et  quantum  quisque  obtulerat, 
recitabantur ,  cum  praeter  panem  et  vinum,  in  usum  sacrificii,  res  alias,  peciiniam  puta 
offerrent,  aat  vcstem.  Migno,  Palrologiae  cursus,  t.  LXXW,  col.  laoi,  note  b. 


l'KUDK.NCI:    ET    LES    BASQLES  2^' 

et  aux  anniversaires.  Les  Juidas  de  Mondragon,  en  1788,  et  une 
ordonnance  royale  de  1790  suivirent  dans  le  même  sens. 
Mais  ce  ne  fut  qu'après  une  censure  sévère  infligée  au  chapitre 
d'Azcoitia,  en  1829,  et  un  ordre  royal  de  i83o,  que  les  querelles 
entre  le  clergé  et  les  familles  des  défunts  prirent  fin.  Tout 
cela  était,  évidemment,  la  longue  agonie  des  coutumes  tradi- 
tionnelles qui  avaient  leurs  sources  dans  le  paganisme,  mais 
qui  n'avaient  aucun  rapport  avec  les  droits  légitimes  du  clergé. 


* 
*  • 


Aspersaque  myrrha  sabaeo 
Corpus  medicamine  serval^. 

Titalumqne  et  frigida  saxa 
Liquida  spargemus  odore^.^ 


De  cette  habitude  d'embaumer  le  corps  avec  des  onguents  et 
d'asperger  la  tombe  avec  des  parfums,  je  ne  trouve  pas  trace 
chez  les  Basques,  mais  elle  est  déjà  mentionnée  par  Tertullicn 
au  11%  et  par  Minucius  Félix  au  ni''  siècle 3. 


Il  y  a  une. autre  habitude  qui  a  persisté  dans  le  pays  basque 
jusqu'à  nos  jours,  et  dont  j'ai  été  moi-même  plus  d'une  fois  le 
témoin  :  c'est  celle  d'allumer  presque  tout  de  suite  après  un 
décès  un  feu  au  carrefour  le  plus  proche  de  la  maison  du  défunt. 
Chaque  passant  doit  réciter  un  pater  et  jeter  une  pierre  à  côté 


1.  Circa  exequias,  lignes  5i,  62. 

2.  Idem,  dernières  lignes. 

3.  Thura  plane  non  emlmus.  Si  Arabiae  querantur,  sciant  Sabaei,  pluris  et  carinris 
suas  mcrccs  christianis  sepclicndis  projligari,  quam  diis  fumigandis.  Tertullicn,  Apologe- 
ticus,  cap.  XLII. 

Xon  Jloribus  caput  neclitis,  non  corpus  odoribus  honeslatis  ;  reservatis  unguenta 
funeribus  ;  coronas  etiain  sepulcris  denegatis,  pallidi,  trepidi,  misericordia  digni  sed 
nostrorum  deorum.  lia  ncc  rcstirgitis  miscri,  nec  intérim  vivitis. 

.\ec  mortuos  coronamus.  Ego  vos  in  hoc  magis  miror,  quemadmodum  tribuatis  exanimi, 
aut  sentienti[jam  p]acem,  aut  non  sentienti  coronam  :  cum  et  beatus  non  egeat,  el  miser  non 
gaudeat  Jloribus.  At  enim  nos  exscquias  adornamus  eadem  (ranquillitale  qua  vivimus,  nec 
adnectimus  arescentem  coronam,  sed  a  Deo  aeternis  Jloribus  vividam  sustincmus...  Sic  et 
bcati  resurgimus,  et  futuri  contcmplatione  jani  vivimus. 

}l.  Minucii  Fclicis  Octaviun,  Ml  el  WXVllI,  éil.  Ba^irens,  Teubncr,  iSSC. 


2^8  BULLETIN    HISPANIQUE 

du  chemin.  Quelquefois  on  y  brûle  la  paillasse  du  mort.  Je  ne 
trouve  aucune  allusion  à  celte  coutume  chez  Prudence.  La 
première  fois  que  je  l'ai  vue  et  que  j'ai  demandé  pourquoi  on 
allumait  le  feu,  les  bonnes  gens  me  disaient  :  «  C'est  pour  prier. 
Est-ce  qu'on  ne  fait  pas  cela  partout?»  Brûler  la  paillasse 
pouvait  tirer  son  origine  d'un  temps  de  pestilence  ou  de 
maladie  infectieuse.  On  devait  la  brûler  au  carrefour  parce  que 
là  il  y  avait  plus  de  passants  pour  prier  pour  le  mort. 


Prudence  a  un  très  long  Hymnus  atite  cihum  et  un  autre  pas 
beaucoup  plus  court  Hymnus  post  cihum  (Cathemerinon,  III,  IV). 
Je  ne  sais  si  ce  n'est  pas  de  ces  deux  hymnes  que  le  Concile 
de  Braga  veut  parler  : 

Conciliam  Bracarense  II,  a.  D.  572. —  Can.  LXV.  Non  oporlet 
clericos  vel  laicos  religiosos  ante  sacram  horam  diei  tertiam  inire 
convivia,  neque  aliquando  clericos  nisi  dicta  hymno  edere  panem, 
et  post  cibos  grattas  auctori  Deo  déferre.  —  Labbe,  t.  V,  col.  912. 

Cette  pratique  de  chanter  ou  de  réciter  un  hymne  fut  con- 
servée parmi  les  Basques  Espagnols  presque  jusqu'à  nos  jours, 
surtout  au  repas  du  soir. 


Tout  ce  que  j'ai  écrit  ci-dessus  n'a,  je  le  reconnais,  qu'assez 

peu  de  valeur  comme  commentaire  à  Prudence.  Mais  il  nous 

montre  combien  il  est  difficile  de  déraciner  les  usages  et  les 

coutumes   d'un  peuple,  surtout  lorsqu'ils  sont  associés  à  des 

observances  rituelles'. 

Wentworth  WEBSTER. 


I.  [C'est  une  rare  fortune  pour  le  Bulletin  Hispanique  de  pouvoir  publier  ce  mé- 
moire  du  doyen  des  études  basques,  l'auteur  des  Loisirs  d'un  Étranger  au  Pays  Basque 
(1901),  inter  Britannos,  disait  Hûbner  (Monumenta  linguae  ibericae,  1898,  p.  LXXXV; 
cf.  n.  io3  et  p.  XXVIII),  nunc  linguae  Vasconicae  indagator  nisi  fallor  unicus.  Nous  le 
remercions  d'avoir,  en. faveur  du  Bulletin,  fait  une  infidélité  à  The  Academy.       C.  J.] 


COlillESPONDENCIA  DEL  CONDE  DE  LEMOS 

CON  DON  FRANCISCO  DE  CASTRO.  SU  HERMANO 
Y  CON  EL  PRINCIPE  DE  ESQUILACHE 

(i6i3-i62o) 


La  biografia  del  conde  de  Lemos,  D.  Pedro  Fcrnandez  de  Castro, 
ofreceria  excepcional  interés  si  abundasen  los  documentos  en 
que  apareciera  a  toda  luz  el  protector  de  Cervantes,  el  literato  y  el 
hombre  de  corte  y  de  gobierno.  Pero  de  lo  primero  se  sabe 
muy  poco  ;  se  ha  perdido  la  ùnica  comedia  que  parece  haber 
escrito  y  solo  se  conservan  de  su  pluma  dos  redondillas,  dos 
carias  de  1620  y  1621  y  la  descripcion  titulada  Gobernaciôn  de 
los  Quixos,  no  ha  mucho  impresa;  tampoco  se  han  quilatado 
bastante  sus  méritos  en  la  presidencia  del  Consejo  de  Indias  y 
en  el  Yirreinato  de  Napoles.  Por  eso  creo  que  merecen  la  publi 
cidad  las  ocho  cartas  que  siguen  en  que,  a  excepcion  del  pri- 
mer aspecto,  pueden  recogerse  algunas  noticias  curiosas  del 
Conde  respecto  de  los  otros,  ademas  de  aumentarse  con  una 
composiciôn  poética,  y  varias  cartas  escritas  con  ingenioso 
desenfado,  las  escasas  producciones  suyas  que  ha  respetado  el 
liempo. 

Basta  la  alusion  que  hace  en  su  carta  al  de  Esquilachei,  de 
i4  de  marzo  de  16 19,  respecto  a  sus  disposiciones  en  su  Pre- 
sidencia de  Indias  contra  la  tiranîa  y  avaricia  de  los  encomen- 
deros  y  en  defensa  de  los  indios,  para  presentarnosle  bajo  un 
aspecto  simpâtico;  y  lo  mismo  se  diga  del  de  Esquilache 
cuando  valientemente  proclama  desde  su  virreinato  del  Peni 
que  no  hay  espanol  que  nataralmente  no  sea  verdugo  de.  los  indios 
con  prétexta  de  piedad  y  buen  gobierno. 

Es  bastante  conocido  el  favor  que  disfruto  el  Conde  en  la 
corte  durante  la  privanza  de  su  suegro  el  duque  de  Lerma,  y 

1.  D.  Francisco  de  Borja  y  Aragon,  nieto  de  S.  Francisco  de  Borja,  casô  con  D*  Ana 
de  Borja,  princesa  de  Esquilache.  Naciô  hacia  i58i  y  muriô  en  i658.  Desde  i6ii 
hasta  iGîi,  dcscmpefiô  el  cargo  de  virrey  del  Perii.  Sus  obras  poélicas  se  imprimi- 
ron  en  Madrid  en  iGSg. 


aoo  BULLETIN    HISl'AMQLi; 

cômo  y  por  que  causas  le  perdio  para  siempre  al  arrancârselo 
el  de  Uceda  a  su  padre;  pero  no  déjà  de  ser  interesante  oir  los 
juicios  del  mismo  Conde  sobre  su  desgracia,  expresados  con 
especial  gracejo  desde  su  retiro  de  Monforte  y  la  idilica  des- 
cripcion  que  en  sus  cartas  hace  de  la  vida  de  aldea. 

En  cuanto  a  asuntos  literarios,  desde  las  primeras  cartas  a 
su  hermano'  escritas  en  Nâpoles  el  ano  de  i6i3,  tenemos  ya  la 
noticia  de  que  en  aquella  fecha  estaba  terminada  la  primera 
Jornada  de  su  comedia,  probablemente  la  titulada  la  Casa  con- 
fasa,  que  no  se  représenté  hasta  el  i6  de  octubre  de  i6i8en  las 
fiestas  de  la  consagraciôn  de  la  colegial  de  Lerma,  en  presencia 
de  toda  la  Corte.  Con  satisfaccion  ingénua,  pero  con  cierto 
humorismo,  habla  de  ella  el  Conde  en  sus  cartas;  envîala  a  la 
censura  de  su  hermano;  se  alegra  de  que  esta  sea  ligera^  y 
piensa  en  representarla  en  Gaeta.  Hasta  el  aûo  1619  no  volve- 
mosâ  saber  de  la  comedia.  Es  el  de  Esquilache  quien  califica  el 
prologo  de  excelenle  y  desea  que  el  Conde  se  la  envie  intégra. 
A  su  vez  le  habla  de  su  poema  del  rey  Don  Alonso'^  que  llegaba 
al  canto  VIII  y  esperaba  concluir  en  1620. 

En  el  anterior,  el  de  Lemos  envia  a  su  primo  una  composi- 
cion  poética  en  diez  décimas,  glosa  de  una  escrita  por  el  Prin- 
cipe (Felipe  IV)  a  los  i4  anos.  Llevaba  mas  de  très  de  despo- 
sado  y  todavia  la  Princesa  no  se  dejaba  besar!  Nada  mas 
natural  que  el  que,  haciéndosele  tarde  para  prendre  un  petit  pain 
sur  la  Journée ,  como  dicen  nuestros  vecinos,  desahogase  en  una 
décima  el  fuego  infernal  que  le  devoraba  y  que  solo  podia  sufrir 
por  ser  nino.  Malita  es  la  décima  de  Su  Alteza.  El  Conde,  a  fuer 
de  fino  cortesano,  la  encuentra  excelente,  sobre  todo  para 
conocer  el  esplritu  y  gentil  naturaleza  del  principe,  y  a  fé  que  en 
esto  ùltimo  ténia  razon.  Ya  apuntaba  en  la  décima  la  gentil 
naturaleza  del  rey  galanteador.  En  la  glosa,  y  a  pesar  de  lo 
antipâticos  que  boy  nos   son  estos  juegos    malabares  de   la 

1.  D.  Francisco  de  Castro,  duque  de  Taurisano  por  su  enlace  con  Senora  italiana, 
fué  virrey  de  Sicilia;  heredô  la  casa  al  morir  su  hermano  D.  Pedro,  y  entré  luego  en 
la  religion  con  el  nombre  de  Fr.  Agustin  de  Castro.  Gompuso  algunas  poesi'as  de 
estilo  gongorino. 

2.  Se  trata  del  co.nocido  poema  herôico  :  IVdpoles  recupcrada  por  el  rey  Don  Alonso, 
que  no  se  imprimiô  hasta  i65i,  en  Zaragoza.  Entre  las]  aprobaciones  Ueva  la  de 
Fr.  Agustin  de  Castro,  hermano  del  conde. 


CORRESPONDENCIV  DEL  CONDE  DE  LEMOS  2.)l 

poesîa,  hay  que  reconocer  que  el  Condc  extremo  su  facilidad 
versificadora  y  el  emplco  de  los  discreteos  amorosos. 

Para  el  ano  de  1620  aiiuncia  el  Coude  al  de  Esquilache  el 
envio  de  la  comedia.  No  sabemos  si  llego  a  hacerlo,  porque  en 
abril  aun  la  esperaba  aquel  Principe.  Daba  noticia  al  Conde  del 
poema  de  Inigo  Arisla  que  cslaba  escribiendo  Barlolomé  Leo- 
nardo  de  Argensola,  y  ademàs  la  de  encontrarse  en  aquel  reino 
del  Perù  un  actor  sevillano,  Juan  Crisostomo,  extremado  en  la 
representacion  de  varios  papeles. 

Los  demas  asunlos  tratados  pertenecen  al  orden  polîtico,  eco- 
noniico  y  familiar. 

Puesto  que  en  esta  correspondencia  se  trala  con  alguna 
extension  de  la  caîda  del  Conde,  no  sera  inoportuno  extractar 
aquî  alg-unas  noticias  acerca  de  su  conducta  en  el  Gobierno  de 
Napoles.  Ella  fué  tal  que  el  Consejo  de  Italia,  en  varias  consul- 
tas al  Rey,  de  los  anos  161G  y  1G171  pedîa  una  recompensa 
para  el  Conde,  y  S.  M.  escribia  al  margen  de  su  mano:  «  Esto 
viene  bien  con  lo  que  esta  tan  conocido  en  el  zelo  que  el  conde 
tiene  a  mi  servicio  ».  —  «  He  holgado  de  ver  esto,  y  el  cuidado 
y  celo  que  el  conde  tiene  de  mi  servicio  se  vee  bien  por  esia 
relacion  ».  Estos  servicios  consistieron  en  que  hallandose  a  su 
entrada  en  el  Gobierno  con  una  deuda  de  10,2 iG, 3^9  ducados 
por  los  que  pagaba  cerca  de  800,000  de  réditos  annales,  y  un 
déficit  annal  en  las  rentas  de  262,337  ducados,  supo  hallar 
medios,  sin  aumentar  las  gabelas,  para  pagar  todo  lo  atra- 
sado  y  dejar  a  la  ciudad  una  renta  de  mas  de  200,000  duca- 
dos, después  de  sanear  la  tierra  con  la  rccogida  de  aguas  que 
utilizo  en  moliendas,  con  un  producto  de  5o,ooo  ducados, 
valiéndose  del  célèbre  arquitecto  Fontana  para  obras  como  la 
citada  y  otras  urbanas  que  no  repilo  por  sabidas. 

La  venta  de  las  tratas,  que  subi<')  a  78,000  ducados  desde 
53,000  que  valîan,  era  utilizada  por  sus  antecesores  para  pagar 
criados  y  dependientes,  ahorrândose  salarios.  El  de  Lemos  los 
pago  de  su  bolsillo,  contrayendo  asi  taies  deudas  que,  segûn 
dice  el  Consejo,  «  si  S.  M.  no  le  secorriera  con  200,000  ducados 

1.  Llevan  la  firma  de  Jvian  Lopez  de  Zaratc  v  existeri  en  cl  archivo  de  la  C.asd.  de 
Alba. 


252  BULLETIN    HISPANIQUE 

de  merced,  hubiera  ido  a  j\âpoles  a  reparar  la  hacienda  del  Rey 

y  a  dar  consigo  en  una  carcel».  Recogio   en  libres  ordena- 

damente    la    multitud  de    leyes,   pragmâticas  y  ordenes    que 

andaban  perdidas  y,   por  tanto,   sin   cumplimiento  desde    el 

virreinato  del  duque  de  Alcalâ;  reorganizo  la  decaida  Univer- 

sidad;  formo  libro  mayor  para  renias;  separo  los  ingresos  de 

los  gastos  que  andaban  confundidos  ;  pago  mas  de  très  millones 

de  deudas  de  levas  y  sostenimiento  de  tropas  en  numéro  de 

12,000   infantes  napolitanos,  3, 000  espanoles  y  600  caballos, 

ademâs  de  las  galeras  del  genovesado  y  los  castillos,   y  dejo  a 

su  sucesor  el  duque  de  Osuna  200,000  dUcados  para  los  pri- 

meros  gastos  de  su  gobierno.  A  pesar  de  ésto,  en  los  6  anos  de 

su  gobierno  no  enajeno  un  solo  real,  cuando  hubo  virrey  que 

vendio  nueve  millones  de  ducados  de  capital. 

Gonsistio  el  premio  en  concéder  al  Gonde  à  su  regreso  la 

Presidencia  del  Gonsejo  de  Italia  y  el  cargo  de  gentilhombre 

del  principe  don  Felipe.  Pero  a  los  dos  anos,  la  intrigapalaciega 

del  duque  de  Lceda  privé  al  Gonde  de  sus  empleos,  que  no  le 

devolvio  tampoco  el  Iriunfo  del  de  Olivares.  Asî  se  probo  una 

vez  mas  que  no  son  la  feliz  gestion  financiera  ni  la  elocuencia 

de  los  numéros  las  que  conquistan  la  simpatîa  de  los  palacios, 

donde    suelen   lograrla   con    mas   frecuencia   las   galas  de  la 

retorica  6  los  marciales  intentos. 

A.  PAZ  Y  MÉLIA. 


Pàrrafo  de  carta  autôgrafa  del  conde  de  Lemos 
à  su  hermano  D.  Francisco. 

...  Entretanto,  y  con  harta  envidia  de  la  jornada  de  Loreto,  la 
primera  de  mi  comedia  ([0  lindo  relative!)  se  queda  ya  sacando  en 
limpio  y  no  me  desagrada.  Luego  va. 

Guardeos  Dios  como  deseo.  Amen. 

Nâpoles,  23  de  abril  i6i3. 

Del  mismo  al  mismo. 

Hermano  y  amigo  mio  :  como  vereis  por  las  cartas  de  nuestra 
madré,  quedamos  buenos,  y  de  camino  para  nuestra  Senora  de  Loreto. 
Sera  de  gusto  la  jornadilla,  y  bien  se  yo  quien  me  tendra  harta 
envidia,  porque  pienso  llevar  conmigo  los   foliones,  hoc  est,   obispo 


CORBESPONDENCIA  DEL  CONDE  DE  LEMOS  203 

de  Gaeta,  D.  Ilernando  de  Andrada  y  el  consejero  Salinas,  pues  no 
lo  digo  de  hurlas,  que  todos  eslos  dias  no  hago  sino  yr  y  venir  sobre 
lo  que  se  an  de  liolgar,  y  por  lo  mcnos  los  acompailaré  en  espîrilu, 
y  les  quiero  embiar  la  primera  jornada  de  mi  comedia  que  ya  se 
queda  sacando  en  linipio  con  clertas  adiciones  al  ïoslado  que  clari- 
fican  la  inlcligencia,  edifican  al  auditorio,  amplifican  el  argumcnlo, 
vivifican  la  fabula  y  modifican  la  redundancia  herôica  de  mi  mussa. 
Por  lo  menos  llegara  esta  obrilla  â  tiempo  que  os  pueda  boluer 
acompanando,  que  ya  el  espiritu  estara  frio,  6  por  lo  menos  satisfecho, 
y  hallarân  mas  libre  el  apetilo  estas  penpinelas  de  la  conversacion  ». 

De  Nâpoles,  ai  de  abril  i6i3. 

Del  mismo  al  mismo. 

Hermano  y  amigo  mio  :  ay  va  la  primera  jornada  de  mi  comedia. 
Buclua  la  censura  con  brcuedad  y  una  relacion  copiosa  del  viaje 
peccador  y  santo,  sin  que  se  os  quede  en  el  tintero  matraca  ni  apodo, 
dé  donde  diere. 

(Al  rnargen.)  No  va  ahora  esta  primera  parte  de  la  comedia  porque 
la  quedo  poniendo  ciertas  anotaciones  para  su  inteligencia. 

Dize  la  historia  que  no  iba  yo  muy  fuera  de  camino  quando  me 
recataba  de  permitir  que  el  duque  de  Nochera  se  quedase  en  Nochera 
por  3o  dias,  pues  aora  prétende  que  no  ha  de  pasar  de  alli  su  exilio; 
y  fùndase  en  que  la  orden  dice  que  se  vaya  â  sus  tierras.  Nochera  es 
su  tierra,  ergo...  Argumentor  sic  : 

D.  Francisco  de  (sic)  me  pidio  por  segunda  gracia  que  se  quedase 
en  Nochera  3o  dias.  Ergo  aquella  palabra  sus  tierras  inteligistis  del 
Estado  que  tiene  en  Calabria.  Replica  que  ni  el  Senor  Don  Francisco 
ni  Carlos  Caracholo  le  dixeron  tal,  y  que  él  quiere  estar  a  los  términos 
de  la  orden.  Sea  lo  que  fuere,  que  él  es  un  gran  tacano,  porque  no 
puedc  tener  ignorancia  desta  verdad.  Todavia  os  suplico  me  digais 
en  que  forma  se  la  notificastes  y  quien  fué  el  truxaman  entre  él  y  vos. 

De  Espana  no  escriben  cosa  de  importancia  fuera  de  la  muerte  del 
condestable  y  duque  de  Alburquerque,  si  bien  colijo  de  una  carta 
de  mi  suegro  que  andaba  ya  de  parto  la  publicacion  de  mi  presiden- 
cia.  Deseo  saber  que  os  escribe  mi  madré  en  vuestras  cosas,  y  con 
tanto,  se  acabô  esta  carta. 

El  dinero  para  el  conde  TircSn  se  enviarâ  luego,  luego,  luego,  luego, 
lucgo.  Guardeos  Dios  como  deseo. 
De  Nâpoles,  2  de  mayo  iGi3. 

Herm"  vuestro  y  amigo  a. 

I.  Sigue  olro  pârrafo   poco   interesante  sobre   asuntos  familiares  y  lo  mismo  la 
postdata  autôgrafa. 
3.   Firma  autôgrafa. 


25/4  BULLETIN    HISPANIQUE 

Del  mismo  al  mismo. 

Hermano  y  amigo  mio  :  este  correo  va  en  alcance  de  la  estafeta, 
y  si  os  pareciere  â  propôsito  el  despacho  que  lleva  para  Milan,  y  que 
importa  que  aguije  mâs,  poneide  fuego  a  la  cola  y  pase  adelante. 
Si  estuviéredes  de  otro  parecer,  detened  las  cartas  y  avisadme  luego. 
Esto  es  cuanto  â  esto. 

El  P'  Inigo  de  Guevara  pienso  que  se  partie  esta  tarde,  y  como  su 
paternidad  no  vuelva  â  Nâpoles,  no  va  mal  despachado,  y  suplicoos 
que  como  os  acordais  de  la  princesa  de  la  Rocca,  os  acordeis  de  mi, 
para  no  pedirme  que  yo  faite  al  servicio  del  Rey  ni  â  la  autoridad 
de  mi  persona.  Este  es  un  religioso  inicuo,  y  yo  no  le  destierro 
de  Nâpoles  porque  tema  que  pueda  clavarme  el  Parlamento,  que  puede 
muy  poco  y  sabe  menos  su  paternidad  para  hacerse  tanto  caso  de  sus 
diligencias.  Mi  intencion  es  castigar  el  término  que  ha  tenido  y  escar- 
mentar  â  los  demas.  Esto  se  consigne  bastantemente  con  irse  â  holgar 
â  Roma,  y  ansi  podrâ  estarse  por  alla  y  pillar  aspaso.  Vos  le  habeis 
hecho  harto  buena  obra,  porque él  salierade  aqui  afrentosamcnte,  â  no 
haberos  resuelto  de  llamarle,  presupuesto  lo  cual,  digo  que  os  quiteis 
la  mascara  y  le  hableis  pan  por  pan  y  vino  por  vino. 

D.  Alvaro  de  Ribadeneyra  esta  muy  contento  y  la  condesa  y  yo  lo 
quedamos  de  haberos  acertado  â  servir. 

Ahi  va  la  primera  jornada  de  mi  comedia,  venga  luego  la  censura. 

Los  cosas  de  Espana  me  tienen  ahora  con  mas  gusto  y  esperanza 
quenunca,  porque  siempre  que  aquel  hombre  dice  tantas  pesadumbres 
y  necedades,  lo  paga  despues  â  muy  buen  precio,  y  asi  no  se  me  caya 
nadie  de  animo,  que  el  negocio  va  caminando  muy  bien,  y  cuanto 
vuelve  atrâs  sirve  de  tomar  carrendilla  para  dar  mejor  el  salto. 
No  direis  que  es  mala  la  comparacion;  ahi  os  vuelvo  vuestras  cartas, 
y  las  que  pedis  de  acâ  tomô  â  su  cargo  lo  condesa  el  enviaroslas. 

La  vuelta  de  Loreto  con  brevitatis  causa  relincho,  sea  norabuena, 
presupuesto  pero  que  no  os  aya  desoUado  el  rabo  la  posta. 

Decisme  en  una  carta  vuestra  que  os  hable  un  poco  â  propôsito  del 
medio  que  propone  el  principe  de  Asculi,  y  este  papel  no  vino  acâ.  Con 
tanto,  paso  de  largo  â  la  carta  del  Présidente  interin,  terin,  terin,  terirrin 
y  terintinterrin  ;  ;  Que  profundo  mentecato  !  Sed  de  bis  actenus.  El  correo 
que  despaché  â  Espana  fué  â  pedir  orden  de  lo  que  habia  de  hacer 
en  estas  cosas  de  Milan,  pero  dejândome  el  arbitrio  libre  para  en  caso 
que  la  necesidad  apretase,  y  como  no  pensé  hallaros  en  Roma,  metî  las 
carias  todas  en  el  pliego  del  Rey.  La  copia  de  cuva  carta  va  con  esta  '. 

Guardeos  Dios  como  deseo. 
De  Nâpoles,  8  de  Mayo  i6i3. 

yiro  jjo  y  amigo. 

i.  Sigiicn  dos  pârrafos,  hoy  de  escaso  intercs. 


COURESl'ONDENCIA    DEI.    COM)E    DE    LEMOS  20 J 

Del  mismo  al  mismo 

Hermano  y  amigo  mio;  viva  la  gala  de  la  Inoxosa  y  el  principe  de 
Asculi,  y  jiiro  a  Di  que  me  folgo  por  amor  de  la  chinche  y  por  amor 
de  las  pulgas  de  su  Alteza!  Asi,  asî,  huela  la  casa  a  hombre!  A  esle 
propùsito  me  lastima  mucho  de  ver  ahogado  un  talento  como  el  del 
principe  de  Asculi.  Menester  es  que  le  avudemos  todos  los  ministros 
que  liene  acâ  su  Maj"'.  Y  antes  de  pasar  adelante  ^;quien  le  niega  su 
pantuflazo?  A,  mio  ingratissimo  rubello!  Extrana  molicies!  Decis  lin- 
damente  que  cran  palabras  mas  convcnientes  a  un  madrigal  puto.  Con 
los  manifiestos  quedo  muy  embaraçado  porque  no  los  he  leido,  y 
querria  leerlos,  pero  tengo  pereza. 

La  carta  para  el  de  ^lantua  saliô  maravillosa  y  fùndolo  en  vuestra 
plenaria  aprobacion.  La  mismo  digo  de  la  respuesta  que  distes  al 
duque  de  Saboya,  porque  le  decis  que  no  sabe  lo  que  se  dice  ni  lo  que 
se  hace  con  tan  gran  dulzura,  que  yo  os  quedo  obligadissimoen  su  nom- 
bre. Bien  quisiera,  si  he  de  confesar  toda  mi  censura,  que  no  Uevara 
la  carta  las  palabras  que  puede  esecutar  su  indignacion  contra  quien  le 
enojare.  Porque  si  bien  ayudan  â  llenar  el  vacio  de  aquella  Cucuza 
Marina  para  metelle  despues  por  camino,  tiene  esta  confesion  alguna 
indecencia  en  la  boca  de  un  ministro  del  rey.  Del  resto  torno  â  decir 
que  no  he  visto  en  mi  vida  traicion  de  firme  â  firme  mas  galante  ni 
bien  disimulada.  ;  Hideputa,  bellaco  y  como  le  dais  con  la  romana  ! 
Bravamente  he  holgado  de  ver  la  poca  sangre  que  aveis  hecho  en  mi 
comedia  y  parezeme  que  las  objecioncillas  de  mierda  tendrân  salidas 
queos  agraden.  Esperolas  muy  engrei'do  por  el  bien  que  me  dezis  de 
todo  lo  demâs,  y  confîeso  que  me  diû  fastidio  el  veros  armar  el  balles- 
ton,  porque  esperaba  el  golpe  en  la  bondad  de  la  fabula,  y  si  el  vicio 
estuviera  en  ella,  fuera  malo  de  remediar.  A'^ase  caminando  en  la 
segunda  jornada,  y  ay  pasos  estupendos.  En  efecto,  crece  la  oracion 
hasta  el  sciolgimento.  Orsu,  finiamola  y  representémosla  en  Gaeta.  Lo 
demâs  en  respuesta  de  vuestras  cartas  dire  con  la  estafeta  que  viene,  y 
aora  no  puedo  dexar  de  decir  que  a  paciado  la  vizeregina  con  sus  ima- 
gines, pero  tiene  razôn,  por  que  no  he  visto  en  mi  vida  cosa  mâs  linda 
ni  mas  barata. 

Guardeos  Dios  como  deseo. 

De  N'âpoles,  idejunio  i6i3. 

(Aulôgrafo.  — La  carta  del  Cardenal  para  el  Vicario  venia  tan 
mierda  alH  y  tan  confusa,  que  yo  pensé  que  se  habia  cagado 
Pilatos.  Llaméle  yel  hombre  me  dixo:  Che  possoio  far?  Si  el  Cardenal 
me  scrive  que  se  faccia  lo  que  se  ha  fatto  altre  volte  al  tempo  del 
S'  cardinale  Acquaviva,  cioè,  lo  que  en  otras  ocasiones  de  procesiones 


256  BULLETIN    HlSPAMQUi: 

de  Corpus,  y  no  lo  que  se  liizo  quando  yo  vine  â  este  reyno.  Hablé 
un  poco  alto,  mostrele  vuestra  carta,  y  con  todo  esto  y  ver  que  la 
orden  le  venîa  por  mi  mano,  se  sosegô  el  hombre  y  me  ofreciô  que  si 
manana  en  el  percachio  no  ténia  orden  en  contrario,  séria  servita  é 
sodisfata  la  Ecelenza  mia.  Parece  que  esto  queda  bien.  Yo  os  beso  las 
manos  por  el  trabajo  que  os  costô  el  despaclio. 

H.  vuestro  y  amigo. 

Carta  del  Principe  de  Esquilache  al  Gonde  de  Lemos. 

Doctisimo  senor  :  cosa  cierta  es  que  la  primera  parte  del  orador  es 
captar  la  benevolencia  de  los  oyentes,  para  disponer  los  animos  y  gran- 
gear  las  voluntades,  y  asi,  para  obligaros  â  que  no  os  parezca  larga 
esta  carta,  comienzo  con  la  nueva  de  que  estan  fundados  los  dos 
obraxes,  el  uno  ya  efectivo  y  corriente  en  la  provincia  de  Guaylas, 
habiéndose  facilitado  la  repugnancia  antigua  de  los  indios  que  agora 
asisten  en  él  con  mucho  beneplâcito  y  gusto  suyo. 

El  otro  esta  senalado  en  la  provincia  de  Caxatambo,  distante  poco 
mas  de  4o  léguas  desta  ciudad,  que  en  este  reino  es  lo  mismo  que 
Xetafe  respecto  de  Madrid.  Y  pienso  que  el  sitio  es  el  mas  â  propôsito 
de  todas  estas  provincias,  asi  por  la  cantidad  de  indios,  que  es  grande, 
como  por  estar  relevados  de  otras  obligaciones  que  pudieran  impedir 
la  fundacion  del  obraxe,  guardândose  la  formula  de  la  cédula. 

Esperamos  cierto  Principe,  nomine  Mendieta,  para  que  tome  â  su 
cargo  esta  obra  en  la  forma  que  asentamos  con  Diego  Cantoral. 

La  ereccion  del  tercer  obraxe  de  Guaylas  de  que  Martin  de  Acedo  os 
habrâ  dado  larga  cuenta  mas  en  particular,  lo  que  os  puedo  asegurar 
es  que  se  ha  procurado  acudir  â  vuestro  servicio  bien  y  brevemente,  y 
asi  pienso  que  sea  lucido.  Las  dificultades  que  se  ofrecieron  son  las 
ordinarias  que  ponen  los  vaqueanos  desta  tierra,  y  como  alla  viven  de 
relaciones,  estan  muy  atrâs  en  muchas  cosas  en  que  presumen  que 
pueden  decidir,  haciendolos  articules  de  fe.  Solo  me  pesa  de  todo 
corazon  de  que  â  mi  gobierno  le  faite  teneros  por  présidente  de  ese 
Consejo,  porque  fîo  de  vuestra  superior  capacidad  el  juicio  entre  los 
despachos  pasados  y  los  que  agora  se  envian  al  Consejo  y  la  noticia 
que  agora  se  tiene  de  las  cosas  deste  reino. 

Confieso,  senor,  que  os  escribi  que  me  parecia  muy  grande  este 
cargo,  y  sin  licencia  del  marques  de  Alenquer,  olim  conde  de  Salinas, 
digo  que  es  mucho  mayor  la  carga  y  no  de  la  ocupacion,  sino  de 
tolerar  la  mas  pesada  y  soez  gente  que  ay  en  lo  restante  del  mundo  y 
en  cuyo  beneficio  se  pierden  todas  las  buenas  obras,  y  es  refran  comùn 
desta  tierra  :  Haz  mal  y  no  cates  d  quai.  Ilaz  bien  y  gudrdatc. 

A  los  indios  procuro  defender  cuanto  puedo,  y  es  caso  dificultoso. 


COHUESPONDENCIA  DEL  CONDE  DE  LEMOS  aO"] 

porqiie  no  ay  espanol  que  naturalniente  no  sea  su  vcrdugo,  y  esto  con 
pretcxto  de  piedad  y  buen  gobierno,  porquc  es  axioma  comun  entre 
todos  que  los  indios  no  an  de  estar  ociosos  y  que  asi  los  ocupaba  el 
Inga  sin  césar,  y  con  este  presupuesto,  como  la  codicia  pone  el  cotoen 
la  justificaciùn  del  trabajo,  biene  a  no  tener  medida,  comenzando  en 
justicia  y  acabando  en  tirania. 

Para  la  conversion  destos  misérables  que  oy  dia  estân  tan  ydolatras 
como  en  tiempo  del  Inga,  e  puesto  muchos  mcdios,  asi  con  visitadores 
eclesiâsticos,  como  con  misiones  de  la  Compania  y  otras  religiones,  y 
fmalmente,  me  resolvi  en  hacer  una  réclusion  en  el  cercado  desta 
ciudad  para  prision  de  los  dogmatizadores  o  maestros  de  la  ydolatria,  y 
con  este  remedio  y  con  haber  fundado  un  seminario  para  hijos  de 
caciques  en  la  misma  parte,  espero  brève  y  buen  efecto  de  lo  que  se  a 
trabaxado. 

Sera  posible  que  por  alla  haga  algun  ruido  la  rebaja  de  los  yndios 
aplicados  a  la  mita  de  Guancavelica,  y  porque  los  motivos  que  tuve 
para  hacerla  a  sido  contra  el  dictamen  de  muchos,  os  suplico  que 
paseis  los  ojos  por  la  carta  inclusa,  que  es  copia  de  la  que  escribo  al 
Rey  sobre  esta  materia,  y  con  ella  os  envio  la  Instruccion  que  di  al 
juez  reducidor  de  aquellas  provincias.  Dos  cosas  puedo  deciros  délia: 
la  una  es  que  la  malignidad  deste  reino  no  se  atrevio  a  ponerle  faltas, 
y  que  el  P.  Francisco  Cuello  me  dixo  algunas  misas  solo  porque  hice 
este  papel. 

;  0  seîior,  y  que  lâstima  os  tengo  porque  conozco  vuestro  coraçon  y 
entendimiento  y  os  veo  ençarçado  donde  os  an  de  cmponçonar  el  uno 
y  no  os  a  de  aprovechar  el  otro  !  I  decia  un  amigo  mio  que  Dios  le 
librase  de  corcobos  de  mula,  porque  ténia  muy  regulares  respingos. 
Bien  se  que  el  quento  no  viene  a  propôsito;  pero  ofrecioseme  y  pienso 
que  me  hiciera  mal  no  dccirle. 

Del  prologo  puedo  deciros  que  es  excelente  y  que  hablan  las  dos 
figuras  con  mucho  desenfado,  cada  una  dentro  de  sus  limites,  que  es 
el  pecado  en  que  caen  de  ordinario  todos  los  comicos.  I  si  fueredes 
servido  de  embiarme  toda  la  comedia,  sera  muy  bien  recibida  y  servira 
de  oyros  mas  vezes  aunque  no  hableis  conmigo. 

El  Rey  Don  Alonso  ha  reposado  estos  dias,  por  las  grandes  ocupa- 
ciones  que  han  concurrido,  y  agora  que  escampan,  proseguirc  el 
trabaxo,  muy  animadocon  tal  aprobacion.  Tengo  escrito  ya  un  pedazo 
del  canto  octavo,  y  no  me  parece  que  desdice  de  los  otros;  y  cierto, 
senor,  que  huyen  al  coser  versos  heroycos  y  tratar  de  maytes  y  tara 
del  traxinero  de  los  açogues.  ;  Sea  Dios  bendito  por  todo,  y  espero 
que  en  todo  este  ano  acabaré  el  noveno,  y  por  todo  el  que  viene  los 
très  restantes,  con  que  haré  fin  â  la  historia,  aunque  no  lo  osaré  fiar 
de  vuestra  censura  hasta  haberle  hecho  una  vigorosa  averiguacion  de 
moribus  et  vitâ. 


258  BLLLF.TIN    HISPAMQLE 

A  lodos  los  recomendados  de  V.  Ex-',  que  por  evitar  prolijidad  no 
refiero,  e  ayudado  lo  posiMe,  y  si  no  es  que  afectadamente  lo  callen,  me 
remito  â  lo  que  cada  uno  diga.  Guardeos  Dios  como  dcseo,  etc. 

Los  Reyes,  i5  de  marzo  1618. 

(Autôfjrafo.; — Bravo  caso  es,  senor,  andar  loda  la  vida  dando 
quexas  6  satisfacciones  y  mâs  en  tiempos  tan  pcligrasos.  Dios  os  tenga 
de  su  mano,  y  cierto,  que  contra  todas  las  leyes  de  la  providencia  humana 
puedo  afirmar  que  siento  vivir  auscnte,  porque  mi  poca  ambicion 
podria  servir  de  medio  para  templar  muchas,  y  esto  como  quien 
ticne  tanla  experiencia  de  Palacio  y  ha  lomado  la  sangre  en  muy  péné- 
trantes heridas.  Huelgo  infmito  que  mis  hermanos  acierten  â  serviros. 
Lo  que  yo  se  es  que  por  hombres  de  bien  estan  pobres  y  yo  sin  cubrir, 
quando  hallan,  no  digo  gorras,  sino  tejados  otros,  que  no  naci  yo  mâs 
al  sereno  que  ellos.  Si  me  dieren  los  très  mil  ducados,  su  servicio 
harân  y  si  no,  â  menos  costa  de  pretension  que  el  marqués  de  Guadal- 
cazar  cumpliré  la  tarea  de  los  seis  aâos,  y  de  qualquiera  suerte  no 
estaré  una  ora  mas,  porque  tengosobradamentelo  que  e  menesterpara 
pasar  sin  rogar  â  otros,  y  quiero  mas  burlarme  dos  oras  con  el  coude 
de  Lemos  que  todas  las  Indias,  y  mas  agora  que  para  las  cosas  de  su 
servicio  y  hazienda  no  me  a  menester. 

Grandes  habladores  son  estos  peruleros,  pues  â  fe  que  conmigo  que 
no  se  burlan,  y  que  â  los  jurisconsultos  los  hago  sudar  con  todo  el 
cuerpo.  Cierto  cstoy  que  hareis  mucha  mcrced  a  D.  Gerônimo  Altami- 
rano,  favoreciendole  para  la  direccion  de  mis  causas,  que  todo  sera 
menester  para  suplir  el  espacio  con  que  se  toma  resolucion  en  el  ser- 
vicio del  Rey.  Mirad  que  sera  en  lo  que  me  conviniere.  La  Princesa  y 
toda  esta  familia  os  besan  los  manos  y  todos  las  de  mi  senora  la 
condesa. 

A.  El  P"  Don  Francisco  de  Borja. 

Al  principe  encomiende  V.  E.  los  caciques  de  Guarajo  y  aquellos 
vassallos,  y  que  prosiga  en  favorecelles  como  ha  empezado.  Esto  avisa 
Diego  Cantoral  Corn ejo  porque  importa  mucho. 

(Sobre.)  Reyes,  i5  de  marzo  1G18. 

El  Principe  de  Esquilache. 

Respondida  a  18  de  marzo  1G19. 

(Conduira.) 


INVENTAIRE  DE  Ll  «  CASA  DE  PILATOS  » 

en     17  5S 


Sevilla  3  de  Agosto  de   17.J1. 

RELACIOX  de  las  Alhajas,  Pintaras,  Eslâtiias  y  dénias  que  al 
présente  existen  en  el  Palacio  del  Diiqae  mi  Sr.  d  ta  Parroquia  de 
San  Esleban  de  esta  ciadad,  reniilida  a  su  fj;«  en  el  mismo  dia  3  de 
Agosto  de  1751. 

Relaciôn  individual  que  forma  la  Contaduria  de  los  Eslados 
Ducados  y  Marquesados  de  Alcalâ  que  réside  en  Sevilla,  en  fuerza  de 
ùrden  dcl  Excmo  Senor  D.  Luis  Antonio  Fernandez  de  Cordoba, 
Espinola  y  de  la  Cerda,  Duque  de  Medinaceli,  de  Feria,  Segorbe, 
Cardona,  Alcalâ  y  Camina,  Marqués  de  Priego,  de  Cogolludo  y  de 
Aitona,  etc.,  etc.,  mi  Sr.  Cavallero  del  insigne  orden  del  Toison  de  Oro, 
del  Real  de  San  Genaro  y  dcl  de  Santiago,  Gentilhombre  de  Câmara 
de  S.  M.  su  caballerizo  y  Yallestero,  de  20  de  Junio  del  présente  ano 
de  1751,  de  todas  las  alhajas,  pinluras,  estâtuas  y  demas  que  al 
présente  existen  en  su  casa  Palacio  de  esta  ciudad,  a  la  Parroquia  de 
S.  Esteban,  con  distincion  de  sus  clases  y  parajes  donde  se  hallan 
colocados  que  todo  es  en  la  forma  siguiente. 

Pinturas  en  la  Capilla.  —  Un  lienzo  del  Descendimiento  de  la 
Cruz  de  dos  varas  de  alto  y  dos  y  média  de  ancho  con  moldura 
dorada  que  forma  altar. 

Una  tabla  con  marco  dorado  de  dos  tercias  que  hace  coronaciôn  al 
altar  de  Nuestra  Sra  con  el  Nino  Jésus. 

Un  Cristo  Grucificado  sobre  una  peana  a  modo  de  Risco,  todo 
de  talla  de  vara  de  alto. 

Un  San  Andres  de  talla  sin  diadema  (que  dicen  la  tuvo  de  plata)  de 
média    vara. 

Una  Cruz  de  madera  de  pino  de  poco  mas  de  dos  varas  y  média  de 
largo  cinco  pulgadas  de  ancho  y  très  grueso,  con  sus  clavos,  dada  de 
color  oscuro,  y  una  tarjeta  en  la  parte  inferior  que  espresa  servia 
fcomo  de  hecho  sirve)  para  andar  procesionalmente,  el  via  crucis 
desde  diclia  Capilla  hasta  el  humilladero  que  llaman  de  la  Cruz  del 
Campo  fuera  de  la  Puerta  de  Carmona,  mensura  de  estas  estaciônes. 

Una  columna  de  jaspe  Colorado  â  vetas  de  cinco  cuartas  de  alto  y 
poco  mas  de  una  cuarta  de  diâmetro,  movible  que  esta  en  medio 
de  dicha  capilla  y  es  figurativa  de  la  en  que  su  Magestad  Santisima 
estuvo  atado. 


260  BL'LLETl^i    HISPA?iIQUE 

Una  lâmpara  de  métal  azofarado  de  poco  mas  de  média  vara 
de  largo. 

Cuatro  candeleros  de  très  cuartos  de  largo,  del  mismo  métal,  con 
las  armas  de  la  Casa  y  otros  cuatro  de  madero  que  estaban  en  las 
almonas. 

Un  alril  de  madera  maqueado. 

Doscopones  para  guardar  los  ornamentos,  que  sirven  de  altaritos 
colaterales  del  principal  para  revestirse  el  sacerdote,  con  sus  frontales 
que  en  el  uno  esta  el  Santo  Grucifijo  arriba  referido  y  en  el  otro  la 
Sma  Cruz. 

Una  imagen  de  talla  de  très  cuartas  de  alto  de  Ntra  Sra  de  la  Con- 
cepciôn  con  su  corona  de  plala,  la  imâgen  estofada  de  colores  y  oro, 
con  su  peana  dorada,  que  es  la  que  estaba  en  la  Capilla  de  las  Reaies 
Almonas. 

En  los  capones  de  la  de  este  Palacio  hay  los  ornamentos  siguientes  : 

Dos  casuUas  y  demas  vestuario  que  sirven  a  los  cuatro  colores  de  que 
usa  la  Iglesia  como  son:  verde  y  morado,  blanco  y  encarnado,  de 
tafetan  y  damasco,  guarnecidas  con  galon  de  seda. 

Dos  albas  de  lienzo  usado,  guarnecidas  de  unos  en  cajes  moderados  : 
dosamitos  :  dos  pares  decorporales,  dos  manteles,  dos  paiïos  de  calices, 
purificadores  y  tohallas  correspondientes. 

Un  vélo  que  cubre  el  altar,  de  damasco  morado  y  blanco  guarnecido 
de  galon  de  seda. 

Dos  frontales  de  los  mismos  colores  y  telas  que  los  ornamentos, 
guarnecidos  en  igual  forma  que  sirven  â  los  referidos  cuatro  colores. 

Dos  Aras,  que  la  una  esta  guardada  y  sin  uso  y  era  la  que  servia 
en  las  Almonas. 

Dos  calices  patenas  y  cucharitas  de  plata  sobre  dorada  que  el  uno 
esta  guardado  y  sin  uso  y  era  el  que  servia  en  las  Almonas, 

Una  arca  de  madera  de  cedro  en  donde  se  guardan  los  referidos 
ornamentos  que  segun  los  tiempos  no  sirven. 

Prcviniendose  que  los  ornamentos  que  servian  en  las  Almonas, 
aunque  maltratados,  se  llevaron  â  la  Hacienda  de  Quintos  donde 
subsisten  sirviendo  en  aquella  Iglesia  6  capilla. 

Siguen  las  Pinturas.  —  Una  tabla  embutida  en  la  pared  en  la 
meseta  principal  de  la  escalera,  de  Ntra  Senora  con  el  Niiio  Jésus, 
guarnecida  de  flores  con  moldura  dorada  y  sin  cristal. 

En  la  libreria  hay  las  pinturas  siguientes  : 

El  Oratorio  alto  de  esta  Casa  esta  hoy  sin  uso  en  la  libreria  y  se 
compone  de  un  mediano  retablo  y  en  el  cuatro  lienzos  moderados,  en 
la  coronaciôn  el  Padre  Eterno,  en  medio  San  José  con  el  Niîïo  Jésus 
y  a  los  lados  San  Andres  y  San  Francisco,  todo  pinturas  del  clerigo 
Roelas  y  algo  maltratadas. 

Sobre  la  puerta  de  dicha  libreria  esta   una  tabla  embutida   en  la 


INVENTAIRE    DE    LA    «  CVSA    DE    PILATOS  »    EN     1703  2G1 

pai'cd,  icliato  dcl  Senor  Diujue  D.  Pedro,  de  niedio  cucrpo  arinado. 
de  mano  de  Ticiano  y  mallialado. 

Dos  tablas  de  mas  de  dos  varas  de  alto  y  1res  ciiarlas  de  aiicho  de 
Ntro  Sor  y  Ntra  Sra  con  vestidura  a  lo  antiguo,  de  cucrpo  entero 
sobre  campo  dorado. 

Un  licnzo  de  San  Francisco  de  Borja  de  una  vara  poco  mas  de  alto 
y  una  de  ancho. 

Una  tabla  de  a  vara  de  el  Nacimiento  de  Ntro  Sr.  Jesucristo  que 
dicen  fué  del  Sr.  Filibertn,  hijo  del  Duque  de  Saboya,  de  mano  de 
Alberto  Durero. 

Un  retrato  del  capitan  Pedro  Navarro,  de  média  vara,  inallralado. 

Un  retrato  de  très  cuartas  de  alto  de  medio  cuerpo  con  gorrilla  y  una 
cadena  al  cuello. 

Un  retrato  del  Sr.  Fernando  Cortés  de  dos  tercias,  maltratado. 

Una  copia  6  retrato  de  Artemisa  de  très  cuartas,  maltratado. 

Un  retrato  de  Ariosto  con  un  reloj  de  arena  en  la  mano,  copia  de 
Rafaël  de  Urbino,  maltratado. 

Un  lienzo  de  dos  varas  de  alto  de  Sr.  San  Juan  Bautista  original  de 
Artemisa  maltratado. 

Un  lienzo  de  mas  de  vara  de  alto  de  medio  cuerpo  armado,  la  mano 
derecha  sobre  un  morrion,  retrato  del  Sr.  D.  Felipe  el  Hcrmoso. 

Un  lienzo  de  dos  varas  de  ancho  y  una  y  média  de  alto  con  moldura 
dorada  de  un  crucifijo  y  a  sus  pies  Inîgo  Lopez  de  Mendoza  y  su  mujer, 
Marqueses  de  Santillana,  con  ropaje  antiguo,  maltratado. 

Ocho  lienzos  de  siete  cuartas  de  alto  y  vara  de  ancho  que  representan 
ocho  artes  libérales,  originales  de  Vazquez. 

Una  tabla  de  Maria  Santissima  Ntra  Sra  con  el  Nino  Jésus  con  mol- 
dura dorada  de  vara  de  alto  de  mano  de  Parma  el  Mozo. 

Dos  lienzos  de  mas  de  dos  varas  de  alto  y  una  y  média  de  ancho  con 
molduras  doradas  de  dos  Emperadores  â  caballo,  maltratados. 

Dos  lienzos  de  vara  de  alto  de  dos  manos,  de  mano  de  Pacheco, 
maltratados. 

Un  lienzo  de  Erodias  con  la  cabeza  de  San  Juan  en  un  plalo,  del 
Racionero  Céspedes. 

Un  lienzo  de  un  retrato  de  una  lâmpara  que  el  Sr.  Duque  D.  Fer- 
nando diô  â  San  Antonio  de  Padua,  muv  maltratado. 

Ochoretratos  de  Srâs  y  Senoritas  de  la  Casa,  de  diferentcs  lamaiïos 
maltratados. 

Otros  dos  cuadros  de  cerca  de  vara  de  unos  retratos  muy  maltratada 
su  pinlura. 

Cuatro  caiîones  de  mosquete  antiguos,  maltratados  del  tiempo  que 
dicen  fueron  de  la  batalla  naval  de  Lepanto. 

Dos  escriptoritos  de  madera  de  naranjo  con  sus  Hâves,  el  uno  de 
média  vara  de  largo  y  mas  de  tercia  de  alto  con  doce  gavetas  chicas  y 
Bull,  hispan.  u^ 


lilja  iiLLLiiTi>  HisPA.Mgti; 

una  mas  grande  ;  y  otro  de  dos  tercias  de  largo  y  cerca  de  média  vara 
de  alto,  con  diez  y  seis  gavetas  que  parecen  servian  de  estudio  de 
medallas,  y  repartidas  en  dichas  gavetas  hay  5i  monedas  6  medallas  de 
plomo,  de  caractères  de  Pontifices  y  cosas  antiguas  mémorables, 
3iai  monedas  y  medallas  de  cobre  de  diferentes  tamanos  y  hechuras 
de  caractères  arriba  referidos,  65  de  laton  2o3  cerquillos  de  todos 
tamanos  de  Bujano  que  parece  servian  para  poner  en  ellos  las 
espresadas  monedas  6  medallas. 

Estàtuas  de  la  Galeria  al  ta  de  la  Libreria.  —  En  esta  galeria  que 
mira  al  jardin  hay  las  estàtuas  siguientes  : 

Una  estâtua  de  mârmol  de  Baco  con  la  pantera  a  los  pies,  de  siete 
palmos  de  alto  colocado  en  un  nicho. 

Otra  estâtua  de  Hercules  de  mârmol  moderna  digo,  del  mismo 
tamaîlo,  tambien  colocada  en  un  nicho. 

Otra  estâtua  de  mârmol  moderna  de  cinco  cuartas  de  alto  que 
représenta  un  joven  atado  â  un  tronco  con  elcuerpo  escorzado. 

Otra  estâtua  de  mârmol  moderna  de  cinco  palmos  de  alto  que  repré- 
senta una  Venus  con  una  paloma  en  la  mano  izquierda,  tambien  en  su 
nicho  como  las  antécédentes. 

Cinco  estàtuas  de  medio  cuerpo  antiguas  colocadas  en  sus  nichos 
([ue  corren  el  âmbito  de  la  galeria. 

Dos  estàtuas  pequenas  de  medio  cuerpo  antiguas  de  la  parte  de 
afuera  de  dicha  galeria  mirando  al  jardin,  que  a  la  una  le  falta  el 
rostro. 

Galeria  baja  de  la  Libreria.  —  En  esta  galeria  que  esta  diafana  y 
al  andar  del  jardin  hay  las  estàtuas  y  columnas  siguientes  : 

Una  estâtua  de  mârmol  antigua  tambien  en  su  nicho  de  cinco 
cuartas  y  média  de  alto  que  représenta  la  Diosa  Thetis. 

Otra  estâtua  de  mârmol,  antigua,  en  su  nicho,  de  ocho  palmos  de  alto 
que  représenta  la  Diosa  Salus  o  Hijea. 

Otra  estâtua  de  mârmol  antigua  en  su  nicho  de  poco  mas  de  una 
vara  de  alto  que  représenta  una  mujer  recostada  sobre   un  tronco. 

Otra  estâtua  de  mârmol  antigua  en  su  nicho  de  poco  mas  de  una 
vara,  que  représenta  une  Venus  con  una  paloma  en  la  mano  izquierda, 
sobre  una  columna. 

Siete  estàtuas  de  medio  cuerpo,  en  sus  nichos,  de  mârmol,  en  la 
parte  superior  de  dicha  galeria,  unas  antiguas  y  otras  modernas,  de 
emperadores  y  emperatrices  romanas. 

Dos  columnas  de  mârmol,  de  très  varas  y  très  cuartas  de  alto  y 
média  vara  de  diametro  y  sobre  la  una  (porque  la  otra  esta  tendida 
en  el  suelo)  una  cabeza  pequeûa  de  piedra  de  parangon  con  el  cuello  de 
jaspe  blanco. 

Otra  columna  de  mârmol,  tambien  tendida  en  el  suelo.  de  très  varas 
y  cuarta  de  alto  y  una  cuarla  de  diametro. 


INVENTAIRE    DE    LA    l'   t:ASA    UE    l'ILATOS  »    EN     1  yS.'î  -jfiS 

(JUa  columna  de  jaspe  vcrde  de  cuatro  vaias  de  alto  y  cerca  de 
média  vara  de  diametro  y  sobre  cUa  una  cabeza  de  uiârmol  anligua, 
del  Emperador  Vitelio. 

Otra  columna  de  pûiTido,  por  labrar  de  dos  varas  y  média,  largas 
de  alto  y  mas  de  cuarta  y  mediâ  de  diametro,  sobre  la  cual  esta  una 
cabeza  de  Esculapio. 

Dos  estâtuas  de  mârniol  modernas  que  representan  dos  mujeres 
hincadas  de  rodillas  en  acto  de  orar,  de  vara  y  mcdio  de  alto,  mal- 
Iratadas,  que  memorias  antiguas  dicen  que  estaban  en  el  convento 
de  Monjas  de  Madré  de  Dios. 

Dos  estâtuas  pequenas  de  medio  cuerpo,  de  la  parte  de  afuera  de 
dicha  galeria,  sobre  sus  arcos  mirando  al  jardin. 

Dos  Basas  muy  maltratadas  de  estâtuas  anliquas  con  sur  inscrip- 
ciones  latinas. 

Galeria  alta  del  cuarto  principal.  —  En  esta  galeria  que  mira  al 
jardin  hay  lo  siguientc  : 

Una  estâtua  de  Pomona  de  siete  cuartas  de  alto  con  la  cabeza  manos 
y  pies  de  piedra  de  parangon  y  el  cuerpo  de  âgata  ordinario  con  el 
brazo  derecho  y  manos  lastimados  sobre  su  pedestal  en  su  nicho. 
Otra  estâtua  de  mujer  tambien  en  su  nicho  de  el  raismo  alto  con  la 
cabeza,  manos  y  pies  de  piedra  de  Parangon  y  el  cuerpo  de  âgata 
ordinario. 

Un  sâtiro  de  mârmol  antiguo  tambien  en  su  nicho  de  cerca  de  très 
cuartas  de  alto,  que  tiene  en  la  mano  un  botijonsito. 

Un  sileno  de  mârmol  antiguo  tambien  en  su  nicho  de  cerca  de  res 
cuartas  de  alto  con  una  botejita  en  la  mano  derecha  y  en  la  izquierda 
sobre  el  mismo  hombre  un  canastito  con  frutas. 

Cinco  bustos  6  estâtuas  de  medio  cuerpo  en  sus  nichos  redondos  que 
corren  el  âmbito  superior  de  la  galeria. 

Cuatro  cabezas  en  nichos  mas  pequefios  de  mârmol  antiguo  suivre 
los  antécédentes  en  los  huecos  de  los  arcos. 

Dos  estâtuas  pequenas  de  medio  cuerpo,  de  la  parte  de  afuera  de 
dicha  galeria  sobre  sus  arco  mirando  al  jardin. 

Galeria  baja  de  dicho  cuarto.  —  Una  estâtua  de  Baco,  tambien  en 
su  nicho  con  su  pantera  a  los  pies  todo  de  mârmol  de  siete  cuartas  de 
alto  sobre  una  basa  de  la  misma  piedra, 

Otra  estâtua  de  la  Diosa  Amphitriste  o  Thetis  con  un  delfin  a  los 
pies  tambien  en  su  nicho  de  siete  cuartas  y  média  de  alto  sobre  una 
basa  de  la  misma  piedra,  lastimadas  las  piernas  y  le  faltan  los  dedos 
de  las  manos. 

Un  nino  tambien  en  su  nicho  de  cuatro  cuartas  y  média  de  alto  que 
tiene  en  la  mano  izquierda  una  paloma  y  en  la  derecha  una  coucha 
todo  de  mârmol. 

Una  estâtua  de  mârmol  tambien  en  su  nicho  de  très  cuartas  de  alto 


204  BULLETIN    HISPANIQUE 

de  un  pastor  que  lleva  â  los  hombres  un  carnero,  y  a  los  pies  tiene  un 
perrito. 

Cinco  bustos  6  estâtuas  tambien  en  sus  nichos  en  la  parte  superior 
de  esta  galeria,  todas  de  la  propria  piedra. 

Dos  estâtuas  pequenas  de  medio  cuerpo  de  la  parte  de  afuera  de 
dicha  galeria  sobre  sus  arcos  mirando  al  jardin. 

En  este  cuarto  hay  cuatro  mesas  de  piedra,  una  de  mârmol  embu- 
tida  de  piedra  de  varios  colores  de  cinco  cuartas  en  cuadro  y  très 
dedos  de  grueso  puesta  sobre  un  pedestal  de  piedra  jaspe  en  cuadro; 
otra  de  piedra  negra  de  menos  de  dos  varas  de  largo  y  una  de  ancho 
con  su  pie  de  madera  :  otra  de  jaspe  veteado  de  cerca  de  vara  y  très 
cuartas  de  largo  y  vara  y  média  cuarta  de  ancho  quebrado  por  una 
esquina  con  su  pie  de  madera,  y  otra  de  jaspe  de  colores  de  mas  de 
dos  varas  de  largo  y  mas  de  vara  de  ancho  con  guarnicion  de  piedra 
negra  embulida  y  su  pié  de  madera. 

Galeria  grande  del  jardin.  —  En  esta  galeria,  que  es  diâfana  sobre 
arcos  al  plan  del  jardin,  hay  lo  siguiente: 

Una  estâtua  de  la  Fortuna  de  mârmol  antigua  de  diez  cuartas  de 
alto,  sobre  una  basa  de  cerca  de  cinco  cuartas  de  alto. 

Otra  estâtua  de  Jupiter  de  mârmol  antiqua  de  diez  cuartas  de  alto  y 
le  faltan  los  dedos  de  la  mano  derecha. 

Cuatro  cabezas  de  mârmol  sobre  las  columnas  que  despues  se 
espresarân. 

Dos  mascarones  de  mârmol  sobre  las  columnas  que  despues  se 
espresarân. 

Dos  bolas  grandes  de  mârmol  sobre  las  columnas  que  depues  se 
espresarân. 

Una  columna  de  jaspe  verde  de  très  varas  y  cuarta  de  alto  y  cerca 
de  média  vara  de  diâmetro  con  su  basa  y  capitel  de  mârmol. 

Otra  columna  de  jaspe  Colorado  del  mismo  tamano  que  la  antécé- 
dente, con  su  basa  y  capitel  de  mârmol. 

Otra  columna  de  jaspe  extrafïo  de  cerca  de  cuatro  varas  y  medio  de 
diâmetro  con  su  basa  y  capitel  de  mârmol. 

Otra  columna  de  mârmol  algo  manchado  del  mismo  tamano  que  la 
antécédente,  con  unos  pernos  por  estar  lastimada  con  su  basa  y  capitel 
de  mârmol  blanco. 

Cuatro  columnas  de  mârmol  de  très  varas  y  très  cuartas  de  alto  y 
cerca  de  média  vara  de  diâmetro  con  sus  basas  y  capiteles. 

Una  tabla  de  jaspe  labrada  para  mesa,  tendida  en  el  suelo  de  dos 
varas  y  média  de  largo  très  cuartas  y  média  de  ancho  y  cuatro  dedos 
de  grueso,  quebrada  por  varias  partes. 

Cenador  de  jardin  ô  Galeria  quemada.  —  En  este  cenadorô  galeria 
que  antes  se  quemô  y  hoy  esta  techada  de  nuevo  hay  lo  siguiente  : 

Una  estâtua  de  mârmol  antigua  de  nuevo  (sicj  de  nueve  palmos  de 


INVENTAIRE    DE    LA    «  CASA    DE    l'ILATOS   »    EN     l~0.i  2l)5 

alto,  maltratada,  en  su  nicho,  que  représenta  una  mujer  con  la  cabeza 
cubierta  con  el  manto,  que  la  memoria  antigua  dice  ser  Plotina  mujer 
de  Trajano. 

Otra  estatua  de  mârmol  antigua  tambien  en  su  nicho  de  ocho  palmos 
de  alto  que  représenta  un  Apolo  con  la  lira  en  là  mano  izquierda  y  en 
la  derecha  el  Peltro  (sic),  lastimadas  las  manos. 

Una  estâtua  de  mârmol  antigua  tambien  en  su  nicho  de  niieve 
cuartas  de  alto  y  que  représenta  un  Mercurio  con  el  manto  que  llaman 
clâmide  sobre  el  hombro  izquierdo:  le  falta  una  mano  y  el  caduceo. 

Otra  estâtua  de  mârmol  antigua  tambien  en  su  nicho  de  siete  palmos 
y  medio  de  alto  que  représenta  un  senador  romano  con  su  toga  ;  ticne 
los  pies  y  manos  rotas. 

Una  estâtua  de  mârmol  antiqua  tambien  en  su  nicho  de  ocbo  palmos 
de  alto  algo  laslimada  y  que  représenta  otro  senador  romano  que 
parece  ser  Cicerô. 

Otra  estâtua  de  mârmol  antigua  tambien  en  su  nicho  de  ocho  palmos 
de  alto  que  représenta  una  matrona  romana  y  le  faltan  las  manos  y 
parte  de  los  brazos. 

Siete  estâtuas  de  medio  cuerpo  tambien  en  sus  nichos  sobre  las  anté- 
cédentes todas  de  mârmol,  las  cinco  de  imperadores  romanos  y  las 
olras  dos  de  mujeres  con  el  ropaje  que  cubre  el  pecho  de  jaspe. 

Gruta  del  jardin.  —  En  la  gruta  o  risco  de  este  jardin  hay  una 
estâtua  de  mârmol  antigua,  de  una  mujer  desnuda  que  parece  Susana 
6  ^  enus,  como  dice  la  memoria  antigua,  sentada  para  banarse,  mayor 
que  del  natural  y  liene  'astimado  un  brazo. 

Paredes  del  jardin.  —  En  el  lienzo  del  jardin  saliendo  del  cuarto 
principal  sobre  la  derecha  hay  embutida  en  la  pared  once  piedras  de 
fabulas,  historias  y  trofeos  deguerra  todas  de  relieve,  unas  de  dos  varas 
y  otras  de  menos  tamano  y  a  proporcion  su  ancho  con  el  grueso  cor- 
respondiente,  como  figuran  (sic)  tablas. 

En  el  sitio  que  ocupa  la  escalera  que  sube  del  jardin  a  la  libreria 
hay  cuatro  nichos  el  uno  vacio. 

En  el  primero  esta  una  estâtua  de  Esculapio  de  mârmol  antigua  de 
siete  cuartas  de  alto,  maltratada. 

En  el  tercero  otra  estâtua  de  mârmol  antigua  del  mismo  tamano  de 
un  hombre  desnudo  (maltratada)  con  la  cabeza  de  barro  y  le  falta  una 
mano. 

En  el  cuarto  otra  estâtua  de  mârmol  antigua  del  mismo  tamaûo  de 
otro  hombre  desnudo  tambien  maltratada. 

En  medio  de  dicho  jardin  hay  una  fuente  con  su  taza  de  mârmol 
de  cinco  cuartas  de  diâmetro  y  su  pedestal  de  relieve  toda  ella  de  mas 
de  vara  de  alto  con  su  saltadero  de  bronce. 

En  dicho  jardin  hay  oculto  y  boveado  un  almaccn  de  27  varas  de 
largo  dos  varas  y  tercia  de  ancho  y  cuatro  varas  y  média  de  alto  donde 


26(5  BlLr.ETlN     HISPANIQUE 

se  recoje  el  agua  para  el  riego  con  una  llave  y  canon  de  bronce  por  el 
plan  de  él  para  su  reparti miento. 

Cuarto  de  los  Primogénitos. —  En  el  jardin  que  esta  en  estecuarto 
que  llaman  de  los  primogénitos  liay  una  estâtua  de  Venus  acostada  en 
cama  con  un  Cupidillo  en  los  hrazos  todo  de  mârmol  pario  de  siete 
palmos  de  largo,  a  la  Venus  le  faltan  las  narices  y  al  Cupîdo  el  brazo 
izquierdo  y  no  tiene  el  arco  que  dice  la  memoria;  esta  estâtua  esta 
sobre  una  tarima  de  madera  de  bajo  de  un  corredor  de  dicbo  jardin. 

A  los  dos  estremos  de  este  corredor  hay  dos  pedestales  de  jaspe 
veteado  de  encarnado  de  poco  mas  de  vara  de  alto  y  média  de  circun- 
ferencia  sobre  los  cuales  parece  estaban  colocados  dos  ninos  en  figura 
de  aguadores,  de  jaspe  negro  veteado  de  menos  de  vara  de  alto  con  sus 
cântaros  sobre  el  hombro  y  boy  se  ballan  fuera  de  su  sitio,  quebrados 
en  mucbas  partes  ni  capaces  de  poder  servir. 

Sobre  un  estanque  de  material  de  mas  de  trece  varas  de  largo  cinco 
de  ancho  y  una  de  alto  hay  una  estâtua  de  mârmol  pârio  de  una  mujer 
desnuda  de  cinco  cuartas  y  média  de  alto  que  tiene  ima  urna  en  la 
mano  derecha  por  donde  echa  el  agua  al  estanque. 

En  los  dos  testeros  de  este  jardin  en  dos  huecos  6  nichos  de  medio 
punto  hay  dos  saltaderos  de  agua  con  sus  tazas  pequenas  y  pedestales 
delgados  de  mârmol  toda  su  altura  una  vara. 

Zaguan  ô  palio  apeadero.  —  A  la  entrada  de  este  Palacio  por  la 
parte  de  afuera  sobre  la  mano  izquierda,  mirando  â  la  Plazuela  hay 
un  nicho  de  dos  varas  y  très  cuartas  de  alto  y  dos  varas  de  ancho, 
labrado  de  piedra  de  jaspe  veteado  oscuro  y  colocado  en  él  con  su 
peana,  una  cruz  de  la  misma  piedra  de  dos  varas  y  média  de  alto  que 
sirve  de  segunda  estaciôn  del  Via  Grucis  desde  la  Gapilla  de  este 
Palacio  â  el  sitio  que  llaman  la  Cruz  del  Campo  6  humilladero 
extramuros  de  esta  ciudad. 

En  este  zaguan  6  patio  de  apeadero  hay  un  pilon  de  material  para 
dar  agua  al  ganado  de  las  caballerizas  con  su  cano  de  bronce  por 
donde  recibe  el  agua  sobrante  de  la  pila  del  patio  principal. 

A  la  entrada  de  dicho  patio  principal  sobre  su  portada  mirando  al 
Apeadera  hay  dos  estâtuas  pequenas  de  dos  ninfas  de  mârmol  que 
acompanan  â  dicha  portada  y  â  los  escudos  de  armas  de  la  casa  que 
estan  encima  y  â  los  lados  de  ella  pintados  en  la  pared. 

Patio  principal.  —  En  dicho  patiô  principal  al  rededor  de  sus 
cuatro  corredores  arqueados  estan  24  nichos  ovalados  de  piedra 
mârmol  embutidos  en  la  pared  en  la  parte  superior  y  en  ellos  de 
firme,  24  estâtuas  tambien  de  mârmol  de  medio  cuerpo  que  repre- 
sentan  parte  de  ellas  emperadores  romanos  y  parte  otros  héroes. 

A  las  cuatro  esquinas  de  dicho  patio,  fuera  de  los  corredores 
mirando  al  centro  de  él  hay  cuatro  estâtuas  algo  maltratadas  de 
cuerpo   entero   sobre   pedestales   de   piedra  tosca  de  vara   y   cuarto 


INVENTAIRE    DF,    l.  V    k   C  \S  V    DK    l'ILATOS  »    E.N     I  75a  2()- 

de  ancho  y  vara  de  alto:  la  una  de  mârmol  que  représenta  la  Diosa 
Palas  de  1res  varas  y  dos  tercias  de  alto,  otra  de  la  inisma  piedra  \ 
tamano  que  représenta  la  propia  Diosa  aunque  en  diferente  postura 
y  acto,  otra  de  la  misma  piedra  de  dos  varas  y  cuarta  de  alto,  que 
représenta  la  Diosa  Gères  y  la  otra  de  la  misma  piedra  de  dos  varas  y 
tercia  de  alto  que  représenta  la  copa  Siviâca  de  Virgilio  segun  la 
memoria  antigua. 

En  medio  de  dicho  patio  hay  una  fiiente  de  cuatro  cafiones  con  un 
pilon  pedestal  y  taza  de  mârmol  ;  el  pilon  tiene  très  varas  y  média 
en  cuadro,  la  taza  es  redonda  y  tiene  très  varas  de  diâmetro  y  hoy 
remata  con  una  cabeza  de  dos  caras  del  Dios  Jano  tambien  de 
mârmol  que  parece  se  puso  en  lugar  de  un  sâtiro  que  antes  ténia 
y  estata  quebrado  :  tiene  de  alto  toda  la  fuente  desde  el  suelo  hasta 
su  remate  cuatro  varas. 

Cuartico  que  sirve  para  piedras.  —  En  este  cuarto  que  solo  sirve 
para  piedras  y  esta  en  la  galeria  baja  de  la  libreria,  baciendo  Trente 
a  la  habitaciôn  del  jardinero,  hay  lo  siguiente  : 

Très  cuerpos  de  estâtuas  de  mârmol  sin  cabeza,  brazos  ni  piernas. 
Un  cupido  de  mârmol  antiguo  (durmiendo)  sin  piernas,  de  média 
vara  de  largo. 

Cuatro  cabezas  de  mârmol  antiguas  arrancadas  de  sus  cuerpos,  dos 
de  hombres  y  dos  de  mujeres  sin  que  les  vengan  â  los  cuerpos  que 
no  las  tienen. 

Un  pié  de  mârmol  que  le  falta  el  dedo  pulgar  de  cuarta  y  média 
de  largo. 
Una  mano  de  mârmol  antigua  de  una  cuarta  de  largo. 
Un  vaso  de  mârmol  antiguo  de  relieve  bajo  quebrado  en  la  orilla 
de  cerca  de  média  vara  de  largo. 

Una  columna  de  pôrfido  de  oclio  cuartas  y  média  de  alto  y  cuarta 
y  média  de  diâmetro  por  labrar. 

Un  pedazo  de  columna  de  pôrfido  mas  fino  tambien  por  labrar  de 
cerca  de  vara  y  média  de  largo  y  cerca  de  très  cuartas  de  diâmetro. 

Cuatro  columnas  de  jaspe  verde  de  oclio  cuartas  y  média  de  alto 
y  cerca  de  una  cuarta  de  diâmetro,  la  una  quebrada  por  la  niitad  v  la 
otra  por  varias  partes. 

ïres  columnitas  de  mârmol  la  una  de  siete  palmos  de  alto,  la  otra 
de  ocho  y  la  otra  de  nueve,  todas  de  medio  palmo  de  diâmetro  las  dos 
partidas  en  varios  pedazos. 

Dos  columnas  companeras  de  jaspe  veteado  de  encarnado  de  cerca 
de  vara  de  alto  y  una  cuarta  de  diâmetro  cada  una  con  su  basa. 

Una  basa  de  estâtua  de  mârmol  de  una  cuarta  de  alto  y  dos  cuartas 
y  mediâ  de  ancho  ;  très  capiteles  de  columnas  de  mârmol  el  uno  de 
palmo  \  medio  de  alto  y  los  olros  dos  menores. 

Una   fuente  con   su  pedestal  de  mârmol  y  sobre  el   un   monslruo 


368  BULLETIN    HISPANIQUE 

marino,  de  varias  piedras  y  colores  que  soslicnc  la  taza  que  es  ovalada 
de  jazpe  veteado  oscuro  con  su  subiente  tambien  de  jazpe  encarnado 
y  blanco,  fâltale  el  remate  a  esta  fuente  que  parece  fue  hecha  para 
sobre  un  estanque,  la  altura  sera  de  siete  cuartas  y  média,  la  taza 
tiene  de  largo  vara  y  média  y  de  ancho  très  cuartas  y  média. 

Seis  piezas  de  mârmol  que  parece  sirvieron  de  cerco  al  pilon  de 
fuente  del  jardin  de  varios  tamanos  y  lodas  de  média  vara  de  alto 
y  medio  palmo  de  grueso,  que  por  estar  maltratadas  parece  se  debieron 
quitar  de  su  sitio. 

Una  bola  grande  de  jaspe  sin  companera. 

Un  nifio  de  jaspe  veteado  oscuro  sentado  de  un  lado  con  un  delfin 
que  le  abraza  el  cuello,  de  mediâ  vara  de  alto  sobre  su  pedestal  del- 
gado  de  dos  pulgadas. 

Très  piezas  entabla  de  pizarra  la  una  de  cuatro  palmos  y  medio  de 
alto  y  très  de  ancho  dedicadas  a  un  tal  Tempronio  fsic),  otra  del 
mismo  tamailo  tambien  con  su  inscripciôn  dedicada  a  un  tal  Valerio 
Propincuo  y  la  otra  de  una  vara  de  alto  y  très  cuartas  de  ancho  con 
su  inscripciôn  dedicada  â  Marco  Calpurnio. 

Una  cabeza  de  mârmol  colosal,  de  dos  cuartas  y  média  de  alto. 

Otro  nino  de  mârmol  en  acto  de  dormir  de  cuarta  y  média  de 
largo. 

Un  relieve  de  mârmol  de  una  vara  de  largo  y  très  cuartas  de  alto 
(antiquo)  condos  hombres  a  caballo  que  représenta  una  de  Gursion  (sic). 

Otro  relieve  de  mârmol  antigiio  de  mas  de  très  cuartas  de  alto  y 
cerca  de  média  vara  de  ancho  que  représenta  la  Diosa  Salus  ô  Hijea 
dando  de  corner  â  la  culebra  enrroscada  en  el  tronco  de  un  ârbol, 
maltralada. 

Otros  dos  relieves  de  mârmol  antigao  partidos   en  varios  pedazos. 

Un  medallon  de  mârmol  con  la  cabeza  de  Néron  de  cerca  de  média 
vara  de  alto  y  una  tercia  de  ancho. 

Dos  lapidas  de  mârmol  antiguas  la  una  de  cuarta  y  média  cuadrada 
y  la  otra  menor  ambas  tienen  en  medio  labradas  una  como  escudilla  y 
en  sus  fondos  unos  agujeritos. 

Un  sâtiro  de  mârmol  de  très  cuartas  de  alto  que  era  el  que  estaba  por 
remate  de  la  fuente  del  patio  principal  y  hoy  esta  quebrado  por  varias 
partes. 

Igualmente  hay  en  este  cuartico  diferentes  fragmentos  incapaces 
de  servir,  de  brazos,  piernas  y  demas  de  estâtuas  y  otras  hechuras 
que  no  van  espresadas  en  esta  relacion  por  no  subsistir  sin  poderles 
dar  destines  a  dichos  fragmentos  con  arreglo  a  las  que  en  ella  se 
refieren  como  laslimadas. 

Y  para  que  asi  conste  â  S.  E  el  Duque  mi  Sr.  en  cumplimiento  de  su 
citada  ôrden  habiendo  tenido  présente  las  memorias  antiguas  que  la 
acompafiabm  y  se  dcvuelven  por  esta  Gontaduria,  la  firmamos   en 


1NVE>TVIIIE    DE    LA    U   CAS\.    OF.    IMI.ATOS   i)    EN     l-]').i  apQ 

Sevilla  a  2  de  Agosto  de    mil  setecientos  cincucnla  y  uno.  —  Don 
Nicolas  Orliz  de  Escovar  —  D.  Antonio  Ruiz  de  ReboUedo. 

La  original  se  rcmitio  al  Duque  mi  Sefior  con  la  propia  fecha  en  el 
correo  6  de  3  Agosto  de  176 1. 

Nicolas  IIortiz  Antonio  Ruiz 

de  Escovar.  de  Rebollcdo, 

Es  copia. 

Este  inventario,  cuya  copia  hemos  podido  obtener,  merced 
a  un  permise  del  Sr.  D.  José  Gestoso,  que  nuuca  le  agrade- 
ceremos  bastanle,  es,  como  se  ve,  del  mayor  interés  para  los 
arqueélogos,  puesto  que  menciona  un  sin  numéro  de  estatuas, 
bustos,  cabezas  y  otros  objetos  antiguos,  conservados  entonces 
en  tan  suntuosa  morada,  y  hoy  esparcidos,  no  se  sabe  donde, 
6  destruidos.  Tiene  el  inventario  el  defecto  de  no  indicar  las 
procedencias,  cosa  tan  capital  en  asuntos  de  arqueologîa  ;  pero 
acaso  podrîa  remediarse  esta  omision  con  pesquisas  que  se 
hicieran  en  el  archivo  de  la  casa  de  Medinaceli  que  radica 
en  Madrid.  Muchas  piezas  proceden  sin  duda  de  Italia. 

Nada  mejor  podemos  hacer  aqui  que  transcribir  algunos  de 
los  pârrafos  que  a  esto  dcdica  el  sabio  autor  de  la  Sevilla 
monumenlal  y  arllstica  en  el  tomo  tercero  de  esa  magnifica 
obra(iS92,  pp.  i83-2o6);  porque  asi  podrâ  el  lector  poner  en 
parangon  el  estado  antiguo  de  tan  hermosa  coleccion,  con  el 
lamentable  estado  actual. 

El  adelantado  mayor  de  Andalucîa,  D.  Pedro  Enriquez,  comenzô 
esta  fâbrica  (+  1^192)...  D.  Fadrique,  primer  marqués  de  Tarifa, 
efectuô  la  decoraciôn  de  sus  patios  y  portada...  Fué  concluida  en  su 
parte  principal  en  la  seganda  mitad  del  siglo  xvi.  El  analista  Zûniga 
habla  de  sus  belHsimas  estatuas  y  del  «  tesoro  de  notables  reliquias 
de  la  antigûedad  romana,  que  el  marqués  de  Tarifa,  y  después  el 
duque  D.  Perafân,  traxeron  de  Roma.  Ycnse  en  el  jardin,  embulidas 
en  sus  paredcs,  muchas  tablas  de  marmol,  con  historias  de  rclieve, 
despojos  de  los  arcos  triunfales  de  la  Cabeza  del  Mundo,  y  especial- 
mente  del  célèbre  de  Tito  y  Vespasiano  ;  vense  en  él  varios  simulacres, 
ya  de  sus  deidades,  ya  de  sus  héroes,  y  en  la  libreria  esta  la  urna  que 
en  la  columna  de  Trajano  contenia  sus  cenizas,  que  es  fama  haber 
venido  en  ella  misma,   y  destapada  de  impertinente  curiosidad,  por 


270  BULLETIN    niSPAMQUE 

investigar  lo  que  encerraba,  fueron  vertidas  en  el  jardin  ».  —  Es  ciei  lo 
que  el  marqués  de  Tarifa,  y  los  duques  de  Alcalâ  sus  sucesorcs, 
reunieron  en  su  opulenta  morada  verdaderos  tesoros  artisticos, 
arqueologicos  y  bibliogrâficos,  de  los  cuales  da  también  razon  el  docto 
Rodrigo  Caro,  pues  hablando  de  la  Casa,  dice  «  que  es  insigne»... 
«  porque,  después  de  su  raro  edificio,  en  ella  han  juntado  sus  duenos 
muchas  efigies  de  marmol  de  principes  y  varones  insignes  antiguos, 
y  dos  grandes  colosos  de  la  diosa  Palas,  y  otra  multitud  de  estatuas  y 
despojos  de  la  antigûedad  :  y  el  ex"""  duque  de  D.  Fernando  Enriquez 
Afân  de  Rivera,  que  hoy  posée  esta  casa,  ha  juntado  una  gran  libreria, 
y  en  ello  tanfos  volûmenes  de  todas  ciencias  y  letras  humanas, 
manuscritos  y  medallas  antiguas,  que  compile  con  los  mas  insignes 
del  mundo  ». 

Pues  bien,  de  todo  esto,  quedan  tan  solo  las  estatuas  del  patio 
principal,  los  bustos  que  adornan  las  galerias  bajas  del  mismo,  y  una 
apreciable  colecciôn  de  restos  epigrâficos  y  arquitectônicos  en  el  jardin. 
Que  se  hizo,  pues,  de  la  biblioteca,  enriquecida  con  las  de  Ambrosio 
de  Morales  y  del  D'  Negrôn,  del  gabinete  numismâtico,  y  de  tantas 
otras  vénérables  antiguallas?  De  ellas  resta  tanto  este  recuerdo,  y  lo 
que  es  aun  mas  extrano,  no  conocemos  ningûn  papel  en  que  se  haga 
referencia  al  paradero  de  tanta  riqueza.  Que  desapareciô,  es  cierto;  el 
cômo,  se  ignora  al  présente... 

Patio  :  2 1  bustos  de  emperadores  romanos,  y  los  de  Carlos  V  y 
Gicero,  todos  de  marmol  blanco,  algunos  admirables,  como  los  de 
V^alerio,  Tiberio,  Vitelio  y  Ciceron...  Las  dos  colosales  estatuas 
romanas  de  marmol  blanco,  que  representan  â  las  Minervas  guerrera 
ypacîfîca. 

El  casco  y  escudo  de  la  primera  son  piezas  notables,  pero  no  corres- 
ponden  con  la  estatua...  magnifîco  monumento,  digno  de  detenido 
estudio.  llay  también  una  Ceres  y  una  Musa...  la  primera  muy 
apreciable.  Debieron  ser  enviadas  de  Italia  por  el  duque  de  Alcalâ 
D.  Perafân  de  Rivera,  virey  que  fué  de  Nâpoles,  -f-   1571. 

Jardin  :  Bustos  de  emperadores  y  emperatrices  romanas,  mas- 
carones,  cabezas  y  estatuitas  de  marmol  blanco  ;  entre  los  primeros 
hày  algunos  de  relevante  merito,  procedentes  sin  duda  de  Italia. 
Entre  estas  notables  reliquias,  para  cuyo  estudio  detenido  nece- 
sitariase  un  volumen,  hay  dos  estatuas,  una  de  Ceres  fructifera 
y  otra  de  emperador,  bastante  muliladas  :  la  segunda  es  muy  digna 
de  atenciôn  por  el  admirable  dibiijo  de  sus  piernas  y  plegado  de  panos. 
Igualmente  podemos  decir  de  la  colecciôn  de  antigiiedades  que  se 
conserva  en  la  pieza  Uamada  El  Estudio,  pues  hay  numerosos  objetos, 
bustos,  inscripciones  y  fragmentos  arquitectônicos  romanos  en  su 
mayor  parte,  y  muy  dignos  por  diferentes  conceptos  de  fijar  la 
atenciôn  de  los  entendidos. 


nVENTAlRF    DE    I.  A     u  CASA    DE    PII.ATdS  )>    E.\     l-JO:i  H~  \ 

\o  fueion,  sin  duda,  los  de  Rivera  los  solos  magnâtes  de 
aquella  época  que  adornaban  sus  palacios  con  marmoles  y 
estatuas  procedentes  de  Italia,  esta  fuente  inagotable  de 
produclos  del  arte  antiguo  ;  y  por  eso  el  arqueologo  debe 
teflexionar  mucho  ailles  de  afirrnar  que  son  de  l'^spaila  los 
marmoles  antiguos  exislentes  en  las  colccciones  6  musées 
modernos,  cuva  procedencia  sea  dudosa.  El  que  escribe  estas 
lineas  recuerda  haber  encontrado  hace  pocos  anos  en  un 
jaidiii  de  Bornos  (Cadiz)  dos  esfaluas  de  mujeres  romauas 
acosladas  que,  segun  le  dijeron,  procedîan  del  dcspoblado 
inmediato  de  Carisa;  pero  despucs,  al  leer  en  el  manuscrito 
del  P.  Mariscal  sobre  Bornos  >  la  descripcion  del  palacio  que 
en  dicha  villa  tenian  los  de  Rivera — entre  los  que  figura 
cabalmeiite  el  Don  Fadrique  Enriquez,  primer  marqués  de 
Tarifa  (lôSy)  que  hemos  visto  mas  arriba  y  que  adorno  tambien 
su  palacio  de  Bornos  de  la  misma  manera  que  el  de  Sevilla  — 
tuvo  por  fuerza  que  suspender  su  dictamen,  admitiendo  como 
muy  posible  que  las  dos  estatuas  mujeriles  procedîan  del 
estrangero  y  no  del  dcspoblado  de  Carisa. 

A.  E. 

I.   Composa  elhfos  chriatianos.  Historia  y  aniiguedad  de  h  villa  de  Bornos,   lyi^i. 


BLÀSCO  IBANEZ 

ET  LE  ROMAN  DE  MOEURS  PROVINCIALES 


Dans  une  de  ses  nouvelles,  parue  en  189 1  >,  J.  M.  de  Pereda 
défend,  avec  sa  verve  habituelle,  la  cause  du  «  roman  provin- 
cial »,  et,  d'une  façon  plus  générale,  la  «  literalura  provinciana  » 
elle-même.  11  estimait  alors,  —  et  je  sais  qu'il  n'a  pas  changé 
d'avis  depuis,  —  que  la  critique  madrilègne  affectait  un  dédain 
injurieux  à  l'égard  des  auteurs  de  province,  que  les  chicos  de  la 
prensa  {siinsi  qualifiait-il  ces  critiques)  faisaient  preuve  d'une 
partialité  qui  n'avait  dégale  que  leur  ignorance  systématique. 
Assez  haut  placé  dans  l'opinion  pour  n'être  point  soupçonné 
de  plaider  seulement  une  cause  personnelle,  l'illustre  auteur  de 
El  Sabor  de  la  Uerraca  et  de  Sotileza  mettait  dans  la  bouche  du 
montanés  Juan  Fernandez  l'une  des  protestations  les  plus  viru- 
lentes qui  aient  été  dirigées  contre  la  centralisation.  Pour  nous 
en  tenir  au  roman,  Juan  Fernandez,  ou,  si  l'on  veut,  Pereda, 
s'élevait  contre  le  préjugé  qui  représente  la  capitale  comme  un 
champ  d'observation  infiniment  plus  intéressant  que  l'insigni- 
fiante province.  «  Est-ce  donc,  s'écriait-il,  que  l'art  a  une  patrie 
et  un  théâtre  déterminé?  N'y  a-t-il  pas,  en  province,  des  hommes 
et  des  femmes  comme  à  Madrid?  Dès  lors,  qu'importe  que  le 
lieu  de  la  scène,  où  se  représente  un  fragment  de  la  comédie 
ou  du  drame  de  la  vie,  ait  pour  toile  de  fond  ces  mers  immen- 
ses et  ces  monts  abrupts,  ou  bien  les  arbres  et  les  files  de  voi- 
tures de  la  Caslellana?..  Le  grossier  paysan  de  nos  contrées,  le 
modeste  travailleur  de  nos  ateliers,  le  pêcheur  de  ces  mers 
grandioses,  la  simple  paysanne  de  ces  verdoyantes  campagnes 
ne  sont-ils  pas  faits  d'une  argile  aussi  digne  d'être  modelée 
par  la  main  de  l'artiste  que  votre  canaille  et  vos  Méiicgildes  de 
là -bas?  »  —  Voilà  pour  le  fond.  Quant  à  la  forme,  a  les  provin- 
cialismes  espagnols,    qui  sont  le   suc,    la   sève  de   la  langue 

I.   Nuhes  de  Estîo,  cliap.   XllI,  Palique,  p.  260-88. 


BLASCO    IBÂ^EZ    KT    LE    ROMAN    UE    MŒURS    PROVINCIALES  278 

malcrnellc,  ne  valent-ils  pas  autant  pour  le  moins,  au  point 
de  vue  de  l'expression  artistique,  que  le  jargon  de  mode  parmi 
la  foule  madrilègne?..  »  Tous  les  arguments  en  faveur  du 
roman  provincial,  c'est-à-dire  de  celui  qui  a  pour  objet  les 
êtres  et  les  choses  de  la  province,  sont  développés  par  Juan 
Fernàndez  avec  un  accent  qui  surprendrait,  si  les  polémiques 
du  temps,  oubliées  aujourd'hui,  n'en  expliquaient  la  vivacité. 
A  première  vue,  en  effet,  il  ne  semble  pas  que  cetle  thèse  : 
«  Si  es  iiovelable  la  provincia,  »  puisse  sérieusement  soulever  de 
discussion.  En  France,  du  moins,  je  ne  vois  pas  que  personne 
ait  tenté  de  soutenir  la  négative.  En  Espagne,  M"'"  Pardo 
Bazan  elle-même,  qui,  se  croyant  personnellement  visée,  avait 
répondu  à  la  fougueuse  sortie  de  l'irascible  Juan  Fernàndez  i, 
trouvait  cette  allégation  «  si  puérile,  que  ce  serait  perdre  son 
temps  que  de  la  réfuter  ».  Cela  reviendrait,  ajoutait-elle  avec 
raison,  à  nier  l'évidence;  car,  en  Espagne,  à  l'exception  de 
Galdos,  tous  les  romanciers  de  quelque  talent  ont  gagné  leurs 
éperons  en  décrivant  à  plusieurs  reprises  la  région  oii  ils  sont 
nés.  A  quoi  Pereda  répliquait 2  que  si  personne,  en  effet, 
n'avait  osé  soutenir  cette  théorie  ouvertement  et  en  termes 
exprès,  beaucoup  refusaient  en  fait  de  reconnaître  au  roman 
à  sujet  provincial  la  môme  portée  qu'à  la  Novela  madrilègne. 
j^me  Pardo  elle-même,  dans  la  Question  palpilaiile,  n'a-t-elle  pas 
parlé  de  ce  «  jardin  de  Pereda,  bien  arrosé  sans  doute,  bien 
cultivé,  rafraîchi  de  brises  champêtres  et  parfumées,  mais  au 
bout  du  compte  simple  jardin,  et  non  plaine  immense  ou 
vaste  parc?  (bien  regado,  bien  ciillivado,  oreado  por  aronidlicas  y 
scdubres  auras  campestres,  pero  huerio  al  fin,  no  exlensa  llanura 
ni  dilalado  parque)  ».  Et  c'en  était  assez  pour  exciter  l'humeur 
(splendida  bilis)  du  père  de  Solileza.  Lisez  plutôt  la  préface  de  ce 
dernier  roman,  dédié  exclusivement  «  aux  amis  de  Sanlander  n. 
—  «  Si  c'est,  comme  il  paraît,  une  chose  décidée  que  le  roman 
qui  se  pique  d'être  «  sérieux  »,  ne  doit  point  présenter  d'autres 
horizons  que  ceux  auxquels  est  accoutumée  la  «  bonne  société  », 
s'il  n'y  a  point  d'autres  sujets  «  importants  »  que  ceux  qui  se 

1.  Los  resqueinores  Je  Pereda,  Imparcial,  Enero  de  1891. 

2.  Las  comezones  de  la  S™  Pardo  Bazân,  Iinparcial,  ai  de  Febrcro  de  1891. 


a  74  BLLLETI>    HISPANIQUE 

déroulent  dans  les  grands  centres  organisés  à  la  moderne,  si 
la  redingote  et  le  boudoir,  lagioteur,  le  politique  vénal,  le 
jeune  savant  pauvre,  l'élégant  imbécile,  et  le  «  problème  »  de 
l'adultère,  et  le  problème  de  la  prostitution,  et  le  problème  de 
la  vertu  qui  chancelle,  et  tant  d'autres  problèmes,  jusqu'aux 
grossières  galanteries  du  chulo  du  Café  Impérial,  doivent  être 
les  thèmes  obligés  du  ((  bon  »  roman  de  mœurs,  comment 
oserais -je  aspirer  aux  applaudissements  de  tous,  à  l'appro- 
bation de  la  critique  militante,  avec  ce  tableau  des  misères  et 
des  vertus  dune  poignée  d'inconnus,  avec  des  accessoires  insi- 
gnifiants, et,  pour  toile  de  fond,  la  nature  dans  sa  grandiose 
tranquillité  ou  dans  ses  colères  déchaînées?  »  Si  j'exhume  cette 
vive  polémique,  dont  la  pointe  est  bien  émoussée  aujourd'hui, 
ce  n'est  certes  pas  pour  le  malin  plaisir  d'opposer  l'un  à  l'autre 
deux  des  plus  grands  romanciers  contemporains,  que  j'aime  et 
que  j'admire,  mais  parce  qu'en  elle-même  elle  me  paraît 
significative  d'une  double  tendance  des  esprits  en  Espagne,  et 
qu'elle  nous  conduit  directement  à  notre  sujet. 

Au  surplus,  elle  repose,  en  ce  qui  concerne  du  moins  le 
roman,  sur  un  simple  malentendu.  Ce  n'est  qu'au  point  de 
vue  proprement  mondain  que  l'horizon  provincial  pourrait 
être  plus  borné  que  celui  de  la  capitale.  L'humanité,  comme 
dit  Juan  Fernândez,  y  est  au  fond  la  même.  Peut-être  les  types 
y  sont-ils  moins  variés,  moins  souvent  renouvelés;  ils  sont 
encore  assez  nombreux  pour  fournir  amplement  à  la  produc- 
tion du  plus  fécond  des  portraitistes,  assez  divers  pour  que  l'on 
y  retrouve  toutes  les  nuances  connues  des  passions,  des  vertus, 
des  vices,  toutes  les  misères  et  toutes  les  grandeurs  de  notre 
pauvre  humanité.  Nul  ne  l'a  mieux  prouvé  que  Pereda  et 
M™"  Pardo  Bazân  eux-mêmes,  puisqu'ils  ont  également  tiré  leurs 
meilleurs  romans  du  terruno  bien-aimé,  de  la  monta/la  de  San 
tander  ou  de  la  Galice.  Au  bout  du  compte,  «  entre  provincianos 
anda  el  juego  » . 

Au  cours  de  cette  polémique.  M"""  Pardo  Bazan  remarque 
qu'en  France  beaucoup  de  romans  de  Balzac,  de  Zola,  de 
Daudet  et  le  chef-d'œuvre  de  Flaubert,  M'«e  Bovary,  ne  sont 
guère  que  des  descriptions  de  la  vie  de  province.   «  Et  cepen- 


ULASCO  ibam:z  et  ll  uoman   ui;  mi*:liis  inioviNCi.vLLs  370 

darit,  ajoute- 1- elle,  la  France  n'a  plus  celle  vivucilc  de 
coloris  régional  que  l'Espagne  a  conservée.  »  Certes,  les 
romans  cités,  auxquels  on  en  pourrait  joindre  tant  d'autres,  de 
Cherbuliez.  de  Ferdinand  F^abre,  de  Theuriet,  de  Bazin,  etc., 
attestenl  ù  la  fois  et  l'intérêt  de  ces  études  provinciales  et  aussi 
l'effacement,  le  pùlissemenl  de  celte  couleur  locale.  Il  en  est 
de  nos  types  provinciaux  comme  des  provinces  elles-mêmes: 
leur  originalité  se  perd  de  plus  en  plus.  On  peut  passer  de 
l'une  à  l'autre  sans  s'en  apercevoir.  De  même,  il  n'est  pas  facile 
de  dire  de  prime  abord  en  quoi  le  petit  bourgeois  tourangeau, 
dessiné  par  Balzac,  se  distingue  du  normand  de  Flaubert  et  de 
Maupassant,  ou  le  paysan  vendéen  de  Bazin  du  lorrain  de 
Theuriet,  voire,  malgré  l'exagération  bruyante  de  sa  person- 
nalité, du  provençal  de  Daudet.  «  Les  paysans  de  Maupassant, 
écrivait  M.  Rod,  à  propos  des  Nouvelles  paysannes  de  M.  Luigi 
Capuana,  sont  des  paysans  qui,  tout  normands  qu'ils  sont,  res 
semblent  aux  paysans  de  tout  pays.  »  Quelques  rares  détails  de 
costume,  quelques  usages  particuliers,  quelques  façons  de  dire 
spéciales,  l'on  efTacerait  aisément  tout  cela  sans  toucher  au 
fond  du  tableau.  La  part  d'humanité  devient  chez  nous  plus 
large,  et  moins  perceptible  la  différence  ethnique.  Dans  les 
frottements  plus  fréquents,  les  angles  s'usent  vite,  comme 
s'arrondissent,  en  se  heurtant  dans  le  lit  des  torrents,  les 
pierres  arrachées  aux  flancs  des  montagnes.  Les  grandes 
passions  demeurent,  et  les  grands  vices,  mais  s'ils  restent 
toujours  les  mêmes  en  leur  essence,  ils  perdent  de  plus  en 
plus,  dans  nos  sociétés  uniformisées,  ces  manières  d'être  par- 
ticulières dont  l'artiste  tirait  parti.  Les  types  individuels  n'y 
sont  peut-être  pas  plus  rares,  mais  ils  y  sont  moins  remar- 
qués. La  province,  au  contraire,  là  où  elle  existe  encore,  les 
conserve  plus  fidèlement;  elle  les  met  mieux  en  valeur;  elle 
donne  aux  caractères  et  aux  individus  une  empreinte  qui  ne 
s'efface  point  si  facilement;  elle  garde  enfin  plus  obstinément 
le  respect  et  le  sens  du  pittoresque.  Mais,  chez  nous,  la  pro 
vince  s'efface  et  disparaît  rapidement.  La  centralisation,  force 
fatale  que  n'arrêteront  pas  de  timides  protestations,  fait  son 
œuvre  :  elle  passe  sur  tout  et  sur  tous  son  rouleau  égalitaire. 


276  BULLETIN    HISPANIQUE 

Il  faut  aller  de  jour  en  jour  plus  loin  pour  s'apercevoir  que  l'on 
a  changé  de  place.  «  Si  l'on  a  chance,  dit  encore  M.  Rod,  de 
découvrir  des  êtres  qui  ne  portent  pas  trop  le  masque  du 
moule  commun,  qui  aient  encore  quelque  originalité  d'âme  et 
de  manières,  ce  n'est  que  dans  les  pays  qui  résistent,  comme 
ils  peuvent,  au  niveau  de  notre  culture.  Même  dans  nos  cam- 
pagnes, de  tels  êtres  ne  se  rencontrent  plus  tous  les  jours;  la 
génération  qui  monte,  façonnée  par  les  mêmes  entraînements, 
est  déjà  bien  monotone.  »  N'est-ce  pas  cet  ennui  du  déjà  vu, 
le  désir  d'autre  chose  qui  explique  le  goût  du  public  pour  les 
exotiques? 

En  Espagne,  la  novela  de  coslambres  provinciales  est  restée 
l'une  des  formes  les  plus  populaires  du  roman.  Dès  ses  débuts, 
avec  Fernân  Caballero  etTrueba,  —  pour  ne  point  remonter  aux 
cos  lambris  tas  comme  Estébanez  Galderon,  —  le  roman  moderne 
s'attache  de  préférence  à  l'étude  des  mœurs  locales.  Il  réserve 
une  place  importante  h  la  peinture  des  diverses  régions  de  la 
péninsule.  Plus  que  tout  autre,  par  exemple,  Fernan  Caballero 
contribua  à  mettre  à  la  mode  cette  Andalousie  un  peu  arti- 
ficielle dont  on  devait,  par  la  suite,  tant  abuser.  Quant  à  l'œu- 
vre du  Bilbaïnien  Trueba,  si  elle  fut  en  majeure  partie  écrite 
à  Madrid,  elle  n'est,  d'un  bout  à  l'autre,  qu'un  hymne  enthou- 
siaste en  l'honneur  des  Vascongades.  Est-il  besoin  de  rappeler 
le  rôle  considérable  que  joue  encore  l'Andalousie  dans  l'œuvre 
de  Pedro  Antonio  de  Alarcon,  l'auteur  de  l'incomparable  Som- 
brero de  1res  Picos,  ou  dans  celle  de  D.  Juan  Yalera,  dont  la 
Pépita  Jiménez  a  fait  tourner,  elle  aussi,  tant  de  têtes?  Certes, 
ni  l'un  ni  l'autre  de  ces  excellents  écrivains  ne  s'est  cantonné 
dans  le  petit  coin  de  terre  natale.  La  vive  intelligence  du  pre- 
mier, la  riche  expérience  personnelle  du  second  leur  ouvraient 
de  larges  horizons  et  des  jours  variés  sur  tout  ce  qui  peut 
intéresser  quiconque  a  vu,  comme  Ulysse,  «les  villes  et  les 
mœurs  des  hommes  ».  Il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  leurs 
chefs-d'œuvre  les  plus  populaires  se  sont  épanouis,  comme 
fleurs  du  terroir,  à  Grenade  ou  dans  sa  Yega. 

L'on  en  peut  dire  autant  de  l'œuvre  considérable  de  M"""  Pardo 
Bazan.  Après  tant  de  pointes  capricieuses  à  travers  le  monde 


BLASCO    IBA^EZ    ET    LE    ROMAN    DE    MœUUS    PUOVnCIALES  277 

des  idées  ou  de  l'art,  elle  en  revient  toujours  (les  dieux  en  soient 
loués  !)  à  la  (juerencia  favorite,  à  sa  chère  Marineda,  à  ces  côtes 
verdoyantes  de  Galice,  si  aimablement  poétisées  dans  la  Madré 
naturaleza  ou  dans  les  Pazos  de  Ulloa.  Quant  à  Pereda,  il  est, 
selon  l'expression  de  Menéndez  Pelayo,  la  monlana  faite  homme; 
il  en  a  écrit  Y  Iliade  et  X'Odyssée  ;  il  l'a  fait  entrer,  de  haute  lutte 
et  pour  jamais,  dans  la  géographie  littéraire  et  romanesque. 
S'il  en  est  sorti,  ce  ne  fut  qu'à  son  corps  défendant,  et  il  n'eut 
qu'à  se  louer  médiocrement  de  ses  excursions  hors  du  domaine 
qu'il  a  fait  sien,  lequel  s'étend,  on  le  sait,  des  côtes  rocheuses 
de  SolUeza  et   de   la  Puchera    aux   montagnes  jneigeuses    de 
Penas  arriba.  Par  une  fatalité  dont  il  faut  nous  féliciter,  il  ne 
retrouvait  toute  sa  force  qu'en  touchant  de  nouveau  le  sol  de 
la  Tierriica.  11  serait  trop  facile,  en  poursuivant  cette  énumé- 
ration,  de  montrer  que  le  roman  espagnol  contemporain  n'est, 
le  plus  souvent,  que  la  peinture  des  moeurs  locales.  Toutes  les 
provinces,  ou  peu  s'en  faut,  ont  leurs  chroniqueurs  attitrés  ; 
leurs  œuvres   réunies  formeraient  comme  un  curieux  musée 
des  mœurs,  coutumes  et  usages,  une  sorte  de  panorama  natio- 
nal. L'Andalousie  des  Alarcon,  des  Valera  revit  encore,  avec 
ses  vives  couleurs,  son  ciel  éclatant,  sa  physionomie  orientale, 
dans  les  chatoyantes  esquisses  de  Salvador  Rueda  ou  d'Arturo 
Rcyes.  La  Tierra  de  Campos,  l'immense  et  monotone  plaine 
de  blé,  a  trouvé  son  peintre  dans  Picavea  ;  l'Aragon  et  la  Sierra 
d'Albarracîn  ont  les  leurs,  en  tête  desquels  marche,  —  par  rang 
d'antiquité,  —  D.  Manuel  Polo  y  Peirolon.    Il    n'y   a  guère, 
comme  l'a  remarqué  M™'  Pardo  Bazun,  qu'une  exception,  glo- 
rieuse il  est  vrai,  parmi  les  maîtres  de  la  littérature  romanesque  : 
c'est  celle  de  Pérez  Galdôs.  Quelques  éclectiques  passent  volon- 
tiers d'une  région    à   l'autre  :  l'Asturien  Palacio   Valdés,    par 
exemple,  décrit,  avec  la  même  conscience,  les  côtes  des  Astu- 
ries  dans  José,  l'Andalousie   dans  Los  Majos  de  Cddi:  ou  La 
Ilermana  San  Sulpicio,  Valence  dans  la  Alegria  del  capikin  Ribot. 
Ceux-mêmes  qui  semblent  attacher  une  moindre  importance  au 
décor  (Jacinto  Picon,  Leopoldo  Alâs,  etc.),  placent  volontiers 
en  province  la  scène  de  leurs  intrigues. 

Ce  fait  frappe  bientôt  celui  qui  étudie  le  roman  espagnol.  Il 

Bull,  hispan.  19 


■i-jS  DtLI.ETlS    iliSPAMQLE 

s'explique  aisément.  L'originalité  de  la  province  s'est  mieux 
conservée  en  Espagne  que  chez  nous  :  l'action  du  pouA^oir 
central,  quelque  menaçante  et  tracassière  qu'elle  soit,  ne  s'y 
est  pas  fait  sentir  avec  la  même  intensité,  ou  elle  y  a  rencontré 
plus  de  résistance.  Les  diverses  parties  du  territoire,  fort  diffé- 
rentes par  la  nature  du  sol,  par  le  climat,  par  l'origine  ethnique, 
par  les  productions  et  les  intérêts  économiques,  forment  autant 
de  groupes  que  leur  histoire,  leurs  traditions,  leurs  coutumes 
différencient  encore  nettement.  Elles  sont  unies  par  un  senti- 
ment patriotique  ardent,  mais  qui  revêt  des  formes  très  variées, 
et  par  le  lien  de  la  religion,  dont  la  vieille  force  de  résistance 
paraît  sur  certains  points  faiblir.  Cette  individualité  persistante 
de  la  province  peut  devenir, —  en  Catalogne,  par  exemple, — 
un  péril  pour  l'unité,  car  elle  va  jusqu'à  l'opposition  voulue. 
Elle  s'accentue  par  la  différence  de  la  langue,  grave  préoccu- 
pation parfois  pour  les  gouvernants,  mais  gain  certain  au 
point  de  vue  littéraire.  Grâce  à  elle^  l'Espagne  possède  au 
moins  deux  littératures,  la  castillane  et  la  catalane,  et  chacune 
d'elles,  à  son  tour,  a  ses  variétés  plus  ou  moins  fécondes  : 
celle-là,  la  galicienne  et  l'asturienne;  celle-ci,  la  valencienne  et 
la  mallorquine.  Les  Catalans  sont,  à  bon  droit,  fiers  de  leur 
littérature.  «Elle  compte,  dit  un  bon  juge»,  des  romanciers 
qui  valent  les  meilleurs  d'Europe,  des  poètes  lyriques  et  dra- 
matiques admirables,  des  peintres  de  mœurs  (costumbrislas)  et 
des  critiques  supérieurs  ;  elle  possède  l'unique  poète  épique 
qu'il  y  ait  aujourd'hui  en  Espagne,  l'unique  dramaturge 
dans  les  tragédies  duquel  resplendit  le  génie  souverain  de 
Shakspeare.  )>  Et  ce  n'est  que  justice  de  citer,  à  côté  des 
Verdaguer  et  des  Guimera,  Narciso  011er  qui,  avec  plus  de 
talent  mais  non  avec  plus  d'amour  pour  la  patria  chica  que 
les  Yidal  y  Valenciano,  les  Pin  y  Soler,  les  Bosch  de  la  Trin- 
xeria  et  les  Vilanova,  a  laissé  des  tableaux  achevés  du  pays 
natal. 

A  ce  point  de  vue  donc,  la  capitale  n'exerce  sur  le  reste  du 
pays  qu'une  action  beaucoup  moins  tyrannique  qu'en  France, 
où  elle  menace,  il  est  vrai,  d'annihiler  toute  activité  provin- 

I.  Pcreda,  Nnbes  de  eslio.  p.  28^. 


nL.vsco  iBi>t:/,  i;t  le  j-.oman   me  \i(jr.t  rs  puovinciai.ks  279 

ciale.  Elle  n'a  point,  comme  Paris,  le  monopole  à  peu  près 
exclusif  des  initiatives  littéraires.  De  même,  si  ILniversité 
centrale  a  étouffé,  ou  peu  s'en  faut,  la  vie  scientifique  des 
vieilles  universités,  mortes  d'ailleurs  depuis  longtemps,  c'est 
plutôt  grâce  à  la  tyrannie  des  règlements  que  par  la  fécondité 
de  son  enseignement.  Pas  plus  dans  le  domaine  de  la  pensée 
que  dans  celui  de  l'expression  artistique,  lEspagne  ne  connaît 
ces  directions  souveraines  qui  assujettissent  à  une  unité  plus 
ou  moins  conventionnelle  la  diversité  des  esprits.  Loin  de  là  : 
c'est  de  la  province  que  sont  sorties,  plus  d'une  fois,  les  tenta- 
tives heureuses  ou  les  formes  d'art  originales.  La  centrali- 
sation intellectuelle  et  artistique,  à  peu  près  achevée  chez 
nous,  n'a  pas  encore  produit  tous  ses  effets  chez  nos  voisins. 
Faut-il  le  regretter?  Faut-il  les  en  féliciter? 


Mais  il  est  temps,  après  nous  être  quelque  peu  attardés  en 
chemin,  d'arriver  à  Valence,  d'où  nous  ne  sortirons  plus,  et  à 
l'œuvre  de  D.  Vicente  Blasco  Ibanez,  qui  semble  une  confirma- 
tion de  ce  qui  précède  et  une  preuve  de  plus  de  la  vitalité  des 
littératures  provinciales.  Il  y  a  peu  de  temps  (une  douzaine 
d'années  environ)  que  M.  Blasco  Ibanez  a  commencé  à  se  faire 
un  nom  comme  romancier.  Depuis,  il  n'a  point  perdu  son 
temps:  point  d'année  sans  œuvre  nouvelle.  Ha  vite  forcé  l'at- 
tention publique  ;  il  est  aujourd'hui  populaire,  sinon  prophète, 
en  son  pays,  et  en  passe  de  prendre  l'une  des  premières  places 
parmi  les  noveUslas.  Il  a  ses  admirateurs  enthousiastes,  et,  je 
crois  bien  aussi,  ses  ennemis  cordiaux;  sur  les  bords  du  Turia, 
comme  sur  ceux  du  Manzanares  ou  de  la  Seine,  ceux-là  ne 
vont  guère  sans  ceux-ci,  et  ce  n'est  qu'à  ce  prix  qu'on  sort  de 
la  foule.  Je  n'ignore  pas  que  cette  notoriété,  rapidement  ac- 
quise, cette  popularité,  un  peu  plus  bruyante  parfois  qu'il  ne 
voudrait  lui-même,  ce  n'est  point  exclusivement  aux  lettres 
qu'il  la  doit.  M  les  lenipla  serena  de  Lucrèce,  ni  la  tour  d'ivoire 
de  Vigny  ne  lui  suffisent.  Le  politique,  le  républicain,  le  libre 


280  BULLETIN    HISPAMQUE 

penseur  a  une  clientèle  pour  laquelle  les  préoccupations  d'or- 
dre  littéraire  (si  tant  est  qu'elle  en  ait)  ne   viennent  qu'en 
seconde   ligne.    Mais   on    connaîtrait   mal   la  personnalité   si 
vivante  de  Blasco  Ibânez  si  l'on  ignorait  que  l'écrivain  est  dou- 
blé d'un  homme  politique,    passionnément  engagé  dans  les 
luttes  de  parti  et  dans  les  querelles  locales.  C'est  là,  au  con- 
traire, un  élément  nécessaire  à  la  juste  appréciation  de  son  œu- 
vre, car  cette  dernière  reçoit  son  orientation  des  idées  politi- 
ques, religieuses  ou  sociales  de  l'auteur.  Mais  puisque,  grâce 
à  Dieu,  le  tumulte  des  batailles  locales  n'arrive  point  jusqu'à 
nous,  il  suffira  de  rappeler  ici  que  le  député  de  Valence  s'est 
placé  résolument  à  l'avant-garde  du  parti  républicain,  qu'il  a 
contribué  à  fonder  dans  son  pays  une  Université  populaire  (à 
l'instar  des  universitaires  d'Oviédo,  mais  dans  un  esprit  plus 
hardiment  démocratique),  enfin  qu'il  a  répandu  par  des  traduc- 
tions à  bon  marché  les  œuvres  de  combat  les  plus  célèbres, 
depuis  celles  des  Kropolkine  et  des   Sébastien  Faure  jusqu'à 
celles  des  Tolstoï,  Jean  Grave,  Renan,  Victor  Hugo,  Emile  Zola, 
Anatole  France,    Gorki,  d'Annunzio,  etc.  Cette  bibliothèque, 
économique  et  populaire,  dont  le  caractère  est  suffisamment 
défini  par  les  noms  qui  précèdent,  compte  déjà  plus  de  soixante- 
dix  volumes;   elle   a  son  importance,  je  n'ose  pas  dire  litté- 
raire, mais,  à  coup  sûr,  sociale  et  politique.  Et  l'on  a  pu  cons- 
tater l'influence  exercée  par  l'ardent  directeur  de  El    Pueblo, 
lorsqu'à  son  appel  les  colonnes  de  ce  journal  s'emplirent  des 
signatures  des  admirateurs  de  Zola. 

Cette  constatation   faite,  —  elle  était  nécessaire,  —  c'est  le 
lettré  seul,  le  romancier  qui  m'intéressera  ici.  Que  si  j'éprou- 
vais quelque  tentation  de  sortir  de  ces  limites,  il  me  suffirait 
de  songer  que  la  tâche  est  suffisante  de  se  faire  une  idée  réflé- 
chie d'une  œuvre  écrite  dans  une  langue,  sortie  d'un  milieu 
dont  forcément  certaines  nuances  échappent  à  un  étranger, 
sans  qu'il  se  donne  le  ridicule  de  prendre  parti  dans  des  que- 
relles qui,  par  bonheur,  ne  le  regardent  point.  Les  nôtres  nous 
suffisent  amplement.  Ce  n'est  point  toutefois  être  indiscret  que 
d'ajouter,  —  puisque  je  parle  de  l'homme,  —  qu'il  est  très  au 
courant  de  toutes  les  tentatives  de  nos  écoles  littéraires,   très 


lîLASCU    IBÂ>E/.    ET    LE    KOMA.\    DE    MUI-:LKS    PHUVINCIALES  281 

informé  du  mouvement  intellectuel  contemporain,  passionné 
pour  les  beaux- arts,  fanatique  de  Wagner,  dont  il  a  traduit  un 
ouvrage'.  Au  surplus,  je  ne  trahis,  ce  faisant,  aucune  confi- 
dence: il  suffit  d'avoir  lu  ses  récits  de  voyage^,  ou  même  ses 
romans^,  pour  être  fixé  sur  ses  préférences  de  lettré,  où  sur  ses 
goûts  d'artiste.  Et  tout  cela,  si  je  ne  m'abuse,  donne  déjà  l'im- 
pression dune  nature  très  riche,  très  vibrante  et  très  vivante, 
passant,  avec  une  fougue  impétueuse,  de  la  méditation  à  l'ac- 
tion, du  discours  au  livre  ou  à  l'article  du  journal,  de  la  rêverie 
à  la  propagande,  des  brutalités  de  la  politique  militante  aux 
joies  tranquilles  de  l'art,  de  l'atmosphère  enfiévrée  du  Congreso 
à  la  douceur  apaisante  de  la  plage  de  Malvarrosa. 

Malgré  ce  cosmopolitisme  intellectuel,  le  romancier  est  resté 
jusqu'ici  obstinément  attaché  au  terroir,  comme  si  sa  retraite 
eût  été  soigneusement  fermée  aux  bruits  du  dehors,  comme  s'il 
n'avait  eu  jamais  d'autre  horizon  que  celui  qu'on  embrasse  de 
la  plate-forme  du  Migu^lcte  ou  de  l'Acropole  de  Sagonte.  Toutes 
ses  œuvres  sans  exception  sont  consacrées  à  l'histoire  sociale, 
à  la  peinture  des  mœurs  et  du  paysage  valenciens.  Sur  ce 
point,  il  n'avait  eu  que  peu  de  précurseurs  et  le  sujet  était  à  peu 
près  intact,  en  ce  qui  concerne  tout  au  moins  le  roman.  Ce 
qu'il  y  a  de  plus  caractéristique,  en  effet,  dans  la  littérature 
valencienne  du  dernier  siècle,  ce  qu'elle  offre  de  plus  vérita- 
blement populaire,  original,  c'est  sans  doute  la  poésie  lyrique 
et,  dans  une  faible  mesure,  le  théâtre.  Et,  naturellement,  pour 
peindre  la  paysage  familier,  pour  traduire  les  sentiments 
locaux,  pour  animer  les  types  habituels,  c'est  la  langue  mater- 
nelle, cette  langue  valencienne,  dune  mollesse  si  gracieuse, 
Uetigim  mes  dolsa  que  la  mel,  qu'employèrent  les  poètes  et  les 
saynetistas  du  cru.  Les  vrais  chantres  de  Valence  avaient  été 
des  poètes,  comme  Tomas  Yillaroya,  Querol,  Teodoro  Llorente, 
Victor  Franzo  y  Simon.  Le  réveil  littéraire  régionaliste,  écho 
de  la  Renaixensa  catalane,  avait  surtout  été  favorisé  par  la  res- 
tauration des  Jeux  floraux,  en  iSSg,  et  puissamment  secondé 

1.  Novelas y  pensamientos  de  Wagner,  traducciûn  y  prâiogo  de  \'.  Blasco  Jbùne:. 

2.  Paris,  iinpresioiies  de  un  emigrado;  —  En  el  pais  del  arle,  elc, 

3.  Par  exemple,  Entre  naranjos. 


282  BlLLETl.N    HISPANIQUE 

par  la  propagande  de  la  Société  littéraire  du  Rai  Pénal.  A  côté 
des  lyriques,  dont  deux  ou  trois  seulement  ont  étendu  leur 
renommée  au  delà  des  limites  de  la  province,  il  serait  intéres- 
sant d'étudier  le  théâtre  populaire,  qui  ne  se  hasarde  pas  à  des 
compositions  de  longue  haleine,  mais  qui  se  contente  de  fixer, 
avec  une  amusante  franchise  et  un  médiocre  souci  des  règles 
classiques,  les  scènes  de  la  rue  ou  des  faubourgs,  de  la  Iluerta 
ou  du  Grao,  et  qui  se  plaît  de  préférence  à  la  caricature  des  ori- 
ginaux connus.  Autant  que  j'en  puis  juger  (mais  j'avoue  que  je 
suis  mal  documenté  sur  ce  point),  l'on  trouverait  déjà  dans  les 
Saynclcs  d'Escalante,  descendant  direct  du  madrilègne  Ramon 
de  la  Ciuz  et  frère  d'armes  du  gaditain  Gonzalez  del  Castillo, 
bien  des  silhouettes  que  l'on  verra  passer  dans  les  romans  de 
Blasco  Ibàûez.  Mais  ni  poètes,  ni  dramaturges  n'avaient  épuisé 
la  riche  matière  dont  le  roman  devait  s'emparer.  Pour  les  pre- 
miers en  effet,  la  description  de  la  nature  n'était  qu'un  orne- 
ment très  accessoire,  et  les  seconds  ne  visaient  qu'à  divertir 
un  moment  un  public  peu  exigeant  par  des  esquisses  rapidçs, 
superficielles,  d'un  comique  souvent  trop  appuyé.  Il  restait  à 
faire  pour  cet  admirable  pays  ce  que  Pereda  a  fait  pour  les 
côtes  santandérines,  une  étude  à  la  fois  pittoresque  et  péné- 
trante des  choses  et  des  êtres,  la  psychologie  du  peuple  et  la 
description  de  ces  rivages  heureux. 

La  matière  était  de  nature  à  tenter  un  peintre  et  un  psycho- 
logue, celui-ci  parce  qu'il  devait  trouver  dans  le  caractère 
valencien,  très  passionné  sous  des  apparences  de  mollesse 
orientale,  toute  l'originalité  désirable,  celui-là  parce  qu'il 
n'est  point  de  paysage  plus  tentant  pour  l'artiste  que  cette 
verdoyante  Hiierta,  enchâssée  comme  une  immense  émeraude 
entre  des  flots  éternellement  bleus  et  les  montagnes,  dont  la 
courbe  harmonieuse  s'étend  du  cap  San  Antonio  au  rocher 
de  Sagonte.  Le  charme  souriant  de  cette  terre  extraordinai- 
rement  féconde,  4a  pureté  classique  des  lignes,  la  finesse  d'une 
race  naturellement  élégante,  les  chantantes  inflexions  de  la 
langue,  tout  y  rappelle  au  voyageur  la  mollesse  ionienne. 
Si  les  érudits  ne  nous  avertissaient  qu'elle  ne  repose  que  sur 
une  simple    homonymie    (Za/.jvOoç,    Saguntiim),    nous    trouve- 


BLAS(;o  iiuNtz  i;r  i,i;  iiomw   de  m<*:i«s  pkovinci\i.l;s  -jS^t 

lions  viaiseinblable  la  légende  des  origines  grecques.  Tous 
ces  I faits  frappent  bientôt  le  passant,  pour  peu  qu'il  soit 
attentif,  mais  celui-là  seul  qui  a  grandi  dans  le  milieu,  qui 
est  initié  aux  mœurs,  qui  connaît  les  traditions,  les  préjugés, 
qui  a  vibré  à  toutes  les  passions  locales,  celui-là  seul  peut 
pénétrer  jusqu'au  cœur  et  aux  entrailles,  et  essayer  un  portrait 
exact. 

Ce  portrait,  Blasco  Ibànez  l'a  tenté  à  maintes  reprises,  et, 
pour  le  faire  plus  ressemblant,  il  a  varié  à  l'infini  les  points  de 
vue.  Il  s'y  était  préparé  par  des  esquisses  de  détail,  par  des 
notes  prises  au  hasard  des  rencontres,  et  réunies  dans  plusieurs 
volumes  de  contes  (Cuentos  Valencianos,  Cuenlos  grises).  J'ignore 
la  date  exacte  de  chacun  de  ces  croquis  d'après  nature,  mais  il 
est  évident  que  plusieurs  ont  été  utilisés  par  la  suite  pour  des 
compositions  plus  importantes.  On  aimerait  à  y  voir  les  pre- 
miers essais  du  romancier,  quelque  chose  comme  les  Bocelos 
al  te/nple  ou  les  Escenas  montanesas  de  Pereda.  Le  dulzainero 
Dimoni,    qui    promène   infatigablement   sa    clarinette   et  son 
ivresse  de  Cullera  à  Murviedro,  a  fourni  la  matière  de  l'un  des 
meilleurs  contes  :  nous  le  retrouverons  dans  Cculas  y  barro,  et 
peut-être   encore    a-t-il   servi  à  poser  la  bizarre    figure    de 
l'ivrogne  mystique    Sangoncra  dans   le    même    roman.    Nous 
reverrons  de  même  Nclet,  le  petit  ramasseur    de  fumier,  le 
femaleret,  dans  Arroz  y  larlaiia.  Il  y  a  bien  d'autres  croquis  de 
payeses,  de  guapos,  de  cimrros,    ou  de  pêcheurs  du  Cabanal 
que  l'auteur  n'a  eu  qu'à  sortir  de  ses  cartons  pour  les  mettre 
à  la  place  qui  les  attendait.  Gomme  il  sied  à  un  artiste  con- 
scient des  tâches  futures,  il  n'a  rien  dédaigné,  il  n'a  rien  laissé 
perdre;  une  légende,  une  tradition  populaire,    une   farce   de 
rapin,  une  plaisanterie  de  village,  un   conte  de  pêcheur  traî- 
nant dans  le  sable  de  Nazaret,  tout  lui  est  bon,  et  il  en  tirera 
d'aimables  petits  tableaux  de  genre  :  La  apuesla  del  espavellô, 
En  la  puer  la  del  cielo,  El  eslablo  de  Eva,  La  lomba  de  AU  Bellin, 
El  dragon  del  Patriarca,  etc. 

L'une  des  premières  œuvres  importantes  de  Blasco  Ibanez, 
c'est  Arroz  y  iariana  (Riz  et  iarlaiie).  Le  litre,  éminemment 
valencien,  est  à   peu   près   synonyme   de  notre  «  poudre  aux 


u8ll  BLLLETI>"    HISPA.MQLE 

yeux  »,  si,  comme  je  le  suppose,  il  est  emprunté  à  la  copia 

populaire  : 

«  Arros  y  tartana, 
Casaca  â  la  moda 
Y;  rode  la  bola, 
A  la  Valensiana!^  » 

C'est,  à  coup  sûr,  l'une  des  études,  sinon  les  plus  origi- 
nales, du  moins  les  plus  solides  et  le  plus  consciencieusement 
travaillées  de  l'auteur.  Arroz  y  tartana,  c'est  d'abord,  symbo- 
lisée par  les  transformations  de  la  boutique  Las  très  rosas, 
toute  l'histoire  du  petit  commerce  valencien  pendant  le 
dernier  siècle,  et  du  changement  de  mœurs,  conséquence  de 
ces  transformations;  c'est  ensuite  l'histoire  ((  naturelle  et 
sociale  »  d'une  famille  bourgeoise,  ou,  plus  exactement,  d'un 
groupe  se  mouvant  autour  de  cette  famille.  On  y  trouve  toute 
la  variété  des  typ'es  du  monde  commercial,  depuis  le  churro 
descendu,  sans  un  rouge  liard,  des  montagnes  de  Teruel  pour 
entrer,  en  qualité  d'homme  de  peine,  dans  quelque  obscure 
boutique  à  l'ancienne  mode,  jusqu'au  commerçant  «  moderne 
style  »,  mordu  par  le  démon  de  la  spéculation,  affolé  par  la 
lièvre  de  l'or.  C'est  enfin,  c'est  surtout  Valence,  dont  les  diffé- 
rents aspects  passent  sous  nos  yeux,  avec  ses  foules  bruyantes 
et  gaies,  qui  s'agitent  comme  en  un  cinématographe.  Voici  la 
Place  du  Marché  ou  Plaza  San  Francisco,  «  à  la  fois  ventre  et 
poumon  de  Valence  ».  Sa  description  n'occupe  pas  moins 
dune  trentaine  de  pages,  mais  rien  n'y  est  oublié,  ni  l'église 
des  Santos  Juanes,  décrite  depuis  les  covachas  où  les  bruyants 
ferblantiers  mènent  leur  tapage,  jusqu'à  l'oiseau  qui  surmonte 
le  campanile  de  l'horloge,  le  Pardalot  populaire,  avec  sa  queue 
en  éventail;  en  face,  l'admirable  Lonja  de  la  seda,  la  Bourse  de 
la  soie,  joyau  de  l'architecture  valencienne;  puis,  la  foule 
des  marchands,  des  boutiquiers  et  étalagistes,  avec  l'amon- 
cellement bizarre  des  fruits,  des  victuailles,  des  fleurs,  des 
produits  de  toute  sorte,  à  travers  lesquels  se  faufilent  les 
bandes  de  pilluelos  hâves  et  loqueteux,  obstinément  poursuivis 
par  le  maladroit  alguacil.  Ailleurs,  nous  assistons  tout  à  notre 

I.  Riz  et  tartane,  —  Casaque  à  la  mode  —  Et  roule  la  boule  —  A  la  Valencienne  I 


lîL.VSCO    IHÂNE/.    KT    LE    UOMAN    DE    MOEUUS    PKDVINCIVLES  2<S5 

aise  —  en  gens  qui  ne  sont  pas  pressés — à  la  grande  l'ète 
religieuse  du  Corpus,  avec  sa  cavalcade,  sa  procession  solen- 
nelle et  le  défilé  des  chars  ou  rocas  traditionnels,  et  cette 
description  copieuse  forme  un  tableau  aussi  coloré  et  éclatant 
qu'une  toile  de  Fortuny  ou  de  Rosales.  Notre  peintre  prodigue, 
avec  une  facilité  d'improvisateur,  les  aquarelles  valenciennes. 
Ici,  c'est  la  fulla,  le  feu  de  joie  de  la  saint  Joseph,  où  la  foule 
brûle  avec  délices  les  mannequins  des  hommes  politiques 
(El  nuiic  ermUmini...);  plus  loin,  la  foire  de  VAlanieda,  rendez- 
vous  de  la  société  élégante  et  ciirsi,  ou  l'inévitable  course  de 
taureaux,  enfin,  toute  une  galerie  de  tableaux  de  genre,  d'une 
forte  saveur  locale,  au  milieu  desquels  l'intrigue  chemine, 
non  sans  quelque  lenteur. 

La  description  du  milieu,  de  Vescenario,  y  occupe  une 
place  qu'un  art  plus  classique  trouverait  disproportionnée. 
Évidemment,  l'auteur  a  subi  l'influence  française,  et  parti- 
culièrement celle  de  Zola.  La  boutique  symbolique  des  Trcs 
Rosas  est  une  succursale  du  Bonheur  des  Darnes,  de  même 
que  la  symphonie  gargantuesque  du  Marché  rappelle  certain 
chapitre  du  Ventre  de  Paris.  Ces  ressemblances  ont  été  repro- 
chées à  l'auteur  comme  une  trahison  et  un  crime  de  lèse- 
patriotisme.  Ce  sont  de  bien  gros  mots.  Peut-être  Blasco 
Ibanez  s'est-il,  au  début,  trop  défié  de  lui-même,  et  a-t-il 
témoigné,  avec  un  excessif  esprit  de  suite,  son  admiration 
pour  le  Maître;  peut  être  Arroz  y  iartana  n'eût-il  pas  été  abso- 
lument ce  qu'il  est,  si  l'auteur  eût  moins  bien  su  le  français. 
Je  m'en  console  aisément  pour  ma  part.  Car,  s'il  en  eût  été 
autrement,  nous  y  aurions  perdu  des  pages  curieuses  et  écla- 
tantes, très  habilement  brodées,  quoique  sur  un  canevas  peut- 
être  étranger,  et  il  n'est  pas  sûr  que  l'intrigue,  allégée  de  ces 
apparents  hors-d'œuvre,  eût  gagné  en  précision.  Dans  Arroz  y 
Iartana  en  particulier,  l'exubérance  descriptive  me  choque 
d'autant  moins  que  ce  n'est  pas  tant  l'aventure  des  Pefia,  des 
Pajares  ou  des  Cuadros  qui  m'intéresse  (elle  est  d'ailleurs  fort 
dramatique),  que  l'évolution  économique  et  morale  de  la  classe 
moyenne  dans  une  ville  de  province.  Tel  est  le  vrai  sujet.  Si 
l'on  veut  bien  voir  les  choses  sous  cet  angle,  on  excusera  la 


a8G  BULLETIN    HISPANIQUE 

profusion  des  épisodes  :  ils  concourent  à  l'impression  définitive. 
Lisez  la  scène  dans  laquelle  l'ancien  mercier  D.  Juan,  parcou 
rant  Timmense  grenier  désert  où  bruissaient  jadis  les  métiers 
des  velluters,  champ  de  bataille  que  les  rats  disputent  mainte- 
nant aux  poules  et  aux  pigeons,  évoque,  avec  une  verve  épique, 
les  beaux  temps  où  florissait  «  l'art  de  la  soie  ».  Croit-on  que 
cette  page  —  inutile  à  l'intrigue  —  puisse  être  supprimée  sans 
dommage?  Non,  l'atmosphère  ambiante  est  nécessaire  à  la 
perspective;  sans  elle  le  relief  manque  ;  c'est  souvent  par  ce 
qui  les  entoure  que  les  personnages  valent  et  qu'ils  se  définis 
sent.  Aussi  toutes  ces  pointes,  en  apparence  capricieuses,  nous 
mènent-elles  au  but  plus  sûrement  que  la  ligne  droite  et  plate. 
Il  en  est  de  même  des  menus  détails  sur  la  vie  commerciale  de 
Madrid  dans  Fortunala  y  Jaciata,  de  Pérez  Galdos,  ou  des  des- 
criptions de  Tolède  dans  la  mystique  histoire  à'Aiigel  Giierra 
et  de  Dulcenombre.  Au  fond,  ces  «  hors-d'œuvre  »  sont  taillés 
en  plein  dans  le  cœur  du  sujet. 

Au  surplus,  ce  goût  pour  la  description,  qui  s'épanche  si 
librement  dans  Arroz  y  tartana,  devient  plus  sobre  à  mesure 
que  l'auteur  gagne  en  originalité.  Flor  de  Mayo  (Fleur  de  Mai), 
qui  suivit  à  deux  ans  d'intervalle  (1896),  nous  peint,  dans  un 
cadre  plus  réduit,  la  vie  des  pêcheurs  du  Cabanal  et  des, 
marins  du  Grao.  Elle  nous  intéresse  à  leur  double  lutte  contre 
la  misère  et  contre  la  mer,  cette  mer  ensorceleuse,  traîtresse, 
qui  sourit  si  bien  sur  la  côte  levantine,  mais  dont  la  colère 
s'émeut  si  subitement.  Et  toute  cette  histoire,  douloureusement 
banale,  est  résumée  dans  celle  d'une  famille  dont  les  membres 
périssent  victimes  de  la  brutalité  des  tempêtes  et  de  celle  de 
leurs  passions.  Elle  est  symbolisée  (car  l'auteur  aime  décidé 
ment  le  symbole  et  le  leit  motiv,  emprunté  au  drame  lyrique), 
par  deux  barques,  dont  la  première,  rejetée  à  la  côte  avec 
le  cadavre  du  tio  Pascual,  puis  traînée  sur  le  sable,  retournée 
et  rafistolée,  sert  d'abri  à  sa  famille,  tandis  que  la  seconde,  la 
pimpante  Flor  de  Mayo,  fruit  du  travail  et  de  l'audace  du 
Relor,  l'un  des  orphelins,  naufrage  à  son  tour,  ensevelissant 
avec  elle  les  deux  frères  ennemis  sous  les  yeux  de  celle  pour 
qui  et  par  qui  ils  meurent.  Flor  de  Mayo  est  riche  encore  de 


BLASCO    lUÂNEZ    ET    LE    U(3M.VN    DE    MCMU  US    PROVINCIALES  :i<S7 

types  et  de  scènes  évidemment  copiés  d'après  nature.  Certaines 
«marines»  sont  la  vérité  même;  la  tempête  finale,  en  parti 
culier,  avec  la  rentrée  éperdue  des  barques,  rappelle,  par  la 
précision  des  traits  et  la  largeur  de  la  manière,  l'incompa- 
rable description  de  la  galcvim  {[\n  couronne  Sotileza.  Mais 
combien  l'impression  que  nous  laisse  le  dur  labeur  de  ces 
pauvres  gens  est  plus  triste  chez  Blasco  Ibanez  que  chez 
Percda!  Celui-ci  prête  sa  foi  aux  misérables;  il  fait  toujours 
sourire  quelque  espérance,  comme  un  arc-en-ciel,  derrière  le 
nuage.  Celui-là  regarde,  non  point  sans  sympathie,  mais  sans 
espérance  et  sans  illusion,  les  passions  faire  leur  œuvre,  plus 
meurtrières  que  les  éléments  qu'aucune  main  pitoyable  ne  régit. 
La  Barraca  date  des  derniers  mois  de  1898.  Elle  nous  pré- 
sente encore  la  vie  du  peuple  sous  un  autre  de  ses  aspects. 
C'est  maintenant,  avec  Eiilre  naranjos  (qui  est  de  1900),  le 
poème  de  la  Huerta,  non  pas  poétisée,  comme  dans  ce  dernier 
roman,  pour  abriter  sous  les  orangers  des  amours  romanes- 
ques, mais  péniblement  fertilisée  par  le  labeur  sans  trêve  et 
sans  récompense.  Les  lecteurs  français  connaissent  la  Barraca 
par  la  traduction  dé  M.  Hérelle',  qui  a  fait  en  faveur  de  Blasco 
Ibanez  une  heureuse  infidélité  à  M.  d'Annunzio  :  espérons  ([ue 
ce  ne  sera  point  la  dernière.  La  renommée  de  l'auteur,  affer- 
mie, non  sans  lutte,  en  son  pays,  franchissait  la  frontière.  Les 
étrangers,  lorsjnême  qu'ils  ne  pouvaient  apprécier  l'exac- 
titude de  la  peinture,  étaient  séduits  par  l'énergie  passionnée 
de  ce  drame  rustique  et  par  le  charme  du  paysage.  La  chau- 
mière valencienne,  la  barraca,  avec  son  mur  triangulaire  d'une 
blancheur  sans  cesse  ravivée,  son  toit  aigu  de  cliaume  brun 
surmonté  d'une  croix,  sa  treille  ombrageant  le  devant  de  la 
porte,  les  roseaux  prochains  qui  frémissent,  avec  un  bruit 
d'étoffe  froissée,  le  long  de  Vacequia  ou  naville,  et,  plus  loin, 
à  perte  de  vue,  les  jardins  d'orangers  aux  feuilles  vernies, 
constellés  d'étoiles  blanches  et  de  fruits  d'or,  la  barraca  valeii- 
siaiia,  avec  tout  ce  qu'elle  représente  de  labeur,  de  misère  et 
d'originalité,   méritait  l'étude  d'un  observateur  autorisé.   Déjà 

I.   Revue  de  Paris,  Terres  maudites,  i"  et  i .')  octobre,   i"  et   i".  iioveinljrc  ui'm  ;  i)iii- 
en  volume  clicz  Calinann  Lévv. 


a 88  BULLETIN    HISPAMQUE 

l'excellent  et  délicat  Teodoio  Llorente  lui  avait  consacré  quel- 
ques-uns de  ses  plus  jolis  vers  : 

Baix  la  figuera,  hon  los  aussells  del  horta 

Canten  festins  l'aiibada  matinal, 

Al  primer  raig  del  sol  abri  la  porta 

Y  aïs  ayres  purs  del  cel  lo  finestral; 

Y  corn  la  mare  cova  à  la  nihuada, 
Les  amoroses  aies  estenent, 
Pobre  trespol  de  palla  ben  lligada 

La  guarda  de  un  mal  vent. 

Quatre  pilars,  mes  blanchs  que  la  azucena, 
Formen  devant  un  pôrlicli  de  verdor; 
Corre  sobre  ells  la  parra,  tota  plena 
De  pâmpols  d'esmeralda  y  rahims  d'or; 
A  son  ombra  lo  pa  de  cada  dia 
Repartix  à  sos  fills  lo  Trevall  sant, 

Y  en  la  taula  la  Pau  y  l'Alegria 

Les  Jlors  van  desfullant...  etc.  '. 

Llorente  chantait  en  poète;  Blasco  Ibânez  étudie,  attentif,  les 
passions  et  les  misères  humaines.  Les  unes  et  les  autres  parais- 
sent plus  émouvantes  encore  au  milieu  des  splendeurs  de  la 
nature  ;  la  laideur  des  âmes  contraste  douloureusement  avec  la 
beauté  des  choses.  Le  drame,  dont  la  chronique  locale  a  sans 
doute  fourni  les  traits  principaux,  jette  un  jour  désolant  (que 
l'on  voudrait  croire  assombri  à  l'excès)  sur  ces  natures  avides, 
dures,  superstitieuses,  si  difficilement  accessibles  à  la  pitié. 
Cette  fois  encore  c'est  avec  une  sorte  d'irritation  et  de  tristesse 
que  l'on  ferme  le  livre,  mais  aussi  avec  un  sentiment  d'admi- 
ration pour  l'éclat  du  coloris,  la  sobriété  du  trait,  l'habileté 
dramatique  de  la  composition,  la  solidité  des  portraits.  Batiste, 
l'acharné  travailleur,  victime,  avec  tous  les  siens,  de  stupides 
préjugés.  Pimenté,  le  giiapo  fainéant,  terreur  de  la  Huerta, 
Tonet  et  Roseta,  dont  les  amours  fleurissent  sur  ces  «  terres 
maudites  »,  le  vieux  pâtre  Tomba,  philosophe  sans  le  savoir, 

I.  «  Sous  le  figuier  où  les  oiseaux  du  jardin  chantent  joyeux  l'aubade  matinale, 
au  premier  rayon  du  soleil  elle  ouvre  sa  porte  et  sa  fenêtre  aux  airs  purs  du  ciel,  et 
comme  la  mère  couve  la  nichée  en  étendant  ses  ailes  amoureuses,  un  pauvre  toit  de 
paille  bien  tressée  la  défend  du  mauvais  vent.  —  Quatre  piliers  plus  blancs  que  le  lys, 
forment,  par  devant,  un  portique  de  verdure;  sur  eux  court  la  treille,  toute  pleine  de 
pampres  d'émeraudes  et  de  grappes  d'or,  et  à  son  ombre  le  Travail  sacré  partage  à  ses 
tils  le  pain  de  chaque  jour,  et  sur  la  table  la  Paix  et  la  Joie  effeuillent  des  fleurs...  » 


BLASCO    IBÂNEZ    ET    LE    ROMAN    DE    MœunS    PROVINCIALES  289 

Don  Joaquin,  le  ridicule  et  touchant  maître  d'école,  et  jusqu'au 
pauvre  Morriit,  obscur  descendant  de  l'illustre  Rocinante,  tout 
ce  monde  s'anime  parfois  d'une  vie  intense.  On  n'oubliera  pas 
non  plus  les  croquis  et  les  scènes  proprement  valenciennes,  qui 
complètent  si  bien  celles  de  Arroz  y  fartana;  par  exemple,  la 
séance  du  fameux  Tribunal    des   Eaux,    si  caractéristique  de 
«  la  ticrra  »,  ni  la  foire  aux  chevaux  dans  le  lit  desséché  du 
Jùcar,  ni  surtout  l'enterrement  de  Pascualet,  le  pauvre  petit 
albal,  étendu  au  milieu  do  Ycsludi,  sur  la  table  de  famille,  avec 
sa  couronne  et  ses  bouquets  de  fleurs  blanches,   son  fard  sur 
ses  pommettes  livides  et  son  accoutrement  naïvement  ridicule. 
Le  succès  éclatant  de  ce  roman  mettait  l'auteur  hors  de  pair. 
Deux  ans  plus  tard  il  donnait  au  public  Entre  naranJosfAii  milieu 
des  orangers).  Et,  certes,  la  partie  pittoresque  de  ce  nouveau 
récit  dénotait  le  même  talent,  le  même  bonheur  d'invention 
dans   le  détail.  Lauleur  a  tracé  peu  de  pages  plus  agréables 
que  le  panorama  de  la  plaine   où    s'éparpillent,  à  travers  les 
bois   d'orangers,   Alcira,   Garcagente   et    les  riches   villas   des 
deux  riberas;    ou    que  l'inondation  d'Alcira  et  la  procession 
qui  promène  solennellement  le  saint  patron  de  la  ville,  c  elpare 
san  Bernai  »  le  long  du  Jùcar  débordé^  qu'il  doit  faire  rentrer 
dans  son  lit.  A  travers  les  files  de  dévots  qui,  sous  les  averses, 
entraînent  le    curé    maugréant   contre    de   pareilles  corvées, 
on    sent   courir   une  satire  assez  irrespectueuse.   Le  glorieux 
triomphe  du  printemps  dans  la  Huerta  pleine  d'efïluves  trou- 
blants,  l'ivresse    de  la  nature  qui  verse  sa   volupté  dans  les 
cœurs,  l'hymne  païen  qu'entonnent  à  l'Amour  tous  ces  êtres 
inquiets   qui   soupirent    et    se    cherchent    sous    les<  orangers 
épanouis,  tout  cela  forme  autour  de  l'intrigue  une  parure  aussi 
touffue  que  le  lacis  de  jasmins  et  de  roses  qui  cache  la  «  Maison 
Bleue  ».  Et  cependant,  cette  éternelle  odeur  de  fleur  d'orangers 
qui  embaume  toutes  ces  pages,  de  même  qu'elle  poursuit  par- 
tout le  promeneur,  menace  bientôt  de  devenir  affadissante  et, 
comme  l'on  dit  là-bas,  enipalagosa.  Si  l'auteur  ne  nous  arra- 
chait à  temps  à  ces  langueurs,  elles  nous  énerveraient  vite. 
D'autant  plus  que,  malgré  ma  bonne  volonté,  je  ne  réussis 
qu'à  moitié  à  m'intéresser  aux  amours  de  la  chanteuse  Léonora 


3)0  BLLLETl.N    IIISPAMQLE 

et  du  jeune  cacique  Rafaël.  C'est  ma  faute  assurément,  et  cela 
prouve  que  je  n"ai  plus  la  simplicité  de  cœur  et  la  sainte 
naïveté  nécessaires  pour  goûter  les  péripéties  (et  elles  sont 
nombreuses,  et  aussi  romanesques  que  romantiques)  de  la  vie 
de  ladite  Léonora.  L'auteur  a  beau  lui  délivrer  très  galamment 
des  lettres  de  grande  naturalisation,  et  en  faire  une  fille  de  la 
Huerta,  on  sent  trop  qu'elle  n'est  qu'une  abstraction,  une 
création  du  rêve  et  non  de  la  réalité,  un  être  impalpable, 
comme  la  Walkyrie  dont  elle  était,  paraît-il,  l'incarnation.  Que 
nous  sommes  loin  de  ces  hommes  et  de  ces  femmes,  en  chair 
et  en  os,  que  l'on  nous  montrait  tout  à  l'heure!  Nous  voilà 
ramenés  aux  boulevards,  aux  coulisses  parisiennes  et  aux 
cabinets  de  lecture.  Que  j'aime  bien  mieux,  pour  ma  part,  les 
amusantes  silhouettes  de  cette  nichée  de  caciques  ou  que/es,  les 
D.  Jaime,  le  vieux  Brull  et  Ramon  !  Ceux-là,  oui,  sont  fils  du 
terroir,  croisés  de  vieux  chrétiens,  d'almogavares  et  de  Maures. 
Ils  ne  font  que  traverser  l'intrigue,  et  ils  en  pourraient  dispa- 
raître même,  sans  qu'elle  en  souffrît,  mais  ils  paraissent  plus 
réels  que  Théroïne  elle-même.  Il  n'est  pas  jusqu'au  barbier 
Cupido,  frondeur  et  impie,  à  M.  le  Recteur,  qui  trouve  ses 
ouailles  trop  superstitieuses,  ou  à  la  pauvre  horielana,  qui,  ses 
souliers  à  la  main,  grimpe  en  gémissant  à  l'ermitage  pour 
demander  sa  guérison  à  la  Vierge  del  Lluch,  qui  ne  nous  inté- 
ressent davantage.  Faut-il  croire  que  l'auteur  a  trop  compté, 
cette  fois,  sur  sa  dangereuse  faculté  d'improvisation?  Com- 
ment, quand  on  la  sent  si  prête  à  toutes  les  tâches,  se  défier  de 
son  imagination  •' 

Il  en  fa^llait  certes,  de  l'imagination,  et  beaucoup,  pour 
essayer  de  ressusciter,  comme  il  l'entreprit  dans  Sônnica  la 
cortesaiia  (1901),  le  passé  fabuleux  de  l'antique  Sagonte.  J'ima- 
gine qu'il  fut  doublement  sollicité  à  ce  tour  de  force,  d'abord 
par  l'exemple  de  Gustave  Flaubert,  qui  en  a  réalisé  un  sem- 
blable dans  Salammbô;  puis  par  l'obsession  de^  ce  nom  toujours 
présent  et  de  ce  rocher  illustre,  aperçu  de  tous  les  coins  de  la 
Huerta.  Comment  résister  à  la  tentation  de  demander  son  secret 
à  ce  Sphinx  accroupi  au  bout  de  la  plaine?  A  la  vue  des  ruines, 
théâtre  d'une   telle   tragédie,    l'imagination   s'éveille  aussitôt, 


in.ASCo  iruNE/,  i;t  m:  koman  nr.  Mctiaiis  i'uomncialls  ayi 

comme  à  Numance.  Nous  mémo,  en  gravissant  naguère  la  voie 
^  qui  conlournc  les  restes  de  ramphilhéàlre,  en  parcourant 
l'étroit  plateau  entoure  de  précipices  où  s'accrochent  les  cactus, 
en  admirant  du  haut  du  caslillo  le  panorama  encadré  par  les  flots 
hleus  et  les  montagnes  violettes,  en  suivant  l'isthme  qui  ralla 
che  l'acropole  à  la  sierra  voisine,  sorte  de  pont  par  où  entrè- 
rent tous  les  assaillants,  depuis  Hannibal  jusqu'à  Suchet,  nous 
nous  laissions  aller  à  faire  revivre  par  la  pensée  le  drame 
raconté  par  Ïite-Live.  Sur  cette  crête  rougeàlre,  aujourd'hui 
hérissée  de  créneaux,  trois  peuples  se  rencontrèrent  en  une 
lutte  suprême.  Qu'était-ce  donc  que  celte  opulente  Sagonte, 
convoitée  par  Rome  et  par  Carthage,  et  qui  rattachait  son 
origine  à  la  Grèce .^  D'où  lui  venaient  ses  trésors?  quels  soldats 
garnissaient  ses  remparts?  quels  dieux  habitaient  ses  temples? 
Ces  questions  que  le  voyageur  se  pose  en  escaladant  l'antique 
Murviédro,  Blasco  Ibanez  a  tenté  d'y  répondre.  Non  en  savant, 
quoiqu'il  se  soit  sérieusement  documenté  et  qu'il  ait  étudié  en 
conscience  les  anciens  et  les  modernes,  de  Tite  Live  et  Strabon 
jusqu'à  Hûbner  et  Chabret,  mais  en  artiste,  en  poète  qui,  sur  des 
fondements  parfois  ruineux,  bâtit  le  palais  enchanté  de  son  rêve 
et  le  peuple  de  fantômes.  N'allons  pas  demander  à  ces  derniers 
si  leur  état  civil  est  bien  en  règle;  ne  les  chicanons  point  sur 
quelques  anachronismes  ou  quelques  inexactitudes.  L'auteur 
ne  se  pique  point  sans  doute  d'avoir  débrouillé  l'obscure  ques- 
tion des  origines,  ni  même  d'avoir  dépeint  avec  une  précision 
d'antiquaire  le  mélange  des  civilisations  grecque,  ibérienne, 
punique  qui  se  heurtaient  dans  les  emporia  levantins,  rendez- 
vous  de  toutes  les  marines  méditerranéennes.  Il  suffit  qu'autour 
des  trop  rares  personnages  fournis  par  les  historiens,  tels 
qu'Hannibal  ou  Alorcus,  il  ait  fait  surgir  des  ruines  tragiques 
certaines  figures  représentatives  des  peuples  disparus,  8(')nnic^, 
la  courtisane  athénienne,  le  grec  Actéon,  par  la  grâce  descjucls 
l'élégance  ionienne  s'opposera,  selon  la  forn^ile,  à  la  rudesse 
ibérienne  et  à  la  férocité  punique;  Théron,  le  gigantesque 
prêtre  d'Hercule;  Euphobias  le  parasite;  les  charmantes  figures 
d'Erocion,  le  petit  alfarero,  et  de  Ranto  la  chevrière,  en  qui 
revit  la  grâce  sicilienne  des  bergers  de  Théocrite;  puis,  autour 


292  BULLETIN    HISPANIQUE 

d'eux,  une  foule  cosmopolite  apportant  de  tous  les  points  de  la 
Méditerranée,  de  Rome,  des  Iles  grecques,  des  colonnes  d'Her- 
cule, de  Carthage,  de  Massilia,  des  Gaules,  leurs  marchandises, 
leurs  coutumes,  leurs  langues  et  leurs  vices.  Tout  ce  monde 
s'agite  dans  un  pêle-mêle  papillotant  et  nous  emporte  à  travers 
les  scènes  d'un  archaïsme  féroce,  les  tableaux  audacieusement 
voluptueux,  les  fêtes  de  Vénus,  d'Hercule  ou  de  Minerve  ;  puis, 
quand  l'orage  menaçant  éclate  enfin,  quand  les  hordes  numides 
enserrent  la  ville,  les  horreurs  du  siège,  le  sang  qui  découle 
des  rochers  pélasgiques,  l'horrible  faim  et  l'incendie  final  qui 
éclaire  d'une  lueur  d'apothéose  la  fatale  figure  d'Hannibal  ;  en 
somme,  une  page  de  Tite-Live  curieusement  enluminée  par  un 
disciple  de  Flaubert,  qui  s'applique  à  l'imiter  de  son  mieux.  Et 
toujours,  au-dessus  de  ces  scènes  contrastées  à  dessein,  senle- 
vant  avec  vigueur  sur  ses  bases  cyclopéennes,  dont  l'énormité 
nous  remplit  encore  d'étonnement,  l'aérienne  perspective  de 
l'Acropole,  avec  ses  temples  d'Aphrodite  et  d'Héraklès,  ses  tours 
et  ses  bastions  et,  au  pied  du  clivas,  la  fatidique  image  du  Serpent 
divin  qui  tua  le  héros  éponyme,  Zacinthos,  compagnon  d'Her- 
cule. Car,  si  cette  féerie  et  ce  mélodrame,  avec  leur  magni- 
ficence orientale  et  leurs  bibelots  curieux,  relèvent  trop  sou- 
vent de  l'unique  fantaisie  du  metteur  en  scène,  si  l'intrigue 
n'y  paraît  trop  manifestement  que  l'accessoire,  le  paysage,  du 
moins,  n'a  pas  changé  :  ses  lignes  harmonieuses  prêtent  tou- 
jours leur  réalité  aux  fictions  de  l'artiste.  Ce  dernier  a  versé  en 
prodigue  sur  ses  tableaux  laborieux  «  toute  la  boîte  aux  par- 
fums »,  empruntés  aux  bons  fournisseurs;  il  a  versé  aussi,  dans 
un  mélange  que  M.  Maurice  Barrés  estimerait  très  espagnol,  u  du 
sang,  de  la  volupté  et  de  la  mort  ».  De  telle  sorte  que  les  nerfs 
habitués  aux  courses  de  taureaux  y  sont  suffisamment  secoués. 
Faut-il  expliquer  ainsi  le  succès  auprès  du  public  d'outre-monts 
d'une  œuvre  qui  semblerait,  par  son  inspiration  semi-érudite, 
s'adresser  de  préférence  aux  lettrés  ? 

En  racontant  la  catastrophe  de  Sagonte,  M.  Blasco  Ibanez 
n'était  point  sorti  en  somme  du  domaine  qu'il  avait  fait  sien  :  il 
avait  voulu  seulement,  par  un  effort  d'imagination  très  méri- 
toire, en  faire  revivre,  ne  fût-ce  que  d'une  vie  artificielle,  le 


CLVSCO    in.VNEZ    ET    LF.    nOM  V>    DE    MQEUUS    PnOVlNCl.VLES  2r)'S 

coin  le  plus  illustre.  11  avait  applitiué  à  celle  entreprise  loule 
la  patience  compatible  avec  une  fougue  qui  s'accommode  bien 
de  l'improvisation.  Très  différente  est  l'œuvre  qui  suivit,  à  un 
an  d'intervalle  :  Canas  y  barro  (Roseaux  et  fange).  Elle  marque, 
après  Flor  de  Mayo  et  la  Barraca,  une  nouvelle,  une  définilive 
étape  dans  la  carrière  du  romancier,  en  achevant  de  le  placer 
au  premier  rang.  L'intrigue,  au  fond,  ressemble  à  lun  de  ces 
drames  vulgaires  qu'enregistrent  les  journaux,  à  la  rubrique 
des  faits-divers.  —  Nous  sommes  au  Palmar,   misérable  petit 
village,  bâti  de  boue  et  de  roseaux,  sur  les  bords  du  lac  de 
l'Albuféra,  fief  du  maréchal  Suchet,  au  temps  de  Napoléon.  Les 
amours  naissants  de  Tonet,  le  fils  de  pêcheurs,  et  de  Neleta, 
sont  brusquement  interrompus  par  le  départ  du  premier  pour 
la  guerre  de  Cuba.  Lorsqu'il  en  revient,  quelques  années  plus 
tard,    tout  a  changé  au  Palmar.  Neleta  est  devenue  la  femme 
d'un  ancien  carabi/iero,  Canamel,  qui  s'enrichit  par  toutes  sor- 
tes de  trafics  louches.  Tonet,  désœuvré,  paresseux,  vivant  sur 
son  prestige  de  héros  et  sur  sa  réputation  de  joli  garçon,  sent 
renaître  son  caprice  d'autrefois,  d'autant  plus  impérieux  que  sa 
cupidité  et  sa  paresse  trouveraient  également  leur  compte  à  ces 
amours  adultères.  Bientôt  meurt  le  vieux  et  dolent  Canamel, 
laissant  sa  fortune  à  Neleta,  à  condition  qu'elle  ne  se  remarie 
point.  La  jolie  veuve,  partagée  entre  le  besoin  du  luxe  et  son 
amour  persistant  pour  Tonet,  ne  larde  pas  à  succomber  à  ce 
dernier.  Au  terme  d'une  grossesse  héro'iquement  dissimulée  aux 
regards  soupçonneux  des  intéressés,  un  enfant  naît,  que  le  père 
emporte  et  va  noyer  dans  le  lac.  Puis,  quand  le  double  crime 
est  découvert,   Tonet   se  tue  dans  ces  mêmes  roseaux  oîi  des 
chasseurs  ont  découvert  le  petit  corps  de  l'enfant  rongé  par  les 
sangsues.  Adultère,  infanticide,  suicide,  rien  ne  manque  à  celte 
lugubre   histoire.  Mais  c'est  moins  par   la  brutalité   de   l'ac- 
tion que  par  l'étude  pénétrante  des  caractères,  par  Ihabileté 
dans  le  développement  logique  des  passions,  par  la  netteté  des 
tableaux  que  l'auteur  réussit  à  nous  émouvoir.  Il  est  possible, 
comme  on  l'a  dit,  qu'il  ait  voulu  transporter  dans  un  milieu 
qu'il  connaissait  ù  merveille  les  sujets  et  les  procédés  habituels 
de  l'école  naturaliste.  Il  est  certain  que  le  réalisme  de  l'idée  ou 

Bull,  liisiion.  30 


'^[)^  BLLLEll.V    IUSPA.MQLë 

da  mot  a  dû  choquer  un  public  habitué  aux  nuances  moins 
crues  du  roman  espagnol.  Il  ne  nous  paraît  point  cependant 
avoir  dépassé  la  mesure  fixée  par  le  goût  et  par  le  respect  dû  au 
lecteur.  Tout  en  sinterdisant  les  répugnantes  précisions  de  la 
littérature  physiologiste,  il  arrive  à  une  intensité  d'émotion  ra- 
rement atteinte  dans  ses  œuvres  antérieures.  Malgré  une  partie 
descriptive  encore  abondante,  l'action  marche  rapidement,  l'in- 
térêt croît  de  scène  en  scène.  L'auteur  laisse  parler  ou  agir 
ses  personnages  ;  il  est  sobre  de  réflexions  philosophiques,  ex- 
quises quand  elles  sortent  de  la  plume  d'un  Valera,  mais  qui 
risquent  le  plus  souvent  de  faire  dévier  ou  languir  l'action.  Dès 
les  premières  lignes  nous  faisons  connaissance  avec  les  acteurs 
du  drame,  placés  dans  le  paysage  où  il  va  se  dérouler.  Cette 
scène  d'exposition,  —  le  voyage  de  la  barca-corrco  du  Palmar* 
au  Saler,  —  si  colorée,  si  rapide,  est  aussi  des  plus  habiles. 
Tous  les  personnages,  saisis  au  vol,  surpris  en  pleine  action, 
achèvent  la  collection  curieuse  commencée  dans  les  œuvres 
précédentes.  A  côté  de  Tonet,  elCubaiio,  mélange  de  vanité,  de 
paresse  et  de  faiblesse,  et  de  Neleta,  à  la  fois  voluptueuse,  entê- 
tée et  aA  ide,  voici  le  tio  Paloma,  le  vieux  pêcheur,  débris  des 
Ages  disparus,  l'homme  lacustre,  en  qui  s'incarne  TAlbuféra  et 
revivent  les  générations  préhistoriques  des  palafittes.  Il  prend, 
à  certains  moments,  une  grandeur  épique  qui  rappelle,  avec 
quelque  chose  de  plus  primitif,  l'inoubliable  iio  Tremonlorio 
des  Escenas  Montanesas.  Son  fils.  Tono,  silencieux,  tenace,  infa- 
tigable, représente,  lui,  une  autre  génération.  Il  s'obstine,  sa 
vie  durant,  à  combler  un  petit  coin  de  la  lagune,  et  il  finit  par 
lui  arracher  un  arpent,  où  il  aura,  lui  aussi,  son  champ  de  riz. 
En  vain  l'aïeul  s'étonne  et  s'indigne  du  labeur  de  ce  «  terrien  », 
de  ce  «  laboureur  »  (et  quel  mépris  dans  cette  épithète!)  :  Tono 
poursuit  son  œuvre  avec  l'instinct  puissant  et  obscur  de  la 
fourmi.  Et  la  Borda,  petite  bête  timide,  farouche  et  laide  (bes- 
tiezuela  timida,  arisca  y  fea)  que  Tono,  un  beau  jour,  a  ramenée 
des  Enfants  trouvés,  et  qui  s'épuise  à  la  même  tâche,  avec  la 
même  ardeur,  sans  intérêt  personnel,  mais  avec  une  arrière- 
pensée  qu'elle  n'ose  s'avouer!  M  l'un  ni  l'autre  ne  se  doutent 
que  lorsque  cette  terie.  versée  dans  le  lac  depuis  tant  et  tant  de 


ULVSCO    1BA>EZ    ET    LE    UOMAlN    DE    MOELUS    PnOVlNClAEES  a»)5 

mois,  aflleurera  enfin,  prête  à  recevoir  la  semence,  les  pre- 
miers coups  de  pioche  quils  y  donneront  ouvriront  la  fosse  de 
celui  qu'ils  aiment  d'un  amour  également  silencieux.  La  scène, 
qui  termine  le  roman,  est  d'une  simplicité  émouvante.  On 
nous  pardonnera  —  pour  montrer,  en  finissant,  la  manière  de 
l'auteur  —  den  traduire  un  court  passage. 

...  «  La  nuit  fut  lugubre  dans  la  barraca  des  Paloma.  Le  li'o 
Paloma  ne  chercha  point  de  détours  pour  annoncer  la  nouvelle. 
(Il  s'agit  du  suicide  de  Tonet.)  11  avait  vu  le  petit  mort,  la  poi- 
trine trouée  par  une  double  charge  de  gros  i)lombs,  enfoncé 
dans  la  fange  du  fourré,  les  pieds  hors  de  l'eau,  près  de  la  bar- 
que abandonnée.  Le  tio  Tono  remua  à  peine  les  paupières. 
Seulement  ses  lèvres  se  serrèrent  convulsivement  et  de  ses 
mains  crispées  il  se  déchirait  les  genoux...  Un  gémissement 
prolongé,  strident,  sortit  de  l'angle  obscur  de  la  barraca,  oii 
était  la  cuisine,  comme  si,  dans  ces  ténèbres,  on  égorgeait 
quelqu'un.  C'était  la  Borda  qui  gémissait^  atterrée  par  la  nou- 
velle. —  «  Silence,  petiote  1  »  cria  impérieusement  le  vieux.  — 
«  Tais-toi,  tais-toi!...  »  dit  le  père.  —  Et  la  nuit  lugubre  conti- 
nua, interrompue  seulement  par  les  sanglots  étouffés  de  la 
Borda  et  par  la  question  répétée  du  père  qui  voulait  ù  tout 
prix  revoir  une  dernière  fois  son  fils  unique  :  «  Pare,  pare, 
ahôn  esta?  Père,  père,  où  est-il?  »  Enfin  l'a'ieul,  qui  eût  voulu 
que  le  secret  fût  enseveli  à  jamais  dans  la  bouc  de  l'Albuféra, 
laisse  échapper  les  mots  :  au  fourré  du  Bolodru  1 

))  Le  tio  Toni  fit  un  geste  à  la  Borda.  Ils  prirent  leurs  pioches 
de  fossoyeurs,  leurs  perches  de  bateliers,  les  tridents  aigus  qui 
servent  pour  la  pêche  des  grosses  pièces.  Ils  allumèrent  une 
lanterne  à  la  flamme  de  la  lampe  et,  dans  le  silence  de  la  nuit, 
ils  traversèrent  le  village  pour  s'embarquer  sur  le  canal.  La 
barque  noire,  fanal  en  proue,  passa  toute  la  nuit  à  errer  dans 
l'intérieur  des  roselaies.  On  la  voyait,  comme  une  étoile  rouge, 
passer  au  milieu  des  roseaux.  A  la  pointe  du  jour,  la  lumière 
s'éteignit.  Ils  avaient  trouvé  le  cadavre  après  deux  heures  de 
recherches  anxieuses.  II  était  bien  tel  que  l'avait  vu  ra'ieul,  la 
tête  enfoncée  dans  la  fange,  les  pieds  hors  de  l'eau,  la  poitrine 
changée  en  une  masse  sanguinolente,  défoncée  par  la  mitraille 


396  BULLETIN    HISPAîNlQUE 

des  cartouches  de  chasse  tirées  à  brule-pouipoint.  Avec  leurs 
tridents,  ils  le  retirèrent  du  fond  de  l'eau.  Le  père,  en  piquant 
le  harpon  dans  cette  masse  molle,  pour  la  hisser  à  bord  d'un 
effort  surhumain,  croyait  l'enfoncer  dans  sa  propre  poitrine. 
Puis,  ce  fut  la  marche  lente,  anxieuse,  avec  des  regards  de 
tous  côtés,  comme  des  criminels  qui  craignent  d'être  surpris. 
La  Borda,  toujours  sanglotante,  maniait  la  perche  à  la  proue; 
le  père  l'aidait  à  l'autre  extrémité  de  la  barque,  et  entre  ces 
deux  figures  rigides,  dont  la  silhouette  se  découpait  dans  la 
clarté  diffuse  de  la  nuit  étoilée,  gisait,  étendu  de  son  long,  le 
cadavre  du  suicidé.  Ils  abordèrent  au  champ  du  llo  Toni,  à  ce 
sol  artificiel,  amoncelé  panier  par  panier,  à  force  de  bras,  avec 
un  entêtement  fou.  Le  père  et  la  Borda  prirent  le  cadavre,  le 
descendirent  avec  précaution  à  terre,  comme  si  c'était  un 
malade  qui  pouvait  se  réveiller.  Puis,  avec  leurs  pioches  d'in- 
fatigables terrassiers,  ils  commencèrent  à  ouvrir  une  fosse.  Une 
semaine  avant,  ils  apportaient  encore  de  la  terre  de  toutes  les 
extrémités  du  lac.  Maintenant  jls  l'ôtaient,  pour  y  enfouir  le 
déshonneur  de  la  famille. 

»  Il  commençait  à  faire  jour  quand  ils  descendirent  le  cada- 
vre au  fond  de  la  fosse,  où  l'eau  suintait  de  toutes  parts.  Une 
lumière  froide  et  bleuâtre  s'étendait  sur  l'Albuféra,  et  donnait 
à  sa  surface  l'éclat  dur  de  l'acier.  Dans  le  ciel  gris  passaient  en 
triangle  les  premières  bandes  d'oiseaux...  Le  Ho  Toni  regarda 
pour  la  dernière  fois  son  fils  ;  puis  il  se  détourna,  comme  s'il 
avait  honte  des  larmes  qui  lui  montaient  aux  yeux  et  triom- 
phaient de  sa  dureté...  Et  tandis  que  la  lamentation  du  Ho  Toni 
déchirait,  comme  un  cri  de  désespoir,  le  silence  matinal  de 
l'aube,  la  Borda,  en  voyant  le  père  tourné,  s'inclina  au  bord  de 
la  fosse  et  baisa  la  tête  livide,  d'un  baiser  ardent  d'une  passion 
immense  et  d'un  amour  sans  espérance  :  elle  osait,  devant  le 
mystère  de  la  mort,  révéler  pour  la  première  fois  le  secret  de 
sa  vie...  » 

L'une  des  figures  du  roman  le  plus  réussies,  quoique  pure- 
ment épisodique,  est  celle  de  Sangonera,  le  mendiant  qui, 
dans  une  demi-ivresse  perpétuelle,  erre  le  long  des  berges 
fleuries  de  l'Albuféra,  où  il  réussit  à  ne  jamais  glisser,  prome- 


UI.ASC.O    Ib4>EZ    et    le    UOMA.N    DE    MOEUUS    PUOVINGIALES  297 

nant  comme  un  philosophe  cynique  sa  glorieuse  paresse  et  ses 
haillons.  D'un  court  passage  au  presbytère  et  à  la  sacristie  sa 
cervelle  fumeuse  a  retenu  des  bribes  d'Évangile,  qu'il  entre- 
mêle bizarrement  à  ses  rêves  d'ivrogne,  et  il  s'en  va  sur  les 
bords  du  lac,  couronné  de  fleurs  et  de  plantes  aquatiques,  célé- 
brant la  bonté  de  Dieu  qui  n'abandonne  jamais  ses  créatures, 
plein  de  mépris  pour  les  malheureux,  dont  le  travail  lui  semble 
une  insulte  à  la  providence.  Il  annonce,  entre  les  frissons  de  la 
fièvre  et  les  hoquets  de  l'alcool,  les  temps  prochains  où  Jésus 
reviendra  pour  remettre  les  hommes  dans  le  bon  chemin. 
Poète  à  sa  manière,  «  il  n'avait  point  de  plus  grand  plaisir  que 
de  contempler  la  beauté  de  l'Albuféra,  et  quand  il  la  pouvait 
admirer  à  travers  quelques  verres  de  vin,  il  soupirait  de  ten- 
dresse comme  un  enfant  ».  Il  sélcve  même  jusqu'à  je  ne  sais 
quel  mysticisme  d'un  Verlaine  de  bas  étage,  lorsque  dans  les 
fumées  de  l'ivresse  et  les  reflets  roses  du  couchant  sur  les 
rizières,  il  croit  voir  Jésus  marcher  sur  les  eaux  de  la  lagune, 
comme  il  marchait  jadis  sur  celles  du  lac  de  ïibériade.  «  Il 
l'avait  rêvé  souvent,  et  même  en  certaines  occasions  on,  malade 
et  grelottant  la  fièvre,  il  était  allongé  sur  la  rive  ou  pelotonné 
dans  un  coin  de  sa  misérable  chaumière,  il  avait  vu  sa  lunique 
A'iolette,  étroite,  raide,  et  le  chemineau,  avec  une  exaltation 
011  entraient  à  doses  égales  son  ivresse  et  sa  foi  étrange,  se 
dressait  en  regardant  l'horizon.  Et  sur  le  bord  du  canal  où  se 
brisaient  les  derniers  rayons,  il  croyait  voir  la  svelte  silhouette 
de  Désiré,  comme  une  ligne  de  sombre  pourpre,  qui  s'avan- 
çait sans  remuer  les  pieds  ni  froisser  les  herbes,  avec  un  nimbe 
lumineux  qui  faisait  briller  la  chevelure  dorée  aux  suaves 
ondulations.  »  Pauvre  Sangonera,  qui  meurt  d'indigestion  le 
premier  jour  de  sa  vie  où,  grâce  à  un  chasseur  trop  confiant 
qui  lui  a  abandonné  ses  vivres,  il  peut  manger  à  sa  faim  et 
boire  à  sa  soif! 

A  côte  de  cette  picaresque  figure,  combien  d'autres,  curieu- 
sement observées,  comme  celle  du  Pare  Miquel,  «  cura  de  esco- 
peta  »  plus  encore  que  de  «  misa  y  olla  »,  toujours  prêt  à  casser  sa 
redoutable  houlette  sur  le  dos  de  son  troupeau  !  Mais  le  princi- 
pal personnage,  qui  ne  parle  jamais  quoique  toujours  présent, 


298  ULI.LETIN    HISPANIQUE 

celui  qui  est  peint  avec  le  plus  de  soin,  dans  ses  aspects  chan- 
geant selon  l'heure  et  le  jour,  avec  sa  flore  et  sa  faune  spé- 
ciales, c'est  l'Albiiféra,  la  grande  lagune  nourricière  et  meur- 
trière, dont  les  eaux  sans  cesse  drainées  par  les  filets  et  les 
mornells  font  vivre  cette  race  amphibie,  mais  aussi  dont  les 
boues  pestilentielles  dégagent  les  miasmes  qui  la  minent  et  qui 
la  tuent.  L'obsession  de  la  Fièvre,  embusquée  dans  les  roseaux 
frémissants,  nous  poursuit  de  la  première  ù  la  dernière  page  ; 
elle  finit  par  prendre  une  figure  à  nos  yeux,  comme  !a  Divinité 
dont  parle  Lucrèce, 

Horrlbili  super  adspecfn  mortalibus  instans. 

«  C'est  un  livre  qui  donne  la  fièvre,  écrivait  Mariano  de  Cavia  >, 
un  livre  qui  nous  pénètre  dune  impression  physique  d'an- 
goisse. La  vapeur  perfide  et  énervante  de  la  grande  lagune 
nous  trouble  et  nous  abat.  Nous  serions  atteints  par  les  cas  de 
paludisme  moral  et  social  que  nous  présente  le  romancier^  si 
les  fleurs  maladives  qu'il  fait  surgir  du  grand  marais  des 
volonlés  mortes  et  des  appétits  malsains  ne  disparaissaient 
dans  un  dénouement  horrible  et  effrayant.  »  Le  critique  a  rai- 
son, l'épuisant  frisson  de  la  fièvre  qui  use  les  nerfs,  la  soif  de 
l'or  qui  torture  les  âmes  cupides,  n'est-ce  pas  ce  que  l'auteur  a 
voulu  personnifier  dans  la  légende  de  la  couleuvre  Sancha,  pri- 
mitive hôtesse  de  ces  marécages,  et  l'uïiique  amie  d'un  petit 
pâtre,  avec  lequel  elle  grandit?  L'enfant  part.  Quand  il  revient, 
dix  ans  plus  tard,  Sancha  accourt  à  son  appel,  mais,  inconsciente 
de  sa  force,  elle  l'étouffé  en  ses  anneaux  caressants.  Dans  pres- 
que toutes  les  scènes,  l'Albuféra  joue  un  rôle  :  dans  l'idylle  de 
Neleta  et  de  Tonet,  perdus  toute  une  nuit  dans  la  Dehesa,  entre 
le  lac  et  la  mer;  dans  le  tirage  au  sort  des  postes  de  pêche,  ou 
«  redolins  »  ;  dans  les  aubades  et  fêtes  du  Palmar;  dans  la 
grande  chasse  annuelle  de  la  Saint-Martin,  etc.,  autant  de 
peintures  savoureuses  de  ce  paysage,  si  varié  en  sa  monotonie. 
La  toile  de  fond  s'harmonise  si  bien  avec  les  personnages  qui 
se  meuvent  au-devant  d'elle,  que  nous  ne  saurions  plus  les  en 
séparer. 

I.  Imparrial,  18  déc.  iç)oa. 


BLASCO    IBÂNEZ    ET    I,E    HOMAV    UE    M(H;(  IIS    l'llOVIN(JI AEES  :j()() 

Car  c'est  surtout  de  Cunas  y  bcivro  que  nous  pouvons  le  dire  : 
Blasco  Ibanez  a  d'abord  le  don  de  voir  le  trait  caractéristique 
d'un  paysage  ou  d'un  caractère,  et  celui  de  traduire  nettement 
son  impression.  Il  approprie,  avec  un  instinct  délicat,  le  pay- 
sage à  Uétude  psychologique,  qui  se  font  mutuellement  valoir 
et  qui  se  complètent,  en  quelque  sorte,  l'un  l'autre.  Flor  de 
Mayo,  La  Barraca  et  Canas  y  harro  sulFiraient  à  montrer  la 
valeur  de  la  partie  pittoresque;  dans  une  littérature  qui 
compte  d'admirables  pages  descriptives,  de  telles  œuvres 
tiennent  honorablement  leur  rang.  D'ailleurs,  le  manque  de 
proportion  entre  la  description  et  la  narration  préoccupe 
médiocrement  l'auteur  :  l'accumulation  de  détails  minutieux, 
qui  agissent  par  leur  multiplicité  même,  est  un  procédé  voulu. 
Nous  l'avons  déjà  noté,  les  hors-d'œuvre  qui  fleurissent  et 
enguirlandent  le  récit  principal,  au  risque  de  l'étoufler,  s'ils 
trahissent  une  composition  un  peu  flottante,  ajoutent  le  plus 
souvent  bien  de  l'attrait  à  la  narration.  Nous  saurions  mauvais 
gré,  je  crois,  à  qui  voudrait,  par  amour  d'un  art  plus  sobre, 
couper  d'un  ciseau  brutal  ces  ornements  parasites. 

On  en  peut  dire  à  peu  près  autant  de^  caractères.  Blasco 
Ibanez  excelle  en  l'art  du  portrait  :  les  détails  qui  précèdent 
nous  dispensent  d'insister  sur  ce  point.  La  netteté  du  trait 
fondamental,  la  vérité  du  costume,  la  propriété  du  langage, 
volontiers  émaillé  de  locutions  populaires,  voire  d'expressions 
valenciennes  pleines  de  saveur,  le  retour  intentionnel  de  tel 
ou  tel  détail  typique,  par  dessus  tout  la  connaissance  directe 
et  familière  des  mœurs,  des  habitudes,  de  la  coloration  spéciale 
que  prend  la  pensée  en  traversant  les  cerveaux  de  là-bas,  tout 
cela  explique  que  quelques-uns  de  ses  types,  d'ailleurs  sortis 
du  peuple,  soient  déjà  devenus  populaires. 

Il  est  toujours  dangereux  de  juger  la  langue  d'un  auteur 
étranger.  Nous  attendrons,  par  un  sentiment  de  défiance  trop 
naturel,  que  les  compatriotes  de  l'auteur  nous  aient  dit,  — 
sine  ira  et  studio,  —  leur  sentiment  motivé  sur  ce  point.  Dès  à 
présent,  il  est  aisé  de  deviner  leur  principal  grief  contre  l'écri- 
vain. Si  son  admiration  pour  les  naturalistes  français  a  paru 
compromettre  son  originalité,  si  les  procédés  chers  à  l'école  se 


3oO  BULLETIN    HISPANIQUE 

font  parfois  trop  sentir,  si  môme  l'on  peut  citer  tels  chapitres 
qui  paraissent  une  simple  transposition  de  pages  célèbres,  de 
même  le  style  se  teint  parfois,  aux  yeux  des  puristes,  de  nuances 
suspectes  et  de  couleurs  exotiques.  Les  académistes  se  font  fort 
de  relever  chez  lui  force  gallicismes  et  de  non  moins  nom 
breux  valencianismes.  Peut-être  ont-ils  raison,  et  il  m'a  paru, 
en  effet,  au  cours  de  ma  lecture,  me  retrouver  parfois  en  pays 
de  connaissance.  Je  ne  m'en  plains  pas  au  demeurant,  et 
même  ma  vanité  patriotique  en  est  secrètement  flattée.  Mais 
c'est  là  une  querelle  de  famille,  je  le  répète,  dont  nous  sommes 
mauvais  juges.  En  attendant  qu'elle  soit  vidée,  il  nous  sera 
permis,  j'espère,  d'admirer,  en  toute  tranquillité  de  conscience, 
l'abondance  facile  du  style  et  le  riche  coloris  de  la  langue, 
très  imagée  et  très  sonore.  Ces  qualités  sont  si  naturelles  chez 
l'auteur  que,  s'il  ne  se  surveillait  point,  elles  dégénéreraient 
vite,  celle-là  en  une  improvisation  sans  substance,  celle-ci  en 
une  profusion  indiscrète  de  touches  discordantes.  Mais  lors- 
qu'il se  tient  en  garde  contre  une  trop  manifeste  facilité, 
lorsqu'il  modère  sa  muse  trop  fougueuse,  qui  a  plus  besoin  du 
frein  que  de  l'éperqn,  il  est  peu  d'écrivain  plus  habile  à  satis 
faire  à  la  fois  le  grand  public,  pour  lequel,  en  somme,  le 
roman  est  fait,  et  les  délicats,  qui  prétendent  raisonner  leur 
plaisir. 

L'auteur  de  tant  de  romans  que  nous  avons  —  trop  longue- 
ment sans  doute  —  passés  en  revue,  est  actuellement  dans 
toute  la  force  de  lâge  et  dans  la  maturité  de  son  talent.  Les 
lettres  espagnoles  sont  en  droit  d'attendre  beaucoup  de  lui.  Je 
sais  que  la  politique  le  leur  dispute,  et  je  n'oublie  pas  que 
dans  un  temps  où  l'action  civique  est  un  devoir,  nul  n'a  le 
droit  de  préférer  un  repos,  môme  glorieux,  à  la  lutte,  trop 
souvent  cruelle.  Nous  nous  abstiendrons  donc  de  tout  conseil 
déplacé.  Que  si  cependant,  la  juste  tâche  accomplie,  l'artiste 
retrouve  les  loisirs  féconds,  qu'il  n'oublie  pas  que  ce  n'est  pas 
la  plus  mauvaise  manière  de  servir  une  patrie  passionnément 
aimée  que  de  la  rendre,  par  des  œuvres  qui,  elles,  ont  chance 
de  durer,  plus  digne  de  l'attention  de  l'Europe  lettrée. 

E.  MÉRIMÉE. 


VARIÉTÉS 


D'  Maria  Pacheco. 

Il  est  assez  singulier  qu'aucun  des  biographes  de  Diego  de  Mendoza, 
l'auteur  de  la  Guerra  de  Granada,  n'ait  insisté  sur  son  véritable  lien 
de  parenté  avec  Maria  Pacheco,  femme  du  conmnero  Juan  de  Padilla, 
celle  que  Sandoval  a  appelée  u  un  tizon  del  Reyno))  '.  Le  biographe  de 
D.  Diego,  dans  l'édition  de  la  Guerra  de  Granada  publiée  à  Valence 
en  1776,  après  avoir  énuméré  les  frères  de  l'historien,  mentionne 
deux  sœurs  :  «  Doua  Isabel,  que  caso  con  Don  Juan  Padilla,  y  Doiîa 
Maria,  muger  de  Don  Antonio  Ilurtado,  Conde  de  Monteagudon^*. 
D'où  vient  ce  nom  d'Isabelle,  qui  est  ici  par  erreiir  pour  Marie?  Je  me 
l'explique  d'autant  moins  que  le  biographe  renvoie  à  l'article  de  la 
Bihliotlieca  nova  d'Antonio,  où  le  lapsus  ne  se  trouve  pas.  Antonio 
rappelle  un  passage  d'une  dédicace  de  Paul  Manuce  à  Diego  de  Men- 
doza où  il  est  question  d'une  sœur  de  ce  dernier,  et  il  nous  fait  savoir 
que  cette  personne  accomplie,  si  prônée  par  l'humaniste  itaUen,  n'est 
pas  D"  Mencia  de  Mendoza,  marquise  del  Zenete,  qu'ont  portée  aux 
nues  Vives  et  Matamoros,  mais,  ou  bien  la  D"  Maria  qui  l'ut  mariée  au 
comte  de  Monteagudo,  ou  bien  l'autre  D"  ^laria,  femme  de  Juan 
de  Padilla  :  «  Hœc  non  est  Menzia  illa  Zenetensis  marchionissa, 
principisque  Calabriœ  uxor,  cujus  doctrinam  Vives  et  Matamorus 
mire  cxtollunt...  sed  vel  Maria,  quam  Antonius  Hurtadus  Mendozius, 
comcs  Monlisacuti,  alterave,  quam  Joannes  Padilla  ïoletanus,  uxores 
habuerunt».  Si  N.  Antonio  avait  réfléchi  un  peu  sur  le  passage  de 
Manuce  où  il  est  parlé  des  prouesses  guerrières  (mililaria  facinora) 
de  la  dame,  il  n'aurait  pas  hésité  entre  les  deux  sœurs  de  D.  Diego;  il 
se  serait  aussi  abstenu  de  citer  le  nom  de  D'  Mencia.  qui  n'a  rien  à  faire 
ici,  puisqu'elle  appartenait  à  une  tout  autre  branche  des  Mendoza. 

Les  historiens  des  Conmnidades  se  montrent  un  peu  mieux  rensei- 
gnés. D.  José  Quevedo  notamment  sait  que  Maria  Pacheco  était  «  fdle 
du  grand  comte  de  Tendilla,  marquis  de  Mondéjar,  et  de  la  sœur  du 
marquis  de  Villena^.  »  D.  Antonio  Martin  Gamero,  l'éditeur  de  Pedro 


1.  Historia  de  la  vida  y  hechos  del  emperador  Carlos  T',  livre  V,  §  iC. 

2.  Guerra  de  Granada,  Valencia,  1776,  p.  vi. 

3.  El  inovimiento  de  Espaûa  6  sea  Hisloria  de  la  revolurion  conocida  con  el  nombre  de 
las  Comunidades  de  CasliUa.  escrita  en  latin  por  el  presbilero  /).  Juan  Maldunado  y  Ira- 
ducida  par  el  [iresbitero  /).  José  Quevedo,  Madrid,  iSio,  p.  330. 


3o2  BULLETIN    HISPANIQUE 

de  Alcôcer,  dit  la  même  chose  et  se  réfère  de  plus  à  l'épi  ta  phe  que 
composa  pour  D^  Maria  son  parent  Diego  de  Mendoza  :  «  que  le 
compuso  su  deudo  el  famoso  D.  Diego  Ilurtado  de  Mendoza».  «  Mais 
cette  épithète  assez  vague  de  deudo  prouve  que  Gamero  ne  se  rendait 
pas  compte  que  Diego  et  Maria  Pacheco  étaient  frère  et  sœur. 

Évidemment  le  nom  de  famille  de  D"  Maria,  ce  nom  de  Pacheco, 
a  d'assez  bonne  heure  fait  perdre  de  vue  le  vrai  degré  de  parenté  qui 
unissait  l'auteur  de  la  Giierra  de  Granada  a  la  plus  célèbre  des 
viragos  espagnoles  du  xvi"  siècle  :  Diego  et  ses  autres  frères  et  sœur 
—  celte  sœur  aussi  nommée  Maria,  comtesse  de  Monteagudo,  dont 
parle  N.  Antonio  —  portaient  tous  le  nom  de  leur  père,  tandis  que  la 
seule  D"  Maria  qui  épousa  Padilla  portait  le  nom  maternel  de  Pacheco, 
cela  en  vertu  de  quelque  contrat  de  mariage,  ou  arrangement  de 
famille,  entre  D.  Inigo  Lôpez  de  Mendoza,  deuxième  comte  de  Ten- 
dilla,  et  sa  femme  D'  Francisca  Pacheco,  fille  de  D.  Juan  duc  d'Esca- 
lona,  père  et  mère  de  Diego  et  de  Maria  Pacheco. 

Or,  l'étroite  parenté  de  ces  deux  derniers  personnages  fait  tout 
l'intérêt  de  l'épitaphe  reproduite  d'abord  par  Gamero,  plus  tard  aussi 
par  Knapp  dans  les  Ohras  poétîcas  de  D.  Diego  Hurlado  de  Mendoza, 
Madrid,  1877,  p.  23i,  et  que  je  demande  la  permission  de  replacer 
sous  les  yeux  du  lecteur.  Je  la  transcris  sur  l'exemplaire  des  Poésies 
de  Mendoza  conservé  à  la  Bibliothèque  nationale  de  Paris  (fonds 
Espagnol  3ii)  et  qui  a  été  corrigé  par  l'auteur  lui-même. 

Epilaphio  de  dona  Maria  Pacheco. 

Si  preguntas  mi  nombre,  fue  Maria  ; 
Si  mi  tierra,  Granada;  mi  apellido, 
De  l^acheco  y  Mendoza,  conocido 
El  vno  y  otro  mas  que  el  claro  dia; 
Si  mi  vida,  seguir  a  mi  marido; 
Mi  muerte,  en  la  opinion  quel  sostenia. 
Espana  le  dira  mi  qualidad, 
Que  nunca  niega  Espana  la  verdad. 

Sous  le  laconisme  de  cette  octave,  on  sent  tout  l'orgueil  de  la  race  ; 
on  y  sent  aussi  comme  une  certaine  bravade  à  l'adresse  du  souverain 
qui  ne  voulut  jamais  pardonner  à  cette  femme  indomptable  et  qui  la 
laissa  mourir  en  exil.  D.  Diego  montre  dans  ces  vers  que  la  mémoire 
de  l'héroïque  obstination  de  sa  sœur  lui  était  restée  chère;  il  ne  dit 
rien  pour  excuser  la  conduite  de  D"  Maria,  il  proclame  même  avec 
une  évidente  satisfaction  qu'elle  est  morte  convaincue  de  la  justice  de 

I.  Pedro  de  Alcocer,  Relacion  de  aigunns  cosas  que  pasaron  en  estas  reinos  desde  que 
niuriô  la  Reina  CatôUca,  hasta  qae^e  arabarnn  la<  Coinunidades  en  la  ciudad  de  Toledo. 
Sevilla,  1872,  p.  1 18, 


\AUii;rt:s  .)0.> 

sa  cause  et  fidèle  à  son  mari.  Si  ces  sentiments-là  ont  été  connus  de 
Charles-Quint  et  plus  tard  de  Philippe  II,  on  ne  s'étonnera  pas  de  la 
sévérité  que  ce  dernier  surtout  manifesta  en  plus  d'une  circonstance 
à  l'égard  des  Mondoza  de  la  branche  de  Tendilla  :  le  souvenir  irritant 
d'une  femme  de  la  plus  haute  noblesse  castillane  qui  tint  un  moment 
en  échec  le  pouvoir  royal  et  la  façon  dont  certain  membre  de  la 
maison  des  Mendoza  parlait  de  sa  parente,  envisageant  sa  rébellion 
non  comme  une  tache,  mais  presque  comme  un  titre  d'honneur,  voilà 
qui  pouvait  amplement  justifier  la  rancune  d'un  Philippe  II». 

L'admiration  et  l'aircction  que  D.  Diego  avait  vouées  à  cette  sœur 
s'étendaient  aussi  aux  rares  qualités  intellectuelles  dont  elle  fit  preuve. 
Il  est  probable  qu'étant  à  Venise  il  en  parla  souvent  à  ^lanuce,  et  c'est  ce 
qui  explique  le  passage  si  intéressant  cité  par  N.  Antonio,  mais  auquel 
on  n'a  pas  assez  pris  garde.  Manuce  dédiant  à  Mendoza  le  petit 
volume  qu'il  édita  à  Venise  en  lô^i  et  qui  porte  le  titre  de  M.  Tullii 
Ciceronis  De  Philosophia  prima  pars,  après  avoir  loué  D.  Diego 
d'ajouter  à  la  gloire  militaire  déjà  gagnée  à  la  famille  par  son  père,  la 
haute  culture  littéraire  qu'il  s'est  lui-même  acquise,  mentionne  ensuite 
sa  sœur  qui  elle  aussi  a  su  unir  les  vertus  belliqueuses  au  talent  litté- 
raire :  «  quo  in  numéro  »  —  de  ceux  qui  «  et  res  praîclaras  manu 
gerere,  et  quœ  gesserunt,  literis  custodire  ipsi  possunt  »  —  fuit  soror 
illa  tua  prœstantissima  fœmina  :  cuius  miliîaria  facinora  cum  audi- 
mus,  cuiuis  eam  nostrœ  œtatis  viro  animi  magnitudine  comparamus  : 
cum  aiitem  ca,  qiix  scripsil  legimus,  vel  antiqiiis  scriptorUnis  ingenii 
prsestantia  similliman  iudicamus.  »  Nous  savions  déjà  par  la  relation 
d'un  secrétaire  de  D^  ^laria^,  qui  nous  a  conservé  le  détail  de  sa  fuite 
de  Tolède  et  de  son  séjour  en  Portugal,  que  la  veuve  de  Padilia  était 
une  femme  des  plus  instruites  : 

Fue  mi  seilora  Doua  Maria  Pacheco  muy  docta  en  latin  y  en  griego  y 
nialhemàtica,  e  muy  leida  en  la  Santa  Escritura  y  en  todo  génère  de  his- 
toria,  en  extremo  en  la  poesia.  Supo  las  genealogias  de  todos  los  reyes  de 
Espana  y  de  Africa  por  espanto,  y  despues  de  venida  a  Portugal  por  ocasion 
do  su  dolcncia,  pasô  los  mas  principales  autores  de  la  niodicina,  de  manera 
que  cualquiera  letrado  en  todas  estas  facultadcs,  que  venia  à  platicar  con 
ella,  habia  menester  venir  bien  apercebido,  porque  en  todo  plalicaba  muy 
solil  y  ingeniosamente. 

Peut-être  avait-elle  profité  des  leçons  que  Pierre  Martyr  avait 
données  à  son  frère  le  troisième  comte  de  Tendilla,  D.  Luis  Ilurtado 


1.  Voir,  à  ce  sujet,  un  passage  de  Cabrera,  Historia  de  Felipe  II,  t.  III,  p.  35i. 

2.  Cette  relation,  analysée  par  Quevedo  (El  movimienlo,  p.  33^)  et  à  laquelle  Ferrer 
del  Rio  a  fait  quelques  emprunts  {Decadencia  de  Espana.  Madrid,  iXôo,  passiin),  a  été 
publiée  in  extenso  par  D.  Antonio  Rodriguez  Villa  dans  la  Revisto  Europea  de  18-9. 


3o4  lîULl.LïlN    IllSPAiSIQl  i; 

de  Mendoza  i  ;  mais  c'est  grâce  à  Manuce  seulement  que  nous  appre- 
nons qu'elle  avait  écrit.  Quoi?  Des  mémoires?  En  ce  cas,  que  sont-ils 
devenus?  S'ils  existent  encore,  on  souhaiterait  que  le  savant  biogra- 
phe des  femmes  espagnoles  auteurs,  D.  Manuel  Serrano  y  Sanz,  les 
retrouvât  et  nous  les  fît  connaître. 

A.  M.-F. 


Relation  de  la  bataille  de  Fuentes  de  Onoro 
(5  mai  ISll)^. 

Jean-Rodolphe  Fromentin,  lieutenant  au  2°  bataillon  de  l'Yonne, 
puis  au  25°  dragons,  était  adjoint  à  l'état-major  du  général  Montbrun 
lorsqu'il  assista  à  la  bataille  de  Fuentes  de  Onoro.  Il  écrivit  en  1818 
une  relation  de  cette  bataille  et  l'envoya  au  maréchal  Gouvion  Saint- 
Cyr,  ministre  de  la  guerre.  S'il  s'attache  surtout  à  retracer  les  mouve- 
ments de  la  cavalerie,  son  récit  est  clair,  instructif,  et  les  historiens  de 
la  guerre  d'Espagne  le  consulteront  avec  profit-^. 

J.-B.  MORLEIX. 


Monseigneur,  vous  êtes  trop  partisan  de  la  gloire  française,  à  laquelle  le 
nom  de  votre  Excellence  appartient  tout  entier,  pour  ne  pas  lire  avec 
quelque  intérêt  le  rapport  d'un  des  beaux  faits  d'armes  de  la  cavalerie  de 
l'armée  de  Portugal,  sous  les  ordres  de  M.  le  lieutenant-général  comte  de 
Montbrun,  qui  la  commandait  en  chef. 

J'avais  l'honneur  d'être  officier  de  l'état-major  de  la  cavalerie  et  de  me 
trouver  à  cette  affaire,  dont  le  souvenir  m'est  encore  assez  présent  pour  en 
soumettre  quelques  détails  à  votre  Excellence. 

Nous  étions  à  peine  assis  dans  les  cantonnements  qui  nous  avaient  été 
donnés  après  noire  retraite  du  Portugal,  que  cette  armée  reçut  l'ordre  du 
Prince  d'Essling,  qui  en  avait  le  commandement,  de  se  mettre  en  marche 
sur  Almeida  pour  débloquer  cette  place  et  l'approvisionner  en  vivres  qui 
suivirent  l'expédition. 

Je  n'entrerai  point  dans  tous  les  détails  qui  nous  amenèrent  à  la  position 
anglaise  près  Fuentes  de  Oiioro,  quelques  circonstances  ne  m'étant  pas 
parfaitement  connues,  et  ne  devant  d'ailleurs  parler  que  des  faits  que  j'ai 
pu  apprécier  et  retenir  et  de  ce  qui  est  particulier  à  la  cavalerie  de  cette 
armée. 


1.  Voyez  J.  Bernays,  Petrus  Martyr  Anglerius  und  sein  Opus  epistolarum,  Strasbourg, 
1891,  p.  12.  Il  est  plusieurs  fois  question  de  Maria  Pacheco  dans  les  lettres  de 
Martyr;  dans  l'une  d'elles,  adressée  à  son  élève  D.  Lui's,  Martyr  dit  avec  à  propos: 
«De  sorore  tua  Donna  Maria  Pachieca  hujus  tumultuarii  Padiliae  uxore  nescio  quid 
fertur,  qaod  marili  sit  ipsa  maritus»  (Opus  epistolarum,  Amsterdam,  1670,  n°  711). 

2.  Archives  de  la  Guerre. 

3.  Fromentin  était  né  à  Neuilly  le  7  janvier  1778;  il  fut  mis,  comme  capitaine,  au 
traitement  de  réforme  le  2O  septembre  i8j8. 


VARIÉTÉS  3o5 

La  cavalerie  était  arrivée  et  bivouaquée  dans  les  environs  de  Fuentcs  de 
Oiioro  et  de  INave  de  Avel;  elle  avait  poussé  des  reconnaissances  sur  dilTé- 
rents  points,  reconnu  San  Pedro  et  la  route  de  Rodrigo  à  Alnieida,  que 
l'ennemi  occupait  en  force,  lorsque,  le  4  mai,  M.  liî  comte  de  Monlbrun 
reçut  du  Prince  l'ordre  de  disposer  sa  cavalerie  pour  soutenir  le  lendemain 
matin  un  mouvement  général  qu'il  projetait  à  l'eilet  de  débusquer  le 
général  \Vellington  de  la  belle  position  qu'il  tenait  entre  La  Coa  Marialva, 
Elbodom  et  Fuentes  de  Oùoro,  dont  il  était  maître,  et  s'ouvrir  le  passage  sur 
Almeida. 

M.  le  comte  de  Montbrun,  avant  d'arrêter  ses  dispositions,  se  rendit  de 
suite  près  la  position  ennemie  dont  il  devait  s'emparer.  Il  n'avait  avec  lui 
que  quelques  officiers  et  je  me  trouvais  du  nombre.  Nous  tournâmes  Nave 
de  Avel  et  nous  approchâmes  le  plus  près  possible  des  points  qu'il  avait 
ordre  d'attaquer  et  d'enlever,  et  nous  reconnûmes  que  la  cavalerie  anglaise, 
protégée  par  des  plis  de  terrain,  une  artillerie  bien  placée,  et  sans  doute 
plus  d'infanterie  que  nous  n'en  pouvions  découvrir,  se  trouvait  dans  une 
assez  belle  position  :  l'ennemi  ayant  sa  gauche  à  San  Pedro  et  couvrant  la 
grande  route  d' Almeida,  et  sa  droite  appuyée  à  La  Coa,  occupant  Fuentes  de 
Onoro;  l'artillerie  était  sur  un  plateau  dominant  la  position  et  près 
Atalaya.  Enfin,  nous  poussâmes  notre  découverte  jusqu'au  ruisseau  nommé 
Elbodom,  mais  l'ennemi  envoya  sur  nous  quelques  cavaliers  qui  ne  purent 
nous  rejoindre,  M.  le  comte  de  Monlbrun  ayant  terminé  ses  observations  et 
repris  le  chemin  de  son  quartier  général,  où  nous  rentrâmes  sans  accident. 

Les  ordres  furent  expédiés  à  la  cavalerie,  qui,  dans  la  nuit  du  4  au  5,  se 
mit  en  marche  pour  le  rendez-vous  indiqué,  et  le  5,  au  point  du  jour, 
environ  2,Goo  chevaux  étaient  reposés  et  en  présence  de  5,oooà  6, ooo  chevaux 
anglais  soutenus  de  fortes  masses  d'infanterie  et  d'une  artillerie  aussi  bien 
servie  que  placée;  nous  n'avions  avec  nous  que  quelques  pièces  de  petit 
calibre. 

De  part  et  d'autre,  les  surprises  étaient  difficiles  puisque  les  troupes 
étaient  sous  les  armes  et  se  battaient  depuis  cjuclques  jours;  aussi  trouvâmes- 
nous  l'ennemi  sur  une  défensive  qui  nous  lit  croire  qu'il  connaissait  notre 
mouvement  de  nuit. 

Nous  étions  arrivés  sur  le  ruisseau  d'Elbodom,  débordé  par  le  village  de 
Fuentes  Onoro  que  notre  infanterie  attaquait  vigoureusement  sous  les 
ordres  et  en  présence  du  Prince.  Nos  tirailleurs  se  portèrent  en  avant,  bien 
appuyés;  les  escadrons  anglais  firent  un  mouvement  sur  nous,  soutenus  de 
leur  artillerie  qui  nous  faisait  beaucoup  de  mal.  M.  le  comte  de  Montbrun 
les  attendit  de  pied  ferme;  les  charges  s'engagèrent  et  furent  heureuses 
pour  les  nôtres;  nous  poussâmes  même  la  cavalerie  ennemie  assez  brusque- 
ment. Mais  nous  arrivâmes  sur  des  masses  d'infanterie  masquées  par  le 
terrain  et  qui  étaient  échelonnées  en  plusieurs  carrés;  les  escadrons  anglais 
occupèrent  les  intervalles,  et  nous  nous  trouvâmes  sous  le  feu  de  l'infanterie 
et  de  l'artillerie.  M.  le  comte  de  Montbrun,  quoique  sans  infanterie,  n'hésita 
point  à  faire  enfoncer  les  carrés;  il  marcha  en  tète  de  sa  cavalerie  et  ces 
carrés  furent  pris  ;  la  cavalerie  anglaise,  poussée  et  culbutée,  et  nos  esca- 
drons en  possession  de  presque  tout  le  terrain  qui  sépare  le  Tourrenis  du 
ruisseau  d'Elbodom.  Ce  mouvement  hardi  avait  secondé  les  efforts  de  noire 
infantorie  et  Fuentes  de  Onoro  était  au  pouvoir  du  Prince,  l'ennemi  se 
retirant  sur  les  hauteurs  de  CastcUobom. 

L'infanterie  française  fut  de  suite  occuper  un  bois  en  avant  de  Fuentes  de 


3o6  BLLLET1>    HISPAMQLE 

Onoro,  cl  à  notre  droilc,  où   le  Prince   fit  établir  sou  quartier  général, 

M.  le  comte  de  Montbrun,  seul  avec  ses  chevaux,  n'avait  pu  conserver  ses 
nombreux  prisonniers  dont  la  majeure  partie  avait  fui;  il  reçut  de  nouveau 
l'ordre  de  pousser  l'armée  anglaise  et  d'achever  une  opération  si  bien 
commencée. 

>otie  cavalerie  s'ébranla  pour  la  seconde  fois;  nous  eûmes  des  succès, 
fîmes  encore  des  prisonniers;  on  s'empara  de  quelques  bagages,  et  quoique 
l'infanterie  ne  iirit  qu'une  faible  part  à  nos  manœuvres,  nous  n'en  pous- 
sâmes pas  moins  vivement  l'armée  anglaise;  nous  dépassâmes  le  Tourrenis", 
et  mîmes  la  confusion  dans  les  rangs  ennemis  dont  les  équipages  se  por- 
taient vers  La  Coa  avec  un  encombrement  précurseur  de  sa  défaite.  Mais  il 
fallait  de  l'infanterie,  qui,  sans  doute  disposée  ailleurs  utilement,  ne  vint 
point  appuyer  M.  le  comte  de  Montbrun,  qui  fut  forcé  de  laisser  ses  prison- 
niers, de  repasser  le  Tourrenis  et  de  se  remettre  en  position  sur  le  premier 
terrain  enlevé  de  vive  force  à  l'ennemi,  entre  le  Tourrenis  et  le  ruisseau 
d'Elbodom. 

C'est  ici  où  s'arrêtèrent  les  charges  hardies  et  les  savantes  dispositions  de 
M.  le  comte  de  Montbrun.  Le  Prince  d'Essling,  convaincu  sans  doute  de 
l'impossibilité  de  s'ouvrir  la  route  d'Almeida,  décida  l'envoi  d'émissaires 
dans  cette  place,  avec  ordre  de  la  faire  sauter  et  à  la  garnison  de  nous 
rejoindre.  Mais,  après  avoir  attendu  en  position  le  temps  nécessaire  pour 
l'arrivée  de  ces  émissaires  et  l'exécution  de  ses  projets,  n'apprenant  et 
n'apercevant  aucun  résultat,  et  les  vivres  apportés  pour  l'apiirovisionncment 
d'Almeida  étant  consommés,  le  Prince  fit  faire  le  mouvement  rétrograde, 
repassa  l'Agueda,  appuyant  sa  gauche  à  Giudad-Rodrigo  et  sa  droite  à  San 
Felices  El  Grande,  occupant  le  pont  de  Barbas  de  Puerco. 

Mais,  au  moment  où  la  droite  commençait  son  mouvement  de  retraite,  on 
entendit  dans  la  plaine  quelques  coups  de  fusil  au-delà  de  Barbas  de  Puerco 
et  bientôt  on  s'aperçut  que  c'était  la  garnison  d'Almeida  qui,  ayant  fait 
sauter  la  place,  faisait  une  trouée  pour  nous  rejoindre.  Alors  M.  le  général 
Reynier  reprit  le  pont  sur  r.\gueda  et  protégea  l'arrivée  de  cette  garnison 
que  ramenait  M.  le  général  Brenier. 

Quelques  jours  après,  l'armée  dite  de  Portugal  reçut  l'ordre  d'aller 
occuper  ses  cantonnements  dans  les  provinces  de  Salamanque,  Zamora,  etc., 
où  elle  se  rendit. 

Je  désire,  .Monseigneur,  par  ce  court  aperçu,  avoir  réussi  à  offrir  à  votre 
Excellence  quelques  détails  nouveaux  sur  une  affaire  qui  s'est  passée  loin 
d'Elle. 

I .  Le  Turones. 


BIBLIOGRAPHIE 


EL  Diablo  cojuelo  por  Luis  Vêlez  de  Guevara.  Reproduccion 
de  la  cdicion  principe  de  Madrid,  i6/ii,  por  Adolfo  Bonilla  y 
San  Martin.  Vigo,  librerîa  de  Eugenio  Krapf,  1902;  xxxviii- 
273  p.,  in-8°. 

Cette  édition  très  méritoire  répond  à  un  besoin  depuis  longtemps 
ressenti.  Il  est  évident  que  les  œuvres  diflîciles  de  la  littérature  clas- 
sique espagnole,  telles  que  les  Snenos  et  autres  fantaisies  de  Qucvedo, 
ou  plusieurs  picaresques,  comme  la  Picara  Juslina,  ou  encore  le  petit 
roman  de  Guevara,  restent  lettre  morte  pour  les  neuf  dixièmes  des 
Espagnols;  on  y  happe  bien  dc-ci,  de-là,  quelques  passages,  toujours 
les  mêmes,  qu'on  aime  à  citer  et  à  admirer,  mais  le  reste  n'existe  que 
pour  un  petit*  nombre  d'érudits,  amateurs  de  vieilleries  démodées. 
Pourquoi?  Parce  que  ces  livres,  d'une  écriture  volontairement  obs- 
cure, pleins  d'allusions  à  des  usages  disparus,  n'ont  été  jusqu'ici 
réimprimés  que  par  des  éditeurs  négligents  et  ignorants  qui  n'ont 
rien  fait  pour  en  faciliter  l'intelligence  à  leurs  lecteurs.  Les  textes 
d'abord,  fautifs  déjà  à  l'origine  dans  les  éditions  publiées  du  vivant  et 
sous  les  yeux  des  auteurs,  sont  devenus,  à  force  d'être  mécaniquement 
reproduits,  de  plus  en  plus  incorrects  et  inintelligibles  :  d'où  pre- 
mière difficulté,  les  lecteurs  même  lettrés  de  nos  jours  n'étant  pas  en 
état  de  retrouver  la  pensée  d'un  écrivain  du  xvii'  siècle  à  travers  les 
coq-à-l'àne  et  les  fautes  d'impression  des  éditions  modernes  seules 
accessibles.  Et  si  les  textes  sont  mauvais,  les  commentaires  les  plus 
indispensables  font  naturellement  défaut  :  comment,  en  effet,  im 
éditeur  qui  imprime  sans  sourciller  des  bévues  et  des  non-sens  pour- 
rait-il expliquer  ce  que  lui-même  ne  saurait  réussir  à  comprendre? 
Le  premier  devoir  donc  qui  s'impose  à  quiconque  s'elTorce  de  remettre 
en  honneur  et  à  la  portée  du  public  cette  littérature  oubliée  et 
incomprise  consiste  à  rétablir  dans  leur  état  primitif  les  textes  altérés, 
à  signaler  dans  ces  textes  ainsi  restitués  tout  ce  qui  paraît  fautif  et  à 
essayer  de  réparer  ces  fautes,  qu'elles  soient  le  résultat  de  simples 
coquilles  d'imprimerie  ou  bien  d'un  manque  de  correction  de  la  part 
de  l'auteur  ou  du  reviseur  de  l'édition  princeps.  Le  second  devoir  est 
d'expliquer  de  son  mieux  les  ditricullés  verbales,  historiques  et  de 
pensée  de  l'œuvre  reproduite. 

Nos  voisins  ont,  en  général,  peu  de  goût  pour  ce  genre  de  travaux; 


3oS  BULLETIN    HISPANIQUE 

la  plupart  jugent  qu'ils  comprennent  assez  leurs  classiques,  et  j'en 
sais  qui  n'admettraient  pas  qu'on  leur  dit  qu'ils  ne  les  entendent  qu'à 
demi  et  très  superficiellement.  Il  est  cependant  vrai,  tout  à  fait  vrai, 
qu'ils  ne  les  entendent  guère,  et  pourquoi  en  serait-il  autrement?  Un 
Anglais  comprend-il  Shakespeare,  et  un  Français  Rabelais  et  Mon- 
taigne, ou  même  bien  des  passages  de  La  Fontaine  et  de  Molière,  au 
pied  levé  et  sans  préparation?  Les  Espagnols  jouiraient-ils  donc  de 
grâces  spéciales  refusées  aux  autres  humains?  Non  possunt  studiosi 
homines  divinare,  disait  cependant  l'Espagnol  Vives,  qui  n'était  point 
le  premier  venu,  et  s'il  est  des  choses  que  les  studiosi  ne  devinent  pas, 
que  dirons-nous  des  autres?  M.  Bonilla  partage  les  idées  de  Vives,  en 
ce  sens  qu'il  croit  nécessaire  de  constituer  des  textes  sûrs  des  anciens 
auteurs  et  de  les  commenter.  Sa  conviction  est  d'ailleurs  assez  récente, 
car  l'édition  qu'il  nous  a  donnée  il  y  a  deux  ans  du  Viage  entretenido 
de  Rojas,  dans  la  Colecciôn  de  libros  picarescos,  se  conforme  encore  à 
l'ancien  système;  le  texte  en  est  un  peu  plus  mauvais  que  celui  de 
la  dernière  réimpression  de  1798  :  je  puis  le  dire,  m'étant  imposé 
la  peine  de  le  collationner  sur  l'édition  princeps  de  i6o/i.  Mais  aujour- 
d'hui M,  Bonilla  professe  les  bons  principes,  et  il  faut  l'en  féliciter 
cordialement.  Ayant  affaire  cette  fois  à  un  ouvrage  particulièrement 
difficile,  il  s'est  mis  en  devoir  d'abord  de  nous  en  restituer  la  leçon 
primitive  et  non  encore  altérée  par  les  remaniements  ou  les  négligences 
des  éditions  subséquentes.  Ce  premier  travail  ne  demande  que  de 
l'attention  et  du  soin  ;  mais  il  ne  s'en  est  pas  tenu  là,  il  a  estimé  très 
justement  qu'il  convenait  d'élucider  les  passages  difficiles  et  obscurs 
de  son  auteur  :  de  là  un  commentaire  nourri  et  précis  qui  rendra  de 
très  bons  services  à  la  plupart  des  lecteurs.  Il  a  été  aidé  dans  ce 
second  travail,  beaucoup  plus  ardu  que  le  premier,  par  des  notes  de 
D.  Aguslin  Durân,  que  cet  excellent  érudit  avait  rédigées  pour  un 
amateur  étranger  à  la  demande  de  l'Académie  espagnole;  néanmoins, 
la  part  personnelle  de  M.  Bonilla  reste  considérable  dans  ce  commen- 
taire et  fait  honneur  à  son  intelligence  et  à  son  savoir.  On  peut 
regretter,  toutefois,  qu'il  ait  renoncé  aux  a  notes  historiques»  ',  car- 
en  dehors  de  beaucoup  de  gens  de  qualité  comolaisamment  mention- 
nés par  Guevara  dans  son  Cojiielo  et  qui  n'offrent  pas  grand  intérêt, 
l'auteur  parle  çà  et  là  de  contemporains  sur  lesquels  il  ne  serait  pas 
inutile  d'avoir  des  renseignements  puisés  à  bonne  source. 

I.  M.  Bonilla  a  toutefois  rédigé  quelques  notes  historiques  sur  Andrés  de  Clara - 
monte,  le  comte  de  Cantillana,  D'  Ana  Caro,  le  marquis  dcl  Carpio,  D.  Juan  de 
Espina.  Pourquoi  alors  no  pas  continuer?  A  propos  de  Luis  Pacheco  de  Narvaez,  dont 
il  parle  à  la  page  21  li,  il  aurait  fallu  rappeler  une  information  très  curieuse  sur  la 
querelle  de  ce  maître  de  l'escrime  mathématique  avec  Qucvedo,  qui  figure  dims 
certaine  gazette  puljliéc  par  D.  Antonio  Rodriguez  Villa  (La  Corte  y  monarqula  de 
Espana  en  los  anos  de  163G  y  37,  Madrid,  188G,  p.  57).  On  n'en  a  pas  tenu  compte  dans 
la  biographie  do  Quevedo  de  la  nouvelle  édition  de  Sévillc. 


UlliLlOGU.VlMlIE  009 

Dans  l'introduction,  M.  Jk)nilla,  après  avoir  trace  le  plan  de  son 
édition  et  indiqué  les  principes  qui  l'ont  guidé  dans  la  reproduction 
de  l'œuvre  de  Guevara,  essaye  de  déterminer  la  date  de  la  composition 
du  Cojuelo,  qu'il  pense  avoir  été  écrit  entre  i63o  et  1637.  Il  signale 
ensuite  l'analogie  qui  existe  entre  l'idée  essentielle  du  Cojuelo  —  la 
visite  de  la  société  espagnole  sous  la  conduite  du  démon  —  et  celle 
d'un  vejamen  de  D.  Francisco  de  Uojas,  dont  je  reparlerai  tout 
à  l'heure.  Je  ne  crois  pas  qu'il  faille  ajouter  grande  importance  à  cette 
co'incidence  ;  le  Cojuelo  est  essentiellement  une  satire  tucianesfjue  et 
Guevara  à  la  fin  du  chapitre  F""  n'omet  pas  de  signaler  son  modèle: 
«  don  Cleofas,  »  dit  le  diable  à  son  compagnon,  «  desde  esta  picota 
de  las  nubes,  que  es  el  lugar  mas  eminente  de  Madrid,  (j  mal  ai'io  para 
Menipo  en  los  dialogos  de  Luciano!),  te  he  de  ensenar  todo  lo  mas  nota- 
ble que  a  estas  horas  passa  en  esta  Babilonia  Espaûola.  »  Le  Ménippe 
de  Lucien  hantait  d'autres  écrivains  satiriques  de  l'époque  :  ainsi 
Bartolomé  de  Argensola  l'invoque  dans  son  épitre  à  Nuno  de  Mendoza  : 

Si  tu  pudiesses  ver,  conio  el  Menipo 
De  Luciano,  en  los  ayres  sustenido, 
Cuando  (cuanlo  ?J  hierve  esta  Corle  de  Filipo, 

De  su  desorden,  trafago  1  ruido, 
Sin  olros  argumentes  importantes, 
Quedarïas  asàz  persûadido. 

Et  après  Lucien,  Quevedo  est  le  grand  inspirateur  de  Guevara 
comme  de  tous  les  écrivains  du  xvir  siècle  qui  ont  cultivé  la  satire 
sociale.  Quevedo  fournit,  non  scidement  des  idées,  mais  beaucoup 
d'expressions,  et,  bien  entendu,  les  imitateurs  exagèrent  les  procédés 
du  maître  :  Guevara,  entre  autres,  abuse  souvent  du  mot  à  double 
entente,  du  calembour,  et  certains  passages  de  son  Cojuelo  font  penser 
à  ce  tour  de  force  assez  puéril  qu'on  a  appelé  le  Monslruo  salirico  • . 
Guevara,  toutefois,  ne  tombe  pas  aussi  bas  que  ces  tristes  acrobates; 
il  sacrifie  trop  au  slylisme,  mais  il  a  des  idées,  de  la  fantaisie,  quelque 
chose  de  ce  fucgo  andaluz  qu'il  attribue  à  Alvaro  de  Cubillo.  A  tout 
prendre,  le  livre,  qui  a  des  passages  fort  réussis,  —  telle  la  scène  de 
l'hôtellerie  avec  les  extravagances  du  poète  dramatique,  —  n'a  pas 
trop  vieilli;  nous  comprenons  le  succès  qu'il  a  obtenu  auprès  des 
contemporains,  et  nous  estimons  que  Lesage  a  eu  la  main  heureuse 
le  jour  où  il  s'en  est  emparé  pour  le  faire  sien  2. 

I.  Un  spécimen  du  genre,  publié  par  M.  Mussafia  d'après  un  manuscrit  do  Vienne, 
a  été  reproduit  dans  le  tome  l"  des  Sales  cspaftolas  de  D.  Antonio  Paz  y  Melia.  Il  y  en 
a  d'autres  dans  les  Dialogos  de  apacible  enlrclenimienlo  de  Gaspar  Lucas  Hidalgo,  et 
dans  El  Entretenido  d'Antonio  Sâncliez  Tôrtoles. 

3.  Sur  le  nom  même  du  démon,  diablo  cojuelo,  il  y  aurait  encore  des  recherches 
à  entreprendre.  Je  noterai,  en  passant,  une  allusion  qui  se  trouve  dans  La  Eslrella  de 
Sevilla,  acte  111,  se.  7  :  «  En  sus  hombros  Al  punto  el  Diablo  cojuelo  Alla  le  ponga  de  un 
sallo.  » 

Bull.  Iiispan.  ai 


OlO  liLLLLTlN    HlSVA.MQLt 

Le  texte  de  l'édition  princeps  de  i64i  semble  avoir  été  reproduit 
très  fidèlement,  mais  cette  édition  n'existant  pas,  que  je  sache,  dans 
nos  bibliothèques,  je  n'ai  pas  pu  confronter  l'original  avec  la  copie.  Au 
surplus,  le  texte  de  i64i  contient  déjà  des  fautes  évidentes  que 
M.  lîonilla  a  indiquées  et  corrigées.  Parfois  même  l'éditeur  propose 
des  corrections  inutiles.  Ainsi,  il  se  demande  si  dans  la  phrase  :  «  los 
ginetes  a  gâtas  que  corrian  las  coslas  de  aquellos  tejados,  »  il  ne  con- 
viendrait pas  de  lire  postas  au  lieu  de  coslas.  Certainement  non  : 
Guevara  a  pensé  à  cette  cavalerie  légère  qui  surveillait  les  côtes 
d'Espagne  et  à  laquelle  Cervantes  fait  allusion  dans  le  Coloquio  de  los 
perros  :  «  el  senor  del  ganado  sobre  una  yegua  ruzia  a  la  gineta...mas 
parccia  atajador  de  la  cosla  que  seîïor  de  ganado.  »  —  P.  3o  et  53.  La 
graphie  tambien  en  un  mot  avec  le  sens  de  tan  bien  est  très  fréquente 
aux  xvi"  et  xvn"  siècles;  il  était  inutile  de  corriger.  —  En  revanche,  on 
peut  se  demander  si  la  leçon  nyones  à  la  fin  du  chapitre  IV  (p.  45) 
n'est  pas  une  faute  pour  oyentes  comme  lisent  les  éditeurs  modernes 
et  entre  autres  celui  de  la  Bibliothèque  Rivadeneyra.  Peut-être, 
toutefois,  Guevara  a-t-il  fabriqué  cet  oyones  d'après  mirones.  — 
P.  34-  Sobrepelliezes  est,  sans  doute,  une  faute  d'impression  pour 
sobrepelUzes. 

J'en  viens  aux  notes.  Ces  notes  sont  abondantes  et  rédigées  avec 
exactitude.  Quelques-unes  ont  le  mérite  de  résoudre  complètement 
une  difficulté,  je  citerai  par  exemple  la  très  bonne  explication  de 
fjolfo  lançado;  d'autres  contribuent  au  moins,  par  le  rapprochement 
de  passages  empruntés  à  des  auteurs  contemporains,  à  rendre  plus 
intelligibles  certaines  expressions  de  Guevara  ;  d'autres  enfin  semblent 
inutiles,  au  moins  à  des  lecteurs  français  quelque  peu  versés  dans  la 
littérature  espagnole  classique  :  je  m'étonne  qu'on  soit  obligé  d'expli- 
quer à  des  Espagnols  d'aujourd'hui  des  mots  tels  que  alcdndara,  caxa 
(dans  le  sens  de  tambour),  jalon,  etc.  En  revanche,  je  signalerai 
quelques  omissions.  Que  signifient,  par  exemple,  les  phrases  suivantes  : 
«  dar  rocin  por  carnero  y  gato  por  concjo  à  los  estomagos  del  buelo  » 
(p.  2o)  ;  ou  encore  :  «  dio  con  el  [el  venteroj  en  Peralvillo,  entre  aquellas 
cecinas  de  Gestas,  como  en  su  centro  »  (p.  53)?  11  eût  été  utile  aussi  de 
relever  tous  les  refranes  que  Guevara  s'amuse  à  déformer  plaisamment  : 
ainsi  la  phrase  «  al  fin  de  los  anos  mil,  bueluen  los  nombres  por  donde 
solian  ir  »  (p.  28)  est  l'a  peu  près  du  proverbe  «  al  cabo  de  los  aîïos  mil, 
vuelven  las  aguas  por  do  solian  ir».  Souvent  M.  Bonifia  se  déclare 
vaincu  et  hors  d'état  de  déchiffrer  ou  les  énigmes  de  ce  style  alambiqué 
et  torturé  à  dessein,  ou  les  allusions  à  des  choses  que  chacun  com- 
prenait alors,  mais  qui  nous  échappent  aujourd'hui  :  contes  popu- 
laires, jeux  de  mots  et  plaisanteries  éphémères  comme  il  en  naît 
maintenant  dans  la  presse  quotidienne.  Il  a  eu  bien  raison  d'insister 
sur  ces  passages,  que  d'autres  éditeurs    moins    scrupuleux   eussent 


BtDLluGRAPIirE  OCI 

simplement  passé  sous  silence;  c'est  la  meilleure  manière  d'attirer 
l'altention  de  tel  ou  tel  érudit  auquel  ses  études  spéciales  fourniront 
peut-être  le  moyen  de  résoudre  certains  de  ces  problèmes.  On  peut 
espérer  qu'un  jour  ou  l'autre  quelqu'un  nous  expliquera  la  mala  de 
Linan  ou  le  rio  navarrisco. 

Voici  quelques  menues  observations  qui  m'ont  été  suggérées  par  la 
lecture  de  ces  notes. 

P.  187.  Caheza  del  Rey  don  Pedro.  M.  Bonilla  aurait  pu  citer  à  ce 
propos  l'aventure  du  bisaïeul  de  (Ji'egorio  Guadana  qui  mendiait  sous 
la  fameuse  effigie  (Antonio  Enriquez  Gômez,  Vida  de  don  Gregorio 
Guadana,  p.  209  de  l'éd.  Rivadencvra).  —  P.  i45-  Çinconte.  Je  suis 
porté  à  croire  que  ce  mot  est  le  français  sansonnet.  —  P.  lôi.  Cos- 
(j aillas  de  la  capona.  Sur  le  bailc  de  la  capona,  il  faut  voir  El  Prado  de 
Madrid  y  baile  de  la  Capona,  coniedia  antigaa  de  Salas  Barbadillo 
(Coronas  del  Parnaso.  Madrid,  i635).  —  P.  i.")!.  Criado  con  el  Vasilisco 
de  Malta.  Il  s'agit  du  poète  dramatique  qui  fait  un  tapage  d'enfer  : 
■  «  el  jugar  la  artillera  con  la  boca,  como  si  huuiera  ido  a  la  escuela  con 
un  petardo  o  criadose  con  el  Vasilisco  de  Malta.  »  M.  Bonilla  pense  que 
((  la  légende  du  basilic  de  Malte  procède  peut-être  de  l'aventure  de  saint 
Paul  dans  l'ile  de  Malte  racontée  au  chapitre  XXVIII  des  Actes  des 
Apôtres  n  ;  mais  il  n'est  pas  question  ici  de  légende.  Le  nom  de  basilic  a 
été  donné  à  un  gros  canon  (cf.  couleiwrinc);  sans  doute  la  Religion 
possédait  à  Malte  un  basilic  d'un  calibre  extraordinaire,  et  c'est  pourquoi 
Guevara  compare  à  sa  détonation  les  pétarades  du  poète.  —  P.  i5f).  Don 
laan  de  Espina.  Sur  ce  personnage  bizarre,  musicien,  amateur  et  collec- 
tionneur de  curiosités,  —  il  recueillit  entre  autres,  nous  dit  Quevedo, 
les  instruments  du  supplice  de  Rodrigo  Calderûn  —  et  très  adonné  aux 
sciences  occultes,  M.  Bonilla  a  donné  quelques  renseignements  qu'il 
serait  aisé  de  multiplier.  J'ai  rappelé  (L  Espagne  au. wi^  el  au  wii^  siècle, 
p.  67G)  que  Juan  de  Espina  mourut  au  commencement  de  janvier  i6^3, 
et  qu'une  poésie  de  Luis  Barahona  de  Soto  Gallardo,  Ensayo,  t.  II, 
col.  27)  lui  donne  le  titre  de  pandorguero  de  Su  Magestad.  Sa  pan- 
dorga  est  mentionnée  non  seulement  par  Quevedo,  mais  par  Lope  de 
Vega  dans  une  loa  {Obras  sueltas  de  la  Bibl.  RiAadeneyra,  p.  a^o"). 
En  ce  qui  touche  ses  collections  d'oeuvres  d'art,  on  trouvera  des 
informations  curieuses  dans  le  livre  de  M.  Pion,  Leone  Leoni  et 
Pompeo  Leoni,  Paris,  1887,  p.  2^4,  à  propos  de  deux  recueils  de 
dessins  de  Léonard  de  Vinci  acquis  par  Espina  à  la  vente  de  Pompeo 
Leoni.  11  est  surprenant  que  F.  Wolf,  qui  cite  le  passage  du  Diablo 
cojuelo  concernant  Espina  {Studien,  p.  683),  le  considère  comme  un 
personnage  mythique!  —  P.  160.  Dormir  en  cueros,  como  vinagre. 
Un  jeu  de  mots  analogue  se  trouve  dans  la  nouvelle  Ardid  de  la 
oobreza  y  astucias  de  Vireno  de  Don  Andrés  de  Prado  :  a  ténia  (el 
cochero)  noticia   de  donde  le  apretaba  el  jubon,  y  no  los  zapatos, 


3l3  BULLETIN    IllSl'AMQLt: 

porque  no  los  traia  por  no  ponerse  en  puntos  con  vinagres,  por  lo 
que  lienen  de  ciiero  »  (éd.  Rivadeneyra,p.  h'o").  —  P.  i64,  Esguizaro. 
Le  mot  ne  vient  pas  directement  de  l'allemand  Schweilzer,  mais  de 
l'italien  Svizzei^o.  —  P.   i65.  Espiimar  valor.  Dans  le  texte  :  «  espu- 
mando  valor,  prerrogativa  de  estudiante  de  Alcala  »  :  ceci  fait  allusion 
aux  fameux  gargajos  dont  parlent  le  Buscôn  et  le  Pasagero  de  Suàrez 
de  Figueroa.  — P.  167.  Fainiliar.  L'interprétation  que  donne  ici  M.  Bo- 
nilla  du  double  sens  dejamiliar  avait  été  indiquée,  mais  avec  quelque 
exagération,  par  D.  Antonio  Puigblanch  :  «  Luis  Vêlez  de  Guevara,  in 
his  novel  of  the  Devil  on  Two  Sticks,  chap.  1,  criticises,  though  in  an 
obscure  manner,  the   excessive  power  of  the   inquisitors,  when  he 
causes  the  devil,  from  a  glass  bottle  in  which  he  Avas  confîned,  to  say 
tliat  he  should  be  extremely  glad  to  be  a  familiar  of  the  Holy  Office, 
to  put  some  of  them  into  another  bottle  of  brick  and  mortar  (The 
Inquisition  unmasked,  Londres,  1816,  t.  11,  p.  167).  —  P.  186.  Ladrones 
de  Guebara,  Merciirio  Mayor  de  Espana.  Durân  se  demande  pourquoi 
l'auteur  attribue  au  père  du  comte  d'Onate  la  faculté  de  «  faire  des . 
empereurs  ».  Le  cinquième  comte  d'Onate  fut  ambassadeur  à  Vienne  et 
contribua  à  l'élection  de  Ferdinand  llî.  —  P.  191.  Mas  ruido  que  la  Ber- 
muda. Un  ami  de  M.  Bonilla  lui  a  suggéré  l'idée  que  le  nom   de  Ber- 
muda pouvait  désigner  une  cloche  célèbre.  11  faut  renoncer  à  cette  clo- 
che. Bermuda  est  l'île  Bermude,  grand  effroi  des  navigateurs,  à  cause 
des  terribles  courants  qui  l'entouraient  :  «  the  stiil-vexed  Bermoothes  », 
dit  Ariel  dans  la  Tempêter  Les  livres  espagnols  des  xvi^  et  xvn'  siècles 
sont  pleins  d'allusions  aux  tempêtes  si  fréquentes  dans  ces  parages 
dangereux   et  dont   l'horrible  fracas   demeurait  longtemps  dans  la 
mémoire  de  ceux  qui  les  avaient  essuyées  : 

La  Bex'muda  enfin  no  muda, 
Pues  con  lôbregos  cclajes 
Habla  tanto  que  la  lloran 
Inflnitos  navegantes, 

dit  une  relation  en  vers  de  1626  (Cesareo  Fernândez  Duro,  La  niar 
descrita  por  los  mareados,  Madrid,  1877,  p.  2o3);  et  le  poète  Don 
Francisco  de  Medrano,  dans  une  imitation  de  Sic  te  diva  potens  Cypri 
adressée  à  un  ami,  s'écrie  : 

;  Que  Unaje  temiô  de  muerte  cruda 
Quien  con  ojos  enjutos 
Viô  los  escollos  yertos,  la  Bermuda 
Y  los  caimanes  brutos  ! 

(Poetas  lîricosde  laBibl.  Rivadeneyra,  t,  I,  p.  348).  —  P.  igS.  Mohatra. 

I.  On  sait  que  le  sujet  de  la  Tempête  a  été  emprunté  à  la  relation  d'un  naufrage  qui 
eut  lieu  aux  îles  Bermudes  en  1609. 


iuhlioguvpiiie 


3i3 


A  propos  de  ce  mot  qui,  au  xvii'  siècle,  avait  fini  par  signifier  sim- 
plement ((  usure  »  et  s"appli(iuait  indistinctement  à  toutes  les  pratiques 
des  prêteurs,  M.  Bonilla  dit  que  le  lexique  de  Gucvara  est  essentielle- 
ment quevedesque,  parce  qu'il  retrouve  dans  les  Siiehos  de  Quevedo 
diverses  allusions  à  la  mohatra  et  au  mohalrcro.  Mais  il  n'est  pas  d'au- 
teur de  l'époque  qui  n'en  parle  peu  ou  prou.  Chez  nous,  le  contrat 
mohatra  doit  sa  notoriété  à  la  huitième  Provinciale.  —  P.  22a.  Saltam- 
bancos.  A  coté  de  ce  mot  qui  est  pour  salla-en-bancos,  on  pourrait  rap- 
peler l'expression  analogue  de  montainbancos  qui  se  trouve  dans  Este- 
banillo  Gonzalez.  Dans  les  deux  passages  où  il  figure,  l'éditeur  de  la 
Bihl.  Rivadeneyra  a  imprimé  nionlambaneos  (voy.  Novelistas  posl.  a 
Cervantes,  t.  II,  p.  33o^  et  353').  —  P.  2  23.  Saudades.  Le  correspon- 
dant espagnol  soledad  est  employé  par  Guevara  avec  le  sens  portugais 
à  la  p.  Ao:  «  don  Cleofas...  sintiendo  la  soledad  del  compaiiero)). — 
P.  23 1.  Velicomenes.  L'explication  donnée  ici  par  M.  Bonilla  ne  vaut 
rien,  mais  elle  a  été  rectifiée  par  lui-même  dans  la  Revis  ta  de  archivos, 
3*  época,  t.  VI,  p.  383.  Le  mot  vient  directement,  non  de  l'allemand, 
mais  du  français  vidrecome. 

On  sait  que  Guevara  a  inséré  dans  son  Cojiielo  un  sonnet  lu  par  lui 
dans  la  fameuse  académie  burlesque  du  Retiro  en  1637  ainsi  que  le 
règlement  premdlicas  y  ordenanzas)  de  la  dite  académie.  M.  Bonilla,  au 
moment  de  publier  son  édition,  ignorait  que  le  compte  rendu  complet 
de  cette  séance  littéraire  avait  été  imprimé,  il  ne  connaissait  que  la  rela- 
tion de  Sânchez  de  Espejo  et  des  extraits  d'un  manuscrit  de  la  Biblio- 
thèque Nationale  de  Madrid  contenant  le  sonnet,  le  discours  d'ouver- 
ture, le  règlement,  les  memoriales  et  les  cedulas,  le  tout  de  tiuevara', 
avec  un  vejanien  de  Francisco  de  Rojas,  pièces  qui  lui  furent  commu- 
niquées par  D.  Manuel  Serrano  y  Sanz.  Gallardo  lui  aurait  appris  que 
l'ancienne  bibliothèque  d'Osuna  possède  un  exemplaire  des  actes  de 
l'académie  qui  doit  être  identique  à  celui  de  la  bibliothèque  de  l'Arse- 
nal. Dans  l'exemplaire  de  l'Arsenal,  le  vejanien  est  d'Alfonso  de 
Batres  complété  par  Francisco  de  Rojas,  mais  la  partie  de  Rojas  est 
tout  à  fait  différente  du  rejamen  publié  par  M.  Serrano.  Je  me  demande 
si  ce  second  vejanien  appartient  bien  à  la  même  académie;  il  porte  la 
date  du  21  février  1637,  alors  que  l'académie  dont  parle  Sânchez  de 
Espejo  et  dont  les  actes  se  trouvent  dans  les  mss.  Osuna  et  de  l'Arsenal 
eut  lieu  le  vendredi  20  févriers. 

Une  observation  avant  de  finir.  La  disposition  des  notes  dans  cette 
édition  les  rend  peu  faciles  à  consulter.  Comment  supposer,  par  exem- 

1.  Dans  le  manuscrit  de  l'Arsenal,  ces  pièces  sont  suivies  de  la  mention  :  "  Asla 
aqui  Luis  Bolez  ». 

2.  M.  Bonilla  dit  par  inadvertance  que  les  fêtes  commémoratives  de  l'élection  de 
Ferdinand  III  dun'rcnt  du  dimanche  i6  février  au  mardi  25;  mais  en  lOSy  le  diman- 
che tombait  le  i5  et  non  le  lO. 


6l!^  lîlLLETIN    mSPAN'TQCE 

pie,  que  des  renseignements  sur  un  nommé  Melchor  Zapata,  et  que 
M.  Bonilla  croit  pouvoir  identifier  avec  le  personnage  du  même  nom 
dont  il  est  question  dans  Gil  Blas,  livre  II,  ch.  8,  se  trouvent  sous  la 
rubrique  Cura  de  su  vino  ?  Il  aurait  fallu  une  table  alphabétique  de 
noms  et  de  choses. 

En  somme,  comme  je  le  disais  en  commençant,  ce  travail  est  très 
louable  et  mérite  l'estime  et  la  reconnaissance  de  tous  ceux  qui  sentent 
leur  ignorance,  l'avouent  ingénument  et  voudraient  y  remédier,  ce  qui 
est  le  commencement  de  la  sagesse.  Il  serait  fort  à  désirer  que 
M.  Bonilla  fit  subir  le  même  traitement  à  plusieurs  autres  œuvres  de 
la  littérature  espagnole,  depuis  la  Célestine  et  le  Lazarille  jusqu'aux 
Nouvelles  de  Cervantes,  au  Buscôn,  au  Pasagero  de  Suârez  dé  Figueroa, 
au  Mdrcos  de  Obregôn,  livres  qui  tous  réclament  d'abondants  éclair- 
cissements. Nous  ne  saurions,  à  vrai  dire,  à  cause  du  médiocre  outil- 
lage dont  ils  disposent,  demander  aux  érudits  espagnols  des  éditions 
savantes  dans  le  goût  des  Grands  écrivains  de  la  France  ou  du 
Shakespeare  de  Furness  ;  mais  nous  leur  serions  fort  obligés  de  nous 
donner  au  moins,  pour  les  classiques,  quelque  chose  qui  répondrait, 
par  exemple,  à  la  si  bien  conçue  Bihlioleca  scolaslica  de  Carducci. 

A.  M. -F. 

Landwirthschafl  und  Kolonisation  im  Spanischen  Amerika,  von 
professer  D^  Karl  Kaerger,  2  vol.  in-8°,  xi-989  pp.,  vii-y^S  pp., 
Leipzig,  Duncker  et  Humblot,  1902.  Prix  :  42  marks  80. 

L'ouvrage  du  D""  K.  Kaerger,  que  viennent  de  publier  les  grands 
éditeurs  de  Leipzig,  Duncker  et  Humblot,  arrive  à  son  heure,  c'est-à- 
dire  au  moment  où  l'attention  du  monde  se  porte  de  plus  en  plus  vers 
cette  Amérique  espagnole  que  le  prodigieux  développement  de  l'Amé- 
rique anglo-saxonne  a  trop  longtemps  rejetée  dans  l'ombre.  Dans  ces 
immenses  espaces  où  la  colonisation  européenne  a  rencontré  des  difR- 
cultés  bien  plus  sérieuses  qu'au  nord  du  continent  américain,  la  race 
espagnole  a  fait  preuve  d'une  endurance,  d'une  vitalité  qui  font 
augurer  pour  ces  pays  un  brillant  avenir.  C'est  là,  sans  doute,  plus 
qu'en  Espagne  même,  que  la  langue  et  la  civilisation  hispaniques 
trouveront  leur  champ  d'expansion  le  plus  vaste,  et  qu'elles  pourront 
occuper  encore  une  place  importante  dans  l'ensemble  des  multitudes 
humaines  grandissantes.  L'étude  de  l'avenir  économique  de  l'Amérique 
espagnole  forme  l'objet  de  l'enquête  du  D'  Kaerger.  Elle  ne  s'étend  pas, 
il  est  vrai,  aux. petits  États  de  l'Amérique  centrale,  pas  plus  qu'à  la 
Colombie  et  au  Venezuela,  mais  elle  donne  sur  le  Mexique,  l'Equateur, 
la  Bolivie,  le  Pérou,  le  Chili  et  les  Républiques  de  La  Plata  une  masse 
énorme  de  détails  précis  et  de  renseignements  approfondis  qui  en  font 
de  beaucoup  la  meilleure  œuvre  d'ensemble  parue  sur  ce  sujet. 


iniir.ioGiuniiK  .Si.) 

L'auteur,  chargé,  au  m)ui  du  gomernonienl  allemand,  d'étudior  sur- 
place les  conditions  de  la  production  économique  dans  cette  partie  du 
monde,   examine  dans    un  gros   volume  de  près  de    i,ooo  pages   la 
situation  des  Etats  de  La  Plata,  ceux  qui  paraissent  appelés  à  jouer  au 
point  de  vue  matériel  au  Sud  le  rôle  que  jouent  au  Nord  les  Etats- 
Unis.  Venant  après  les  travaux  récents  de  Lalzina,  de  Van  Bruyssel  et 
de  Ch.  Wiener,  paru   presque  en  uiême  temps   que  celui  de  Carlos 
Lisklett,  l'ouvrage  du  D'  Kaerger  fournil  sur  l'Argentine,   l'Uruguay 
et  le  Paraguay  une  série  de  recherches  précieuses,  où  les  documents 
statistiques  et   les   observations   personnelles    sont   en   même    temps 
utilisés.  L'auteur  s'y  efforce  sans  cesse  d'indiquer  les  facteurs  physi- 
ques (sol,  climat),  ethnographiques  (colonisalion  et  population),  écono- 
miques (conditions  de  production  et  de  Iravail  ,  qui  ont  déterminé 
l'évolution  matérielle   des   républiques   de   La   Plata.   Aussi    peut-on 
afTirmer  qu'en  dépit  du  décousu  de  la  composition,  qui  provient  de  ce 
(|ue  l'auteur  n'a  pas  remanié  les  rapports  adressés  à  son  gouverne- 
ment et  ne  s'est  pas  préoccupé  d'établir  un  lien  entre  eux,  le  travail 
du  D'  kaerger  est  la  contribution  la  plus  importante  que  l'on  possède 
sur  la  plupart  des  éléments  de  la  vie  économique  de  trois  Etats  de  cette 
partie  de  l'Amérique. 

Comme  il  était  naturel,  l'enquête  la  moins  détaillée  est  celle  qui 
concerne  le  Paraguay^  où  la  colonisation  est  encore  lente  et  où  la  prin- 
cipale richesse  consiste  dans  le  bétail,  les  peaux,  le  tabac,  et  surtout 
dans  cette  variété  du  thé  appelée  le  maté,  sans  parler  des  magnifiques 
forêts  qui  couvrent  le  paysi.  L'L'ruguay  est  plus  favorisé,  grâce  au 
voisinage  de  la  mer.  11  attire  davantage  les  émigrants,  principalement 
les  Basques,  et  sa  capitale  Montevideo  croît  avec  rapidité.  La  colonisa- 
tion grandissante,  la  production  intense  du  bétail,  du  blé,  des  laines, 
des  peaux,  font  l'objet  d'une  série  de  rapports  très  fouillés  du  savant 
allemand». 

Mais  c'est  l'iVrgentine  qu'il  semble  avoir  étudiée  avec  le  plus  de  soin 
et  dont  il  connaît  à  fond  les  ressources 3.  Il  cherche  à  dégager  les 
conditions  physiques  du  progrès  étonnant  de  cette  république,  et,  pour 
chacune  des  provinces  qu'il  a  parcourues,  à  montrer  quelle  est  la  part 
dii  sol,  du  climat,  des  eaux,  dans  la  formation  de  sa  richesse'".  Dans 
cette  immense  plaine  de  a, 800,000  kilomètres  carrés,  cinq  fois  et  demi 
supérieure  en  étendue  à  la  France,  il  note  avec  sagacité  les  traits  (jui 
distinguent  les  terres  fécondées  par  le  grand  fleuve  et  le  voisinage  de 


1.  Kaerger,  I,  3i5-.35î. 

2.  Kaerger,  I,  asi-.li^. 

3.  Le  D'  Kaerger  consacre  à  l'Argentine  plus  de  800  pages. 

4.  Par  exemple,  pour   les  provinces  de   Santa  Fc  et  de  Côrdoba,  Kaerger,  pp. 
à  iG;  pour  l'Entrerios  el  Buenos  .\ires,  I,   p.  'iir>;  pour  l'ensemble  de  l'Argentinr 

I,  Sdi-Ç)0'|. 


3l0  nt'LLETIN    HISPANIQUE 

TAtlantique  d'une  part,  le  Grand  Chaco  et  les  Pampas  de  l'autre.  11  n'a 
pas  négligé  d'examiner  les  conditions  d'habitat  des  vastes  plateaux  de 
grès  de  la  Patagonie  qui  bordent  au  sud  cette  plaine  et  que  balaient 
l'hiver  les  vents  froids  du  pôle.  De  là,  le  développement  si  inégal  de 
l'Argentine,  oii  la  douceur  du  climat,  l'action  bienfaisante  des  eaux 
fluviales,  la  proximité  des  estuaires  ont  en  quelque  sorte  concentré  la 
vie  dans  les  provinces  Orientales,  tandis  qu'elle  naît  à  peine  aux  extré- 
mités, et  qu'elle  présente  si  peu  d'activité  au  centre.  A  tout  prendre, 
la  terre  est  riche  et  fertile.  Aussi  la  colonisation  progresse-t-elle  surtout 
vers  les  provinces  de  Santa  Fé,  de  Côrdoba,  de  Buenos  Aires,  de 
Rosario,  etc.i-  Le  recensement  de  1895  accusait,  en  effet,  la  présence 
de  près  de  i  million  d'étrangers  (les  deux  tiers  Italiens  ou  Espagnols, 
un  dixième  Français)  pour  une  population  de  4  millions  d'habitants, 
et  on  compte  qu'entre  1878  et  1897,  l'Argentine  a  reçu  2,oG3,ooo  émi- 
grants.  On  sait  avec  quelle  ténacité  l'Allemagne  cherche  à  détourner 
une  partie  de  ses  nombreux  émigrants  vers  les  États  de  La  Plata,  afin 
d'y  ménager  pour  l'avenir  la  suprématie  de  son  commerce.  Aussi, 
l'ouvrage  du  D'  Kaerger  contient-il  une  étude  minutieuse,  une  sorte 
de  guide  instructif,  pour  diriger  d'une  manière  méthodique  l'effort  de 
ses  compatriotes  dans  cette  partie  de  l'Amérique  du  Sud.  C'est  égale- 
ment dans  des  intentions  pratiques  qu'il  a  exposé  l'influence  des 
variations  du  papier-monnaie  sur  les  salaires  et  les  prix  à  La  Plata,  et 
cette  enquête  spéciale  n'est  pas  la  portion  la  moins  utile  de  son  œuvre, 
de  même  que  celle  qui  concerne  la  technique  et  le  coût  de  l'exploita- 
tion ou  les  conditions  du  rendement  agricole 3.  Des  autres  études  du 
savant  allemand  se  dégage  une  impression  de  confiance  dans  l'avenir 
économique  de  ce  vaste  pays  destiné  à  devenir  peu  à  peu  l'un  des 
plus  formidables  producteurs  de  denrées  alimentaires  de  l'univers. 
L'agriculture  et  l'élevage,  déjà  florissants  à  l'est  sur  les  rives  de  la 
Plata  et  du  Parana,  s'étendent  avec  les  voies  ferrées,  ici  comme  ailleurs 
instruments  de  pénétration  autant  que  de  civilisation,  soit  dans  le 
nord-ouest,  le  nord,  l'ouest,  soit  dans  les  âpres  plateaux  Patagons. 
Quelles  immenses  réserves  l'Argentine  possède  encore,  on  pourra  en 
juger  si  l'on  songe  qu'à  peine  G  0/0  de  son  territoire  cultivable  sont 
mis  en  valeur.  Cependant  elle  a  déjà  franchi  la  deuxième  étape  d'un 
pays  qui  s'éveille  à  la  grande  vie  civilisée.  D'État  pastoral,  elle  se 
transforme  en  État  agricole.  Elle  est  devenue  un  des  greniers 
du  monde,  rivalisant  avec  l'Australie,  les  États-Unis,  l'Inde,  la 
Russie,  lorsque  la  tyrannie  de  V eslanciero  (éleveur)  a  cessé  d'éloi- 
gner l'agriculteur.  La  culture  des  céréales,  surtout  du  blé,  y  a  admira- 
blement réussi,  principalement  au  nord-est,  dans  les  provinces  de 
Buenos  Aires,  de  Santa  Fé  et  d'Entrerios,  où  1,990,000  hectares  sont 

1.  Kaerger,  I,  17-45 

2.  kaerger,  1,  45-1 18;  1 19-180  (pour  Santa  Fé  et  Cordoba). 


BIIU.IOGUAHUIE  817 

emblavés,  et  le  D'  Kaerger  estime  qu'on  pourrait  l'élcndre  'avec 
chance  de  succès  à  ^S  millions  d'hectares '.  Déjà  l'Argentine  peut 
déverser  sur  le  marché  ses  200  millions  d'hectolitres  de  blé.  Elle  n'a 
pas  moins  de  1,2:^4,000  hectares  oii  se  cultive  le  maïs,  dans  les  mêmes 
régions  où  prospère  le  blé.  Elle  s'est  mise  à  cultiver  la  vigne  ainsi 
que  la  betterave  à  sucre,  et  ces  cultures  se  propagent  avec  rapidité. 
Les  vignobles,  constitués  avec  des  cépages  d'origine  française,  ont 
atteint  un  développement  de  40,000  hectares  en  1897;  ils  réussissent 
à  merveille  dans  l'Entrerios  et  sur  les  collines  des  provinces  de  San 
Juan  et  de  Mendoza.  On  retire  déjà  2,5oo,ooo  hectolitres  de  vin  utilisés 
pour  la  consommation  courante,  et  si  les  procédés  de  vinification  sont 
encore  très  inférieurs  à  ceux  du  Bordelais  et  du  Languedoc,  nul  doute 
que  peu  à  peu  ils  ne  s'améliorent  dans  l'Argentine.  Alors,  l'un  des 
marchés  des  vins  français  pourrait  se  trouver  sérieusement  atteint. 
Dès  maintenan